Tale of Ankara
Bon, okay. C'est ma première histoire sur ce site, mais aussi ma première histoire tout court. Elle est également postée du fictionpress, et on m'a demandé de la mettre ici. Je ne connaissais pas le site, donc je suis venue explorer, et je me suis dit "pourquoi pas". Donc, me voilà. Sur fictionpress, cette histoire à la même titre, mais j'ai le pseudo Cat'sMadHat.
J'espère que vous allez aimer!
{1: Alexandrie}
Un vent violent secouait les plaines du royaume d’Ankara. Ash chassa les quelques mèches de cheveux bruns qui s’étaient mises devant ses yeux et rentra la tête dans les épaules, tenant sa cape de voyage autour de son corps. Le vent n’était pas froid, mais le gênait pour avancer. Il avait perdu son cheval en traversant la forêt plus à l’ouest, et avait été obligé de continuer à pied.
« Loups de malheur, grogna-t-il en sortant une gourde de son manteau. Ça va faire quatre jours que je marche. »
Heureusement, son voyage difficile touchait à sa fin. En effet, après une dizaine de jours de voyage, il arrivait enfin en vue du Palais Royal d’Ankara. En tant normal, le trajet n’aurait dû prendre que sept jours à dos de cheval, mais il avait pris le raccourci par la forêt et, une nuit, avait été attaqué par une meute de loups affamés. Sa monture, une magnifique jument de couleur marron clair qui aurait dû lui coûter une fortune s’il l’avait obtenue par des moyens légaux, s’était enfuie, rallongeant de trois jours son voyage.
« Ça a intérêt à valoir le coup, soupira Ash en levant ses yeux bleus ciel en direction du château qu’il pouvait apercevoir au loin. »
S’il n’avait pas de problème, il arriverait à destination à l’aube. Il s’assit sur le bord du chemin, décidant de prendre quelques minutes de repos. Il avait du temps devant lui.
Il remonta le large capuchon de sa cape pour cacher son visage, et sortit un encas de sa sacoche. Si quelqu’un passait par ici, il supposerait qu’Ash était qu’un voyageur solitaire ou un de ces vendeurs d’objets en tout genre et ne prendrait pas le temps de vérifier son identité.
En réalité, Ash n’était pas vraiment le bienvenu en Ankara. Il n’avait que vingt ans, mais était déjà connu dans tout le royaume comme un bon cambrioleur. La milice le recherchait dans les moindres recoins, et le jeune homme était un maître dans l’art de passer inaperçu tout en étant sous leur nez. Tout jeune, déjà, il avait pris l’habitude de se cacher un peu partout. L’orphelinat dans lequel il avait vécu avec son frère avait toujours été très accueillant, mais avec la mort soudaine de leurs parents, il avait souvent préféré la solitude à la gentillesse compatissante des propriétaires.
Cette attitude de solitaire avait joué en sa défaveur et personne n’avait voulu d’un enfant peu sociable et qui avait pour habitude de créer des problèmes, ayant toujours été un petit garçon agité. Son frère avait été l’exact contraire, préférant la compagnie et étant d’une politesse exemplaire, un enfant parfait, en somme.
Ses yeux s’assombrirent à la pensée de son frère. Lui qui avait toujours un doux sourire aux lèvres, et qui avait toujours été là pour lui…Où était-il, maintenant ? Probablement loin…Peut-être même dans un autre pays. Il avait une chance sur sept d’être dans le bon état et encore, Ankara était l’un des plus petits. Cependant, Ankara était leur pays d’origine et il était rare d’y voir des étrangers, tout comme il était peu commun de trouver un Ankarois dans un autres des sept états du continent.
Avec un soupir, Ash se leva et reprit sa route. Même s’il avait peu de possibilité de trouver Will ici, il y avait de grandes chances pour que la réponse à sa question se trouve entre les murs du Palais Royal, plus précisément dans ses sous-sols, gardée en tant que trésor magique d’Ankara.
Comme prévu, il atteignit le Palais Royal au lever du soleil. Le vent avait baissé en intensité, rendant la marche plus facile. Les portes de la ville n’étaient pas encore ouvertes. Celle-ci était entourée de hauts murs de pierres, ornés à chaque coin du drapeau du royaume. Elle n’avait pas de forme définie, c’était comme si, chaque fois que la ville devait être étendue, on démolissait une partie du mur à un endroit pratique, construisait la ville, et l’entourait d’un nouveau mur.
Ces murs étaient percés de quatre portes de fer, imposantes, qui s’ouvraient grâce au travail de quatre hommes par portes, s’acharnant à faire tourner les lourdes manivelles. Au centre, on apercevait le Palais Royal, lieu de résidence de la famille qui régnait sur le pays.
En regardant bien les murs, on trouvait encore de petites marques, des entailles ou des brulures, témoins de la guerre qui avait fait rage seulement quelques décennies auparavant. En effet, la Communauté Magique d’Ankara et la population non-initiée aux arcanes mystérieux de cet art s’étaient livrés une guerre sans merci. Seule l’amitié surprenante entre un Enchanteur et un Régulier avait permis au Royaume d’échapper à une destruction pure et simple.
Avec un craquement sourd, les lourdes portes s’ouvrirent, dévoilant une ville qui ne faisait que s’éveiller. Les lumières de l’aube se reflétaient sur le fer de l’entrée, sur les toits des maisons et sur les nombreuses fenêtres qu’arborait le palais. Faisant bien attention à ce que sa capuche soit correctement rabattue sur son visage, Ash pénétra la plus grande ville d’Ankara. Celle-ci grouillait de monde, et les chevaliers, les soldats et les gardes étaient ceux qui attiraient plus le regard. Si la foule était principalement vêtue simplement, avec des tuniques de couleurs marrons, bleu pastel et même parfois vert, ceux-ci portait des cotes de mailles et des épées. Les membres de la division des mages étaient plus difficiles à repérer, mais ils portaient des armes plus discrètes et leurs vêtements étaient en cuir, probablement enchantés pour être plus résistants.
Il s’arrêta devant le panneau d’affichage, remarquant un visage familier. Pendant une longue minute, il ne put que fixer son propre portrait et la somme inscrite en-dessous de son nom. Il émit un sifflement admiration.
« Je n’avais jamais fait attention, mais la prime est plutôt pas mal… Heureusement que leur dessinateur est un incapable. »
En effet, le portrait qui lui faisait face était vague, et personne ne serait en mesure de le reconnaître dans la rue. Cependant, on n’était jamais trop prudent.
Après s’être assuré que personne ne le regardait, il attrapa l’affiche et la déchira, avant de la laisser être emportée par le vent. La dernière chose qu’il voulait était qu’un Chasseur de Prime se lance à sa poursuite. Puis, il sourit, levant les yeux vers les hautes tours du Palais.
« La Pierre Céleste… Elle est ici, j’en suis certain. »
Il devait désormais attendre que le soir tombe. C’était sa seule chance d’entrer dans le Palais Royal sans être repéré.
Après un instant de réflexion, il se dirigea vers les rues emmaillotées de la ville basse. C’était là qu’il trouverait tout ce dont il avait besoin pour entrer dans le château. De plus, il était fatigué, ayant voyagé toute la nuit, et il voulait dormir. La plupart des auberges les moins chères se trouvaient dans cette partie de la ville, et il ne restait à Ash que quelques pièces. Il irait, dans l’après-midi, faire un tour dans les hauts quartiers, où il pourrait utiliser ses talents de pickpocket pour obtenir un peu de monnaie.
Il entra dans le premier établissement qu’il trouva. C’était une vieille bâtisse dont l’enseigne était illisible, effacée par le temps et la saleté. Il poussa la double porte de bois, et se rendit compte qu’il avait bien choisi son lieu de résidence. Plusieurs groupes de personnes, rapprochées entre elles, discutaient à voix basse. Pas la moindre trace de garde en vue, et un bon nombre de personnes cachaient leur visage. Ici, personne ne posait jamais de question sur les individus étranges qui entraient dans l’auberge.
L’aubergiste était une jeune fille de l’âge d’Ash, bien qu’un peu plus grande, portant des vêtements trop révélateurs pour que ce soit son seul métier. Sa poitrine était recouverte par un morceau de tissus noué dans le dos, et sa jupe était probablement extrêmement courte. Ses ongles, peints d’un verni rouge bon marché, tapotaient impatiemment sur le comptoir, alors que les doigts de sa main gauche jouaient avec une mèche de cheveux blonds trop courte pour faire partie de sa longue tresse. Ses yeux marron étaient beaucoup trop maquillés, masquant maladroitement les cernes qui les soulignaient.
« Deux pièces d’argent la chambre, dit-elle d’un ton monotone qui laissait penser qu’elle répétait cette phrase à longueur de journée. Quatre si vous voulez un supplément repas, et huit pour le supplément divertissement. Dix pièces si vous voulez les deux.
_Je vais seulement prendre le repas.
_Ce sera dix pièces le divertissement, et quatorze pour le tout, si vous ne penchez pas de ce côté, je vais devoir vous demander de signer un contrat de silence, pour la prise de risque. Nous vous rappelons que l’autre version de notre métier est illégale dans ce pays, sous peine de mort. Nous tenons à la survie de nos employés.
_J’ai dit seulement le repas, répéta Ash, qui ne pouvait pourtant pas empêcher ses yeux de se promener sur le corps trop visible de son interlocutrice. »
Il posa quatre pièces d’argent sur le comptoir et l’aubergiste prit un air maussade, visiblement mécontente. Peu de clients refusaient l’option « divertissement », sautant tous sur l’occasion de coucher avec une femme – ou avec un homme. En effet, il s’agissait principalement de clients de passage, qui passaient une grande partie de leur vie sur les routes. Malheureusement, Ash n’avait certainement pas assez de monnaie pour se payer, en plus de la chambre et du repas, une prostituée.
Il repoussa sa capuche et retira sa cape. L’aubergiste soupira.
« Je vous fait un prix : huit pièces pour le repas, et le divertissement. »
La jeune fille avait de toute évidence besoin d’argent. Soit elle n’était la prostituée la plus populaire de l’établissement, soit son patron récupérait une grosse part sur sa paie.
« Ecoutez… Je n’ai pas plus de monnaie que ça. J’en aurai récupéré cet après-midi mais pour le moment, je n’ai que ces quatre pièces d’argent.
_Nous n’acceptons plus paiements différés, répondit-elle. Mais je peux peut-être faire une exception pour vous. Je m’appelle Alexandrie. C’est quoi, votre nom ?
_Asgard, se présenta le jeune homme. J’ai une idée… Vous connaissez les environs ?
_Bien sûr. J’ai grandi ici. Je connais toutes les parties de la ville dans leurs moindres recoins.
_Voilà ce que je vous propose. Je vous paye quatre maintenant et, cet après-midi, vous venez avec moi quand j’irai chercher de l’argent. Vous connaissez les hauts quartiers mieux que moi, et savez qui est susceptible d’avoir de la monnaie dans ses poches. Vous pourrez garder la moitié de ce que je récupèrerai. »
Alexandrie réfléchit un instant. C’était intéressant, pensait-elle. Et, de toute façon, même s’il avait menti et qu’il ne tenait pas sa part du marché, elle aurait toujours quatre pièces d’argent et quelques pièces qu’elle pourrait piquer aux nobles des hauts quartiers. Ce garçon était évidemment un voleur, mais elle avait probablement plus d’expérience que lui dans le domaine. Si le pire venait à venir, elle lui ferait les poches.
« Très bien, accepta-t-elle en prenant les quatre pièces d’argent. Marché conclu. »
Elle empocha la monnaie et quitta le comptoir, pour aller ouvrir une porte au fond de l’accueil. Alexandrie passa la tête par la porte de service et avisa Marina, une de ses collègues. Marina avait quatre ans de plus qu’elle, et était une petite brunette aux yeux gris en amande.
« Marina, j’ai un client, appela-t-elle. Tu peux prendre en charge le comptoir ? »
La brune accepta avec un doux sourire, l’une des choses qui la rendait si populaire auprès des clients, en plus de ses vêtements révélateurs en cuir moulant et des objets coquins cachés dans ses tiroirs. Avant de la rencontrer, Alexandrie n’aurait jamais pu croire que préférer le côté masochiste d’une relation SM pouvait être utile au travail. Apparemment, les clients aimaient avoir le contrôle.
Marina ajusta ses vêtements et quitta les vestiaires réservés au personnel pour s’installer derrière le comptoir. Alexandrie attrapa une clé et fit signe à Ash de la suivre. Elle le guida jusqu’au premier étage, et ouvrit une porte au fond du couloir, sur la droite. Les chiffres à moitié effacés indiquaient qu’il s’agissait de la chambre numéro 18.
Elle était petite, avec une fenêtre donnant sur la cour intérieure, dans laquelle on pouvait voir plusieurs hommes et femmes qui n’étaient probablement pas des clients fumer quelques cigarettes dans un coin. Dans l’autre, plusieurs tables en bois bancales accueillaient des résidents prenant un déjeuner. Une porte au bout de la cour donnait accès, si le panneau disait la vérité, à des toilettes.
Dans la chambre se trouvaient un lit et une petite armoire pour les clients à long terme. Une table de nuit avec un tiroir fermant à clé permettait au client d’y mettre ses affaires afin d’éviter de se faire voler leurs généralement maigres possessions quand le personnel de ménage faisait son travail. Le papier peint se décollait par endroit et était de couleur blanc cassé. A mon que le cassé ne soit de la crasse.
Ash posa sa cape de voyage sur la seule chaise de la pièce, dévoilant une simple tunique noire déchirée par endroit et un pantalon serré de la même couleur, et une paire de haute botte de marche. Il déposa sa sacoche, qui ne contenait plus qu’une tenue « de travail » – une tunique et un pantalon gris serrés et une paire de mitaine grises – et une gourde d’eau.
Alexandrie défit la corde qui servait de ceinture à sa jupe et laissa le vêtement tomber sur le sol, dévoilant ses sous-vêtements. Elle dénoua le morceau de tissus qui faisait office de haut et le jeta avec sa jupe. Elle retira ensuite le court short qu’elle portait en-dessous et s’assit sur le lit, attendant d’être rejoint par Ash. Elle avait un boulot à faire, après tout.
Il s’assit à son tour et l’attrapa par la hanche pour la renverser sur le dos et glissa entre ses jambes écartées. Il avait intérêt à payer plus tard, pensa Alexandrie. Les arnaqueurs n’étaient pas rares ces derniers temps.
XXX
Après le repas pour lequel il avait payé, en début d’après-midi, Ash retourna chercher Alexandrie pour se rendre dans les hauts quartiers, comme il l’avait promis. Elle fut surprise de voir qu’il tenait ses promesses.
« Bien foutu, et honnête avec ça, plaisanta-t-elle. Est-ce que tu as un défaut, joli garçon ? »
Ash leva les yeux au ciel à cette remarque, tandis qu’Alexandrie se changeait. Elle portait désormais un corset serrés dans le dos par des cordons entrelacés par-dessus une tunique blanche à manches longues, et une longue jupe lui tombant jusqu’aux chevilles.
Heureusement que les avis de recherche ne parvenaient pas jusqu’aux coins mal famés de la capitale, pensa-t-il. Sinon, il aurait été dans de beaux draps.
« Au lieu de regarder dans le vide, joli garçon, aide moi à serrer mon corset !
_Oui, oui… J’arrive. »
Il se leva et s’approcha d’Alexandrie. La jeune femme lui tourna le dos, révélant que les cordons n’étaient pas attachés. Il les attrapa et tira pour les serrer, avant de faire des nœuds. Elle le remercia tout en lissant ses manches, et le duo quitta l’auberge en direction des hauts quartiers. Ash avait remis sa cape de voyage, qui lui permettrait de passer plus inaperçu dans le quartier riche. Les passants penseraient qu’il n’était qu’un voyageur de passage et pas un pickpocket là pour leur faire les poches. Quand à Alexandrie, avec sa tenue et sa tresse remontée en chignon, elle pouvait facilement passer pour une employé d’auberge plus respectable que ce qu’elle était vraiment, guidant une pauvre âme égarée à travers les méandres de la ville.
Les hauts quartiers se trouvaient plus proches du Palais Royal que la ville basse, et par conséquent, on y trouvait également beaucoup de gardes. Avec son capuchon, Ash se mêlerait plus facilement à la foule. De plus, dans sa cape de voyage étaient cousues de multiples poches, lui permettant de cacher du matériel et de la monnaie.
Soudain, Alexandrie pencha légèrement la tête vers lui.
« Tu vois cet homme, là-bas ? »
Elle pointa du menton un homme d’un peu plus de trente ans, dont les tempes grisonnaient prématurément. Il portait une tunique d’un vert sombre agrémentée de liserés dorés. A sa ceinture pendait une épée d’un gris au reflet métallique, gravée de ce qui était probablement son nom. Il faisait la cour à une demoiselle plus jeune que lui aux cheveux blonds foncés remontés en chignon, portant une robe mauve et qui semblait apprécier ses avances.
« C’est Sire Fenrir, un chevalier. Il est en congé aujourd’hui. La jeune femme à qui il parle est Mademoiselle Alicia, une courtisane. Sire Fenrir porte sa bourse du côté opposé à son épée. Il profite de son jour de congé pour offrir des cadeaux à Mademoiselle Alicia. Il est amoureux d’elle. »
Ash hocha la tête et s’approcha discrètement du couple. En effet, Sire Fenrir avait une bourse qui lui semblait bien remplie. Il sourit. Ce serait une belle prise. Alexandrie le regarda de loin, se demandant comment Ash allait s’y prendre et s’il allait vraiment voler la bourse de Fenrir. Après tout, s’il voulait acheter un cadeau pour séduire Mademoiselle Alicia, lui voler son argent serait lui jouer un mauvais tour.
Ash jeta un œil autour de lui et avisa une jeune servante portant un bouquet de fleur. Elle retournait au château, probablement pour agrémenter les appartements d’une aristocrate quelconque. Il s’approcha d’elle et prit une rose dans son bouquet, ignorant son expression surprise, avant de se diriger vers le couple.
« Excusez-moi, lança-t-il en arrivant à leur hauteur. Etes-vous Mademoiselle Alicia ?
_Oui, c’est bien moi, répondit-elle avec un aimable sourire, alors que Sire Fenrir semblait contrarié par l’interruption.
_Mon maitre souhaitait vous faire parvenir ses compliments, mentit-il facilement avec une inclinaison respectueuse. »
Sur ces mots, il lui tendit la rose qu’il avait chipée à la servante, et Mademoiselle Alicia rougit de plaisir, visiblement flattée par le cadeau, qu’elle accepta.
« Qui est donc ton maitre, pour que je puisse le remercier ?
_Oh, je m’excuse, Mademoiselle. Il m’a ordonné de ne pas révéler son identité. Comprenez, mon maitre est un grand timide. »
Il avait dit cette dernière phrase d’un ton mi conspirateur, mi amusé, qui fit rire Mademoiselle Alicia. Ash s’inclina une nouvelle fois devant elle, avant de faire de même en direction de Fenrir avec un « Sire » respectueux. Puis, il s’éloigna, laissant Mademoiselle Alicia, les yeux pétillants, et Sire Fenrir, qui le fusillait du regard.
Il retourna auprès d’Alexandrie et l’entraîna dans un coin désert, avant d’ouvrir la bourse de Fenrir. Il l’avait prise en arrivant vers eux, sous l’excuse de s’approcher de Mademoiselle Alicia. Il y trouva quatre pièces d’or et six pièces d’argent, qu’il partagea en deux. Deux pièces d’or et trois pièces d’argent trouvèrent leur chemin jusque dans les mains d’Alexandrie.
« Chose promise, chose due.
_Pas mal, joli garçon. A mon tour, maintenant, déclara la blonde. Cet homme au coin de la rue principale est le Seigneur Sven. Il a toujours plus de pièces d’or sur lui que la plupart des chevaliers réunis. Même la moitié serait suffisante pour payer trois nuits dans la meilleure auberge de la capitale. Regarde et apprend. »
Alexandrie s’éloigna d’Ash et se dirigea vers l’homme qu’elle avait repéré. Elle se fondit dans la foule, et aurait pu disparaître aux yeux d’Ash s’il n’avait pas l’habitude de suivre ses cibles. Le Seigneur Sven en question était plus vieux que Sire Fenrir, s’approchant plutôt de la cinquantaine, aux cheveux poivre et sel. Il portait un long manteau richement décoré et parlait avec son serviteur, un adolescent dont les yeux s’agrandissaient à mesure que la liste des tâches à effectuer s’allongeait.
Finalement, le serviteur s’éloigna, la tête basse, et Alexandrie passa à l’action. Elle marcha simplement à côté de lui, ne faisant que l’effleurer, alors que sa main experte se glissait dans la poche de sa victime et en tirait une poignée de pièces. Après un détour, elle retourna auprès d’Ash, qui avait l’air sincèrement impressionné quand elle lui mit cinq pièces d’or et une pièce d’argent dans la main.
« Il faut absolument que tu me dises comment tu fais ça. J’ai déjà essayé…et ça ne s’est pas bien terminé.
_Tu n’es pas du genre discret, à ce que je vois. »
Il sourit avec gêne. C’était vrai que ce n’était pas son point fort. Ils continuèrent à faire les poches de nobles, qui ne soupçonnaient pas que la petite fortune qu’ils gardaient sur eux devenait de l’argent de poche pour Ash et Alexandrie. Vers la fin de l’après-midi, ils décidèrent de s’occuper des poches d’une dernière personne.
« L’homme avec l’armure qui parle au garde, c’est Sire Æl, le chevalier chef de l’armée et de la garde, expliqua Alexandrie. C’est rare de le voir sans son apprenti, un écuyer dont je ne me souviens plus du nom. S’il est en ville, c’est qu’il doit avoir une course à faire. C’est à mon tour… Je vais essayer ta technique. »
Alexandrie prit une grande inspiration et marcha d’un pas décidé vers Sire Æl, qu’Ash étudiait du regard. C’était un homme très grand, aux cheveux châtain clair lui arrivant au milieu du dos. Il était certain qu’il avait les yeux noisette, et un bouc de la même couleur que ses cheveux ornait son menton.
« Sire Æl, le salua Alexandrie. »
Le chef des gardes se tourna vers elle, s’arrêtant de crier sur son subordonné terrifié.
« Vous l’avez vu, n’est-ce pas ? Dites-moi que vous l’avez vu !!
_Vu qui ? demanda la blonde, sa main se déplaçant vers la poche de la cape du chevalier.
_Ce sale petit voleur ! »
Il lui fourra une feuille de papier dans les mains et Alexandrie la déplia, curieuse. Il s’agissait d’un avis de recherche ayant une prime si élevée que la blonde n’avait jamais vu autant d’argent de sa vie – mais ça ne voulait probablement pas dire grand-chose. Et le portrait de l’affiche était le visage, maladroitement dessiné, certes, de celui avec qui elle avait passé toute sa journée. Il fallait vraiment faire attention pour reconnaître son propriétaire, qui ne semblait pas répondre au nom par lequel il s’était présenté.
« Je ne l’ai pas vu, dit-elle alors que sa main se refermait finalement sur le sac d’or du chevalier. Mais… Sire Fenrir souhaitait vous voir. »
Sire Æl hocha la tête et tourna les talons, laissant Alexandrie seule avec un avis de recherche. Elle fit demi tour et retourna à l’endroit où elle avait laissé son compagnon, et lui lança le petit sac de pièces avant de s’adresser à lui.
« Qu’est-ce que tu es venu faire ici, Asgard ? Où devrais-je t’appeler par ton vrai nom ? »
Elle brandit l’affiche, et Ash pâlit en la reconnaissant. Il ne pensait pas que quelqu’un, encore moins le chef des gardes, aurait son avis de recherche sur lui.
« T’es qui, exactement ? Et qu’est-ce que tu viens faire ici ? Je me demande bien pourquoi je n’ai pas tout dit à Sire Æl pour empocher le magot ! Je te pensais un type honnête…
_Tu vois vraiment un type honnête entrer dans une auberge comme celle dans laquelle tu travailles ? Tu aurais dû te douter que je ne te dirais pas toute la vérité !
_Certes ! Mais ça ne répond pas à ma question !!
_Puisque tu tiens tant à le savoir, mon vrai nom est Ash Brockenwood.
_Sans blague, ce n’est pas comme si c’était écrit sur l’affiche. »
Alexandrie croisa les bras, tournant le dos à Ash. Puis, elle poussa un profond soupir.
« Sire Æl semblait déterminé à t’attraper. En plus, cette prime, c’est beaucoup d’argent. Tu as de la chance que je t’aime bien. Tu devrais quitter la ville.
_Je ne peux pas.
_Et pourquoi ? Parce que c’est une mine d’or, pour toi ? Je sais que tu es un voleur, mais il y a des moments où il faut savoir abandonner ! Sire Æl n’abandonnera pas la poursuite facilement.
_Cette nuit, je dois m’introduire dans le château et trouver la Pierre Céleste.
_T’es un grand malade, répliqua Alexandrie en secouant la tête. Le château est mieux gardé que la plus grande banque du pays ! Et qu’est-ce que tu veux faire de la Pierre Céleste ?! Ce n’est même pas sûr qu’elle existe !
_Elle devrait me permettre de trouver mon frère. On a été séparé il y a quelques années, et je le cherche depuis. On dit que la Pierre Céleste montre ce que l’on veut le plus au monde. Si je l’utilise, elle devrait pouvoir me montrer où trouver mon frère. »
Alexandrie resta silencieuse, le fixant d’un regard dur. Elle ne savait pas quoi faire. Son compagnon semblait sincère, mais il avait mentit sur son identité toute la journée.
« Je ne te demande pas de m’aider pour ça, mais je voudrais juste que tu ne dises à personne que tu m’as vu. Je ne veux pas t’attirer plus d’ennuis.
_Je vais t’attendre à l’auberge. Si tu n’es pas revenu demain matin, je vais te chercher. Si je me rends compte que tu es partit sans repasser par l’auberge, je te traque et je te ramène à Sire Æl par la peau des fesses. C’est compris ? »
Il avait intérêt à revenir. Il était probablement le client le plus aimable qu’elle n’ait jamais eu, et en plus il payait en différé sans essayer de l’arnaquer.
XXX
Et c'était le premier chapitre. J'ai huit chapitres postés sur fictionpress que je mettrai ici aussi vite que possible!
A plus!
2: Gabriel et EnaëlTale of Ankara
{2: Gabriel et Enaël}
Il était près de minuit quand Ash pénétra dans le château. Les pierres qui composaient le mur étaient anciennes et mal agencées et il n’eut aucun mal à l’escalader. La porte du palais été gardée par une demi-douzaine de gardes armés.
D’autres gardes faisaient des rondes autour du mur d’enceinte, et se relayaient toutes les dix minutes. Cependant, le changement de poste laissait trois minutes pendant lesquelles il n’y avait pas de gardes. Ash profita de cette lacune dans la sécurité et, dès que la voix fut libre, il escalada le mur.
Il poussa un soupir de soulagement quand il arriva en haut juste à temps pour voir le garde de relève tourner au coin du chemin. Malheureusement, le mur était trop haut pour pouvoir sauter directement de l’autre côté. Ash souffla sur le bout de ses doigts douloureux. Si ses mains étaient protégées par ses mitaines, ce n’était pas le cas de ses doigts.
Il essuya de sa manche les quelques gouttes de sueur qui perlaient sur son front et prit une grande inspiration, avant de se laisser glisser du rebord. Il tâtonna avec ses pieds afin de trouver un appui et entreprit de descendre de l’autre côté du mur. Il grimaça quand le bout de son index s’écorcha sur une pierre qui dépassait.
Après ce qu’il lui sembla être une éternité, Ash mit pied à terre. Il s’assit quelques instants sur le bord du mur pour reprendre son souffle, avant de se lever pour reprendre sa route.
Il se trouvait dans un parc, probablement à l’arrière du château. Sur sa droite se trouvaient les écuries, dans lesquelles se trouvaient plusieurs chevaux. Le personnel s’était probablement déjà retiré pour la nuit. Plus loin sur la gauche se trouvait une petite porte qui devait servir de porte de service pour les serviteurs. En effet, un petit panneau sur la porte d’à côté indiquait la blanchisserie, et une autre, plus proche des écuries, les cuisines.
Dans tout le parc se trouvaient des gardes armés, comme devant l’entrée principale. La plupart étaient des gardes en armures, des Réguliers. D’autres gardes ne portaient pas d’armures, et étaient probablement des mages. Il n’avait pas l’intention de se faire repérer. Ils avaient probablement installés des pièges, ou des sortilèges de détection.
Ash s’accroupit et se glissa à quatre pattes en direction des écuries. S’il se faisait prendre ici, il pouvait toujours trouver un moyen de mentir et de continuer son chemin vers les cuisines. Les serviteurs avaient toujours des entrées et des passages secrets pour circuler rapidement entre les différents endroits.
Il s’appuya contre le mur de l’écurie quand soudainement, il entendit des bruits de pas métalliques dans sa direction. Aussitôt, il se redressa et ouvrit discrètement la porte des écuries. Il y entra et la referma derrière lui, priant pour que le garde ne l’ait pas repéré. Quand les pas se rapprochèrent encore, il se cacha dans un des boxes, en compagnie d’un cheval. C’était une monture de couleur gris clair et aux yeux noirs. Ash posa une main sur son encolure pour le calmer quand celui-ci commença à être agité par sa présence.
« Chut, mon grand. Chut. »
Le cheval se calma, et souffla de l’air par ses naseaux. Son sabot racla le sol, et Ash laissa échapper un soupir soulagé.
Il tendit l’oreille, et quand il fut sûr que le garde avait passé son chemin, quitta les écuries. Il rasa le mur le plus silencieusement possible pour se rapprocher de la porte des cuisines.
Plus loin, un garde leva soudainement la tête. Quelqu’un venait de déclencher l’un des enchantements de sécurité qu’il avait posé. Son camarade en armure se tourna vers lui, et il lui fit signe qu’il allait voir de lui-même. Quelqu’un se promenait dans le parc, dans les environs de la porte des cuisines. Il était probable qu’il ne s’agisse que d’un serviteur rentrant tard de son travail ou tentait de voler un morceau de pain car il n’avait eu le temps de dîner – il les laissait généralement faire, sachant que leur paie n’était pas mirobolante.
Il marcha jusqu’à la porte de la cuisine, juste derrière les écuries. Il aperçut une silhouette, près de la porte, et accéléra le pas. La personne se retourna une seconde, juste assez pour le voir approcher, et ouvrit la porte. Il la referma vivement derrière lui, et le garde le suivit, ses yeux verts se plissant.
Le silence et le vide des cuisines l’accueillirent. Les employés ne commençaient à travailler que vers cinq heures du matin, et personne ne devrait s’y trouver. La porte de service restait toujours ouverte, au cas où l’un des serviteurs ait besoin de partir tôt avec son maître et que celui-ci aie besoin d’un petit déjeuner aux aurores.
Il traversa les cuisines, prenant soin d’éviter de renverser les seilles à lait empilées dans les coins. Avec un soupir, il retira les gants en cuir qui faisaient partie de l’uniforme des Enchanteurs de Garde. Il n’aimait pas être de garde, mais cela faisait partie de sa formation. Il n’avait pas vraiment le choix. Cambria était très exigeant quand il s’agissait d’entraînement. Les autres gardes n’appréciaient pas l’idée de devoir être sous les ordres de quelqu’un de bien plus jeune qu’eux, mais ils se taisaient.
Il sortit des cuisines par la porte principale. Elle était entrouverte, et l’intrus avait dû quitter les lieux par là. Cela le surpris. Rien ne manquait en cuisine, pas le moindre fruit ou même une miche de pain. Cet intrus ne devait pas être un simple serviteur…il s’agissait peut-être même d’un cambrioleur. Mais qui voudrait cambrioler le Palais Royal d’Ankara, le lieu le mieux protégé du pays ? Quoi que maintenant qu’il y pensait, question sécurité, ce n’était non-plus génial, au Palais. Sinon, ce cambrioleur ne serait pas entré si facilement.
Une fois à l’intérieur du Palais, il prit le seul chemin qui s’offrait à lui, un couloir au mur de pierres grises et non-décorées. Ses pas bottés de cuir résonnaient sur les dalles et, murmurant Discreceo, il jeta un sort étouffant les sons qu’il émettait. Quelqu’un se trouvait dans le couloir adjacent au sien…
Il tourna au coin du couloir, un sort au bout des lèvres.
« Ne bougez plus ! »
La personne sursauta, et leva les mains en signe de reddition, faisant voler une pomme qui alla rouler sur le sol. Un morceau de pain aux raisins dépassait de sa bouche et, quand le garde dit Flameo, faisant apparaître une flamme brillante entre ses doigts, éclairant l’individu, il pu voir le reflet de cheveux roux en pagaille.
Il poussa un soupir agacé. Il pouvait reconnaître cette nuance de roux flamboyante entre mille.
« Votre Altesse, mais que faite vous ici ?
_Oh ! C’est toi, Enaël ! Je ne savais pas que tu étais de garde, aujourd’hui.
_Maître Cambria a insisté, soupira Enaël, remarquant très bien que son interlocuteur avait ignoré sa question. Il veut sans cesse que je m’entraîne.
_L’Enchanteur de la Cour est dur avec toi, remarqua le prince. Tu n’as que dix-sept ans, tout de même… A ton âge, je ne faisais pas de ronde.
_Vous ne faites jamais de ronde, Votre Altesse. Et ne parlez pas comme si vous étiez beaucoup plus vieux que moi. »
Le prince leva les yeux au ciel avant de se pencher pour ramasser la pomme qui était tombée. Il croqua dedans, avant de la tendre à Enaël.
« Tu en veux ?
_Votre Altesse, c’est dégoûtant.
_Bah… Comme si on n’avait pas fait bien pire, répliqua le prince, ses yeux outremer pétillant de malice. Et arrête de m’appeler « Altesse ». Tu sais bien que je déteste ça. Allez, mange, insista-t-il ensuite en lui mettant le fruit sous le nez. Tu dis toujours que tu rates le dîner quand tu es de garde. »
Enaël sourit et accepta l’offrande. Les deux garçons s’appuyèrent contre le mur et dégustèrent ce que le prince avait volé dans les cuisines.
« Comment tu as fait pour chiper ça ? demanda ensuite Enaël. Je n’ai vu rien d’anormal en cuisine.
_Je sais comment faire comme si rien n’avait bougé, répondit le rouquin. Ça fait dix-huit ans que je vis enfermé dans ce Palais. Il faut bien que j’aie trouvé quelque secret… Et toi, qu’est-ce que tu faisais dans les cuisines ? Venu chercher un petit casse-croute ?
_Non… Quelqu’un avait déclenché un sortilège de sécurité dans la cour intérieure. J’imagine que, puisque tu es là, ce devait être une fausse alerte.
_Sûrement, je n’ai vu personne. Enfin, je n’ai fait qu’entrer et sortir… »
Caché dans l’ombre d’une alcôve, un peu plus loin, Ash se détendit légèrement. Il n’avait pas prévu de tomber sur qui que ce soit. Comment était-il sensé savoir que le prince se rendait dans les cuisine en pleine nuit pour un goûter nocturne ? En une nuit, il était tombé sur les troisième et quatrième personnes les plus importantes du Royaume…
« Ce n’est pas toi qui est entré par le parc ?
_Non. Mes appartements sont à l’intérieur de cette partie du Palais. Je n’ai aucun intérêt passer par la cour intérieure. Je ne veux pas me faire attraper et me retrouver avec des gardes en plus. Ils sont déjà assez pénibles…
_Quelqu’un est entré. Ce devait être un voleur… Il faut… »
Il se redressa et commença à se diriger vers le fond du couloir. S’il s’agissait bien d’un cambrioleur, il fallait l’arrêter au plus vite. Pourtant, le prince attrapa Enaël par le poignet.
« Laisse, dit-il. Ça ferait du bien à ce pays de se faire un peu vider les caisses. Ce n’est pas comme si c’était si grave. Personne ne le remarquerait. »
Ash manqua de s’étouffer en entendant ça. Ce prince ne semblait pas avoir beaucoup d’affection pour son futur royaume. Ce n’était pas tout à fait…conventionnel.
« Gab’, souffla Enaël. Mon boulot est d’empêcher les individus suspects de pénétrer dans le Palais. Je ne peux pas simplement laisser…
_Tant que ce voleur ne sera pas attrapé, personne n’en saura rien, répliqua le prince Gabriel avec un haussement d’épaule. Allez, reste avec moi.
_Tu me trouveras une excuse à donner aux autres gardes, alors ? »
Gabriel hocha simplement la tête et tira Enaël vers lui, avant de le plaquer contre le mur. Ash blêmit, ayant un mauvais pressentiment pour la suite. Peut-être qu’il devrait juste passer son chemin et revenir un autre jour. Ou peut-être aurait-il dû écouter Alexandrie et partir avant de se retrouver impliqué dans une embrouille dont il n’aurait aucun moyen de se sortir. Quoi qu’il en soit, il aurait préféré être n’importe où plutôt que là, caché dans un coin, en train de voir le prince héritier d’Ankara dévorer les lèvres d’un autre homme dans un pays ou l’homosexualité était punie de mort.
Les lèvres du rouquin quittèrent celles de son amant, qui émit un son de protestation. Il embrassa son cou, le mordillant et y laissant de petites marques qui pourraient facilement être cachées par un léger sort de camouflage. Pendant ce temps, ses mains défaisaient l’attache de son manteau frappé aux armoiries du Royaume.
« Cet uniforme te va bien, mais il est terriblement difficile à retirer, grommela Gabriel.
_J’ai l’air ridicule, dans tout ce cuir, répliqua Enaël, embarrassé. Et puis…on ne va pas rester au milieu du couloir, non ? »
Il fut soudainement réduit au silence, ne pouvant parler avec les lèvres de Gabriel occupant encore une fois sa bouche.
« Les sorts de silence ont été inventé pour une raison. »
BONK !
« Enaël ! protesta le prince. C’était pas gentil ! »
Ash retint un soupir de soulagement. Ils allaient sûrement partir, maintenant. Le garde venait de frapper sans remord l’héritier au trône, ne souhaitant pas continuer dans le couloir.
« On va trouver une chambre, déclara Enaël. Pas de discussion. Si on reste là, on va se faire prendre. »
Ash recommença immédiatement à paniquer. Qu’allait-il se passer s’ils le trouvaient là ? Il devait s’éclipser avant qu’il ne se retrouve nez à nez avec le couple qui semblait vouloir occuper leur nuit par une rencontre un peu plus intime.
Il ferma les yeux une seconde, et se mit à réfléchir. Il devait attendre que les deux garçons passent devant lui avant de quitter son coin sombre… Sauf qu’il allait forcément être repéré. Ils étaient le prince et le futur Enchanteur. Ils devaient avoir de l’entraînement, et il ne leur serait pas difficile de trouver un voleur caché à moins d’un mètre cinquante d’eux. Il avait eut un coup de chance que le prince soit plus intéressé par la nourriture que par la présence d’un potentiel voleur, mais maintenant qu’il les avait surpris, il changerait probablement d’avis.
Conclusion : il n’y avait qu’une seule solution.
La retraite stratégique. Pas la fuite. La retraite stratégique. Par qu’il était hors de question qu’il prenne la fuite.
Il releva la tête, déterminé à s’en sortir. La fenêtre la plus proche se trouvait à quelques mètres seulement. Il pouvait le faire. Ce n’était pas comme si il avait le choix, de toute façon. Il était un voleur, il était rapide. Dans le pire des cas, un couteau était accroché à son avant-bras.
Le problème, c’était que le prince et son compagnon étaient bien plus rapides que lui.
Il eut juste le temps d’entendre un mot prononcé dans un langage étrange avant de se retrouvé propulsé loin de la fenêtre. Il percuta durement le mur et se retrouva rapidement avec une lame sous la gorge.
D’où est-ce qu’il sort ça ?!
En effet, le prince avait sortit une dague de nulle part et celle-ci était désormais appuyée de manière désagréable sur son cou. S’il venait le moindre geste, il pouvait être certain que cette arme se retrouverait non-plus sur, mais à travers sa gorge. Ash sourit nerveusement.
« Veuillez m’excuser, je ne souhaitais pas vous interrompre. Allez-y, reprenez. Je ne reste pas, de toute façon.
_Qui êtes-vous et qu’est-ce que vous faites ici ? demanda durement Enaël, pas du tout amusé par la situation, mais essayant de paraître menaçant malgré ses vêtements en désordre.»
Le prince Gabriel était de grande taille, un peu plus grand que Ash d’un ou deux centimètres. Il avait des cheveux très roux, presque rouge, des yeux bleus outremer, et son visage très pâle était parsemé d’une quantité impressionnante de tâches de rousseur. Son compagnon, Enaël, était plus petit, et ses cheveux étaient complètement noirs. Ses yeux verts ressortaient sur son visage à la peau très sombre. Ses épaules étaient plus étroites, et il était visiblement moins musclé que le prince, probablement parce qu’il manipulait plus la magie que les armes.
Malgré leur allure en bataille, les cheveux emmêlés et les vêtements mal remis qui laissaient entrevoir les marques dans le cou d’Enaël, Ash était sûr qu’il ne serait pas facile de s’en sortir. Pour la première fois, il béni peu importe quelle déité veillait sur lui pour ce à quoi il venait d’assister.
« Enaël, va chercher Sire Æl. Je crois qu’on a attrapé une petite souris perdue.
_Vous ne pouvez pas m’arrêter, dit-il d’un ton qui se voulait assuré.
_Et pourquoi donc ? lui demanda Gabriel en lui offrant à sourire qui lui fit froid dans le dos.
_Parce que…si vous me livrez aux gardes, je leur dirai que je vous ai vu tous les deux. Il me semble que, dans ce pays, avoir une relation avec une personne du même sexe est un crime bien plus grave que d’entrer quelque part par effraction…surtout si rien n’a été volé. »
Gabriel allait répliquer, mais Enaël posa une main sur son épaule, le faisant taire avant qu’il puisse parler.
« Il a raison. Même si Sire Æl l’enferme, rien ne l’empêchera de lui parler de nous. Et tu connais Sire Æl… »
Gabriel grimaça. Sire Æl était très à cheval sur les lois. S’il avait vent de sa relation avec Enaël…
« Je pourrais aussi te tuer maintenant, et dire que j’ai surpris un intrus.
_Dans ce cas, on questionnerait la raison de votre présence ici à une heure aussi tardive, ainsi que la raison pour laquelle il n’est pas retourné à son poste après m’avoir suivi. Je pense qu’il est dans notre intérêt commun de ne révéler à personne notre rencontre ici. »
Agacé, Gabriel retira sa dague.
« Maintenant, partez, ordonna Enaël après s’être assuré que son amant s’était un peu calmé.
_Comment peut-on être sûr qu’il ne dira rien ? demanda Gabriel. Tu sais comment la machine à rumeur fonctionne en ville. Il suffit qu’il y fasse une référence à n’importe qui et, dans deux jours, toute la ville sera au courant.
_J’ai…une proposition à vous faire. »
Gabriel sembla prêt à faire de nouveau usage de son arme, mais Enaël, qui avait la tête sur les épaules, se plaça devant lui. Bien que son visage était toujours assombri par la gêne, il était bien plus calme.
« Je m’excuse pour son comportement. Il n’agit pas ainsi, habituellement. Il est énervé que nous ayons été interrompu…et que quelqu’un ait découvert notre secret. Si notre relation était révélée, membre de la famille royale ou pas, Gabriel et moi serions tous deux exécutés. Vous ne me frappez pas comme quelqu’un qui provoquerait en toute conscience la mort de deux personnes, mais… Qu’est-ce vous voulez ?
_Si vous voulez que personne ne soit au courant, vous devriez commencer par ne pas faire ce genre de choses dans les couloirs. Vous ne savez jamais qui peut passer par là. Ensuite, pour en revenir à ma proposition… Vous serez garanti mon silence si vous m’aidez à trouver ce que je suis venu chercher ici. »
Etrangement, cette demande parut intéresser le prince, dont la dague disparue plus vite qu’elle n’était apparue. Il croisa les bras, lançant un regard à Ash qui signifiait qu’il voulait plus de détails. Ash ne comprenait pas comment il pouvait réagir de manière positive quand quelqu’un venait lui annoncer qu’il comptait voler quelque chose dans son propre Palais. Cependant, Enaël n’avait pas l’air interloqué par ce comportement, et Ash était tenté de penser que c’était normal.
« Et qu’est-ce que tu es venu chercher ? De l’argent ? Les coffres en sont pleins. Un trésor royal ?
_En quelque sorte… Je n’ai pas l’intention de la voler, juste d’y jeter un coup d’œil. Il faut que je trouve la Pierre Céleste. »
Gabriel émit un sifflement impressionné alors que les yeux d’Enaël étaient agrandis par la surprise.
« La Pierre Céleste… Elle se trouve dans un coffre au sous-sol. Elle est considéré comme le plus précieux trésor magique d’Ankara et est probablement mieux protégée que le roi lui-même. Ce ne sera pas facile.
_A-Attend une seconde, Gabriel ! Tu comptes l’aider à piquer la Pierre Céleste ? M-Mais… Tu n’imagines pas la valeur qu’a cette relique !
_Je vous l’ai dit ! Je ne compte pas la voler, juste y jeter un œil. Je ne suis pas débile. Si je le vole, quelqu’un s’en rendra rapidement compte et je ne pourrais jamais filer en douce avec ce truc sans me faire attraper. Ça ne fait de mal à personne et je garde votre secret. Personne n’a rien à y perdre, n’est-ce pas ? Votre secret est en sécurité, j’ai ce que je veux, et votre royaume garde son trésor. Qu’est-ce que vous en dites ?
_M-Mais ! C’est une Relique Enchantée !!
_Ignorez-le. C’est un magicien. Pour lui, seuls les objets magiques ont de la valeur. La Pierre Céleste, donc…c’est excitant. Dites-moi, monsieur le voleur, vous me plaisez bien, c’est quoi votre nom ? »
Le comportement du Prince était plutôt déconcertant, mais Ash commençait à s’y faire. Une question subsistait cependant… Pouvait-il vraiment leur dire qui il était ? Le nom de Ash Brockenwood était connu dans le royaume et Alexandrie avait dit que le chevalier à la tête des gardes ne voulait rien d’autre que de le voir enchaîné dans ses cachots. S’il était attrapé, il serait pendu ou livré à un Chasseur de Prime, dans les deux cas un sort peu enviable.
« Oh, et puis maintenant qu’on en est là, soupira finalement le jeune voleur. Ash Brockenwood. »
Il tendit la main au rouquin, qui la serra sans hésitation.
« Gabriel, ou simplement Gab’. Aussi surprenant que cela puisse paraître, mon nom n’est pas Votre Altesse. Lui, c’est Enaël, l’apprenti de Cambria, l’Enchanteur de la Cour. Ravi de faire ta connaissance.
_Gab’… soupira Enaël. Je n’aime vraiment pas ça. Tu sais ce qui arrivera si on se fait attraper ?
_Aucune idée. On y réfléchira le moment venu.
_On pourra toujours mentir en disant qu’il nous a menacé, mais ce serait étrange. Tu ne sors jamais sans arme et je connais un bon nombre de sorts d’attaque et de défense. Ça n’aurait pas de sens. Æl comprendrait tout de suite que nous l’avons aidé et nous serions arrêtés et strictement gardés. Ton père ne serait sûrement pas d’accord pour que tu sois emprisonné, mais cela compromettrait… »
Il ne termina pas sa phrase, mais Gabriel semblait savoir de quoi il parlait. Ce devait être extrêmement important pour eux deux, car le roux fronça les sourcils, pensif. Ash ne pouvait que deviner le sujet de leur conversation. Ce ne pouvait qu’être leur relation interdite. En effet, si les deux garçons étaient surveillés, cela les empêcherait de se retrouver.
« Ce serait encore pire s’il racontait tout à quelqu’un, Enaël, répliqua Gabriel. Ce serait même catastrophique. On n’a pas vraiment le choix… Alors autant bien s’entendre avec lui, non ? »
Enaël se mordit la lèvre, mais finit par hocher la tête. Il leva la main, la posant sur l’épaule du Prince, puis sur celle d’Ash.
« Discreceo, déclara-t-il. Inapare.
_Qu’est-ce que tu fais ?
_Je fais en sorte que nous ne soyons ni vus, ni entendus pendant notre petite aventure à moins que nous ne soyons vraiment pas discrets ou que quelqu’un sache que nous sommes là, expliqua Enaël. Maintenant, on peut y aller. »
Gabriel hocha la tête en direction de son amant et prit la tête du groupe. Il était celui qui connaissait mieux le château. En bas, l’immense horloge se trouvant dans le hall d’entrée du Palais sonna une heure et demie.
3: ExpéditionTale of Ankara
{3: Expédition}
« Ash Brockenwood, hein ? »
Un silence inconfortable s’était installé entre les trois hommes depuis leur accord. Gabriel marchait devant, menant la petite troupe. Il était suivit de près par Ash, qui n’avait pas la moindre envie de le lâcher d’une semelle, ne souhaitant pas se perdre dans l’immensité du Palais. Il était mal à l’aise, mais cela n’avait rien à voir avec le fait qu’il se trouvait clandestinement dans le Palais Royal d’Ankara en compagnie du Prince Héritier et du Successeur de l’Enchanteur. En effet, il pouvait sentir le regard d’Enaël fixé sur lui, et cela lui donnait froid dans le dos. Le jeune homme étudiait ses moindres mouvements et semblait prêt à toute éventualité.
La protection de la famille royale était l’une des fonctions de la lignée des Enchanteurs de la Cour, et Enaël devait la prendre très à cœur. Au moindre geste suspect, Ash serait immobilisé dans le meilleur des cas. Hors, Enaël ne semblait pas disposé à faire preuve de clémence.
« Oui, répondit simplement Ash.
_Sire Æl donnerait tout pour mettre la main sur toi, tu sais ? continua Gabriel. C’est à croire qu’il t’en veut personnellement.
_Désolé de vous décevoir, mais je ne l’ai jamais rencontré. Je ne sais pas pourquoi il m’en veut autant. Je ne lui ai absolument rien fait.
_Ça, c’est que tu crois, coupa sèchement Enaël. »
Ash et Gabriel haussèrent un sourcil dans sa direction, et le jeune magicien se sentit obligé de continuer.
« Tu mets en danger son autorité, expliqua-t-il. Sire Æl n’a que vingt-huit ans, mais il a tout de même réussi à obtenir le titre de Chevalier Suprême de la Cour, ainsi que celui que Chef des Armées. Il a sous ses ordres la totalité des forces armées d’Ankara, et ne prend ses ordres que du Roi et de l’Enchanteur. Il jouit également d’une grande renommée dans le Royaume. Il n’a pas acquis tout cela en restant assis dans un fauteuil toute la journée. Il a travaillé dur pour se faire respecter, et aucun criminel qu’il a voulu faire arrêter n’a échappé à la justice. Aucun, sauf toi. Il délègue généralement la responsabilité des captures à ses subordonnés, mais c’est lui qui leur fait parvenir les ordres et les stratégies à employer. Pourtant tu lui as échappé quatre fois par le passé. Ses subordonnés risquent de commencer à douter de son expertise si d’autres de ses plans venaient à tomber à l’eau, et on ne peut pas être Chevalier Suprême de la Cour si on n’a pas la confiance de ses hommes. Si plusieurs d’entres eux mentionnent qu’ils doutent de leur patron, Sire Æl pourrait être démit de ses fonctions et remplacé. Pour lui, Ash Brockenwood représente une menace, et il a tout intérêt à le faire disparaître le plus rapidement possible.
_Je doute sincèrement que Æl veuille ma tête simplement pour asseoir son autorité sur l’armée du royaume. En plus, il y a d’autres criminels bien plus dangereux que moi. Comme… »
Il réfléchit un instant, cherchant le nom d’un criminel connu. Il devait y en avoir. Où alors, ils avaient tous eu la présence d’esprit de ne pas se faire remarquer.
« En tout cas, c’est tiré par les cheveux… En plus, n’est-ce pas un peu dangereux ? Et si vos forces armées décidaient de suivre le Chevalier Suprême plutôt que la famille royale ? Que se passerait-il ?
_Un coup d’état, répliqua Gabriel d’un ton acide. »
Ash avait du mal à croire que le gouvernement du royaume était si instable. Comment se faisait-il que le coup d’état dont parlait Gabriel ne se fût encore jamais produit ? Certes, la monarchie d’Ankara était encore jeune, le premier roi étant le grand-père du Prince Héritier actuel, mais s’il avait été Chevalier Suprême, Ash aurait pris le pouvoir à la première occasion.
« Il y a eu de nombreuses tentatives de coup d’état ces cinquante dernières années, avoua Gabriel, répondant à Ash quand celui-ci posa la question. Elles ont toutes été couvertes par la Cour et les différents Rois, et leurs cerveaux exécutés en secret. Le Royaume doit paraître inébranlable au point que personne ne veuille tenter une prise de pouvoir. Pour faire face à cette menace, le Roi à un allié de poids : l’Enchanteur de la Cour. Il jure fidélité au Roi et le défend quelques soient les circonstances.
_Mais… »
Gabriel plaqua sa main sur la bouche de Ash, l’empêchant de continuer sa phrase. Il le poussa contre le mur, retenant son souffle. Enaël les imita alors qu’un garde en armure sortait d’une cage d’escalier. Il regarda autour de lui avec curiosité, persuadé d’avoir entendu quelque chose. Puis, il haussa les épaules et continua son chemin dans le corridor, passant à côté du groupe sans les voir.
« Nous y sommes, annonça le roux. Tu vois ces escaliers ? Ils mènent aux sous-sols. On risque d’y croiser beaucoup de gardes, mais temps que nous restons silencieux, nous ne serons pas repérés.
_Vous êtes sûrs ? questionna Ash avant de se reprendre en recevant un regard noir d’Enaël. Je ne mets pas en doute vos capacités, c’est juste que je n’ai jamais eu à faire confiance à un Enchanteur. En réalité, j’ai toujours préféré les éviter.
_Tu n’as pas à t’inquiéter. Les sortilèges tiendront le temps qu’il faudra. »
Peu convaincu, Ash hocha tout de même la tête. Gabriel s’engagea dans les escaliers, ses pas résonnant sur la pierre. C’était étrange de penser qu’ils n’étaient entendus que par eux. Ils lui semblaient parfaitement clairs. Cependant, il préférait ne pas douter plus d’Enaël. L’adolescent semblait sûr de lui, et Ash n’y connaissait rien en magie. Autant s’en remettre au jugement de l’expert.
Ils arrivèrent à l’étage inférieur, les escaliers en colimaçon s’interrompant sur deux mètres pour laisser place à une porte de bois. Derrière celle-ci, ils pouvaient entendre des voix fortes, riantes et enjouées. Une fente haute de quelques centimètres laissait passer un cordon, sûrement relié à une cloche. Il disparaissait dans le plafond, où il se séparait sûrement en dizaine de petites cordes dont les extrémités se trouvaient probablement aux quatre coins du Palais.
« C’est la salle des gardes, chuchota ensuite Enaël. C’est de là que les gardes se répartissent les rondes. Le cordon qui passe par-dessus la porte, c’est le système d’alarme. Quelqu’un tire la corde de n’importe où dans le château, et elle vibre jusqu’à l’intérieur, où elle fait sonner une cloche. La cloche est enchantée. Elle est liée à un plan du Palais, et l’aile d’où a été sonnée l’alarme devient rouge. L’alerte générale est sonnée à partir de la Grande Cloche, en haut du beffroi, sur la place centrale de la ville. Heureusement, le système de sécurité n’alerte pas les gardes lorsque des sortilèges sont utilisés dans l’enceinte du Palais, parce que ça poserait des problèmes avec les sorts de défense. Cela signifie qu’ils ne sont pas au courant quand ceux-ci sont désactivés. Seuls les Mages de Garde sont avertis, mais il faut le temps que leur sort revienne vers eux.
_Comment ça « revienne vers eux » ?
_Pourquoi crois-tu qu’on dit « lancer un sort » ? Un sort est comme un élastique tendu. On le lance, et il s’accroche quelque part, une ancre. Quand il est actif, on ressent un tiraillement, comme un bracelet autour du poignet que quelqu’un serait en train de tirer. Puis, quand il est brisé ou déclenché, il est détaché de l’ancre et le sort retourne vers nous. Plus le sort est puissant, plus le retour à l’envoyeur est brutal. Pour certain, c’en est même douloureux. Enfin, en général, c’est plus désagréable qu’autre chose. Il me semble que ça varie du frisson jusqu’à la sensation d’être poignardé, en passant par les chatouillis et l’articulation foulée.
_Et les sorts que les gardes utilisent ?
_Ce sont de simples sorts de détections, rien de bien sorcier. Quand ils sont déclenchés, ils nous font l’effet d’une pichenette sur le poignet. Certains gardes ont tellement l’habitude de sorts plus compliqués qu’il leur arrive de ne pas se rendre compte du déclenchement. Ça et l’absence de détecteur d’utilisation magique sont probablement les plus grosses lacunes dans le système de sécurité du Palais Royal… Je me demande bien pourquoi je te raconte tout ça. »
Il venait en effet de dévoiler les faiblesses dans la garde du palais à un voleur. Ash sourit, tentant et échouant misérablement d’avoir l’air contrit. Gabriel émit un petit rire, visiblement réjouit par le dérapage de son amant. Puis, il leur fit signe de baisser d’un ton, et le trio continua sa descente vers les sous-sols. L’expérience du prince lui avait appris comment éviter les sorts de détection, lui permettant ainsi de se promener de nuit dans le Palais sans se faire attraper.
Plus ils s’approchaient de leur destination, plus Ash sentait monter l’appréhension. Il allait bientôt savoir où trouver son frère aîné. Ash et Willow seraient bientôt de nouveau ensemble, comme ils se l’étaient promis.
Il sourit doucement. La réponse était toute proche. Il ne savait pas ce qui était arrivé après l’adoption de Will, mais il allait bientôt le découvrir. Ensuite, une fois qu’il serait assuré que son frère allait bien, il aurait l’esprit tranquille. De plus, leur dernier moment ensemble remontait à bien trop longtemps.
« Je me demandais, commença Gabriel alors qu’ils s’aventuraient en bas. Pourquoi tu veux tant regarder à travers la Pierre Céleste ? D’après ce que j’ai entendu dire, rien de bon n’arrive jamais à ceux qui l’utilisent.
_Je suis prêt à prendre le risque. Je dois savoir... »
Le rouquin lui envoya un regard inquisiteur, avant de hausser les épaules. Au final, ce n’était pas vraiment ses affaires. Son seul objectif était de guider ce cambrioleur jusqu’à sa cible et de le faire ressortir du Palais Royal sain et sauf, pas de l’interroger sur ses motivations, aussi mystérieuses soient-elles. Il se doutait que Ash se posait des questions sur son comportement, questions auxquelles Gabriel n’avait pas envie de répondre. Enaël était le seul à savoir et cela resterait ainsi, sauf si Ash Brockenwood devenait un potentiel allié dans leur…quête. Si on pouvait appeler ça comme ça.
Alors qu’ils posaient le pied au sous-sol, Enaël leur ordonna – ou plutôt, il ordonna à Ash et demanda poliment à Gabriel – de se taire. Les choses devenaient compliquées à partir de maintenant. Les sous-sols étaient pleins de sorts de sécurité et de barrières magiques, en plus de la présence d’un garde en armure à chaque coin de couloir. Plusieurs soldats de la division des mages se trouvaient également en bas, renouvelant constamment les sortilèges. A la moindre faiblesse, ils étaient annulés et relancés. Seuls les meilleurs étaient de faction dans les sous-sols. Heureusement pour la petite troupe, Enaël connaissait cette partie du palais comme sa poche. Il avait déjà fait plusieurs rondes dans ces souterrains.
Ils se collèrent au mur, les uns derrières les autres. Cette fois-ci, l’apprenti Enchanteur pris la tête. Il tendit la main et la fit glisser contre le mur. Il s’arrêta sur une brique et, d’un mouvement sec, claqua ses doigts contre la pierre. Avec un « crac » qu’on pouvait à peine entendre, le sort se décrocha de son ancre d’origine, faisant apparaître un filet doré, tendu. Il murmura un mot qu’Ash ne comprit pas, et l’extrémité du filet s’attacha à la paume d’Enaël. Ash jeta un regard interrogateur à Gabriel.
« Plus tard, lui chuchota celui-ci en réponse, recevant un regard noir de son amant, qui lui fit de nouveau signe de se taire. »
Enaël répéta l’opération jusqu’à ce qu’ils arrivent à leur destination. Eviter les gardes avait été facile, ceux-ci faisant trop confiance aux sorts de détection. La plupart d’entre eux se contentaient de regarder dans le vide en attendant qu’on vienne les avertir qu’il se passait quelque chose. Cette attitude faisait toujours grimacer Enaël.
« On y est, murmura-t-il. Maintenant, on va faire exactement comme je vais vous le dire. »
Il leva la main droite, à laquelle étaient toujours accrochés les sorts des gardes.
« Je vais les lâcher, et cela alertera les gardes de la division magique, qui préviendront les gardes en armure. Ceux qui sont dans cette pièce vont en sortir à la recherche de l’intrus. Nous serons cachés dans l’ombre et nous entrerons quand la salle sera vide. S’il reste quelqu’un, on l’assomme. Toi, ajouta-t-il en se tournant vers Ash, tu feras ce que tu as à faire et on ressortira par la porte secrète au fond. »
Gabriel et Ash hochèrent la tête avant qu’Enaël ne reprenne.
« Par contre… Ne te fais pas de faux espoirs. Il est probable que la Pierre Céleste n’ait pas la réponse à tes questions. Rien ne bon ne sort de cet objet. Je ne serais pas surpris si notre petite aventure s’avérait vaine.
_Pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt, alors ? »
Un sourire un peu tordu fit son apparition sur le visage du noir.
« Venir ici était amusant. »
Ash leva un sourcil alors qu’Enaël ouvrait la main. « Crac » murmura-t-il alors qu’un des sorts se décrochait et retournait à son propriétaire. Il attendit quelques secondes, puis lâcha le second, dirigeant ainsi les gardes partis à la recherche de l’individu perturbateur. Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit et quatre gardes en amure sortirent de la salle du trésor, épée au poing. Enaël continuait de libérer les sorts un par un, les envoyant à la poursuite d’un ennemi invisible et insaisissable.
« Ils vont forcément revenir par ici, dépêchez-vous d’entrer ! »
Le prince et le voleur acquiescèrent, et ils pénétrèrent la pièce. Enaël les suivit, relâchant finalement le dernier enchantement, et ferma la porte derrière eux. D’un mot, il la verrouilla, et se tourna vers ses deux complices. Ceux-ci étaient plantés derrière la porte, et se contentaient de le regarder bêtement.
« Ben alors ? lâcha Enaël, essuyant quelques gouttes de sueurs sur son front. Qu’est-ce que vous attendez ? Le déluge ? Ils ne vont pas rester distrait très longtemps, vous savez. »
Les deux hommes semblèrent ramenés à la réalité, et l’apprenti enchanteur attrapa Ash par le poignet, le tirant vers le l’endroit où était cachée la Pierre Céleste.
La salle du trésor ressemblait à une cave. Une cave poussiéreuse, dont les étagères bancales croulaient sous ce qui paraissaient n’être rien d’autres que des bibelots clinquants. Des toiles d’araignée étaient accrochées au plafond, leurs habitantes cachées derrière les voiles blancs. En plissant les yeux, on pouvait en apercevoir quelques unes, leurs huit pattes repliées contre leur corps noir, immobiles dans les coins sombre.
« Je dois dire que je ne m’attendais pas à cela, marmonna Ash, les yeux agrandis par la surprise.
_Tu pensais que ça ressemblerait à quoi ?
_Je ne sais pas… Quelque chose de plus…élaboré ? Sophistiqué ? Prétentieux ? Royal, quoi.
_Pourquoi tu voudrais que ce soit comme ça ? interrompit Gabriel. Le reste du palais l’est bien assez… De mon côté, j’ai trouvé mon deuxième endroit préféré du château.
_Quel est le premier ? demanda le voleur, et il sut au sourire du roux et à l’expression du noir qu’il n’avait pas posé la bonne question.
_N’importe quel lit du moment qu’Enaël s’y trouve aussi. »
L’adolescent leva les yeux au ciel.
« Bon, on n’a pas toute la nuit devant nous. Les gardes vont revenir d’une minute à l’autre. Comme vous êtes restés plantés là comme des idiots, on n’a pas beaucoup de temps. La Pierre Céleste… »
Il s’approcha d’une étagère contre le mur sur leur gauche et se mit à farfouiller dans le bric-à-brac. Il déplaça deux boites en carton, quelques bougies à demi fondues, et exhuma un coffret en bois. C’était un coffret tout ce qu’il y avait de plus normal, son seul signe distinctif étant quelques arabesques gravées sur le couvercle.
Enaël l’attrapa et l’épousseta, avant d’essayer de l’ouvrir. Quand sa tentative n’eut aucun effet, il grommela quelques insultes à la personne qui avait scellé cette boite.
« Il vient vraiment de dire ce que je l’ai entendu dire ? chuchota Ash à Gabriel, qui lui sourit en réponse.
_Ne sous-estime pas son vocabulaire. Il est très étendu. »
Avec un clic, le coffret examiné par Enaël s’ouvrit. Il laissa échapper une grimace triomphante, attrapa son contenu, le glissa dans sa poche, et se tourna vers ses deux compagnons.
« Allez, on file. C’est par là. »
Des bruits de pas retentirent dans leur direction, les gardes ayant finalement compris que l’intrus ne les faisait pas tourner en rond par pur amusement, mais pour pouvoir pénétrer dans la salle du trésor. Enaël s’approcha du mur du fond et passa ses doigts entre les reliures des briques. Il longea le mur, s’arrêtant finalement dans le coin, un peu plus loin sur la droite.
« Ici ! »
Il appuya sur plusieurs briques. Deux vers le haut, trois vers de bas, six en diagonale, avant de murmurer un sort qu’aucun des deux autres ne compris. La brique d’origine brilla d’une couleur bleue avant de s’enfoncer dans le mur. Les autres suivirent le mouvement, et bientôt un rectangle se creusait dans le mur, laissant place à un couloir encore plus poussiéreux que la salle du trésor – et ce n’était pas peu dire. Enäel referma le passage derrière eux, et soupira de soulagement. Ici, ils étaient en sécurité. Presque personne ne connaissait ce passage, et il menait tout droit dans la ville basse.
« Bon, déclara l’apprenti Enchanteur en sortant la fameuse Pierre Céleste de sa poche. Tu sais t’en servir ?
_Absolument pas. »
La Pierre Céleste était étonnamment petite, elle faisait à peu de choses près la moitié de la taille de la paume d’Ash. Contrairement à ce que son nom pouvait laisser croire, elle était verte, avec de minuscules veinures d’or. De nombreuses légendes courraient à son sujet, la plus célèbre était celle disant que la personne qui l’utilisait en perdait immédiatement l’esprit. Ash ne savait pas s’il devait la croire, mais Gabriel et Enaël l’avaient déjà avertis et semblaient penser qu’elle était véridique.
Ash fit tourner la Pierre dans sa main, à la recherche de la manière dont il fallait l’enclencher. Au quatrième tour, elle commença à chauffer, et la tête de Ash se mit à tourner. Une explosion de couleur se fit devant ses yeux, et tout devint noir.
4: Céleste
Tale of Ankara
{4 : Céleste}
Quand Ash se réveilla, il était seul. Il cligna des yeux plusieurs fois, son esprit encore dans le brouillard. Puis, il regarda autour de lui. Il ne se trouvait plus dans le passage. Gabriel et Enaël l’avaient-ils abandonné ici quand il avait perdu connaissance ? Où se trouvait-il, d’ailleurs ? Il n’avait jamais été dans cet endroit…
Il se leva et voulut faire quelques pas, à la recherche d’un indice. Il n’y avait pas de fenêtre et la seule porte de la pièce n’avait pas de poignée. Cependant, un cliquetis métallique interrompit son mouvement. Il baissa les yeux.
Des chaines.
Ses poignets étaient cerclés de métal trop serré, qui coupait certainement la circulation du sang. Ash tira dessus, mais elles semblaient être réelles. Il écarquilla les yeux, le souffle court. Il était seul, enchaîné dans une petite pièce dont la seule issue était une porte probablement verrouillée de l’extérieur et inaccessible. Il n’y avait pas d’autre possibilité.
Il était en prison.
Comment était-ce arrivé ? Gabriel et Enaël…ils ne l’auraient pas fait, n’est-ce pas ? Pendant leur courte aventure, il avait sans le moindre doute commencé à apprécier ces deux garçons si particuliers. L’avaient-ils vraiment dénoncé ? Où avait-il été attrapé par pur hasard ?
Il se sentit paniquer. Que s’était-il passé, exactement, après qu’il aie pris la Pierre ? Il tira encore sur les chaînes, testant leur solidité. La personne qui les avait forgées devait être un maître, car il ne parvint qu’à s’écorcher. Il savait qu’il avait perdu connaissance, mais il ne se rappelait de rien après cela.
Il tourna la tête vers la porte en entendant des pas. D’après le son, il s’agissait d’un garde en armure. Peut-être pourrait-il répondre à ses questions. Une clé tourna dans la serrure et la porte s’ouvrit. Le souffle d’Ash se bloqua dans sa gorge durant quelques secondes. Il se rappela les paroles d’Enaël, quelques heures plus tôt. Pour lui, Ash Brockenwood représente une menace, et il a tout intérêt à le faire disparaître le plus rapidement possible.
Le Chevalier Suprême, Sire Æl, était comme Ash s’en souvenait. C’était un homme de très grande taille, aux longs cheveux châtains clair, et il portait un bouc. Ses yeux étaient de couleur noisette, et il portait une lourde armure gravée de nombreux galons. Un sourire suffisant se trouvait sur ses lèvres.
« Tu n’imagines pas depuis combien de temps je voulais te voir dans cette position, Brockenwood, déclara Æl.
_Enchaîné à un mur ? répliqua Ash d’un ton mordant. C’est coquin, ça.
_Quand je pense que tu t’es fait choper par Son Altesse, dit-il, le titre sonnant comme une insulte, et ce cher petit Enchanteur… Le moment où tu as perdu connaissance, ils ont appelé les gardes. Ce n’était pas bien compliqué.
_Depuis le début, ils ont accepté de m’aider pour m’attraper ?
_Evidement. Pourquoi veux-tu que ce soit ?
_Eh bien…Moi qui croyait que le Chevalier Suprême se devait de respecter les lois…
_Mais je le fais. C’est la raison pour laquelle tu es ici.
_Donc vous ne savez pas… »
Ash eut un mauvais sourire. Ces deux-là avaient prévu de le trahir depuis le début, n’est-ce pas ? Ils n’avaient pas pris quelque chose en compte dans leur petit plan. Ash était un voleur, mais ce n’était pas juste du temps partiel. Il pouvait quelques fois se montrer sympathique, mais en tant que voleur, il était malhonnête. Il n’était rentré dans le métier par lui-même, il avait été formé pendant plusieurs années. Il était un criminel, et un criminel faisait n’importe quoi pour s’en sortir, ou faire tomber ses bourreaux avec lui. Donc non, Ash n’était pas gentil.
« Je les ai surpris ensemble, vous savez ? Gabriel et Enaël. Ah, si seulement la loi était de leur côté, soupira-t-il avec un air faussement désolé. Ils forment un couple si adorable. »
Æl avait eu l’intention de commencer une phrase, mais la révélation d’Ash le coupa dans son élan. Il plissa les yeux et observa son prisonnier. Il était évident qu’il essayait de mettre le doute sur les Héritiers.
« Tu mens. Je sais comment les gens comme toi fonctionnent. Tu essayes de les discréditer.
_Absolument pas, répliqua Ash, paraissant offensé. Allez leur demander. Quand je suis arrivé dans le Palais, les premières choses que j’ai vues étaient un cheval et Gabriel plaquant Enaël contre le mur pour lui mettre la langue au fond de la gorge. »
Æl ne prêta pas attention au commentaire sur le cheval, préférant penser à ce que disait le jeune homme. En tant que Chevalier Suprême, il devait enquêter sur les moindres agissements suspects. Cependant, s’il se trompait…il perdrait probablement son titre. D’un autre côté, les deux Héritiers lui avaient toujours paru…suspects, justement. Parvenant à une décision, il tourna les talons et s’éloigna à grands pas.
Il revint une dizaine de minutes plus tard, suivit de Gabriel et Enaël, tous deux encadrés par des gardes. Æl les rassura immédiatement, leur disant qu’il voulait simplement leur poser quelques questions. Mais les deux garçons étaient inquiets. On n’était pas escorté dans les prisons à la demande du Chevalier Suprême pour « quelques questions ».
« Gab’ ! Enaël ! s’exclama Ash avec un faux sourire innocent. Quelle surprise !
_Qu’est-ce qu’on fait là ? demanda Gabriel. On vous a aidé à le choper, maintenant, c’est votre responsabilité.
_Je voudrais juste clarifier certaines choses, expliqua Æl. Concernant la déclaration de Brockenwood.
_Désolé, continua Ash sans se départir de son sourire. Votre secret m’a…comment dire…malencontreusement échappé ? »
S’il avait eu les mains libres, il aurait applaudit le sang-froid dont faisaient preuve le Prince et l’Enchanteur. Seul le froncement de sourcil de Gabriel et la soudaine raideur d’Enaël trahissaient leur nervosité.
« Je ne souhaite pas croire ce que dit Brockenwood, Votre Altesse, mais vous savez qu’il est de mon devoir de penser à toutes les possibilités…surtout une ayant de telles conséquences.
_Et c’est pour ça que vous perdez votre temps à nous interroger ? Pour vérifier les déclarations impossibles d’un cambrioleur ? »
L’air se brouilla, les visages se déformèrent. Ash fronça les sourcils. Il était certain qu’il assistait à un phénomène qu’il n’était pas censé voir. Quand l’atmosphère se stabilisa, Gabriel et Enaël avaient disparu.
Disparu ? Ils n’étaient mêmes pas là…alors pourquoi auraient-ils disparu ? Que racontait-il ? Bien sûr, qu’ils avaient été là. Il sentit une migraine se pointer. Qu’est-ce qu’il se passait ?
« Tu sais ce qu’il se passera demain matin ? continua Æl sans se départir de son sourire, ne relevant pas la remarque sur les chaines.
_Mon exécution, j’imagine. Après tout, je suis le grand et méchant Ash Brockenwood. Laissez-moi deviner… Je serai pendu pour mes crimes, n’est-ce pas ?
_C’était ce qui était prévu, acquiesça Æl tout en hochant la tête. C’était ce qui était prévu. Cependant, il y a une particularité au système judiciaire d’Ankara, vois-tu. Normalement, un Chasseur de Prime ne reçoit son argent que si sa cible est attrapée, tuée, et marquée. En Ankara, un Chasseur peut recevoir la moitié de la prime s’il participe à l’exécution d’un criminel arrêté par les forces armées. Il y a toujours beaucoup d’intéressé et c’est toujours le premier arrivé qui est le premier servi. Félicitations, tu seras tué par un Chasseur de Prime. »
Ash blêmit. C’était probablement la pire chose qui pouvait lui arriver. Sire Æl parut satisfait de l’effet de sa révélation, et quitta la cellule, non sans lui avoir souhaité bonne chance d’un ton ironique.
Les Chasseurs de Prime…des créatures qui ressemblaient étrangement aux vampires des contes pour enfant. Ils se nourrissaient de l’énergie vitale et magique des être vivants, raison pour laquelle on les appelait aussi les Dévoreurs. La plupart d’entre eux chassaient les criminels recherchés pour se sustenter en toute impunité. Du moins, c’est ce qu’il avait entendu des autres. Il n’y avait pas beaucoup de criminels connus en Ankara, donc pas beaucoup de Dévoreurs.
C’était mauvais, très mauvais. Ash ne voyait aucun moyen de sortir de cette situation. Il avait été stupide. Quelle idée de suivre aveuglément les indications de deux personnes qu’il ne connaissait pas simplement parce qu’il avait eu vent d’un de leur secret ? L’avantage, c’était qu’ils tomberaient avec lui.
Il avait l’impression qu’il s’était passé quelque chose, qu’il avait manqué un événement. Comme quand on se réveille le matin et qu’on tente de se souvenir d’un rêve.
C’était leur parole contre la sienne, et ce qu’Ash avait à dire n’avait pas beaucoup de poids. Maintenant, il allait mourir, et ne pourrait pas retourner voir Alexandrie.
La pensée de la jeune blonde au caractère bien trempé le fit sourire faiblement. Elle lui en voudrait peut-être d’avoir été capturé… Ou bien le traiterait d’idiot en lui disant qu’il l’avait bien mérité.
« Tu vas mourir, et la seule personne à laquelle tu penses est une prostituée ? »
Ash sursauta, avant de faire volte-face. Depuis quand n’était-il plus seul ? Il n’avait vu personne d’autre qu’Æl entrer ! Pourtant, debout dans un coin de sa cellule, se trouvait une femme. Elle était grande, presqu’autant qu’Alexandrie, et ses cheveux roux lui tombaient jusqu’à la taille. Ses yeux verts brillaient d’une lueur étrange, qu’Ash n’était pas sûr de reconnaître. Elle était présente mais en même temps…elle n’était pas entièrement là, mentalement. Elle portait une longue robe verte et or richement décorée. Ash était absolument certain de ne jamais l’avoir rencontrée, bien que ce visage et ce sourire narquois lui soient familiers.
« Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entrée ?
_Ça n’a pas d’importance, répondit la femme avec un haussement d’épaule. Ce qui est important, c’est ce qu’il va t’arriver. Tu viens de rencontrer Sire Æl. A qui penses-tu parler, maintenant ?
_Je vais voir quelqu’un d’autre ? Qui ? J’espère que ce n’est ni Gabriel, ni Enaël. Je n’ai pas vraiment envie de les voir… »
La femme fit un mouvement du menton vers la porte et Ash se retourna au moment où le dernier visiteur poussait la porte. C’était également un homme et le cœur d’Ash rata un battement en le reconnaissant. C’était la dernière personne qui devait le voir comme ça – enchaîné et prêt pour l’exécution. Il avait les cheveux bruns, longs jusqu’en-dessous des épaules, et des yeux bleu ciel.
« Rectification. Je prend Gab’ et Enaël quand vous voulez. »
C’était inutile, elle avait déjà disparu.
Willow et Ash Brockenwood. Les deux garçons s’étaient toujours ressemblés et dans leur enfance, on les avait souvent pris pour des jumeaux. Encore aujourd’hui, ils étaient le portrait craché l’un de l’autre. Cependant, quelques détails avaient toujours permis aux initiés de les différencier. Pour commencer, il y avait cette petit tâche de naissance que Will avait juste en dessous de l’oreille droite…
« Salut, Ash. Ça fait quoi ? Dix ans ?
_Douze, corrigea Ash. Ça fait douze ans. »
Will haussa les épaules, n’ayant visiblement que faire du nombre d’années qui s’était écoulé depuis leur séparation.
« Peu importe, dit-il. Ce n’est pas assez longtemps.
_Q-Quoi ?
_Franchement, tu ne pensais tout de même pas que j’allais avoir envie de te revoir ? Mon adoption a été un vrai miracle. Enfin débarrassé de ce gamin pleurnichard qui ne faisait que me coller au train.
_M-Mais… Tu avais promis…
_Oui, je sais, soupira Willow. J’avais promis qu’on se reverrait. Mais comment j’étais supposé te faire taire ? J’avais tout essayé. Ne restait plus que ça et l’espoir que tu m’oublies pour de bon. Visiblement, c’était trop en demander. Et maintenant, te voilà, dans une cellule, sur le point de te faire bouffer vivant par un Dévoreur. Je ne sais pas comment tu t’es débrouillé pour foutre ta vie en l’air aussi royalement. »
Il y avait eu la promesse, c’était vrai. Mais il y avait autre chose. Quelque chose qu’il n’oserait jamais aborder avec son frère – du moins pas temps qu’il était absolument sûr.
Will avait raison sur un point, ça ne faisait aucun doute. On ne pouvait pas dire que son style de vie soit un exemple de droiture et d’honnêteté, bien au contraire. Mais qu’y pouvait-il s’il avait dû entrer par effraction dans plusieurs bâtiments administratifs pour retrouver la trace de son frère ? Il avait simplement voulu s’assurer qu’il allait bien, même s’il ne s’agissait que de le voir de loin avant de reprendre la route. C’était quelque chose dont il avait absolument besoin.
« Et il y a autre chose que j’ai toujours voulu te dire. Tu sais ce que sais ? »
Ash ne sut jamais ce que Will allait dire, parce qu’à l’instant où son frère l’attrapa par le menton, comme pour mieux étudier son visage, il sentit son cœur s’accélérer, son corps entier trembler, et une immense panique faire surface dans son esprit. Pendant un instant, alors que son sang se glaçait dans ses veines, tout autour de lui se mit à luire dans les tons rouges et orange. Tout brûlait. Il pouvait presque sentir la chaleur et tout en lui hurlait le feu, ne pense pas au feu, pas le feu, tout brûle, Will, pas le feu, je vous en pris pas le feu PAS WILL !
Il avait parfaitement conscience que le feu n’apparaissait que dans sa tête. Que rien ne brûlait. Pourtant, les yeux de Will s’écarquillèrent et il le lâcha brusquement, reculant de quelques pas. Son expression était un mélange d’horreur et d’incrédulité.
« Tu… »
Ce fut à cet instant qu’Ash comprit.
« Ce n’est pas réel, n’est-ce pas ? »
La femme était toujours là. Elle avait disparu quand Willow était entré, mais elle devait toujours être présente. C’était la seule personne qu’il n’avait jamais vue de toutes celles à qui il avait parlé jusqu’à présent, c’était donc elle qui tirait les ficelles.
« Comment ça ? dit-elle, apparaissant au même endroit que quelques minutes plus tôt.
_Ce n’est pas réel. Tout ceci, ce que je vois, ce que j’entends, ce que je ressens, se passe dans ma tête. Je suis probablement toujours inconscient. Vous êtes en train de mettre le bazar dans mon esprit, de me faire croire que c’est la réalité. C’est pour ça que la Pierre Céleste a une si mauvaise réputation. Vous brisez leurs esprits avec des visions déformées de la réalité.
_C’est vrai, admit-elle avec un soupir. Je suis surprise que tu l’ais remarqué. Les Réguliers ne sont généralement pas entraînés à résister aux magies de l’esprit.
_Il suffit d’un petit illogisme pour que la victime s’en rende compte. Je suis persuadé d’avoir dit à Æl la vérité sur Gabriel et Enaël, mais rien de ce qu’il se passait n’était en corrélation avec cet événement. Et Will…il n’aurait pas pu remarquer. Alors, vous êtes qui ? Comment vous faites ça ?
_Mon nom est Céleste. Je ne fais que piocher des souvenirs dans la tête des gens, les mettre en scène et manipuler le tout à ma guise.
_Céleste…
_Je réside dans la Pierre, d’où son nom. J’ai pris le contrôle d’absolument tout ce qu’il se passe dans ta tête et c’est à moi de décider si tu sors, si tu restes, si tu survis ou si tu meurs.
_Ça reste mon esprit, tout de même.
_Plus maintenant. »
Elle s’approcha de lui et, d’un mouvement de sa main, les chaînes disparurent et la porte s’ouvrit. Elle sortit, suivie par Ash. Ils se trouvaient dans le Palais Royal, supposa-t-il. Il n’était jamais allé dans cette partie du château. D’ailleurs, comment pouvait-elle faire apparaître dans son esprit quelque chose qu’il n’avait jamais vu ? Elle avait bien dit qu’elle se servait de souvenirs, n’est-ce pas ?
Ils marchèrent dans un long corridor bordé de larges fenêtres. Sur les vitres, les personnages bougeaient, et Ash se reconnut lui, son frère et d’autres personnes qu’il avait connues. Puis, il comprit. C’était un souvenir. Chaque fenêtre contenait un souvenir et, plus ils avançaient, plus ils étaient récents.
Après ce qui lui sembla être une éternité, Céleste s’arrêta devant un vitrail. Les personnages jouaient la scène de sa rencontre avec Gabriel et Enaël. Elle le regarda longuement puis sourit, avant de continuer son chemin.
« C’est le dernier, déclara-t-elle en s’arrêtant de nouveau, au bout du couloir. »
Sur cette vitre, on pouvait en effet voir Ash, en compagnie du prince et de son amant, tournant la Pierre de Céleste dans sa main. Céleste regardait le souvenir avec autant d’attention que le précédent. Il se tourna vers elle, levant un sourcil.
« Et maintenant ? demanda-t-il. C’est maintenant que tu me dis qu’en fait, je vais mourir et que je ne reverrai jamais mon frère ?
_Tu le reverras bientôt, n’en doute pas, le contredit-elle, et elle semblait étrangement triste en disant cela. Tu ne vas pas mourir aujourd’hui. Je vais te renvoyer. »
Ash sentit son sang se glacer. Ce ton…cette voix…la familiarité. Il se ressaisit. Ce n’était pas le moment de penser à ça.
Cette femme – Céleste – l’avait enfermé dans son propre esprit pour le laisser partir aussi facilement après une petite promenade ? C’était insensé !
Céleste leva de nouveau la tête vers le dernier souvenir et sourit de nouveau. Cette fois, il s’agissait d’un sourire plein de douceur et d’amour.
« Je veux que tu lui donnes la Pierre, dit-elle. Jusqu’à présent, personne ne le connaissait. C’est à lui que je veux parler. A lui seul. »
Avant qu’Ash ne puisse lui demander ce qu’elle voulait dire, le monde commença à tourner autour de lui. Il vacilla, et s’appuya contre un mur, tentant de garder les yeux ouverts. Pourtant, ses paupières se fermaient toutes seules et était-ce des voix qu’il entendait, lointaines et inaccessibles ?
Il finit par s’abandonner au sommeil et ferma les yeux.
Il se réveilla en sursaut et la première chose qu’il vit fut deux paires d’yeux le regardant avec inquiétude.
5: WillowTale of Ankara
{5 : Willow}
« Quand penses-tu qu’il se réveillera ?
_Aucune idée, répondit sincèrement Enaël. Il me semble que certaines personnes ne se sont pas réveillées… c’était tous des Réguliers. Les Enchanteurs, eux, perdaient l’esprit une fois de retour. On peut seulement espérer qu’il s’en sorte, bien que ce soit très peu probable. On ne peut pas dire qu’on ne l’a pas prévenu. »
Les yeux bleus de Gabriel se posèrent sur la forme endormie d’Ash. Quand le jeune homme s’était effondré, il l’avait installé dos au mur, de sorte qu’il ne tombe pas. Il avait l’air très différent quand il dormait. Eveillé, Ash était curieux, voire même un peu trop, et vivace, toujours prêt à faire face à quelque chose de nouveau. Pour preuve, il était venu à Ankara pour une Pierre dont l’existence n’était pas assurée. Mais endormi, il ressemblait à un enfant sage, paisible et serein.
« Je l’aime bien, déclara le jeune prince.
_Le contraire m’aurait étonné. C’est tout à fait le genre d’ami que tu aurais…si tu avais des amis. »
Gabriel tira la langue à son compagnon, qui se contenta de lui répondre par un sourire insolent.
« C’est bas de m’attaquer à ce sujet ! Ce n’est pas comme si c’était ma faute… »
Le sourire d’Enaël s’effaça.
« Tu as raison, je suis désolé. »
Gabriel avait passé sa vie entière dans le Palais Royal, réussissant parfois à se glisser à l’extérieur. Mais les portes du palais étaient trop bien gardées pour lui permettre d’agir régulièrement de cette manière. Ainsi, Enaël avait été la seule compagnie de Gabriel depuis bien des années…jusqu’à ce qu’Ash arrive, en réalité. Ils avaient tous deux été isolés dès leur plus jeune âge, Gabriel parce qu’il était le Prince et Enaël pour mieux apprendre la magie, et cela les avait rapproché. Avant, ils avaient été trois, mais depuis…enfin, aucun d’entre eux n’aimait en parler. Aujourd’hui, loi ou non, les deux garçons s’aimaient et l’Enchanteur suivrait son Prince jusqu’au bout du monde s’il le fallait. C’était d’ailleurs ce qu’il comptait faire…
« C’est la semaine prochaine, déclara soudainement Gabriel.
_Tu es prêt ?
_Absolument pas.
_Pas prêt pour ton propre couronnement… La semaine prochaine, tu auras dix-neuf ans et tu seras présenté comme Héritier Officiel du Trône. Le peuple sera très heureux de te voir.
_Quand je serais Héritier Désigné, tu penses que j’aurais le droit de sortir ?
_Sincèrement…non. Tu as été gardé enfermé dans le Palais pendant dix-huit ans. Ce n’est pas près de changer.
_Je ne parlais pas seulement du couronnement, tu sais. Je parlais surtout du Serment. Je ne veux pas que tu le fasses.
_Gab’, on en a déjà discuté. C’est mon devoir d’Enchanteur.
_S’il te plait, ne prête pas serment.
_Je le ferai si c’est nécessaire. Peu importe ce que tu veux, il viendra peut-être un jour où tu auras besoin de quelqu’un qui ne doute pas de toi et suivras tes ordres sans discuter.
_Tu réagis comme le Roi ! s’énerva Gabriel. « Tu n’as pas le choix », « c’est ton devoir », « ce que tu penses n’a pas d’importance », « ne soit pas égoïste et fait ce que je te dis », « je me fiche de ce que tu veux »… J’ai entendu ces mots pendant toute ma vie et aujourd’hui, ils me rendent malade ! Surtout…surtout quand c’est toi qui les prononces. »
Sa voix était étrangement tremblante et cela mettait Enaël mal à l’aise. Le Gabriel qu’il connaissait était confiant et assuré…sa voix ne tremblait pas, sauf quand il était extrêmement en colère.
Et il l’était, réalisa l’Enchanteur. Gabriel était à la fois furieux et désemparé. Que pouvait-il faire pour qu’on puisse l’entendre ? Que devait-il faire pour avoir le droit de donner son avis ? Le Prince n’avait pas son mot à dire, certes, mais Gabriel avait la langue bien pendue et n’appréciait que très peu d’être réduit au silence.
« Je suis dé…
_Tait-toi. Je ne veux même pas t’entendre dire que tu es désolé. Tout le monde est toujours désolé ! « Excusez-moi d’avoir trébuché en votre présence, Votre Altesse », « Je suis désolé, fils, mais c’est pour ton bien ». La prochaine fois ce sera quoi ?! Ils s’excuseront pour respirer le même air que moi ? Il n’y en a jamais eu un seul qui s’est arrêté assez longtemps pour entendre qu’il n’avait pas à s’excuser d’exister ! Quand est-ce que je pourrais dire quelque chose, au moins une fois dans ma vie, merde ? Tu m’as toujours laissé parler, Enaël… Je…Je ne veux pas t’entendre dire que je suis obligé de me taire.
_Et…interrompit prudemment Enaël. Qu’est-ce que tu veux ?
_Je veux que tu me foutes des claques dans la gueule quand je pars en vrille. Je veux que tu m’engueules quand tu crois que je prends de mauvaises décisions. Je veux que tu lèves un sourcil quand je dis une connerie plus grosse que moi. Je veux que me le dises quand tu penses que j’ai tord ! Je ne veux pas que tu prêtes serment parce que je veux que tu restes toi jusqu’à la fin ! Je veux un conseiller, quelqu’un capable de me le faire remarquer quand je fais n’importe quoi ! Pas un esclave qui obéit à la moindre de mes paroles comme si c’était la loi. »
Enaël sourit doucement et, d’un mouvement fluide, gifla Gabriel.
« Tu partais en vrille, se justifia-t-il avant de le prendre dans ses bras, ses doigts jouant avec ses mèches rousses. Qu’est-ce qui te fait dire que je changerai ?
_Je ne suis pas idiot. Je sais ce que signifie un Serment Magique. Tu es le magicien mais je sais lire. »
Enaël embrassa Gab’ avec tendresse, puis reposa son front sur le sien, respirant profondément. Ils devaient tous les deux se calmer. Aucun d’entre eux n’était en état de poursuivre une conversation civilisée.
« Au pire, dit-il finalement, on peut toujours avancer notre départ. On l’avait fixé au jour suivant le couronnement, mais on peut changer. Partons dans quatre jours. Ça nous laissera le temps de nous préparer. »
Gabriel hocha la tête et serra Enaël contre lui, enfouissant son visage dans son cou alors que son compagnon posait sur menton sur le sommet de son crâne. Ils restèrent comme ça pendant un certain temps. Ils ne voulaient surtout pas que ce moment de calme s’arrête. C’était un instant de paix après une tempête…
Il y eu un mouvement sur leur droite, et Gabriel grommela quelque chose en rapport avec l’habitude qu’avait Ash de les interrompre. Ils se séparèrent de mauvaise grâce, retournant leur attention sur leur compagnon jusqu’à présent endormi. Celui-ci ouvrit un œil vitreux et émit un grognement.
« Comment te sens-tu ? demanda Gabriel en se penchant vers Ash.
_Comme si une calèche venait de me rouler dessus, répondit le brun en fronçant le nez. Avec les chevaux en prime. »
Enaël grimaça à l’image et aide leur ami à se relever. Ses jambes étaient encore tremblantes, mais Ash parvint à marcher sans trébucher. Il se sentait étrangement épuisé. Visiblement, interagir avec la Pierre Céleste demandait un grand effort physique et mental. Il repensa à ce que lui avait dit Céleste. Qui était la personne qu’elle voulait voir ? D’après le peu qu’elle lui avait dit sur cette personne, Ash la connaissait, ce qui n’était pas le cas de ses précédentes victimes.
Mais qui ? Ash connaissait pas mal de monde dans ce pays mais… Qui pouvait être cette personne ? Qui était Céleste ?
Ce qui était sensé être la réponse à ses questions en avait fait surgir bien d’autres.
Ils continuèrent leur route en silence. Ash avait constamment les sourcils froncés et semblait perdu dans ses pensées, sous les regards inquiets de ses deux compagnons. Ceux-ci souhaitaient savoir ce qu’il avait vu, mais avait décidé de respecter son silence. Leur petite association s’était faite ainsi : chacun respectait les secrets de l’autre.
Enaël et Gabriel laissèrent Ash à la sortie du tunnel. Ils avaient leur propre passage pour entrer et sortir dans le Palais et n’avaient donc pas à faire demi-tour. Leur séparation se fit également en silence et, une fois qu’Ash les eu remercié et aie disparu, ils se regardèrent.
« Que penses-tu qu’il s’est passé ? Il n’a pas réagit de la même manière que les autres…
_Tu crois qu’il a vu…quelque chose ? Du genre, vraiment quelque chose ?
_Je ne sais pas. S’il avait eu sa réponse, il serait bien plus heureux, non ? »
Il serait bien plus heureux. Il faillit grimacer à la manière dont il avait dit cela. Ash était-il heureux ? Il était certes en général souriant, mais… les deux garçons étaient bien placés pour savoir ce qu’un sourire pouvait cacher.
« Peut-être qu’il n’a pas aimé ce qu’il a appris. Ça ne m’étonnerait pas. La divination est un art très flou et difficile à maitriser. »
Gabriel acquiesça, avant de prendre son compagnon par le poignet, l’entraînant à l’air libre. Enaël ne protesta pas, sachant exactement ce que voulait le Prince – souhait partagé par l’apprenti enchanteur.
Pendant une nuit, ils voulaient faire comme si leur vie au Palais n’était qu’un mauvais rêve. Ils voulaient, jusqu’au lever du jour, n’être que deux Ankarois quelconques, sans soucis, sans préoccupations.
Pendant au moins une nuit, ils voulaient faire semblant d’être libres.
XXX
Ash passa la porte de l’auberge, fatigué et des cernes sous les yeux. En l’apercevant, Alexandrie se dirigea vers lui, tentant maladroitement de masquer son inquiétude.
« Comment ça s’est passé ? »
Le regard qu’il lui lança suffit à lui faire comprendre que tout ne s’était pas déroulé aussi simplement que ce qu’ils l’avaient souhaité. Ash monta les escaliers grinçants, suivant Alexandrie vers sa chambre, comme il l’avait fait la veille.
Il retira sa tunique et se laissa tomber sur le lit, torse nu. La prostituée s’assit à côté de lui, ne le quittant pas des yeux. Elle était curieuse de savoir ce qui était arrivé. Ash était étrangement silencieux et rien ne semblait pouvoir le sortir de sa contemplation du plafond…
Sauf peut-être la petite pierre verte et dorée qu’il faisait tourner entre ses doigts.
« Est-ce que c’est…
_La Pierre Céleste ? compléta le cambrioleur. Sans aucun doute.
_Je n’arrive pas à croire que tu ais réussi à l’avoir. Elle fonctionne ?
_Plus ou moins. C’est difficile à expliquer. Cette Pierre…elle s’attaque à ton esprit, l’enferme, ne le laisse jamais partir. Elle en prend totalement le contrôle. Je n’ai réussi à m’en sortir que parce qu’elle l’a voulu, et je me demande si je ne suis pas toujours son prisonnier.
_Mais…tu as vu quelque chose, n’est-ce pas ? »
Ash soupira et laissa tomber son bras sur le matelas, faisait attention à ce que la Pierre ne lui échappe pas. Qu’avait-il vu, exactement ? Le futur ? Si Céleste utilisait son propre esprit pour créer des illusions, l’homme qu’il avait vu était-il vraiment Will ?
« Alexandrie ?
_Qu’est-ce qu’il t’arrive, Ash ?
_Tu…tu penses que…que mon frère pourrait me détester ? »
Elle parut surprise par la question, et il se sentit idiot. Qu’en savait-elle, de toute façon ? Ils s’étaient rencontrés la veille et ils ne connaissaient rien l’un de l’autre. Elle ne pouvait tout simplement pas deviner l’opinion de son frère, qu’elle n’avait jamais vu.
« Je ne sais pas… Pourquoi te détesterait-il ? Tu lui as donné une bonne raison de t’en vouloir ?
_Non ! Enfin…Je ne sais pas vraiment. »
Elle haussa un sourcil sceptique, s’attendant probablement à ce qu’il développe sa pensée. Que s’était-il passé le jour de leur séparation ? Etait-il arrivé un événement si grave qu’Ash avait peur du ressentiment de son frère ? Non…sinon, il ne serait pas à sa recherche.
« La dernière fois que j’ai vu Will…j’avais huit ans, commença Ash, se rendant compte de la nature de son silence. Depuis que nous étions tous petits, nous étions inséparables…parfois, les autres avaient même du mal à nous différencier – il avait dit cela avec un petit rire et un sourire nostalgique. Il avait dix ans quand il a été adopté… Et il n’y avait que lui et moi, vraiment. Il était la seule personne qui m’a vraiment été proche. Il était tout. Le grand frère, oui, mais également le meilleur ami, le confident, un peu le rival, aussi… tout ce que n’importe qui a dans son entourage, rassemblé dans une seule et même personne. Aujourd’hui, c’est différent mais…c’est quand j’ai eu huit ans que je m’en suis rendu compte… Que je ne pouvais même pas envisager la vie sans lui. C’est comme…réaliser à quel point tu tiens à quelque chose seulement une fois que tu ne l’as plus, tu vois ?
_Ça n’explique rien.
_Je ne sais pas… C’est sûrement à cause de ce que j’ai vu à cause de la Pierre Céleste. Ce n’est rien, vraiment. Oublie ça. C’était idiot. »
Alexandrie soupira et lui prit la pierre des mains, la posant sur la petite table de la pièce. Puis elle retourna vers lui et s’installa sur son ventre. Elle se pencha en avant et embrassa ses lèvres avec un sourire malicieux.
« Dans ce cas, tu n’as qu’à oublier tous ces problèmes…juste pour cette nuit, c’est offert. D’accord ? »
Mais Ash secoua la tête, la repoussant délicatement.
« Je suis désolé, Alexandrie. Je…pas ce soir. »
Il existait donc des hommes qui ne sautaient pas sur une fille à la première occasion. Alexandrie se contenta alors de s’installer à côté de lui. Elle avait compris. Il avait juste besoin de quelqu’un, rien de plus.
Ash pensait vraiment qu’avec Alexandrie présente, il aurait une nuit tranquille. Il avait tord.
Le rêve revenait, plus persistant encore.
XXX
Le soleil se levait quand Gabriel et Enaël retournèrent au château. Le visage habituellement pâle du Prince était rougit par le grand air, l’excitation, et le vent fort typique des soirées d’Ankara. Ils riaient tout en remontant le couloir, s’attirant des regards tendres des serviteurs. Ils étaient heureux de voir leur prince sourire, ce qui arrivait de moins en moins souvent depuis quelques années déjà.
« Puis-je vous demander ce qui vous rend aussi joyeux de si bon matin, Votre Altesse ? Sire Enaël ? »
Les deux adolescents se tournèrent vers le propriétaire de la voix. C’était un jeune homme, dont les cheveux bruns en bataille tombaient jusqu’à son dos. Ses yeux étaient d’un bleu très clair, de la couleur du ciel, et il avait facilement sourire sur les lèvres. A son côté pendait une épée, et son manteau était frappé aux armoiries d’Ankara.
« Oh, c’est vous, Will… Nous ne vous avions pas vu arriver ! »
Willow Archendall était l’écuyer et l’apprenti de Sire Æl. Il n’avait que 22 ans, mais était le plus prometteur de toutes les recrues de la chevalerie, bien que Gabriel soit persuadé que le jeune homme ne soit pas fait pour la violence et la guerre. Il était tout simplement trop gentil pour cela.
« Ce n’est rien. J’étais en route pour voir Sire Æl. Il n’arrêtait pas de parler d’un voleur qui aurait été aperçu en ville, ou quelque chose comme ça. En avez-vous entendu parler ?
_Absolument pas.
_Sire Æl était très inquiet…Il dit qu’il y a eu un intrus dans le Palais, cette nuit.
_Ce pourrait être moi, répliqua Gabriel avant de s’approcher de Will, l’air conspirateur. J’ai eu un petit creux pendant la nuit. »
Will rit de bon cœur, mais secoua la tête.
« A moins que vous ne soyez un Enchanteur et que vous soyez descendu aux sous-sols, je doute que ce soit vous. Il y a un souci, Sire Enaël ? »
En effet, le regard vert de l’apprenti Enchanteur de la Cours s’était fixé sur leur ami écuyer. C’était impossible, pensait-il. C’est bien trop gros. Ce ne pouvait-être qu’une coïncidence… Mais qui croyait encore aux coïncidences, dans ce bas monde ?
« Ce n’est rien, Will. Vous devriez partir. Sire Æl va s’impatienter !
_Vous avez raison. Il ne faut pas non-plus que nous soyons en retard au conseil… Je vous souhaite une bonne journée ! »
Will s’éloigna. S’il s’était rendu compte qu’Enaël venait de l’envoyer voir ailleurs, il n’en montra aucun signe. Peut-être était-il tout simplement trop poli pour faire remarquer l’empressement qu’avait Enaël à le faire quitter leur compagnie.
« Pourquoi t’as fait ça ? Il va se douter de quelque chose !
_Gab’, tu as vu son visage ?
_Son visage ? Bien sûr…il était tout à fait normal…
_Je reformule. Est-ce que tu as bien regardé son visage ? »
Gabriel fronça les sourcils. Qu’y avait-il de si spécial avec le visage de Willow Archendall ? Si Enaël craquait pour lui, Will était un homme mort. Mais pourquoi Enaël s’était-il montré si insistant avec son visage ?
Oh…
« Il est presqu’identique à celui d’Ash… réalisa le rouquin. »
Enaël jeta un rapide regard autour d’eux, avant d’attraper Gab’ par le poignet et de l’entraîner dans le coin le moins fréquenté du Palais, à savoir la bibliothèque. Ce fait seul en disait long sur les capacités cognitives des membres de la cours, d’ailleurs.
Ils s’assirent à une petite table isolée, et Enaël lança un sort de silence autour d’eux, de manière à ce qu’on ne les entende pas.
« Je crois que j’ai compris la raison de la présence d’Ash au Palais, commença l’Enchanteur. Il est venu chercher la Pierre Céleste, qui montre ce que l’on désir le plus au monde. Comme par hasard, on rencontre quelqu’un qui lui ressemble parfaitement…ce n’est pas une coïncidence, mais plutôt un membre de la famille, un cousin ou…
_Un frère, corrigea Gabriel. Will et Ash seraient frère ?
_On pourrait les croire jumeaux, acquiesça Enaël. Will est seulement plus grand et a les cheveux plus longs. Comment se fait-il que personne ne s’en soit rendu compte ?
_Le portraitiste royal n’est pas très bon dans son travail, justifia Gabriel en haussant les épaules. Tu penses qu’Ash serait venu jusqu’ici pour la Pierre Céleste dans l’espoir qu’elle lui montre où trouver son frère, qui s’avère être au Palais ?
_Exactement. »
Les amants restèrent silencieux quelques secondes, contemplant ce qu’ils venaient de déduire. C’était vrai qu’à quelques détails près, notamment la taille et la longueur des cheveux, Will et Ash pouvaient facilement être pris l’un pour l’autre. Ils avaient les mêmes traits, les mêmes yeux… Quoi qu’il y avait quelque chose dans ceux de Will qui manquait à Ash. Ils ne savaient pas ce que c’était – ni s’ils comprendraient un jour – mais quelque chose les rendaient…différents. Extrêmement différents.
«Même si le portraitiste est complètement incompétent, quelqu’un aurait dû le remarquer… C’est tellement frappant… Et juste devant nos yeux ! Je ne comprends pas…
_Souvent, on refuse de voir ce qui se trouve juste sous notre nez, répliqua calmement Gabriel. Soit parce qu’on refuse la possibilité, soit parce qu’inconsciemment, on la juge impossible. De toute façon, là n’est pas le problème… Le problème, c’est comment est-ce qu’on va annoncer à Ash qu’on avait son sosie sous les yeux depuis des années ?
_Tu comptes lui en parler ? siffla Enaël. Si on lui dit, il va accourir et se faire attraper. C’est le meilleur moyen pour le faire livrer aux Chasseurs de Prime ! Je croyais que tu l’aimais bien !
_Je sais, contra Gab. Mais… Tu as dû remarquer qu’il n’a pas rendu la Pierre Céleste, pas vrai ? Il n’a visiblement pas l’intention de s’arrêter de chercher…et il va finir par se rendre fou à force de regarder dans la Pierre. S’il y a bien une chose qu’on a comprise en le côtoyant une nuit, c’est qu’il est une tête de mule et que rien ne l’arrêtera.
_Je m’en suis rendu compte, soupira Enaël. Et je m’inquiète pour lui. »
_Il y a un conseil à huit heures précises, déclara Gab. Je voudrais que tu en profites pour trouver Ash et lui expliquer ce que nous avons découvert…
_Et récupérer la Pierre, compléta Enaël en acquiesçant. »
Gabriel hocha la tête et ils quittèrent la bibliothèque. Une fois dans le couloir, ils se séparèrent, et Enaël regarda le roux s’éloigna avec sympathie. Il n’avait pas la moindre envie de se retrouver à sa place. Etre Prince d’Ankara était une lourde responsabilité. Une responsabilité que Gabriel n’avait pas la moindre envie d’endosser.
6: Hydra
Tale of Ankara
{6 : Hydra}
Il y avait un visage un peu flou, un sourire triste et une voix. « Tu le reverras bientôt, n’en doute pas ».
Will le regardait. Il souriait. Will souriait toujours.
« Je t’aim… » La fin fut noyée par le fracas de pas des gardes en armures. Aussitôt, Will tourna les talons et partit en courant.
La place principale était pleine de monde. Une potence avait été élevée. Will était là, retenu par les gardes. Il avait la corde autour du cou. Quelqu’un parlait, mais il n’entendait pas ce qu’il disait. Will souriait encore.
La trappe s’ouvrit. Will tomba. Le nœud se serra. Et…
Des flammes. Partout. La ville brulait et tombait en ruine. Son champ de vision était rempli du feu rougeoyant. Il entendait des cris. Des hurlements. Terrifiés. Les gens fuyaient. Il ne pouvait pas voir…
Les flammes étaient autour de lui. Il pouvait voir Will. Le feu avait rongé la corde et commençait à noircir ses vêtements.
Ses yeux étaient vides et une marque violacée se trouvait sur sa gorge.
« WILL ! »
Ash se réveilla quand Alexandrie le secoua. Il respirait avec difficulté, comme s’il était encore dans l’incendie. Des larmes roulaient sur ces joues alors que la jeune femme tentait, sans succès, de le calmer.
« Ash ! Ash, tout va bien ! Respire doucement, d’accord ? »
Après plusieurs minutes de panique, Ash parvint à se détendre. Il s’assit et se passa la main dans les cheveux. Il jeta un œil à la fenêtre. Le ciel était noir et piqueté d’étoiles. Il devait être trois ou quatre heures du matin.
« Désolé de t’avoir réveillée, s’excusa-t-il, sa voix encore rauque. »
Elle secoua la tête. Après leur petite escapade dans les hauts quartiers, Alexandrie lui avait semblé être le genre de femme au caractère si fort qu’elle ne s’inquiétait de rien, où du moins, elle ne le montrait pas. Pourtant, à cet instant, ses yeux étaient ronds et elle ne semblait pas savoir que faire.
« Ça va ?
_Oui… Ce n’est rien. J’ai l’habitude.
_Tu as l’habitude de faire des cauchemars ?!
_Non ! Enfin…oui. Mais… Juste celui-là. »
Alexandrie s’assit en tailleur, le regardant avec les sourcils froncés. Il souhaitait ravaler ses paroles. Il était encore en panique et elles lui avaient échappées…
« Tu fais régulièrement le même cauchemar ? »
Ash hocha la tête. Il ne voulait rien dire, pourtant, son esprit se rebellait à l’idée de rester silencieux. Peut-être qu’en parler à quelqu’un d’extérieur l’aiderait, lui avait-on dit. Il avait toujours refusé, mais dans l’instant…
« Depuis combien de temps ? Et qu’est-ce que tu entends par « régulièrement » ?
_Je ne me souviens plus, admit-il en haussant les épaules. Des années…trop de temps… Je ne me rappelle plus de quand date le premier. Avant…avant l’adoption de Will, peut-être ?
_Et c’est toujours le même ?
Le jeune voleur baissa les yeux. Le rêve lui laissait du répit pendant quelques mois, une fois de temps en temps, mais revenait toujours, chaque fois plus réel.
« De quoi s’agit-il ? demanda-t-elle ensuite, posant une main rassurante sur son épaule. »
Il se mordit la lèvre, incertain. Il n’aimait pas en parler. On lui avait déjà posé beaucoup de question à ce sujet, quand il était enfant.
« Si tu ne veux pas me le dire, ce n’est pas grave, continua Alexandrie. Je me disais simplement qu’en parler t’aiderais à te sentir mieux. »
Elle allait penser qu’il était fou – et c’était peut-être vrai. Revoir ces images encore et encore sans connaître leur véritable sens… Il avait l’impression qu’il allait perdre la tête. Peut-être que c’était déjà le cas, et que c’était la raison pour laquelle il était sortit inchangé de son expérience avec Céleste.
Cependant, alors qu’elle le regardait avec une inquiétude sincère, il ne pouvait pas trouver la force de lui mentir. Pas encore.
« C’est à propos de mon frère… Will. Willow. Il y a quelqu’un qui me dit que je le reverrai…puis, je le vois. Il meurt. Pendu. Ensuite, il y a un incendie. La ville… Cette ville est en flamme. Je me retrouve au milieu et…et plus je fais ce rêve, plus les sensations deviennent précises. Même en me réveillant, j’ai l’impression d’avoir respiré de la fumée et des cendres. Avant, c’était juste des ombres…des silhouettes, des couleurs. Maintenant, je peux voir avec précision les marques de cordes, les corps brulés… »
Alexandrie s’approcha de lui et lui prit les mains.
« Tout va bien, d’accord ? C’est un rêve. Rien qu’un stupide rêve. Tu es rentré dans le Palais Royal et tu as volé la Pierre Céleste. Tu ne vas pas te laisser abattre par un stupide rêve, tout de même ! »
Ash acquiesça. Alexandrie avait raison. Ce n’était qu’un cauchemar. Un cauchemar qu’il faisait depuis plus de dix ans, mais ce n’était rien. Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter…n’est-ce pas ?
XXX
La salle du conseil était la deuxième pièce la plus grande du Palais Royal – la première étant la salle du trône. Ses murs de pierre étaient nus, n’offrant pas beaucoup de distractions aux pauvres âmes forcées d’y assister.
Une table rectangulaire se trouvait dans la salle. A sa tête s’asseyait le Roi, Sa Majesté Kennerian. A sa droite, l’Enchanteur Cambria. A sa gauche, le Chevalier Suprême, Sir Æl, semblait plus de mauvaise humeur que jamais. A côté de lui était assis Willow Archendall. Le jeune homme avait les yeux fixés sur le mur qui lui faisait face, comptant probablement les pierres pour passer le temps. Le reste de la table était pleine de conseiller et de membres de la cour.
Gabriel prit la place qui lui était réservée, à côté de l’Enchanteur. Dans sa diagonale se trouvait Æl. Leurs regards se croisèrent, et Gab fronça les sourcils. Il n’avait pas regardé Æl directement dans les yeux depuis longtemps, et il ne pensait pas que le chef des gardes le détestait autant.
Le conseil commença, et le Roi prit la parole. Gabriel leva les yeux au ciel et se mit à fixer le plafond. Ce n’était pas comme si ce qu’il se disait l’intéressait. De toute manière, il était là pour décorer, pas pour intervenir.
« Le gouvernement de Kerafor souhaitent entamer des négociations pour l’ouverture d’une nouvelle route commerciale qui traverserait le Royaume, commença l’un des conseillers. Nous avons reçu leur messager ce matin.
_Rejeté, répliqua catégoriquement le Kennerian.
_Votre Majesté, ils nous indiquent qu’ils ne peuvent pas se permettre de faire le tour pour atteindre Estebir. Ils devraient traverser trois autres pays par le sud. »
Gabriel fronça les sourcils, mais resta silencieux. Cela faisait des années que les frontières d’Ankara étaient fermées, et rien n’indiquait que le Roi allait les ouvrir un jour. C’était quelques choses que Gab ne comprenait pas. Ils n’avaient aucune idée de comment les autres pays avaient évolué. Ils ne savaient que le strict minimum des autres gouvernements…et c’était comme ça depuis une quinzaine d’années. Cela mettait les autres pays dans l’embarras, étant donné qu’Ankara se trouvait plus ou moins au centre du continent. Pourtant, Kennerian ne semblait pas voir l’avantage économique que représentait cette position. Ankara avait le potentiel de devenir une plaque tournante de l’économie continentale, mais…
« Qu’ils passent par le nord !
_Votre Majesté, répliqua le conseiller, blême. Vous savez très bien que passer par le nord est presqu’impossible… Traverser Forlane et Mercia…du moins ce qu’il en reste…
_J’ai dit que nous n’ouvrirons pas de route commerciale ! Renvoyez ce messager chez lui avec notre réponse.
_Bien, Votre Majesté. »
Le sujet était clos, et Gabriel retourna à la contemplation du plafond. Il se demandait souvent pourquoi il était là. Il ne pouvait rien dire, de toute façon. Kennerian parla de quelques sujets inintéressants, avant d’enchaîner sur quelque chose qui attira l’attention de son fils ;
« Ensuite, nous devrions parler de que qu’il s’est passé hier soir. Aucune annonce officielle n’a été lancée, de manière à ne pas alarmer la population.
_Pourquoi se préoccuperaient-ils d’une intrusion ? demanda Will.
_Parce que la Pierre Céleste a été volée. »
Un brouhaha s’éleva, et Gab se redressa, s’asseyant correctement sur sa chaise. Voilà qui était intéressant. Il se demandait justement quelles seraient leurs réactions en apprenant que leur Ô précieux trésor s’était fait volé juste sous leur nez.
Quand tout le monde se fut calmé, Sire Æl se leva, l’air grave.
« Le voleur est visiblement très doué en magie, dit-il. Il a pu manipuler les sortilèges de détections du sous-sol. Nous pensons qu’il est entré par la cours intérieure… D’après un des gardes, un sort de détection aurait été déclenché. Il me semble que votre apprenti était de garde dans cette zone, Cambria ? »
Cambria se renfrogna, ses yeux de couleur claire s’assombrissant.
« Etes-vous en train d’insinuer que mon élève ne fait pas son travail ?
_Je n’insinue rien du tout. J’étais simplement curieux de savoir s’il avait mentionné quelque chose.
_A cause de l’heure absolument ridicule de ce conseil, je n’ai pas eu le temps de le voir, rétorqua l’Enchanteur de la Cour. Mais il ne fait aucun doute qu’il me parlera de cela quand j’aurai l’occasion d’obtenir son rapport. En attendant, je peux vous assurer qu’Enaël est parfaitement honnête et que sa loyauté va à la famille royale, et personne d’autre.
_Cambria, Sire Æl a souhaité que ce conseil ait lieu si tôt à cause de la gravité de la situation. Personne n’accuse ton élève. Calme-toi. »
Cambria se détendit visiblement, mais le mouvement était forcé. Gabriel serra les dents. C’était exactement pourquoi il ne voulait pas qu’Enaël prête serment. Heureusement, ils n’avaient plus que trois jours à tenir avant leur départ.
« Avez-vous un suspect, Sire Æl ?
_Oui, répondit le Chevalier Suprême, et Gabriel se tendit. Nous pensons qu’il s’agit de Brockenwood…encore. »
Willow se tendit en entendant le nom, ses yeux bleus se plissant, avant de se poser sur son supérieur. Cette réaction augmenta les soupçons du prince quant à un lien entre Ash et le jeune écuyer.
« Rien jusqu’à présent ne nous avait fait penser qu’il pouvait pratiquer la magie, mais il cache probablement beaucoup de « talents ». De plus, quelqu’un lui ressemblant a été aperçu en ville. Ce qui nous intrigue, c’est la manière dont il a pu apprendre l’existence de la Pierre. Il savait qu’elle était là, alors qu’elle n’est qu’une légende, au mieux une rumeur. Il savait où la trouver, et comment la trouver. C’est pourquoi nous sommes absolument certain que Brockenwood a un contact à l’intérieur du Palais Royal. Un contact haut-placé. »
Son regard se posa encre une fois sur Cambria, et Gabriel sentit sa nervosité monter d’un cran. Æl soupçonnait-il Enaël parce qu’il n’était pas revenu après avoir été vérifier qu’il n’y avait pas d’intrus – ou tout simplement parce qu’il ne faisait pas confiance aux Enchanteurs en général ?
Fort heureusement, Kennerian ne prêta pas attention aux allusions de Sire Æl. Il ferma les yeux une seconde, avant de prendre une décision.
« Æl, je veux que tous vos efforts soient concentrés sur la capture de cet homme. Retrouvez la Pierre Céleste, par tous les moyens. Cette fois-ci, n’échouez pas. Vous savez ce qu’il pourrait vous en coûter. »
Le Roi était vraiment sérieux, compris Gabriel. Si Æl ne parvenait pas à arrêter Ash, il perdrait sa position. Le Chevalier Suprême donnait l’impression qu’il était prêt à commettre un meurtre, et Gab sentit une pointe d’inquiétude se montrer. Ash devait quitter la ville, voire le pays, car Æl ne reculerait devant rien pour lui mettre la main dessus.
C’était l’homme qui avait de grandes chances de devenir roi. Les lois d’Ankara indiquaient que si le Roi n’avait pas d’Héritier Désigné, le Chevalier Suprême devait prendre les rênes du pouvoir. Etant donné que Gab ne resterait pas assez longtemps pour atteindre son dix-neuvième anniversaire, et donc obtenir le titre d’Héritier Désigné, Æl était le prochain sur la liste… Et visiblement, il voulait conserver ses chances.
« J’ai bien l’intention de livrer cette petite ordure à la justice, Votre Majesté. Il est plus que temps que je m’occupe de son cas de manière…permanente. »
Ouaip. Ash avait intérêt à déguerpir aussi vite qu’il le pouvait.
XXX
La situation d’Enaël était bien moins difficile que celle de son amant…si on mettait de côté le fait qu’il devait maintenant trouver Ash.
Très bien. S’il était un voleur, où irait-il se planquer ?
Dans un endroit tranquille, où personne ne posait de question. Un endroit que les avis de recherche d’atteignaient pas. En somme, la partie la plus basse de la ville.
Enaël remonta son capuchon, empêchant quiconque de voir son visage. S’il était reconnu par un des gardes, il aurait beaucoup de problèmes – il n’était pas supposé sortir du Palais. Du moins pas temps que Gabriel n’était pas roi. Ils sortaient certes régulièrement, mais leurs petites escapades se faisaient de nuit, tard le soir, ou tôt le matin, jamais en plein jour.
Une fois dans la ville basse, il regarda autour de lui. Il n’était pas exactement familier avec les quartiers mal famés – Gab et lui ne descendaient généralement pas aussi bas. Il resserra sa cape, nerveux. Les regards qui le suivaient le mettaient mal à l’aise. Pourtant, il n’avait rien fait pour se faire remarquer…
Il se tendit quand une main se posa sur son épaule. D’un mouvement vif, il se retourna, leva la main, prêt à transformer peu importe qui c’était en cendre. On l’attrapa par le poignet, et il fut tiré dans une rue adjacente, celle-ci déserte. Il ouvrit la bouche, le sort sur le point de sortir.
« La ferme ! »
C’était une fille. Une femme, plus âgée que lui. Elle le regardait sévèrement, ses yeux marron lançant des éclairs.
« Est-ce que tu es dingue ?
_Quoi ?
_Je viens probablement de te sauver la vie, idiot ! »
Enaël la fixa bêtement, et elle secoua la tête avec exaspération, faisant voler sa longue tresse blonde. Puis, elle lui fit signe de le suivre, et le mena plus loin dans la rue. Sur le trottoir trainaient quatre ou cinq grosses boîtes en bois, un nom a demi-effacé peint sur les couvercles. Elle s’assit sur l’une d’entre elle, et l’invita à faire de même.
« Alors, qu’est-ce que quelqu’un comme toi fait dans le coin ?
_Quelqu’un comme moi ? répéta Enaël, pas sûr d’apprécier l’expression.
_Oui, dit-elle en levant les yeux au ciel. Tu viens des hauts quartiers – personne ici n’a de cape d’aussi bonne qualité. Les gens de la haute ne viennent jamais par ici. Ce qui me permet de te poser la question : qu’est-ce qui t’amène ? »
Il avait espéré ne pas attirer l’attention, mais c’était raté. Soupirant, il baissa sa capuche, surprenant son interlocutrice.
« Tu es un gamin, dit-elle.
_J’ai 17 ans, protesta Enaël.
_C’est bien ce que je disais. Tu es un gamin. Et pourquoi un gosse de riche comme toi nous honorerait-il de sa présence ? »
Enaël décida d’ignorer le sarcasme dégoulinant à travers les mots.
« Je chercher quelqu’un, admit-il. Plus grand que moi, mais un peu plus petit que toi. Cheveux bruns, yeux bleus. Environ 20 ans, je suppose.
_Et pourquoi tu le cherches ?
_J’ai quelque chose qui lui appartient, répondit simplement Enaël. Les détails ne te regardent pas. »
Elle plissa les yeux, l’étudiant du regard.
« C’est quoi, son nom ?
_Pourquoi tu veux le savoir ? »
Ils se défièrent du regard, jusqu’à ce qu’une troisième personne se joigne à la conversation. Il était arrivé de l’autre côté de la rue, et il s’était arrêté pour les regarder, un sourcil levé.
« Alexandrie ? interpella-t-il. Qu’est-ce que tu fais ? »
XXX
Ash et Alexandrie avaient décidé de ne plus reparler du cauchemar du jeune voleur. Une fois le soleil levé, ils étaient repartis dans les hauts quartiers pour une nouvelle séance de pick-pocketing, mais ils avaient dû rapidement partir. Il semblait qu’Ash était maintenant plus recherché que jamais.
Le hors-la-loi était allé déposer leur butin dans sa chambre à l’auberge. Il avait toujours la Pierre Céleste sur lui, et sa poche lui semblait mille fois plus lourde. Il n’avait pas pu se résoudre à la laisser sur la table de chevet.
Alexandrie et lui devaient se retrouver dans la rue derrière l’auberge. Elle voulait l’emmener voir quelqu’un. Cependant, elle avait refusé de lui dire qui, ou pourquoi, sous prétexte que si il le savait, il ne voudrait pas venir – ce qui, en soit, était une très bonne raison pour se taire.
Il la trouva à l’endroit prévu, mais ne s’attendait pas à la trouver en compagnie de quelqu’un d’autre. Fronçant les sourcils, il s’approcha. Elle regardait l’inconnu comme s’il avait fait la plus grosse bêtise de l’univers – ce qui n’était pas le regard qu’on voulait recevoir quand on avait une once de bon sens.
« Alexandrie ? Qu’est-ce que tu fais ? »
Elle se tourna vers lui, visiblement de mauvaise humeur, et Ash grimaça. Peu importe ce qu’avait le nouveau venu…
« Ce que je fais ? J’explique à ce gamin pourquoi il ne doit pas être là ! »
Ash se tourna vers le gamin en question, avant de se rendre compte qu’il le connaissait. Cheveux noirs, peau sombre, yeux verts…
« Enaël ? Qu’est-ce que…
_Ash ! Tu tombes bien ! Je te cherchais. »
Ash le regarda avec surprise. Qu’avait-il fait pour qu’Enaël vienne le chercher au fin-fond des bas quartiers de la capitale ? Peut-être qu’il voulait récupérer la Pierre, mais il aurait pu attendre la nuit. Il hocha pensivement la tête, avant de tourner les talons.
« Pas ici, dit-il. Viens.
_Attend un peu, s’écria Alexandrie. Tu le connais ? Comment
_On s’est rencontré hier soir, répondit Ash.
_Et tu ne m’en as pas parlé ?
_J’avais…d’autres choses en tête. »
Alexandrie soupira et grommela quelque chose à propos des hommes qu’Ash n’entendit pas. Ils retournèrent à l’auberge, qui leur semblait être le seul endroit où ils pouvaient parler en toute sécurité.
« Asgard ? »
Ash se tourna vers la personne qui l’avait interpellé par son faux nom. C’était Marina, une des collègues d’Alexandrie. Elle tenait une enveloppe, sur laquelle était griffonné son nom d’emprunt. La lettre était fermée par un cachet de cire et, dans le coin supérieur gauche était dessiné leur symbole. Il la prit en la remerciant, bien qu’intrigué. Il ne pensait pas recevoir du courrier ici. En lisant le nom de l’expéditeur, il soupira. Ce type savait toujours où le trouver, n’est-ce pas ?
Asgard – car il est probable que tu fasses usage de ce nom.
Tu sais très bien que je m’inquiète pour toi. Nous ne sommes pas liés par le sang, mais tu restes mon frère. Tu vas probablement te mettre en colère en lisant ces mots, mais crois-moi, je n’ai que tes intérêts à cœur.
Cette missive te trouve probablement déjà à la capitale. Je me désole de ne pas avoir pu te dissuader de te lancer dans cette quête. Mais je sais que même après toutes ces années, ton frère de sang reste pour toi la plus importante personne au monde.
Seulement, je te conjure de réfléchir à ce dont nous avons parlé avant ton départ. Je sais que la dernière fois que j’ai abordé le sujet, tu m’as claqué la porte au nez. Cependant, si tu es parti pour la capitale, c’est que tu accordes un minimum de crédit à mes théories.
J’ai entendu dire qu’il y avait beaucoup d’Enchanteurs à la capitale. Je t’en prie, parles à l’un d’entre eux, un qui soit capable de faire la différence – contrairement à nous autres Réguliers. Ces cauchemars récurrents sont inquiétants je pense toujours que voir un expert serait la meilleur chose à faire, ne serait-ce que pour nous rassurer. Hezmari ne cesse de grommeler parce qu’elle est persuadée d’avoir raison. J’avoue que, même si je déteste l’admettre, j’ai tendance à faire confiance à son jugement à ce sujet.
Je voudrais que tu suives ces conseils, et surtout, que tu restes en vie.
Ton frère,
Maureen.
Les doigts d’Ash se crispèrent sur le papier, alors qu’. Maureen était d’accord avec Hezmari, alors ? C’était n’importe quoi ! Ces cauchemars n’étaient rien de plus que des rêves ! Ils ne signifiaient rien, les inquiétudes de Maureen étaient on ne peu plus ridicules.
«Quel est le problème ?
_Rien, répondit Ash. »
Les yeux verts d’Enaël s’agrandirent quand ils se posèrent sur le seau se trouvant sur l’enveloppe.
« Tu es en contact avec Hydra ? souffla-t-il.
_Hydra ? demanda Alexandrie. Comme une hydre ? La créature dont les têtes repoussent en double quand on les tranche ?
_Oui, répondit le noir. C’est également le nom – et le symbole – du plus gros syndicat du crime d’Ankara. L’hydre…on pense que c’est pour dire que, dès qu’on en arrête un, il y en aura toujours d’autres pour prendre sa place et continuer. C’est un signe qu’on aura beau se battre, il y en aura toujours plus… »
Il se tourna vers Ash, soupçonneux.
« Comment les connais-tu ?
_ « Syndicat du crime » est un grand mot. Quand on dit qu’Hydra est partout, c’est vrai. Je fait partie de la branche qui s’occupe du crime – notamment parce que quand j’étais petit, j’étais assez doué pour ouvrir les portes, entrer là où je n’étais pas supposé entrer, des trucs comme ça. Mais on ne fait pas que ça.
_Qu’est-ce que vous faites d’autres ?
_Disons que, plutôt que syndicat du crime, un nom plus approprié serait « syndicat des petits boulots en tout genre ». Tant que ça rapporte de l’argent, c’est bon à prendre.
_Pourquoi vous avez besoin d’argent ?
_Je ne vais quand même pas raconter tout nos secrets ! Tout ça pour dire qu’Hydra n’est pas si terrible. Les types comme Æl détruisent simplement notre réputation en nous faisant passer pour de vulgaires criminels – il soupira quand ses compagnons le regardèrent avec un sourcil levé. C’est compliqué. Mais… »
Ash sourit doucement, les yeux dans le vague. Enaël et Alexandrie attendirent patiemment qu’il revienne parmi les vivants.
« C’est pas si terrible, termina-t-il finalement, parce que même s’ils ne posent pas de question, on est quand même entouré de personnes qui comprennent toutes les merdes que tu as pu avoir dans ta vie. Je suis un des quelques chanceux qui n’ont pas complètement tout perdu. Peu importe qui tu as été, d’où tu viens, tu seras toujours accepté. C’est…c’est une sorte de seconde chance.
_Vraiment ? demanda Enaël, et Ash fut surpris d’entendre une note d’intérêt dans sa voix.
_Oui, répondit-il en hochant la tête. Maureen, par exemple – ne vous laissez pas tromper, c’est un garçon. Il est plus vieux que moi de sept ans. Depuis mon premier jour, j’ai été son « précieux petit frère ». Il s’est calmé depuis, mais il est toujours un peu…protecteur ?
_Tu as un frère adoptif surprotecteur qui te laisse venir voler quelque chose qui a des chances de ne pas exister dans la ville où tu es le plus recherché ?
_Evidemment que non ! Il ne voulait pas que je vienne, mais j’ai ignoré son avis. Mais il m’a trouvé, et il m’a écrit – Ash agita le bout de papier dans sa direction. Et maintenant, il veut que je consulte. »
Les yeux d’Alexandrie passaient d’Ash à Enaël avec confusion. Depuis quand Ash faisait-il autant confiance à un gamin inconnu ? Il l’avait rencontré la veille, avait-il dit. Au Palais ? Mais que faisait un type du Palais Royal ici ?
« C’est bien joli, tout ça, dit-elle finalement en faisant un mouvement de menton en direction d’Enaël. Mais je ne sais toujours pas qui c’est.
_Je suis Enaël, répondit le noir. L’apprenti Enchanteur de la Cour. Et toi ?
_Alexandrie, une amie d’Ash. D’ailleurs, toi ! s’exclama-t-elle en pointant un doigt accusateur dans sa direction. Ne crois pas t’en sortir si facilement ! On va toujours voir le vieux Meredith, après cette conversation.
_Le vieux Meredith ? répéta Ash.
_Un vieil Enchanteur au bord de la mort. Moitié sourd, moitié aveugle, mais il connaît son sujet. En plus, il a pleins de bouquins. J’en ai lu une bonne partie, mais je ne suis pas une professionnelle. Et ne discute pas, Ash. On y va.
_Mais pourquoi ? »
Alexandrie lui jeta un regard sévère, et Ash eut un mouvement de recul.
« Parce que ce que tu m’as raconté ce matin n’est pas normal. Une minute, tu as dit que tu étais Enchanteur, pas vrai ? »
Enaël hocha la tête, et Alexandrie sourit.
« Voilà qui nous évite bien des soucis. Ash, raconte-lui.
_Non ! protesta Ash. Je n’ai pas envie de parler de…
_Si j’ai raison, t’es dans une merde plus grosse que tout ce que tu peux imaginer. Si j’ai tord…tu auras juste raconté un peu de ta vie à l’autre gamin. Ça ne te coûte rien.
_C’est hors de question.
_Ash. »
Mais Ash était déjà agacé par la lettre de Maureen – comment osait-il prendre le partie d’Hezmari ? Ces deux-là passaient leurs journées à se disputer ! Maintenant, Alexandrie essayait de pousser à en parler à un Enchanteur. Cela faisait naitre la flamme de la colère au fond de son estomac, et il serra les poings. Ses cauchemars étaient personnels. Ni Maureen, ni Hezmari n’étaient sensés être au courant – ils les avaient découvert par hasard – et encore moins Alexandrie et Enaël. Il s’était confié à la blonde dans un moment de faiblesse, mais on ne l’y reprendrait pas.
« Si tu ne lui dit pas, je le fais moi-même.
_Tu n’oserais pas !
_Vraiment ? »
Elle lui lançait un regard plein de défi, et Ash grinça des dents, ses yeux bleus lançant des éclairs. Pourtant, Alexandrie ne semblait pas affectée par sa colère.
« Ecoute, Alexandrie. Je n’aime pas du tout qu’on essaye de me contrôler, d’accord ? Crois-moi, tu n’es pas la seule à avoir eu l’idée que je pense que tu as eu. Le truc, c’est que ce ne sont pas tes affaires !
_Je m’inquiètes pour toi !
_Et je m’en fous ! J’en ai marre qu’on me prenne pour un dingue ! Je n’ai pas de pouvoir quelconque et ce ne sont que des rêves sans la moindre signification, tu as compris ?! »
Enaël fronça les sourcils. Un pouvoir ? Des rêves ? Qu’est-ce que cela pouvait bien pouvoir dire ? Un pouvoir lié au rêve ? Il se sentit pâlir, alors que ses mains se mettaient à trembler. Derrière lui, la vitre se craquelait, sa magie répondant à ses sentiments. Ce n’était pas bon signe. Pas du tout.
« Ash ? dit-il d’une voix blanche. Est-ce que…par hasard…tu ne ferais pas…des cauchemars étranges ?
_Il n’y a rien d’étrange avec mes cauchemars !
Si Alexandrie ne comprenait pas pourquoi Ash était autant sur la défensive au sujet de ses cauchemars, Enaël avait bien une idée. L’Enchanteur respira profondément. Il devait se calmer. Ash était déjà effrayé, inutile de paniquer. Ce n’était même pas sûr que ses rêves veuillent dire quoi que ce soit. Après tout, quelles étaient les chances ? En plus, il n’était pas là pour ça.
« Je ne suis pas venu pour parler de ce qu’il se passe dans la tête d’Ash, dit-il. Mais à propos d’autre chose. Ash, je ne me trompe pas si je présume que tu as un frère ? »
Le visage du voleur perdit le peu de couleur qui lui restait.
« Comment tu le sais ?
_Parce que Gab’ et moi venons de croiser ton sosie dans un couloir. Willow Archendall, l’écuyer de Sire Æl.
_La famille Archendall…ce sont ceux qui ont adopté Will quand j’avais huit ans, acquiesça Ash. Une seconde ! Tu as dit qu’il était ici ?!
_Oui.
_J’ai volé la Pierre Céleste pour rien alors… Mais qu’importe ! Qu’est-ce qu’on attend ? Il faut que je le voie !
_Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, tenta Enaël. On est en plein jour, et la disparition de la Pierre Céleste doit avoir été remarquée.
_Et alors ! Il faut absolument que je sois sûr qu’il aille bien.
_Il allait bien ce matin, et ça n’a certainement pas changé.
_Il faut que je m’en assure moi-même, contra Ash. Je…je veux le voir de mes propres yeux. »
Il avait baissé les yeux, mais Enaël pouvait voir qu’ils étaient assombris par l’inquiétude. Bien entendu, il n’avait, pour le moment, aucun moyen de savoir, que chaque fois qu’Ash fermait les yeux, même pour quelques secondes, il revoyait le rougeoiement des flammes et les yeux vides et mort de son frère.
7: Méfiance
Tale of Ankara
{7: Méfiance}
« Gabriel, nous avons déjà discuté de ça.
_Non, répliqua le roux. Vous avez mis un terme à la conversation avant même qu’elle puisse débuter. »
Kennerian leva les yeux au ciel. Pourquoi son fils devait-il être une telle tête de mule ?
« Peut-être, mais cela devrait être suffisant pour toi.
_Ça ne l’est pas ! Je veux des réponses. Pourquoi ne pas ouvrir les frontières ? Avez-vous si peur de ce qu’il se trouve à l’extérieur ? Pourquoi ne pas me laisser sortir du Palais ? Comment…
_Je te l’ai dit des millions de fois ! J’essaye de te protéger !
_Me protéger de quoi ? Si vous ne me dites rien…
_Tu n’as pas à le savoir !
_Cela a un rapport avec la manière dont elle est morte, c’est ça ? Qu’est-ce qu’il lui est vraiment arrivé ? Vous ne me dites jamais rien à son sujet !
_Sa mort était un accident !
_Je sais que c’est un mensonge ! Si c’était un simple accident, pourquoi ne pas m’en parler ? J’ai le droit de savoir ! Elle était ma sœur !
_Et elle était aussi ma fille !
_Comme si ça vous touchait ! Je sais que vous n’en avez rien à faire de nous. Pour vous, on était juste des Héritiers potentiels et rien d’autre, pas vrai ? Si vous ne m’aimez pas, vous n’avez pas à faire semblant devant moi.
_Bien sûr, que je t’aime ! Tu es…
_...Votre fils, oui, mais seulement par le sang. Vous vous appelez mon père, mais les seules longues conversations que nous ayons eues étaient des disputes. Vous ne m’avez pas élevé, vous ne m’avez rien enseigné. La seule chose qui nous lie est notre sang. »
Le ton de Gabriel était froid, d’une manière que Kennerian n’avait encore jamais entendue. Normalement, à ce stade de la conversation, son fils serait encore en train de lui crier dessus. Kennerian aurait fait de même, et ils se seraient séparés. Mais aujourd’hui était différent, et le Roi n’avait pas la moindre idée de pourquoi.
« Regarde, dit-il. Un jour, tu seras Roi, et ce sera à toi de…
_Oh, je vais faire un Roi formidable si je n’ai pas la moindre idée de comment régner, ironisa le roux. »
Ce devait être un manque de confiance en lui, réalisa Kennerian. Gabriel avait simplement peur de ne pas être à la hauteur.
« C’est quelque chose qui ne peut être enseigné. Je sais que je n’ai pas à m’inquiéter. Avec toi, Æl et l’apprenti de Cambria, le Royaume sera entre de bonnes mains. »
A ce point, Gabriel hésitait entre frapper son père en plein visage ou quitter la pièce sans un mot de plus. Il serra les points, tentant de rester calme. Kennerian n’avait rien compris. Après toutes ses années, il n’avait toujours pas compris que Gabriel n’en voulait pas, de son Royaume. Kennerian se fichait pas mal de sa famille, la seule chose qu’il aimait était son trône.
« Quoi qu’il en soit, continua Kennerian, considérant le sujet clos. La semaine prochaine, tu seras couronné. J’espère que tu travailles sur ton discours. Sais-tu si Cambria a parlé à son apprenti de…
_Oui, coupa sèchement Gabriel.
_Bien. Maintenant, file. J’ai d’autres choses à faire. »
Il n’avait pas terminé sa phrase que la porte avait claquée. Une fois sortit, Gabriel jeta un regard à l’horloge. Huit minutes. C’était un nouveau record.
Il se dirigea vers ses appartements, décidés de ne plus adresser la parole à son père. Plus jamais. Il avait moins de quatre jours à tenir et après, Enaël et lui seraient loin d’ici. Le plus loin possible. Il ne savait pas encore comment ils allaient se débrouiller – comment ils allaient quitter le pays – mais ils réussiraient. Ils ne resteraient pas plus longtemps que nécessaire dans ce château.
Il se laissa tomber sur son lit, son regard se posant sur le portrait sur son mur – le seul portrait qu’on pouvait trouver ici, d’ailleurs. Il sourit doucement, se rappelant les jours où rester enfermé le dérangeait beaucoup moins. Le visage joyeux d’une jeune fille aux longs cheveux roux lui rendit son sourire. Ses bras entouraient les épaules d’un Gabriel encore jeune, qui n’avait alors que douze ans. Et, à côté de lui, Enaël avait l’air plus timide que jamais – c’était l’époque où être proche de la famille royale l’intimidait encore.
Elle aurait eu 24 ans, si elle était encore en vie. Mais elle était morte deux ans après la réalisation de la peinture. C’était la seule chose que Gabriel savait à ce sujet – Kennerian refusait d’en parler.
Sa vision se brouilla et il pressa ses mains contre ses yeux, essayant d’empêcher les larmes de couler. Ce n’était pas à ça qu’il devait réfléchir.
Willow et Ash, se rappela-t-il. Il fallait qu’il reste concentré sur eux. Willow et Ash. S’ils étaient vraiment frères, si c’était pour lui qu’Ash était là… Gabriel ferait tout pour les réunir.
Personne ne méritait qu’on lui arrache sa famille.
XXX
« Salut. »
Ash tourna la tête et sourit à Céleste.
« Ça va ? »
Elle hésita un instant, puis hocha la tête. Elle s’assit sur le bord du rempart, juste à côté d’Ash.
« Je ne suis jamais venu ici, admit Ash.
_Vraiment ?
_Vraiment. Alors, pourquoi est-ce que je suis là ? Tu m’as dit que cet endroit était créé à partir de souvenirs. Si ce ne sont pas les miens… »
Il lui jeta un regard éloquent, mais elle se contenta de hausser les épaules et de regarder la ville en contrebas. Elle avait sincèrement cru que les souvenirs qu’elle avait utilisés étaient ceux d’Ash – à qui d’autre pouvaient-ils appartenir ?
« Bon, ce n’est pas pour ça que je suis là, finit par dire Ash. Tu as dit que tu voulais parler à quelqu’un. Le problème, c’est que si tu ne me donnes pas de nom, je ne peux pas savoir qui c’est.
_Je t’ai dit que tu le connaissais.
_Je connais un paquet de gens, tu sais, répliqua-t-il en se frottant machinalement l’omoplate, où se trouvait le tatouage d’Hydra. Alors ? Un nom ? Une description ? »
Elle ne répondit pas.
« Ecoute, je ne peux pas t’aider si tu ne me dis rien au sujet de cette personne. Je comprends que ce soit personnel, mais pour le moment, je suis ton seul lien vers le monde extérieur. Et je sais garder un secret – en général.
_C’est pour ça que tu étais prêt à dénoncer tes deux amis au Chevalier Suprême ?
_Ça n’a rien à voir. Tu m’avais fait croire qu’ils m’avaient trahi alors, évidemment, je fais pareil. Œil pour œil, dent pour dent, comme on dit. Mais ce n’est pas le sujet. »
Il la regarda avec insistance, mais fronça les sourcils quand ses yeux se voilèrent. Il posa une mains sur son épaule, inquiet. Céleste renifla, et s’essuya les yeux, mais Ash avait pu voir les larmes qu’elle essayait de cacher.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il plus doucement.
_C’est ça le problème, dit-elle. Je ne sais rien à son sujet. Je ne me souviens plus…son nom, son visage. Rien. Je sais juste qu’il fait partie des personnes que tu as rencontrées récemment, parce que…parce que quand j’ai regardé tes souvenirs – désolée pour ça, d’ailleurs – j’ai sentit…une sorte de familiarité. Il y a une personne dans tes souvenirs récents, qui sait qui je suis.
_Alexandrie, Gabriel, Enaël, lista Ash. Ça réduit déjà le champ des possibilités. Tu ne te souviens vraiment de rien ? Même pas un petit détail ?
_Non, répondit-elle en secouant la tête. Je me souviens de mon nom et…c’est tout. Je n’ai pas la moindre idée de ce que je fais là… Je… »
Elle était terrifiée, réalisa Ash. Sur l’instant, il ne réfléchit pas, et la serra contre lui.
« Je trouverai, lui promit-il. Je trouverai qui tu es, et qui est la personne que tu cherches. Tu verras, un jour, tu récupéreras tes souvenirs. Tu sauras pourquoi tu es là, et si tu as une famille. Je te le jure. »
Ce n’était peut-être pas la meilleure idée que de promettre une telle chose – il ne savait pas si c’était une promesse qu’il pouvait tenir – mais avec le réseaux d’Hydra, trouver une fille rousse appelée Céleste ne devrait pas être trop compliquée, n’est-ce pas ?
Céleste lui lança un sourire brillant.
« Merci.
_Ce n’est rien. Par contre, il va falloir que j’y retourne… Tu es la seule à pouvoir me faire sortir. »
Elle hocha la tête. Puis, elle se mordit la lèvre, pensive. Soudain, sans prévenir, elle se pencha vers lui et l’embrassa sur la joue. Ash sentit la chaleur lui monter au visage et, avant qu’il puisse réagir, elle claqua des doigts. Ash sentit le sommeil engourdir ses membres, et ses yeux se fermèrent tous seuls.
Il se réveilla sur son lit. Avec un grognement ensommeillé, il se redressa et bailla.
« Tu es tout rouge, Ash.
_Bonjour à toi aussi, Enaël. »
Le noir leva les yeux au ciel. Il était assis sur le rebord de la fenêtre, alors qu’Alexandrie était installée sur le lit.
« Alors, c’est comme ça que ça marche ? dit-elle. Tu la tournes dans ta main, et tu t’endors. Qu’est-ce que tu as vu ? Pourquoi tu es tout rouge ?
_J’ai rencontré une fille, expliqua Ash, effleurant l’endroit où elle l’avait embrassé du bout des doigts.
_Ho ho ! fit Enaël avait un sourire narquois. Une fille ? Tu veux dire que la Pierre te donnes des visions du présent, mais dans un autre lieu ? Elle est comment ? C’est quoi son nom ? Pour que tu sois si rouge, tu dois l’aimer vraiment, vraiment, beaucoup. Non ? »
Ash fusilla l’Enchanteur du regard.
« Elle est plutôt grande, et a à peu près mon âge, répondit-il finalement. Elle a les cheveux longs, et roux, les yeux verts, et des tâches de rousseurs. Les deux fois où je l’ai vue…
_Deux fois ?
_Je l’ai rencontré quand j’ai utilisé la Pierre pour la première fois. Elle portait une robe verte et dorée. Elle est amnésique – elle ne se souvient que de son nom et elle cherche quelqu’un que j’aurai rencontré à la capitale. »
Le sourire d’Enaël semblait s’être effacé à mesure que la description avançait.
« Quand je lui ai promis que je l’aiderai, elle m’a embrassé sur la joue, c’est tout. Elle s’appelle…
_Céleste, compléta Enaël sans pouvoir s’en empêcher.
_Comment tu le sais ? »
Il regretta immédiatement d’avoir posé la question. A la confirmation implicite, Enaël baissa les yeux, et Ash avait l’impression d’avoir frappé un point sensible. Puis, l’Enchanteur sauta sur ses pieds.
« Changement de plan. On retourne au Palais maintenant.
_En plein jour ? T’es malade ! Je ne laisse pas Ash y retourner avant cette nuit !
_Le meilleur moyen pour que Céleste se souvienne de qui elle est, c’est de la faire parler avec Gabriel, répliqua Enaël. Et Gab a quelques questions pour elle, lui aussi. »
Il attrapa Ash par le poignet et le tira vers la porte. A mi-chemin, il s’arrêta et se retourna vers le voleur.
« Une seconde. »
Il posa deux doigts sur le front du plus âgé, marmonna quelques mots, et Ash sentit un picotement parcourir son corps. La mâchoire d’Alexandrie se décrocha, et Ash se frotta les mains, essayant de chasser la sensation désagréable. Il se figea. Sa peau avait foncé pour être un ou deux teintes plus sombre que celle d’Enaël. Quand il se tourna vers le miroir, il ne vit aucun changement. Pourtant, ses cheveux étaient plus foncés, plus courts et ordonnés, et ses yeux s’approchaient plus du turquoise que de leur bleu ciel habituel. Il avait pris quelques centimètres et la forme de son visage ressemblait à celle d’Enaël.
« Tu es Caleus, mon cousin, expliqua Enaël. Tu viens de la campagne, et tu es venu me visiter parce que ma mère t’y a forcé. Elle est âgée et ne peut pas voyager, donc elle t’a envoyé. Je n’ai parlé de toi a personne parce qu’en général, on ne s’entend pas. D’accord ? »
Ash hocha la tête et Enaël reprit sa marche. Le voleur le suivit, tout en se demandant pourquoi l’Enchanteur était si pressé, et perturbé par Céleste. Mais, s’ils allaient parler de Céleste…non-seulement il pourrait tenir la promesse faite à la jeune fille, mais en plus, il pourrait voir Will.
XXX
« Archendall !
_Oui, Sire ? »
Sire Æl regarda son apprenti avec sévérité. Ce n’était qu’un gamin, et on parlait déjà de lui comme prochain Chevalier Suprême. Æl avait d’ailleurs un avis assez partagé à ce sujet. Willow Archendall était talentueux, il n’y avait aucun doute, mais s’il devenait Chevalier Suprême, cela signifiait que lui, Æl, ne l’était plus.
Et Æl aimait bien sa place de Chevalier Suprême. Techniquement, il préfèrerait être Roi, mais sauf si le Prince Gabriel passait l’arme à gauche, il avait peu de chance d’obtenir cette position. Quoi qu’il pouvait toujours trouver un moyen de discréditer Gabriel. Æl savait tout de ses différents avec Kennerian, et il savait également qu’ils avaient commencé après la mort de sa sœur.
Et il y avait l’autre gamin, aussi. L’apprenti de l’Enchanteur. Son nom était…Enaël, c’est bien ça ? Le garçon était louche. Vraiment. Le garde armé avait témoigné : Enaël avait quitté son poste, n’était pas revenu, et peu après il y avait eu une intrusion au sous-sol par quelqu’un connaissant le Palais comme sa poche et sachant manipuler les sorts de détection à la perfection.
Le problème, c’était que Cambria semblait faire confiance à son élève plus qu’à n’importe qui. Æl l’avait souvent écouté parler de l’adolescent. Cambria avait énormément d’estime pour son élève, qui était comme son propre petit-fils, et il était persuadé qu’Enaël ne ferait jamais quoi que ce soit qui puisse nuire au Royaume. D’après lui, la chose la plus importante pour Enaël était le Royaume et rien d’autre.
C’était exactement ce qu’Æl trouvait suspect.
Une telle loyauté était improbable. Tout le monde aimait quelque chose, ou quelqu’un, plus que son professeur, que son employeur ou que son travail. Surtout pour un adolescent de dix-sept ans.
Cela le menait à interpeller son écuyer.
« Il faut garder un œil sur l’apprenti de Cambria, dit-il. Et sur son Altesse, aussi.
_Je croyais que vous souhaitiez que je vous aide avec Ash Brockenwood ? »
Les gens en général étaient des imbéciles et Æl pensait souvent que, heureusement, il n’était pas « les gens en général ». Et il n’était aveugle, non-plus. Quelque chose dans l’affaire Brockenwood empêchait Archendall de travailler correctement, et cela avait un lien avec la ressemblance frappante qu’avaient les deux hommes. Personne n’avait jamais rien remarqué, alors que c’était juste sous leur nez.
« Je m’en occuperai moi-même. J’en ai assez de faire confiance à des incapables qui échouent constamment. Brockenwood sera arrêté et exécuté, comme le criminel qu’il est. »
Il observa avec intérêt le visage de son écuyer perdre un peu de couleur et ses mains se crisper sur le document qu’il tenait. Cela ne dura qu’une seconde, avant qu’un masque se pose, modifiant ses traits pour lui donner une expression parfaitement sereine.
« Je vous souhaite bonne chance, Sire. »
Æl acquiesça, et envoya Archendall faire ce qu’il avait à faire. Puis, il convoqua un autre soldat. Il faisait partie du service de renseignement du royaume. C’était un grand homme – presqu’aussi grand que Æl lui-même – aux courts cheveux blonds.
Maintenant, confirmer les soupçons.
« Je veux que vous gardiez un œil sur Archendall, et ce, dans la plus grande discrétion. Ne posez pas de questions. Et envoyez-moi votre équipier, je pense que je vais également avoir besoin de lui. »
L’homme hocha la tête et, moins de dix minutes plus tard, un petit homme à la coupe en brosse entra à son tour.
« Trouvez-moi les origines de Willow Archendall. Je veux savoir d’où il vient. »
XXX
Willow déposa les documents sur le bureau et quitta la pièce, l’ordre de Sire Æl résonnant encore dans ses oreilles. Garder un œil sur Sire Enaël. Il se revit parler avec le garçon le matin même, la manière dont il lui avait fait comprendre de le laisser seul avec Son Altesse Gabriel après l’avoir regardé comme s’il avait vu un fantôme.
Sire Enaël devait avoir rencontré Ash, pour avoir l’air si surpris en voyant son visage. Will avait parfaitement conscience qu’il ressemblait à son frère, et si Sire Enaël l’avait remarqué, qui d’autre ? Son Altesse Gabriel, probablement – ils étaient toujours fourrés ensemble. Sire Æl ? Serrait-ce la raison pour laquelle il ne voulait pas qu’il travaille sur l’affaire Brockenwood ?
Rien que la pensée d’Ash lui retournait l’estomac de culpabilité. Il ne l’avait pas vu depuis douze ans. Il avait toujours affirmé aimer son petit frère mais, dans ce cas, pourquoi l’avoir abandonné au moment où il avait le plus besoin de lui ?
La réponse était simple.
Il avait été un lâche.
Il avait été terrifié à l’idée des responsabilités qui venaient avec s’occuper lui-même de son frère. Il avait eu peur de ne pas être à la hauteur et il avait fuit – rien que cela était la preuve qu’il n’aurait pu qu’échouer à l’élever. Et, à sa grande honte, il avait été terrifié par Ash.
Ça avait commencé quand Ash avait cinq ans. La première fois que son cadet s’était glissé avec lui dans son lit, les yeux écarquillés et pleins de larmes, lui racontant une histoire à propos de leurs parents, il avait été à moitié endormi et n’y avait pas vraiment prêté attention.
Mais ça avait recommencé. Le lendemain, la nuit suivante, la nuit d’après, la nuit encore après… Pendant des semaines, des mois, Ash venait le voir en pleine nuit après un cauchemar. Le même cauchemar, à chaque fois, lui montrant le décès de leurs parents.
Après environ un an de ce manège – heureusement, les cauchemars s’arrêtaient une fois de temps en temps, la présence de Will semblant parfois les repousser, mais ils revenaient toujours en force – leurs parents étaient morts.
De la manière exacte, au détail près, montrée dans les cauchemars de son frère.
C’était dingue, il le savait. C’était sensé être impossible. Pourtant, Ash lui avait décrit son cauchemar tellement de fois et avec tellement de précisions que Will savait que le rêve et la réalité avaient été identiques.
Bien sûr, il s’était promis de toujours s’occuper de son petit frère et ce n’était pas une coïncidence – ce devait être une coïncidence – qui allait l’en empêcher. Du mois, c’est ce qu’il avait cru.
Sauf que sa résolution s’était effondrée quand les cauchemars avaient recommencé. D’après Ash, ils étaient plus flous, mais il y avait une histoire de feu. Quelque chose brûlait et quelqu’un était mort et, pour la première fois, la proximité de Will n’aidait pas, bien au contraire. Il semblait faire empirer les choses.
Il ne lui avait pas fallu longtemps pour paniquer et accepter la proposition d’adoption de la famille Archendall. Il avait dix ans, il n’était pas prêt pour…ça.
Après quelques années, il avait essayé de le recontacter, mais il avait tout simplement disparu. Il ne restait pas la moindre trace de lui. Puis, le nom d’Ash Brockenwood avait commencé à être murmuré dans les villes et les villages. Au début, ça n’était que des rumeurs et, avant que Will n’ait réalisé ce qu’il se passait, Ash était l’homme le plus recherché du pays.
Tout ça parce que lui, Willow, avait eu peur.
Il ferma les yeux et respira profondément. Il se demanda s’il était encore possible de se faire pardonner. Non, décida-t-il immédiatement. Il ne le méritait pas. Il ne méritait pas qu’Ash lui pardonne. Il ne le ferait pas, de toute manière. Ash devait le détester, aujourd’hui.
« Je suis désolé, Ash. Je suis tellement désolé… »
8: Folie
Tale of Ankara
C'est le dernier chapitre écrit pour le moment!
{8 : Folie}
Ash suivit Enaël vers le château. Il se sentait étrange, avec sa nouvelle apparence. Il n’était pas…lui. Non, il ne devait pas être lui-même. Tant qu’il avait ce déguisement, il n’était pas Ash, il était Caleus. Il devait éviter les surfaces réflectives, étant donné que cette apparence était une illusion, pas un véritable changement physique.
« Le cousin Caleus… Il existe, ou tu viens de l’inventer ?
_Oh, il existe… Malheureusement pour moi.
_Il n’y pas des gens qui le connaissent, ici ?
_Maitre Cambria l’a rencontré plusieurs fois, donc tu auras du mal à le tromper si on le croise… C’est tout, il me semble.
_Il va falloir que tu me dises tout ce que tu peux sur lui, alors. Je vais devoir le jouer correctement…
_Caleus a 23 ans. Sa mère travaille dans les champs, et son père est forgeron. Il a trois frères et deux sœurs : Kafey, Leon, Ellewan, Kali et Léore. Aucun d’entre eux ne m’apprécie beaucoup, parce que je suis né hors-mariage. Ma mère était une servante ici, qui est tombé amoureuse d’un chevalier étranger. Le type en a profité et me voilà. Depuis, le chevalier en question est partit et ma mère est retournée dans son village natal – ou vit sa sœur, ma tante, son mari et mes cousins – dont Caleus. Il aide son père dans la forge et y connaît beaucoup en arme ; il est d’ailleurs supposé en hériter. Ses frères et sœurs aident leur mère, mais je sais que Leon est en apprentissage chez le menuisier. Quant à Ellewan, il voudrait profiter de ma place à la cour pour devenir chevalier.
_Un chevalier étranger ? Les frontières sont fermées…
_Elles ont été ouvertes il y a un peu plus de quinze ans, pendant deux ou trois ans. Je suis né à cette période. D’après ce que j’ai compris, il y avait une sorte de…de guerre, sur tout le continent, qui a demandé une collaboration entre tous les pays. Personne n’en sait beaucoup à ce sujet… Ceux qui sont au courant de ce qu’il s’est passé disent que c’est à cause de cette guerre que le roi à décider de garder les frontières fermées. Peut-être qu’elle ressemblait à la Guerre des Deux Peuples…
_Il s’agit de la guerre civile entre les Enchanteurs et les Réguliers, n’est-ce pas ? Elle s’est soldée par un accord entre les deux partis, leurs accordants les mêmes droits. Aujourd’hui, pratiquants de magie et non-pratiquants sont en paix. Du moins, c’est ce que racontent les livres d’histoire.
_Je t’expliquerai tout ça plus tard, lorsque nous aurons rejoins Gabriel. »
Ash acquiesça et se mit à réfléchir sur la signification des explications d’Enaël. Hydra n’avait que peu d’informations sur la guerre ayant eu lieu lors de l’ouverture des frontières, et encore moins sur la véritable issue de la guerre civile. Ils s’étaient toujours douté que les livres ne disaient pas toute la vérité – ce n’était jamais le cas.
Il évita de justesse quelqu’un qui manqua de lui rentrer dedans, et regarda autour de lui pour s’assurer que ça ne se reproduirait pas. Il s’arrêta brusquement, apercevant son reflet dans la vitre d’une maison.
Sauf que ce n’était pas vraiment son reflet.
Techniquement, c’était lui. Ash, pas Caleus. Sauf que son reflet était pâle, effrayé et épuisé. Il avait des traces de saleté sur le visage et, derrière lui, d’immenses flammes s’élevaient vers le ciel. Il n’y avait ni son, ni odeur, mais Ash pouvait presque les entendre et les sentir.
Des hurlements.. Le crépitement du feu. Le bruit métallique des gardes en armures et les cris d’Enchanteurs lançant leurs sorts. L’odeur de corps et de matériaux calcinés. Celle du sang, de la peur, de la mort.
« Caleus ! Cal ! Ash. »
On l’avait attrapé par les épaules et on le secouait pour le ramener à la réalité. Le dernier nom avait été chuchoté, son interlocuteur s’était rapproché de lui. Qui était-ce, déjà ? Ah oui, il se trouvait avec…
« Enaël ? »
Il leva la tête. C’était bien Enaël. Depuis quand est-ce que l’adolescent était plus grand que lui ? Oh… Il était tombé. Il pouvait sentir les paumes de ses mains le lancer, probablement parce qu’il s’était inconsciemment rattrapé sur elles.
« Ça va ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
_Je… »
Il ne savait pas. Jamais encore il n’avait vu ce genre de chose en étant éveillé. Sauf si tout ce qui lui était arrivé depuis le début n’était qu’un immense rêve… Non, ça ne pouvait pas être ça. Mais, dans ce cas, pourquoi est-ce que les cris ne s’arrêtaient pas ?
« Je…je crois que je deviens fou… »
Enaël l’aida à se relever. Il était de plus en plus inquiet. Les rêves, la manière dont il agissait…c’était exactement comme elle. Ils devaient se dépêcher de se rendre au château pour tirer cette histoire au clair. Gabriel aurait peut-être plus d’idées, et rencontrer et questionner directement Willow semblait être une solution envisageable.
Il accéléra le pas, entraînant Ash, encore blême, à sa suite. Il n’y avait presque aucun doute. Céleste et Ash…ils étaient, dans un sens, les mêmes. Il jeta un œil par-dessus son épaule. Le voleur gardait ses yeux baissés, parfois sur le sol, ses pieds, parfois se concentrant sur le dos d’Enaël, et surtout, il évitait de regarder sur les côtés. C’était assez pour qu’Enaël sache qu’Ash avait bien vu quelque chose.
Il essayait de se rappeler ce que Céleste leur avait dit, dès années auparavant.
« Ce n’était pas très clair, mais il y avait un homme. Il me regardait comme si…comme si je venais de confirmer ses pires craintes. »
C’était très vague, mais si Ash avait rencontré Céleste, qu’est-ce qui l’aurait empêchée de voir cette rencontre ? Et, de toute manière, comment Ash et Céleste s’étaient-ils rencontrés ? D’après Ash, c’était quand il avait utilisé la pierre – comment avait-il pu voir quelqu’un qu’il n’avait jamais rencontré jusqu’à présent ? Quelqu’un qui était mort depuis des années ?
Ils se glissèrent dans le passage secret qu’Enaël avait emprunté pour sortir, et ré-émergèrent dans le château. Là, ils ralentirent le pas, essayant d’avoir l’air le plus naturel possible. L’expression d’Enaël devint maussade, et Ash prit soin de regarder tout, sauf son « cousin », entrant ainsi dans le rôle de deux parents qui ne s’appréciaient pas.
Ils montèrent dans les étages, Enaël décrivant les lieux à mesure qu’ils avançaient d’un ton peu enthousiaste. Ash fit mine de ne pas être intéressé, mais il retenait autant d’informations que possible sur l’intérieur du château. Cela pourrait être pratique, un de ces jours.
Il ne pouvait tout de même pas empêcher une certaine nervosité s’apparaître chaque fois qu’il croisait quelqu’un. Il avait l’impression que n’importe qui pouvait surgir du coin d’un couloir et voir à travers l’illusion, ou remarquer que son reflet ne correspondait pas à son apparence.
Après ce qu’il lui paru être une éternité, ils s’arrêtèrent devant une porte au quatrième étage. Sans même frapper, Enaël tourna la poignée et entra, invitant Ash à le suivre.
Il comprit rapidement qu’il s’agissait des appartements de Gabriel. Enaël lui expliqua que, pour ce qui était de la décoration, le prince avait catégoriquement refusé toutes les couleurs tape à l’œil qu’on avait pu lui proposé.
Les murs étaient peints d’un blanc cassé qui rendait la pièce plutôt lumineuse. En contraste, tous les meubles et le parquet étaient en bois marron foncé. Le reste – les rideaux, les draps, le tapis poilu sur le sol, etc. – était un vert rappelant à Ash les forêts qu’on trouvait à l’écart des grandes villes.
« Fait attention où tu marches, lui dit Enaël. Il y a toujours des papiers partout sur le sol. »
Il baissa les yeux et s’arrêta alors qu’il allait poser son pied sur une feuille. Il prit bien soin de regarder où il les mettait.
Le sol, le bureau, la table nuit, les chaises…il y avait des feuilles de papiers empilées de partout. Il se pencha pour en ramasser une.
« Je ne savais pas que Gabriel était un artiste. »
Les traits de crayons étaient maladroits, le prince avait quelques problèmes avec les mises en trois dimensions et il semblait se frustrer facilement – à en juger par la manière dont le papier était froissé à certains endroits à cause d’usage intensif de gomme – mais Ash aimait bien son style. Celui qu’il avait à la main représentait une chaine de montagne avec, dans le coin, un soleil dessiné de manière enfantine – avec un visage souriant. Il y avait des sapins qui semblaient être bougés par le vent et…est-ce que c’était des vaches ?
« On n’a pas le droit de sortir, mais on peut toujours imaginer ce qu’il y a à l’extérieur, répondit simplement Enaël en haussant les épaules. En plus, c’est amusant… Regarde. »
Il attrapa le dessin et le fixa intensément pendant une seconde.
« Vivia. »
L’image s’anima. Sur le papier, les sapins bougèrent, perdant quelques piques à cause du vent. Les vaches – c’était bien des vaches – se déplacèrent sur le flanc des montagnes en broutant de l’herbe. Le sourire joyeux du soleil devint de plus en plus ensommeillé au fur et à mesure qu’il se couchait et il fut bientôt remplacé par une lune, elle aussi souriante.
« Tu…donnes vie aux dessins ?
_Techniquement, j’utilise la magie pour prendre le contrôle des résidus de plomb, expliqua l’Enchanteur. Ensuite, je les réorganise pour donner l’impression d’un mouvement. Bien sûr, il y a des limites. Il faut que je sache exactement quel type de crayon et de papier il a utilisé…mais Gab’ utilise toujours les mêmes, alors quand ce sont les dessins, ça ne pose pas de problème. Ça demande aussi un grand contrôle sur sa magie, c’est pour ça que les professeurs utilisent ce sort comme exercice.
_Tu imagines toutes les contrefaçons que tu peux faire avec ça ?
_Pas un vulgaire criminel, hein ? rit Enaël, faisant rougir Ash.
_Déformation professionnelle, se justifia-t-il, un peu embarrassé.
_Pour répondre à ta question, faire une contrefaçon requerrait le même type de toile et de peinture, et de connaître les instrument ainsi que la quantité précise de peinture utilisés sur l’original…donc, c’est quasi impossible. »
Enaël ne comprenait pas vraiment pourquoi Ash était si fasciné par un dessin animé, mais il n’eut pas le cœur à le refuser quand le voleur lui tendit un autre papier. Il ne put s’empêcher de sourire en voyant Ash observer avec de grands yeux le dragon volant sur la page. Bientôt, tous les dessins qu’ils avaient pu trouver étaient animés.
« Je m’absente vingt minutes et, quand je reviens, vous vous amusez comme des enfants dans ma chambre ? »
Ils sursautèrent, et les dessins s’immobilisèrent. Gabriel se tenait dans l’encadrement de la porte, avec un sourcil levé et un sourire amusé. Il portait un sac en papier contenant visiblement de quoi manger – il devait revenir des cuisines.
« Enaël, je ne savais pas que tu ramenais, euuh… »
Il fit un vague mouvement en direction d’Ash, et les deux jeunes hommes réalisèrent que l’illusion était encore en place. D’un claquement de doigt, Enaël l’annula, et Ash fit un petit signe de la main au prince. Celui-ci posa son sac de victuailles sur la petite table à côté de la porte, et le lui rendit.
« Content de te revoir, Ash, salua le roux en se penchant pour ramasser quelques feuilles.
_Pareil, répondit le voleur. »
Ce fut à ce moment-là qu’il remarqua le portrait. Sur la toile, il pouvait facilement reconnaître Gabriel et Enaël. La jeune femme qui se trouvait avec eux…elle était encore une adolescente, probablement pas plus de 17 ans, mais il n’y avait pas d’erreur possible.
« C’est…
_Je sais, répliqua l’Enchanteur avec un sourire triste. Crois-moi, je sais. »
Gabriel empila les dessins qu’il avait récupérés sur le bureau, avant de se tourner vers ses deux camarades.
« C’est ma sœur, dit-il en voyant qu’Ash n’avait pas quitté le portrait dans yeux. Céleste. Elle est morte quand j’avais 14 ans.
_Elle est…morte ? Mais… »
Ash était sans voix. Céleste était morte depuis bientôt cinq ans. Pourtant, il lui avait parlé ! Est-ce que c’était pour cela qu’elle ne se souvenait de rien ? La personne qui la connaissait…c’était Gabriel ?
Sa main se glissa dans sa poche et il en sortit la pierre. C’était étonnant qu’un si petit caillou puisse avoir autant de pouvoir.
« Ça lui appartenait, tu sais, continua Gab. Ce qu’on appelle aujourd’hui la « Pierre Céleste ».
_Le nom doit bien venir de quelque part, j’imagine.
_C’était une sorte de talisman enchanté, expliqua-t-il. C’était sensé l’aider avec ses cauchemars… »
Cela interpella Ash. Des cauchemars ? Etaient-ils normaux ou…comme les siens ? Il trouvait cela ironique, l’objet qui avait été créé pour repousser les frayeurs avait donné encore plus de vie aux siennes.
« Gab’, il y a quelque chose dont on voudrait parler, interrompit Enaël. C’est…délicat. »
Fronçant les sourcils, Gabriel leur fit signe de s’asseoir et bientôt, les trois jeunes hommes étaient installés sur son lit. Ash avait posé la pierre sur les draps. Le prince semblait inquiété par l’expression sérieuse d’Enaël.
« Que se passe-t-il ? »
L’Enchanteur hésita, mais Ash décida d’aller droit au but.
« J’ai parlé à Céleste, annonça-t-il. Ce matin, en fait. »
Le visage de Gabriel se vida de toute expression. Ash n’avait pas voulu être aussi direct, mais il valait mieux le dire rapidement, comme on enlève un pansement, parce que le prince risquait de mal le prendre.
Le poing de Gabriel heurta son visage de manière plus violente qu’il l’avait anticipé, lui faisant presque perdre l’équilibre. Une vive douleur se fit sentir au niveau de sa mâchoire et une goutte de sang perla quand il se mordit accidentellement la lèvre. Il l’essuya, puis massa le bleu naissant avec une grimace.
« Si c’est pour dire ça que…
_Gab’ !
_Tu ne peux pas sérieusement le croire !
_Laisse-le terminer !! »
Il les regarda à tour de rôle, les yeux assombris par la colère, puis croisa les bras et attendit. Il n’était pas plus calme, mais il était silencieux. Ash mit quelques secondes à se reprendre.
« Ok, je crois que ce n’est pas sortit de la manière dont je le voulais, admit-il. Pour mieux me faire comprendre… J’ai utilisé la Pierre et ça m’a plongé dans une sorte de…de sommeil, tu te souviens ? »
Gabriel acquiesça, se demandant ce que cela avait à avoir avec Céleste.
« C’est à ce moment-là que…quand je me suis « réveillé », je m’étais fait attrapé et j’étais en prison, parce que vous étiez allé chercher Æl. »
L’expression absolument offensée que les deux autres hommes montrèrent à l’idée rassura Ash au plus haut point. Parce que même s’il savait qu’ils ne l’avaient pas fait, il y avait toujours cette inquiétude qu’ils pouvaient le faire.
« On ne ferait jamais ça, protesta Enaël. S’il te plait, dis-moi que tu n’y a pas cru ! »
Ash eut un sourire contrit et se dépêcha de continuer.
« Quoi qu’il en soit, c’est là que je l’ai rencontré la première fois. Elle m’a dit qu’elle s’appelait Céleste, et c’est le portrait craché de la fille sur ton mur, même si ma Céleste a quelques années de plus. Elle m’a dit que ce que je voyais était créé à partir de morceaux de souvenirs mis en scène. C’est pour ça que beaucoup de gens perdent la tête. Elle use de nos propres souvenirs pour créer quelque chose qu’il est presque impossible de discerner de la réalité et qui, je suppose, doit te mener à la mort.
_Comment tu as fait pour t’en sortir ?
_J’ai réalisé qu’il y avait un problème quand des évènements ont été modifiés… J’étais absolument certain que j’avais dit à Æl ce que vous faisiez dans les couloirs au milieu de la nuit, mais ce qu’il se passait laissait croire que j’avais tenu ma langue.
_Tu lui as dit ? fit Gabriel, l’air vexé.
_Je pensais que vous m’aviez balancé, donc je ne voyais aucun mal à faire de même. Bref, Céleste est apparue, on a discuté, et elle m’a renvoyé chez les vivants après m’avoir dit qu’elle voulait parler à quelqu’un, sans me donner de nom évidemment, ce serait trop simple. »
Il s’interrompit une seconde, laissant les informations se graver dans leurs esprits.
« J’y suis retourné pour en savoir plus, tu étais là, Enaël. Finalement, elle avait une bonne raison de ne pas me donner de nom… continua-t-il. Elle ne s’en souvient pas. »
Un lourd silence accueilli sa dernière déclaration. Gabriel le regardait avec une incrédulité qu’il ne prenait même pas la peine de masquer.
« Comment ça, elle ne s’en souvient pas ?
_C’est ce qu’elle m’a dit. Elle a dit que tout ce qu’elle savait, c’était comment elle s’appelait. Que ça faisait des années qu’elle cherchait quelqu’un qu’elle connaissait. Je…je pense que c’est toi, Gab. Si c’est vraiment ta sœur…je pense que c’est toi qu’elle cherche. Tu dois avoir les réponses à ses questions. »
A sa grande surprise, Gabriel secoua vivement la tête.
« Je ne sais pas grand-chose, admit-il. Je ne sais même pas comment elle est morte… Le Roi, Kennerian, refuse de me dire la vérité à ce sujet. Il dit que c’est pour me protéger, mais je suis sûr que c’est un mensonge – comme le caractère supposé accidentel de sa mort. »
Il planta ses yeux dans ceux d’Ash, comme le mettant au défi de nier ce qu’il allait dire.
« Je pense qu’il essaye de protéger quelqu’un d’autre, et qu’elle a été tuée, dit-il. Et pas le meurtre habituel des héritiers du trône pour déstabiliser le Royaume. Elle a été assassinée parce qu’elle…savait…beaucoup de choses. »
Encore une fois, Ash se demanda si « savait des choses » était un synonyme de « voir des choses étranges dans ses rêves et parfois dans la réalité ».
« Elle était Voyante, asséna brutalement l’Enchanteur.
_Enaël ! réprimanda le prince. Ne dit pas…
_Et je pense que tu l’es aussi, Ash, termina-t-il sans se soucier de son amant.
_Non ! »
Le soudain emportement d’Ash les fit presque sursauter. Le voleur s’en rendit compte, rougit, et baissa les yeux.
« Je ne suis pas Voyant, d’accord ? murmura-t-il avec une expression qui les suppliait de lui dire que non, ce n’était pas vrai, il ne voyait pas le futur dans ses rêves. »
Mais ils ne pouvaient rien dire parce qu’ils ne savaient pas vraiment.
« Qu’est-ce qui te fait dire qu’Ash est Voyant ? demanda finalement Gab.
_Il a mentionné des cauchemars étranges, et sur le chemin… Il a fait comme Céleste dans la dernière année. On marchait juste et il s’est figé…il fixait une vitre, comme s’il voyait quelque chose d’autre que son reflet et ça l’a vraiment secoué… »
Gabriel ferma les yeux et respira profondément. Alors d’abord Céleste, et maintenant Ash ?
« C’est exactement comme elle, acquiesça-t-il. Je suis désolé, Ash, mais…
_Vous ne comprenez pas ! Je ne peux pas être Voyant. »
Enaël se souvint de son visage terrifié alors qu’il parlait de ses cauchemars, et réalisa qu’Ash avait parfaitement conscience que ceux-ci n’étaient pas normaux. Il refusait simplement d’y croire, espérant que s’il l’ignorait assez longtemps, cette possibilité disparaîtrait.
« Ash…qu’est-ce que tu vois ? demanda doucement Gabriel.
_Je ne vois rien du tout ! siffla Ash en appuyant sur ces trois derniers mots. Et je ne suis certainement pas dingue !
_On n’a jamais dit ça, rétorqua Gab’. Ecoute, ma sœur avait la Vue, elle aussi et je sais que tu n’es pas dingue.
_Mais si je suis pas cinglé pourquoi est-ce qu’ils ne la ferment pas ?!! »
Il avait essayé de les ignorer, vraiment. Il les avait repoussé au plus profond de son esprit, parce qu’il devait parler à Gab’, parce qu’il avait promis à Céleste qu’il trouverait qui elle était. Mais il ne pouvait pas les faire taire. Les hurlements de personnes brûlant vives et le crépitement des flammes. Ils ne s’arrêtaient plus et lui donnaient l’impression qu’il allait perdre la tête.
« Calme-toi, tenta Gabriel, n’ayant aucune idée de comment réagir. Tout va bien se passer, ok ? Qui que tu entendes…on va trouver un moyen de les faire taire… »
Il se tourna vers Enaël, qui avait l’air aussi perdu que lui. Il n’y avait qu’une personne qui en savait beaucoup sur la Vue, et c’était la dernière personne à qui le prince voulait parler.
« Kennerian en sait plus que nous à ce sujet. Un de ses enfants avait la Vue, il a dû faire des recherches.
_Tu veux lui dire ?
_Céleste est morte à cause de ça, et maintenant c’est en train de faire…quelque chose à Ash. Je vais bien sûr omettre les détails compromettant, mais on ne peut pas le laisser comme ça. »
Enaël hocha la tête et Gabriel se leva.
« Peut-être…proposa l’Enchanteur. Peut-être que si tu croises Willow, tu pourrais lui dire de venir ? »
Gabriel allait acquiescer, mais une forte protestation d’Ash l’interrompit dans son geste.
« Non, pas Will. Surtout pas Will. Je vais être obligé de lui dire et je ne veux surtout pas qu’il le sache. S’il vous plait, n’amenez pas Will ! »
Gabriel ne se rappelait pas que quelque chose comme ça soit arrivé à Céleste. Mais pourquoi Ash était-il comme ça ?
Il quitta la chambre, le visage marqué par l’inquiétude
XXX
« Sire Æl ? »
Æl leva la tête de sa paperasse – le pire ennemi d’un dirigeant, cette chose – pour voir l’homme à la coupe en brosse qu’il avait envoyé plus tôt.
« Qu’y a-t-il ?
_J’ai les informations que vous m’avez demandées…
_Déjà ? Je ne vous les ai demandé que ce matin.
_Il ne fallait pas chercher bien loin… J’ai demandé à la famille Archendall.. Je leur ai dit que c’était une vérification rapide des antécédents des membres importants de l’armée. D’après eux, ils ont adopté Sire Archendall il y a une douzaine d’années, dans un orphelinat près de Lamy. C’est un petit village dans l’est, je doute que vous connaissiez. Ils avaient une maison de campagne dans cette région, qu’ils ont vendu il y a dix ans…bref. J’ai pu voir les papiers de l’adoption, Sire. Ça ne va pas vous plaire. »
Si Æl avait voulu entendre quelque chose qui lui ferait plaisir, il n’aurait pas demandé une vérification sur Archendall. Il se doutait que tout n’était pas net dans son histoire, et c’était exactement ce qu’il voulait entendre.
« Alors ?
_Le nom de naissance de Sire Archendall est Brockenwood, Sire. Et apparemment, il avait un jeune frère – les Archendall s’en souviennent. Ash, Sire. Ash Brockenwood. »
XXX
Alexandrie savait qu’Ash n’approuverait pas, mais ce voleur était une véritable tête de mule qui ne savait pas ce qui était bon pour lui. Elle décida donc qu’elle devait aller voir le vieux Meredith.
Le « vieux Meredith », comme elle l’avait dit, était très vieux, à moitié sourd et à moitié aveugle. Il n’avait pas l’air de grand-chose, mais peu de personnes savaient qui il était vraiment.
Il était le tout premier Enchanteur de la Cour, l’ami du premier roi – le grand-père du prince actuel.
« Salut vieil homme, lança-t-elle en entrant chez lui. »
Elle connaissait Meredith depuis qu’elle était une petite fille, mais elle avait refusé de le laisser l’aider quand elle avait eu des difficultés – ses parents avaient voulu un garçon qui puisse entrer à l’école de chevalerie. Et, de toute façon, malgré une profession des plus douteuse et un portefeuille souvent vide, Alexandrie était en général heureuse.
« Ali ? C’est toi ?
_Oui, répondit-elle avec un sourire. C’est moi. »
Elle se tourna vers lui. Il la cherchait de ses yeux aveuglés par la cataracte, et elle posa une main sur son épaule pour lui signaler sa présence.
« Comment vas-tu, Ali ? »
Le nom « Alexandrie » était un peu long pour l’homme en fin de vie, et il avait donc commencé à l’appeler « Ali ». Cela ne la gênait pas vraiment.
« Très bien, et vous ?
_Comme les vieux, répondit-il avec un rire. »
Alexandrie s’approcha de la cuisinière et mit à chauffer de l’eau. Elle en aurait besoin pour faire le thé – elle était plus café que thé, mais elle préférait ne pas donner ce genre de boisson forte au vieux Meredith.
« Est-ce que vous pouvez me raconter une histoire ?
_Bien sûr, laquelle veux-tu entendre ?
_Celle sur les Voyants, demanda-t-elle. »
Meredith resta pensif un instant, si bien qu’elle cru qu’il s’était endormi. Puis, il poussa un profond soupir.
« Les Voyants… Personne ne sait vraiment d’où vient leur pouvoir. Il n’y à pas beaucoup que je puisse te dire à leur sujet.
_Même peu de connaissances seraient les bienvenues…
_Je me souviens… Il y a de nombreuses années… Kennerian est venu me trouver avec la même question. Sa Majesté était très inquiète pour sa fille, Lady Céleste. Elle faisait des cauchemars, la pauvre petite. Elle voyait des choses…qui n’étaient pas encore arrivées. Je lui ai dit que oui, elle était une Voyante. C’était vrai. Je lui en ai dit plus, mais il ne m’a pas cru. Il pensait qu’elle était assez forte. »
Il s’arrêta encore. Alexandrie se mordit la lèvre, ne sachant pas si elle devait interrompre les réflexions du vieil homme.
« Qu’est-elle devenue ? Lady Céleste ? demanda-t-elle finalement.
_Elle est décédée il y a cinq ans, répondit Meredith. »
Alexandrie sentit une grande inquiétude monter en elle. Décédée ? De quoi ? Etait-ce pour ça qu’Enaël avait l’air si sombre en entendant ce nom dans la bouche d’Ash ?
« Quel dommage, finit-elle dire. Elle devait être très jeune.
_Dix-neuf ans, acquiesça Meredith. Très jeune, en effet. Mais si tu veux mon avis, Ali… »
Il tourna la tête vers elle, ses yeux réussissant à trouver les siens malgré sa cécité presque complète.
« C’est bien mieux pour elle. »
XXX
Je mettrai la suite dès que possible - dès que je l'aurai écrite! J'espère que vous aimez l'histoire…
A plus!
9: VéritésTale of Ankara
La vérité, c'est que le temps que je poste les huit premiers chapitres, le neuvième était fini et posté sur fictionpress. Donc, le voilà. C'est vraiment tout pour le moment, cette fois…
{9 : Vérités}
« Tu les entends toujours ? »
Ash hocha la tête, et Enaël fit de son mieux pour repousser la colère qui menaçait de s’échapper – par une suite d’injures qu’une personne de son rang ne devrait pas connaître. La Vue, un pouvoir que certaines personnes osaient appeler un don, avait pris une personne qu’il considérait comme sa sœur et menaçait maintenant de faire de même avec un de ses amis.
« Parle-moi d’Hydra, demanda-t-il, espérant lui changer les idées.
_On essaye d’aider les gens, dit Ash. Dans ce Royaume, il y a des personnes qui…qui ont beaucoup perdu. En échange, ils nous aident à leur tour.
_Comment cela ? Pourquoi ? Qu’est-ce que vous avez à y gagner ?
_Parce que tout le monde a le droit de vivre, Enaël. C’est aussi simple que ça. Il y en a qui le font par repentance, d’autres parce que…eh bien, parce qu’ils préfèrent agir plutôt que rester à ne rien faire. Il n’y a jamais eu un grand taux de criminalité en Ankara, est-ce que tu sais pourquoi ? »
Enaël réfléchit. Maintenant qu’il le mentionnait… Il devait y avoir deux criminels vraiment recherchés dans le Royaume – l’un d’entre eux étant Ash lui-même.
« Nos membres sont souvent d’anciens criminels, expliqua Ash. En général, ils forment la division de criminalité. Donc, forcément, ils commettent encore des meurtres, des vols, et j’en passe contre de l’argent. Si nous sommes deux connus de l’armée, c’est pour une bonne raison.
_Laquelle ?
_On attire votre attention, répondit Ash avec un sourire malicieux. Je n’ai pas fait la moitié des choses dont on m’accuse, et la plupart du temps, j’ai des complices qui m’aident à échapper aux autorités. Dans cinq ans, je disparaitrai et je serai oublié. Un autre prendra ma place. Pendant que vous vous concentrez sur nous, les autres font leur travail sans trop de risque. »
Les yeux d’Enaël s’agrandirent de surprise. De toutes les explications possibles, il n’avait jamais imaginé…Ash était un bouc émissaire. C’était son rôle, son travail, et la raison pour laquelle Æl en avait après lui tout particulièrement… Æl ne savait pas cela, et la manière dont Ash lui échappait constamment semblait renforcer l’idée qu’il était vraiment celui qu’il fallait attraper.
« Je vais être de corvée de paperasse pendant un paquet de temps, pour t’avoir raconté tout ça.
_Tu ne m’as pas expliqué pourquoi vous aviez besoin de l’argent…
_Pour organiser des passages à l’étranger. Il y en a pour qui rester dans ce Royaume est insupportable, dans ce cas, on prend on charge le paiement des passeurs. En échange, ils travaillent pour nous.
_A l’étranger ? Hydra s’étend au delà des frontières d’Ankara ?
_Oui. Ceux que nous avons fait sortir d’Ankara nous sont redevables.
_Comment vous assurez-vous de cela ? Qu’est-ce qui vous fait croire qu’ils n’iront pas voir le premier soldat qu’ils croiseront pour leur parler de vous ?
_Les contrats magiques sont puissants, tu devrais le savoir. Je ne sais pas grand-chose de la magie, mais je sais que les contrats et les serments sont impossibles à violer. »
A la mention du serment, Enaël baissa la tête, pensant à celui qui liait les Enchanteurs de la Cours aux membres de la famille royale. Celui que son maitre Cambria avait prêté, ainsi que son propre maitre avant lui. Celui que Gabriel souhaitait à tout prix empêcher.
« Est-ce que tu as déjà été à l’extérieur du Royaume ?
_Non, répondit le voleur. Mais j’ai entendu des histoires. Une des plus courantes est celle du Continent. On dit que neuf peuples sont venus de contrées par-delà les océans – des lieux qui n’existent plus aujourd’hui – et ont découpé le Continent en neuf pays. C’est pourquoi chaque pays à sa propre culture, son propre langage – il y a des sorts pour les apprendre – et certains disent que même la magie est différente. Chaque Royaume, chaque Empire est un nouveau monde. J’ai entendu dire que quelque part, ils utilisaient des runes, ailleurs, ils utilisent leur sang. Dans un autre lieu encore, la source de leur pouvoir est l’énergie naturelle, celle de la terre. Il y a autant de types de magie que de pays…non, que de peuples. »
La manière dont parlait Ash donnait à Enaël l’envie d’aller voir de lui même – et c’était probablement le but. Ash était-il en train d’essayer de le recruter pour Hydra ?
« Je croyais qu’il n’y avait que sept pays, demanda-t-il finalement. »
Ash se redressa et se passa la main dans les cheveux, l’air soudainement fatigué.
« Ce que je vais te dire fait partie des Archives d’Hydra, ok ? Personne dans ce pays ne sait beaucoup de chose dessus, mais les informateurs à l’étranger nous ont envoyé quelques informations.
_Et donc ?
_Au départ, il y avait neuf pays : Ankara, évidemment. Kerafor, Shamao, Aoia, Eredian, Tomaïr, Estebir, Forlane et Mercia. Forlane et Mercia étaient séparés par des montagnes, habitées par les dragons, et les forêts de Tomaïr abritent les Elfes des Bois. Jusque là, tu me suis ? »
Quand Enaël acquiesça, Ash reprit ses explications.
« Il y a une vingtaine d’années, un peu plus, peut-être, Forlane et Mercia sont entrés en guerre. Il y a eut…un gros souci avec les dragons. Ils ont commencé par refuser de se joindre aux combats, jusqu’à ce que les Dragonlords – les frères humains des dragons – soient capturés par Mercia dans l’espoir gagner le contrôle sur eux. Ça n’a pas marché. D’après ce que j’ai compris, les dragons se sont mis dans une colère terrible, et ont tout simplement rasé Mercia. En moins d’un an, le pays était en cendre et sa population…je pense que tu peux deviner.
_Je crois, oui, répondit Enaël en frissonnant. Je savais que Mercia était un désert, mais Forlane…
_Dans leur fureur, les dragons se seraient retournés contre Forlane et le pays a subit le même sort que Mercia. Cela signifie que deux peuples, deux cultures, deux magies, deux langages, ont été complètement détruits dans la colère d’une espèce. Les autres gouvernements ont décidé de prendre les choses en main avant que les sept pays restant soient des victimes de la colère des dragons. C’est là que les frontières d’Ankara ont été ouvertes – c’était un problème continental et Ankara est l’un des Royaumes les plus proches de Forlane et Mercia.
_Qu’est-ce qu’ils ont fait ? demanda Enaël, bien qu’il avait le sentiment de déjà connaître la réponse.
_Ils ont été éradiqués. Les dragons, je veux dire. Les sept pays restants se seraient alliés pour supprimer tous les dragons et les Dragonlords.
_Un génocide, murmura Enaël. L’armée dont je fais partie a activement participé à un génocide. »
Certes, ceux qui avaient été éliminés avaient détruits deux pays dans leur intégralité, mais pour éradiquer absolument tous les dragons et tous les Dragonlords… ils avaient dû être poursuivis, traqués, et systématique tués.
Il ferma les yeux, profondément perturbé par cette information. Quand les frontières avaient été ouvertes…il y a dix-sept ans. Cambria était déjà Enchanteur de la Cour. Il avait dû mal à croire qu’il ait pu participer à quelque chose comme ça.
« C’est bien pire que la Guerre des Deux Peuples.
_Je t’ai dit ce que je savais sur la guerre et Hydra. A toi de me parler de la guerre des Deux Peuples.
_On ne sait pas exactement quand elle a commencé. C’était une guerre civile pour essayer de trouver une…un équilibre entre Enchanteurs et Réguliers. Le rapport de force ne cessait de s’inverser. Pendant dix ans, les Enchanteurs étaient des esclaves puis ça changeait, ils étaient la royauté. Chaque parti se battait pour ses droits sans tenir compte de ceux de l’autre, et cela a provoqué un immense désordre. Aucun gouvernement ne tenait la route, constamment renversé par un camp ou par l’autre. Une tyrannie en remplaçant une autre. Puis un jour, le grand-père de Gabriel est devenu ami avec un Enchanteur, Meredith. Ils ont travaillé ensemble pour unir les deux camps et sont parvenus à un accord. Le grand-père de Gabriel est devenu Roi, et Meredith Enchanteur de la Cour – en gros, c’est à lui qu’obéissent les Enchanteurs. Un équilibre s’est installé et, aujourd’hui, il n’y a plus de problème. Du moins, c’est la version officielle.
_Et la vraie version ?
_Puisque tu l’as mentionné, j’imagine que tu sais ce qu’est un serment magique ? »
Ash acquiesça.
« L’Enchanteur doit jurer obéissance, protection et loyauté avec un serment magique. Ce qui signifie qu’il ne peut pas désobéir au Roi. C’est physiquement impossible.
_Quelque soit l’ordre ?
_Le Roi nous demande de mourir, on meurt. Il nous demande de tuer quelqu’un, on tue quelqu’un. On a beau se dire qu’on ne veut pas le faire, on le fait quand même parce qu’on n’a pas le choix. »
Ash avait l’air absolument horrifié parce qu’il venait d’entendre. C’était donc ainsi que la paix entre Enchanteurs et Réguliers était conservée…en faisant de l’Enchanteur de la Cour un esclave. Les magiciens obéissaient à l’Enchanteur de la Cour, qui était aux ordres du Roi, qui avait donc le contrôle sur la population magique du pays. Pas étonnant que le secret du fonctionnement du gouvernement était si bien gardé.
« Et personne n’a jamais rien dit ?
_Si ça se savait, répliqua Enaël, ce serait le début d’une nouvelle guerre civile. Ceux qui sont au courant ne sont pas prêts à risquer la paix pour cela.
_...Et tu l’as fait ? Le serment ?
_Non, pas encore. Chaque Enchanteur est attribué à un Roi ou une Reine – parce que le serment ne nous lie qu’à une seule personne. Le jour où Gabriel aura dix-neuf ans, il sera couronné Héritier officiel du trône. C’est le jour où je dois prêter serment. Puis, quand Kennerian abdiquera, ou mourra, Gabriel deviendra Roi. Cambria prendra sa retraite et je prendrai la place d’Enchanteur de la Cour, ainsi que, plus tard, un apprenti.
_Ça veut dire que tu as été formé pour servir Gabriel ? »
Enaël secoua la tête, et Ash leva un sourcil. Ne venait-il pas de dire que chaque héritier avant « son » Enchanteur ?
« Jusqu’à il y a cinq ans, Céleste était l’Héritière, c’était elle que je devais protéger.
_Mais…
_J’étais supposé la protéger, et elle est morte trois jours avant ses dix-neuf ans. J’avais douze ans, c’est pour ça que personne n’a osé dire que c’était de ma faute et que je n’avais pas fait mon travail. En plus, Gabriel frappait tous ceux qui le sous-entendaient. Mon devoir a été transféré à lui, le nouvel Héritier, et notre relation est soudainement devenue…difficile. Elle s’est dégradée. Je n’aimais pas du tout l’idée de remplacer Céleste par Gabriel. Je suppose que Gabriel avait l’impression qu’on lui refilait le vieux jouet de sa sœur. Mais quand il a vu que j’étais aussi affecté que lui par la mort de Céleste, on s’est…réconcilié ? Il n’y a pas d’autre mot.
_Depuis combien de temps toi et Gabriel êtes…vous savez…
_Trois ans, répondit simplement Enaël. Et on n’a pas l’intention de se séparer. Dans quelques jours, Gab’ va avoir dix-neuf ans. Nous ne serons pas là pour les fêter. On s’en va.
_C’est pour ça que tu es si intéressé par Hydra ?
_Ouais… Tu as dit qu’Hydra ne faisait pas attention à qui on était avant. Personne n’en aurait quoi que ce soit à faire que nous soyons le prince et l’enchanteur.
_Je suis sûr que ça ne devrait pas être un problème. »
Il sourit doucement, et Ash attrapa les dessins qui trainaient sur le bureau pour les parcourir. Enaël semblait être plongé dans une profonde réflexion.
« Ash ?
_Oui ?
_Quand tu as vu Céleste…est-ce qu’elle t’a dit quelque chose…que tu n’avais pas envie d’entendre ? »
Le voleur resta silencieux un instant, avant de soupirer.
« Oui, admit-il. Pourquoi ?
_Avant qu’elle ne meure, Céleste avait une vision récurrente, expliqua le noir. Je ne me souviens pas exactement de ce dont il s’agissait, mais elle disait qu’elle voyait un homme, qui la regardait comme si elle avait dit quelque chose qu’il ne voulait pas entendre.
_Elle…elle a dit que je reverrai Will, tu sais ?
_Tu ne devrais pas en être heureux ?
_La manière dont elle l’a dit était la même que dans mon rêve. Même voix, même expression, même ton… Ça m’a fait peur parce que… »
Il hésita. Il ne connaissait pas Enaël si bien que ça. Mais d’un autre côté, maintenant qu’il en était là… Enaël lui avait parlé de son passé et de ses projets, et c’était seulement juste qu’Ash lui accorde la même confiance.
« Je vois Will mourir alors, si quelque chose se passait comme dans mon rêve, ce serait une sorte de confirmation de cet événement. Je voulais que cette fois, ce ne soit pas vrai. Juste un cauchemar qui ait été augmenté, multiplié par ma propre peur. »
Cette fois… Ce n’était donc pas la première fois qu’il avait des visions. Le cœur du noir se serra. Céleste n’avait jamais eu de réaction aussi violente qu’Ash, mais ses visions n’avaient jamais de caractère si personnel. Ash était assez malchanceux pour voir le futur de quelqu’un qui lui était proche.
XXX
« Gabriel… soupira Kennerian quand la porte se referma derrière son fils. »
Il posa la plume avec laquelle il allait signer un document – un noble d’une région du pays qui avait été invité à l’anniversaire et au couronnement de Gabriel – et leva les yeux vers le roux. Il se sentait partagé entre la fierté et la tristesse. Fierté parce que son fils était presque un adulte, et tristesse parce que malgré tous ses efforts, il ne parvenait jamais à comprendre comment il pensait.
Il sentit un élan de nervosité quand son fils le regarda à son tour – les yeux de sa mère, se dit-il, comme à chaque fois qu’il le voyait. Gabriel avait les sourcils froncés, mais n’était pas en colère.
« Ecoutez, commença-t-il en s’asseyant. »
Son ton inquiéta le Roi. Gabriel était calme, posé, réfléchit, et il ne lui avait encore jamais parlé de cette manière – pas depuis la mort de Céleste.
« Vous allez me dire que nous avons eu cette conversation il y a moins de deux heures, continua le prince. Mais j’ai besoin de savoir.
_Gabriel, répéta Kennerian, je… »
Son fils leva la main, l’interrompant et Kennerian fut frappé par la manière dont il bougeait. Il avait tous les airs du prince qu’il était – du Roi qu’il était sensé devenir.
« Laissez-moi finir. Jusqu’à il y a peu, j’estimais avoir le droit de savoir parce que Céleste était ma sœur. Mais la situation a changé. Je sais que ce n’était pas un accident. Elle a été poussée du haut des remparts, n’est-ce pas ? Parce qu’elle était Voyante ? Je sais que vous connaissez la vérité, et je voulais juste le confirmer avant d’entrer dans le vif du sujet. »
Jamais il n’avait abordé le sujet d’une manière aussi calme – presque solennel. Il s’était fait la remarque que quelque chose avait changé deux heures plus tôt. Maintenant, c’était encore plus évident.
« Je te l’ai déjà dit cent fois…
_Kennerian…Votre Majesté…Père. »
Gabriel ne l’appelait plus Père depuis des années, entendre ce mot prononcé presque comme une imploration lui brisa le cœur. Mais s’il apprenait la vérité…il redoutait de connaître sa réaction.
« Il ne s’agit plus seulement d’une affaire de famille. J’ai rencontré quelqu’un…
_Comment ? Tu es sortit du Palais ? Je t’avais dit de rester à l’intérieur !
_Il est comme elle ! »
Le ton était monté, et sans même que les deux hommes le réalise, Gabriel devait de nouveau crier pour se faire entendre. L’argument du Prince coupa toute protestation qu’allait émettre Kennerian.
« Tu veux dire qu’il est…
_Voyant, oui, confirma Gabriel. Je veux en savoir plus sur la Vue. Non seulement parce que c’est ce qui a tué Céleste, mais aussi parce que je ne veux pas qu’il lui arrive la même chose.
_Du moment que ce n’est pas toi… »
L’expression entre choc et indignation sur le visage de son fils lui indiqua qu’il venait, en effet, de laisser échapper cette phrase. Kennerian s’inquiéta. La personne dont sont fils parlait pouvait-elle être…
« Qui est cette personne ?
_J’ai juré de garder le silence sur son identité.
_Gabriel…est-ce que c’est… Est-ce que c’est toi qui a des visions ? »
C’était sa plus grande peur – que Gabriel aie le même pouvoir que Céleste. La Vue lui avait pris sa fille, et il ne voulait pas lui perdre son fils également.
« Non, répondit Gabriel avec un froncement de sourcil. Non, ce n’est pas moi. Qu’est-ce que qui a bien pu vous faire croire cela ?
_Ta sœur a commencé très jeune à avoir des visions, mais on ne sait jamais quand elles peuvent arriver, admit-il après un silence. Je ne voudrais pas que…que tu aies le même futur qu’elle.
_Donc vous savez ! s’exclama le roux, oubliant momentanément pourquoi il était là.
_Oui, je sais, et je refuse de te le dire pour une bonne raison ! »
Un lourd silence s’installa, et il pouvait voir que Gabriel luttait pour garder son calme. Pourquoi était-ce toujours ainsi ? Pourquoi avait-il l’impression que le fossé qui s’était creusé entre lui et Gabriel depuis la mort de Céleste s’élargissait un peu plus à chaque conversation ? Pourquoi son fils ne voulait-il pas voir – pas croire – qu’il ne voulait que le meilleur pour lui ?
« C’est en train de lui faire perdre la tête, dit soudainement Gabriel. Il est arrivé à un point où ce ne sont plus que des rêves.
_Quel âge a-t-il ?
_Vingt ans, il me semble. Pourquoi ? »
Vingt ans – un ans de plus que Céleste quand elle était morte. C’est en train de lui faire perdre la tête. Ces mots avaient, pendant une seconde, fait flancher sa résolution. Pouvait-il laisser une autre personne mourir pour éviter de dire la vérité à Gabriel ? Mais si ce jeune homme mourrait…il ne serait pas difficile à son héritier de reconstituer le puzzle.
Et si dire la vérité pouvait sauver la vie de ce garçon ?
Et peut-être, intervint une petite voix dans son esprit, peut-être que si, en lui disant la vérité et en aidant cette personne, Gabriel voudra bien d’une relation plus amicale avec toi ?
« Il est jeune, remarqua Kennerian.
_Je m’en suis aperçu.
_Gabriel, tu dois comprendre que la capacité à voir le futur est souvent difficile à supporter. Pour les personnes extérieures, c’est un don. Pour ceux qui l’ont et leurs proches, c’est souvent une malédiction. Malheureusement…
_Quoi ?
_Je ne m’en suis aperçu que trop tard.
_Je sais que vous avez encouragé Céleste à pratiquer sa Vue, mais en quoi cela a-t-il un rapport avec sa mort ? Avait-elle vu quelque chose qu’elle n’aurait pas dû ?
_Elle n’a pas été tuée, Gabriel, corrigea doucement le Roi. »
S’il devait lui dire la vérité, il le ferait en douceur.
« Pourquoi penses-tu que l’apprenti de Cambria n’ait pas été remplacé après sa mort ? Même lui n’aurait rien pu faire pour la sauver.
_Evidement ! Il avait douze ans, à l’époque ! Faire porter cette responsabilité à un enfant aurait été ridicule ! »
Kennerian leva un sourcil en voyant la vitesse à laquelle son fils défendait le jeune Enaël. Ils étaient vraiment proche, n’est-ce pas ? Il était heureux de savoir que Gabriel avait un ami comme l’élève de Cambria – il en aurait besoin. Maintenant, s’il pouvait se trouver une jolie demoiselle pour devenir sa reine…
En Ankara, le prince pouvait épouser qui il voulait après tout. La noblesse ne comptait pas – il n’y avait pas des centaines de jeunes filles nobles. Il suffisait qu’il tombe amoureux, l’épouse et que son enfant soit légitime.
« Gabriel, quand je dis que c’est difficile à supporter, je suis sérieux. Pour preuve, ton ami en perd l’esprit. Ce ne serait ni le premier, ni le dernier.
_Que voulez-vous dire ?
_Que Céleste ne l’a pas supporté. »
Gabriel se figea et Kennerian sut qu’il revivait les derniers mois passés avec sa sœur, cherchant des moments qui pouvaient correspondre avec ce qu’il avait vu chez son ami – des symptômes d’une sorte de folie naissante. Il ne trouverait rien, Céleste n’étant jamais arrivée jusqu’à ce stade. Elle était morte avant que cela ne devienne insupportable – il vit dans son regard qu’il était arrivé à cette conclusion et observa avec tristesse alors que les rouages se mettaient en marche.
« Meredith m’avait prévenu, soupira Kennerian. J’ai refusé de l’écouter – refusé de croire qu’une chose pareille pouvait arriver à Céleste. J’avais tord.
_Elle n’a pas… Elle n’a pas pu…
_Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ?
_Elle est tombée des remparts, se souvint Gabriel. Si elle n’a pas été poussée, si ce n’était pas un accident… Enaël n’aurait pas pu l’empêcher de mourir… Non, c’est impossible. Elle n’aurait jamais…
_Elle avait fait son choix, et même toi, tu n’aurais pas pu la dissuader. Connaître l’avenir est un grand fardeau que personne ne peut mesurer – sauf les Voyants eux-mêmes. Beaucoup sont poussés à la folie et plus encore…
_…Au suicide, compléta Gabriel dans un souffle. »
10: Souvenirs
{10 : Souvenirs}
Le son d’épées s’entrechoquant. Une exclamation victorieuse. Un arme tombant au sol avec un clang. Un juron, suivit d’un cri surpris. Un bruit de chute. Une lame, pointée sur la gorge.
« Ha ! J’ai encore gagné ! »
Æl jura encore une fois, se redressa, et se frotta l’arrière du crâne à l’endroit où il avait frappé le sol – il allait avoir une bosse, pour changer.
« Allez, Æl ! Ne me dis pas que c’est tout ce que tu as ! Je me demande comment tu as fait pour entrer dans l’armée, tu ne vaux pas grand-chose. »
Il maudissait ce frimeur de Chevalier Suprême et le reste de sa famille pour les cinquante prochaines générations. Etait-ce trop demander, de faire son travail en paix ? Apparemment, oui. Et maintenant, cet imbécile en profitait pour le rabaisser à chaque occasion qu’il se présentait, parce qu’Æl était un bleu et donc, forcément, moins doué.
« Enfin, ce n’est pas comme si tu avais beaucoup d’espoir de me vaincre. Je suis le Chevalier Suprême, et le plus fort de tous les chevaliers du Royaume. Je n’ai jamais perdu un duel.
_Vraiment ? »
Le Chevalier Suprême pivota sur ses talons pour faire face à la personne qui osait remettre en question ses capacités. Ses yeux s’écarquillèrent en voyant qui avait parlé.
« Lady Céleste ! s’exclama-t-il, avant de s’incliner. Que faites-vous ici et…comment êtes-vous vêtue ? Une demoiselle de votre rang…
_Devrait avoir le droit de s’habiller comme elle le souhaite, coupa Céleste. Alors ?
_Alors quoi, Votre Altesse ?
_Avez-vous vraiment gagné tous les duels auxquels vous avez participés ?
_Bien sûr ! »
Céleste sourit innocemment.
« Ce serait impressionnant si vous ne vous esquiviez pas de tous les duels que vous risquez de perdre. »
Il rougit, et Céleste passa devant lui sans lui accorder plus d’attention. Puis, elle s’arrêta et tendit la main à Æl. Le réflexe du jeune homme fut de refuser – quel genre de chevalier avait besoin d’une fille pour se relever, de toute façon ? Il finit tout de même par la prendre, cédant au regard insistant de la fille du roi.
« N’avez-vous pas d’autres recrues à entraîner, Sire Duncan ?
_Evidemment, Votre Altesse. »
Duncan prit ses jambes à son cou et s’éloigna, se dirigeant vers l’autre côté du court d’entrainement.
« Lèche-botte, marmonna Æl, avant de se reprendre. Désolé, Lady Céleste.
_Ne le soyez pas, Sire Nightingale. Je suis du même avis que vous. »
Elle ne manqua pas la grimace d’Æl en entendant son nom de famille.
« Juste Sire Æl, alors ?
_Ce serait préférable. »
Æl était – malheureusement – issu d’une famille extrêmement riche. Les Nightingale étaient réputés pour avoir aidé l’actuelle dynastie à mettre un peu d’ordre dans le royaume, et avaient été grassement récompensés pour leur participation. C’était la raison pour laquelle Æl était là aujourd’hui, à tout juste vingt ans. Le gouvernement acceptait les garçons de la famille Nightingale sans qu’ils aient à passer l’examen de l’école de chevalerie, ni par les années en étant écuyer. L’argent menait partout, et cela causait beaucoup de ressentiment chez les autres chevaliers qui avaient dû partir de zéro. Sire Duncan, Chevalier Suprême, compris.
Il avait beau aimer son travail, Æl restait celui qui avait triché, payant pour accéder à son rang, alors que tous les autres avaient travaillés dur, et il détestait ça.
« Bien que je n’apprécie pas répéter les paroles de Sire Duncan, il a raison sur un point…pourquoi êtes-vous habillée de la sorte ? »
Elle baissa la tête pour considérer ses vêtements. Elle portait une vieille tunique trop grande, qui devait avoir appartenu à son père dans sa jeunesse, ainsi qu’un pantalon en toile brun et une paire de bottes de cuir. Ses cheveux roux avaient été remontés dans une queue de cheval haute.
« Les robes sont difficiles à porter, vous savez. En plus, elles se salissent rapidement quand je sors. Je préfère les garder pour les grandes occasions.
_Je vois. Et qu’est-ce qui vous amène de ce côté du palais ?
_L’entraînement à l’épée. »
Il n’eut pas le temps de la regarder avec incrédulité qu’elle avait empoigné une lame et manqué de le décapiter avec.
« Doucement, Lady Céleste ! Ne faites pas de geste brusque avec une arme que vous ne savez pas magner !
_Dans ce cas, apprenez-moi. »
XXX
Il avait commencé par refuser – qui pourrait accepter une chose pareille ? Ce n’était pas parce qu’elle était la princesse. Elle avait le droit de faire ce qu’elle voulait, de toute façon. C’était juste qu’Æl était probablement le moins qualifié pour lui apprendre quoi que ce soit. Il n’avait pas besoin de Duncan pour lui faire remarquer à quel point il valait un zéro pointé.
Il le lui avait dit, et elle avait eu l’air furieuse. Elle avait disparu pendant une dizaine de minutes et était revenue, tout sourire, en disant qu’elle ne voulait plus jamais l’entendre parler de lui-même comme ça. Après beaucoup, beaucoup de délibérations, il avait cédé – et sur les deux points.
(Depuis ce jour, Sire Duncan était terrifié par la Princesse)
Malgré tous leurs efforts, la princesse Céleste était et resterait incompétente avec une épée à la main. Elle connaissait la théorie par cœur, mais en pratique… Sans Æl, elle aurait trouvé un moyen de se tuer d’une dizaine de manières différentes. Heureusement, ce n’était pas arrivé, parce que le jeune chevalier n’avait pas la moindre envie d’expliquer au roi que sa fille s’était tuée en tentant d’apprendre à utiliser une épée. Il y laisserait probablement sa tête.
Elle n’aimait pas ça du tout. Elle avait voulu apprendre à se battre pour échapper au stéréotype de la princesse sans défense.
« Je sais faire tout ce qu’une princesse est censée savoir faire, grommela-t-elle un jour. Mais pourquoi est-ce que je ne suis pas capable de faire quelque chose en dehors de ma qualification de princesse, hein ?
_Je ne sais pas, répondit Æl. Mais si ça peut te rassurer, tous tes trucs de princesses sont bien trop compliqués pour moi. »
Il lui avait fallu deux mois pour réussir à s’habituer à appeler Céleste par son prénom, et deux mois de plus pour la tutoyer. En quatre petits mois, Céleste était devenu sa meilleure amie.
Il savait qu’elle était Voyante. Elle lui avait dit elle-même. Il ne pouvait pas espérer de comprendre un jour ce qu’était voir le futur, mais il savait comment lui remonter le moral après une vision. Elles n’étaient pas toujours horribles, comme cette fois, où elle avait eu du mal à déterminer s’il s’agissait d’un simple rêve ou non… Un jeune homme volant sur le dos d’un dragon pourrait très bien ne rien signifier.
Elle était drôle, encourageante, forte, et absolument magnifique. Elle lui avait montré qu’il pouvait être quelqu’un d’autre que le type inutile qui avait acheter sa place. Qu’il pouvait prouver qu’il la méritait tout autant que ses frères d’arme. Ceux-ci étaient d’ailleurs persuadés qu’il était amoureux de la princesse, mais ce n’était pas le cas. C’était sa meilleure amie, rien de plus.
« Je croyais que tu n’aimais pas les trucs de princesse ? remarqua-t-il.
_C’est le cas.
_Alors pourquoi est-ce que tu me tresses les cheveux ? »
Elle le regarda avec une expression offensée, avant de lui frapper le crâne avec sa brosse. Apparemment, les cheveux longs lui allaient bien, et il avait fini par accepter de les laisser pousser. Ils lui arrivaient juste au-dessus des épaules, désormais – techniquement, ils devraient être plus longs, mais…
« Ne sois pas stupide. Ce n’est pas un truc de princesse ! Tes cheveux ont besoin d’entretiens, tu sais ! Un peu d’amour ! Sinon, je te fais une coiffure de fille ! »
Il grimaça, se rappelant la catastrophe du chignon tressé. Plus jamais il ne ferait confiance à Céleste avec des ciseaux. Plus jamais !
XXX
« J’aurai dix-huit ans demain.
_Joyeux anniversaire, répliqua aussitôt Æl, maintenant 22 ans.
_Dans un an, j’aurai dix-neuf ans.
_Oui, c’est exact.
_Dans un an, je vais être couronnée Héritière officielle d’Ankara. Un jour, je deviendrai Reine. Je devrai nommer mon frère chevalier, et Enaël deviendra Enchanteur de la Cour. L’année prochaine, il aura douze ans, et il devra prêter serment. Un jour, je vais devoir me marier et avoir des enfants. Je n’ai pas envie de ma marier. »
Se marier – devoir passer le restant de sa vie avec un homme…l’idée la mettait mal à l’aise. Elle ne pensait pas que c’était quelque chose qu’elle pouvait faire. Elle se savait facilement distraite. Que se passerait-il si elle tombait amoureuse d’un autre ? Le mariage impliquait de la fidélité et elle n’était pas sûre qu’elle puisse tenir une telle promesse. Ce n’était pas qu’elle était une fille facile, loin de là…c’était juste que l’idée d’aimer la même personne jusqu’à la fin de ses jours la laissait perplexe.
C’était sans parler de sa Vue. Elle doutait que qui que se soit puisse supporter partager son quotidien jusqu’à sa mort. Notamment parce qu’il impliquait des cauchemars récurrents, des crises d’insomnie, des changements d’humeur abrupts – souvent résultats du manque de sommeil – et des dépressions – la Vue faisant ressortir un énorme sentiment de culpabilité. Sauf, peut-être…
« Tu n’es pas obligée, tu sais ? Tu seras reine. Tu feras ce que tu voudras. Et si un jour tu tombes sérieusement amoureuse…tu verras. Tu n’es pas pressée, de toute façon. »
Elle le considéra longuement, et il finit par hausser un sourcil.
« Quoi ?
_Si je devais absolument épouser quelqu’un, je voudrais que ce soit toi. »
XXX
« Æl ? Tu es venu ! »
Æl, qui était en train d’ajuster son inconfortable costume – que tous les chevaliers devaient porter quand ils étaient invités aux bals – ne releva pas tout de suite la tête, jusqu’à ce que Céleste prenne les choses en main et attache correctement ses galons.
Il s’était beaucoup amélioré, ces deux dernières années. Même Sire Duncan n’avait pas pu refuser de le promouvoir, et c’était grâce à Céleste, qui l’avait aidé à prendre confiance en lui.
« Bien sûr que je suis venu. Le bal est obligatoire pour tous les chevaliers. Personne n’oserait manquer l’anniversaire de Son Altesse Céleste. »
Elle leva les yeux au ciel, visiblement agacée à l’idée qu’on fasse tout un foin parce qu’elle avait dix-huit ans. A la limite, si elle en avait eu dix-neuf, ça pourrait passer – c’était l’âge du couronnement, après tout. Mais organiser une fête tous les ans…
« Enfin, on ne va pas se plaindre parce que mon père organise une fête, pas vrai ? Dansons ! »
Elle lui attrapa la main et le tira vers le milieu de la salle, où elle l’entraîna dans une valse chaotique, alternant les pas des hommes et ceux des femmes, obligeant son cavalier à faire de même.
Les autres couples de danseurs s’écartaient en grommelant, n’appréciant que moyennement la manière dont la princesse envahissait la piste, mais elle se contentait de rire à leurs critiques, et Æl se surprit à rire avec elle.
Le Roi regardait sa fille et son cavalier d’un œil intéressé, alors que Gabriel se contentait de lui envoyer des regards noirs. Il n’avait jamais aimé ce type et, peu importe ce que disait Enaël, ce n’était pas parce que sa sœur lui était proche. Du moins, il s’en était convaincu.
D’autres partageaient son animosité, mais pas pour les mêmes raisons. Beaucoup avaient espéré recevoir l’honneur d’une danse avec la princesse, seulement pour voir leur aspiration fauchée par le jeune homme qui la monopolisait.
« Elle ne va pas l’épouser, hein ?
_Je ne sais pas, Votre Altesse Gabriel, répondit Enaël. Mais elle a l’air heureuse. »
Gabriel émit un son évasif, préférant réserver son jugement quant au potentiel prétendant de sa sœur.
XXX
Même des mois après la conversation, il avait toujours du mal à croire que Céleste ait pu dire ça. Sur le moment, il avait balbutié une réponse dont il ne se souvenait pas clairement. Il aurait très bien pu dire oui ou non… Mais il n’avait pas envie que Céleste pense qu’il était juste après son titre.
Quoi qu’après deux ans d’amitié, c’était difficile à croire.
Cela lui prit bien trois autres mois – on s’approchait lentement, mais surement, de ses dix-neuf ans – pour oser lui poser la question. Lui demander si ce qu’elle lui avait dit était sérieux ou une parole en l’air.
« Bien sûr que c’était sérieux, Æl. Pourquoi ça ne le serait pas ? Tu es un homme, que je connais bien et que j’aime beaucoup. Je pense que tu serais la seule personne que je pourrais supporter d’avoir à mes côtés toute ma vie et surtout, qui pourrait me supporter ! »
Elle fit une pause, et le regarda avec sérieux.
« Bien sûr, si te ne veux pas…
_Qu’est-ce qu’il se passera on tombe amoureux chacun de notre côté ? Et quand nous devrons avoir des enfants ?
_Je ne t’en voudrais pas si tu aimes quelqu’un. Pour les enfants…on pourrait adopter. Et je ne tomberai jamais amoureuse. Je n’en ai pas envie.
_Je ne pense pas que c’est quelque chose qu’on peut contrôler. En plus, tu as 18 ans, tu as le temps de changer d’avis.
_Non, répondit-elle en secouant la tête. Je… elle hésita. J’ai peur d’avoir un rêve sur leur mort. Tous les soirs, j’angoisse en me demandant si ma prochaine vision sera celle de ta mort, ou celle de Gabriel, d’Enaël, de mon père… Tomber amoureuse, c’est rajouter une personne à la liste, et ce n’est pas quelque chose que je veux voir. »
Pour une fois, Æl ne savait pas quoi répondre.
Cela lui avait pris quelques mois pour réaliser à quel point voir le futur devait être insupportable. De plus, Céleste était constamment harcelée par son père, le Roi cherchant à connaître les moindres détails de ses rêves prophétiques pour les analyser. La jeune femme avait, dans ses moments, surtout envie de se mettre au lit et de ne plus rien faire de la journée.
« Ce sera génial, ajouta Céleste. On sera Roi et Reine, et tu seras aussi Chevalier Suprême. Ce serait possible, parce que c’est moi qui viens de la famille royale, donc je serai la souveraine principale. Et…
_Oh là ! Une seconde ? Moi ? Chevalier Suprême ? Tu es dingue, je ne pourrai jamais…
_Evidemment que tu y arriveras, l’interrompit-elle. J’en suis certaine. Tu deviendras le meilleur de l’armée, et tu seras Chevalier Suprême pendant très, très longtemps, parce que personne ne pourra te surpasser. Et ce sera grâce à ton propre travail, et pas grâce à l’argent de tes parents. »
Il n’avait jamais envisagé la possibilité de devenir un jour Chevalier Suprême (et encore moins Roi), même s’il devait avouer que c’était tentant – montrer à tout le monde qu’il était bien plus qu’un tas d’or. Ne plus être Sire Nightingale, fils de Lord et Lady Nightingale, mais simplement Sire Æl, sans association avec la famille fortunée. Et surtout, réussir par ses capacités. Oui, il n’y avait aucun doute que ce serait génial.
Cette « prédiction » ne sortait pas d’un rêve. Elle ne l’avait pas vu avec son pouvoir. C’était quelque chose dont elle était persuadée, et en quoi Æl avait envie de croire, lui aussi.
XXX
Quelques semaines après ça, il avait commencé à remarquer quelque chose d’étrange – autre que le fait que le prince Gabriel semblait le détester sans raison apparente. Les cernes de Céleste devenaient de plus en plus prononcés.
« J’ai une vision qui revient souvent, répondit-elle finalement. Elle est vraiment effrayante.
_Tu veux en parler ? »
Elle hocha la tête, mais resta silencieuse quelques secondes.
« Il y a un jeune homme, un peu plus âgé que moi…Il a l’air vraiment inquiet, comme si je…je ne sais pas…comme si je venais de lui annoncer un décès. Je ne sais pas ce que c’est, c’est très flou. Gabriel et Enaël sont là, eux aussi…et il y a une cité en flammes, et quelqu’un d’autre…quelqu’un qui est mort.
_C’est inquiétant, acquiesça Æl. Et…toutes tes visions…elles se réalisent forcément ?
_Ça dépend. Ce n’est qu’une possibilité de futur, tu sais. C’est nos actions qui le déterminent. Le problème, c’est que je ne sais jamais s’il faut agir ou rester sans rien faire, parce que les deux options ont autant de chance de provoquer les évènements. C’est toujours cinquante-cinquante.
_Donc, ça a des chances d’être empêché ?
_J’ai le sentiment que le choix d’agir ou non ne se trouve pas entre nos mains. Je pense que c’est l’homme que j’ai vu…il est la clé, l’élément déclencheur des évènements de ma vision. »
Il devenait de plus en plus évident que l’utilisation de la Vue exerçait sur elle une énorme pression. Elle paraissait chaque jour plus fatiguée et moins pétillante, et elle passait beaucoup de temps avec cette pierre à la main, l’air pensif.
Elle disait qu’elle allait bien, mais Æl pouvait voir que ce n’était pas le cas. Comme elle, il mentait en espérant que ça passe, que l’autre ne s’inquiète pas.
Et, malgré tout ce qu’il avait remarqué, rien ne pu le préparer à ce qui allait arriver.
XXX
C’était arrivé trois jours avant son anniversaire – un autre bal, suivit d’un banquet et, cette fois, la cérémonie du couronnement.
Ils étaient supposés se retrouver en début d’après-midi, et quand Céleste n’était pas arrivée à l’heure dite, il ne s’était pas trop inquiété – elle n’était pas très ponctuelle, pour une princesse. Même quand il s’agissait d’un rendez-vous avec son… Il ne savait pas vraiment quel genre de relation ils avaient. Il s’était demandé, par contre, pourquoi elle avait insisté pour que le point de rendez-vous se trouve si loin du Palais – alors qu’en général, ils se retrouvaient simplement devant les portes.
Après une heure et demie, il s’était dit que ce n’était pas tout à fait normal. Les retards de Céleste ne dépassaient jamais une heure, et il commençait à se faire du souci. Peut-être lui était-il arrivé quelque chose ?
Il posa des questions, mais personne ne l’avait vue, et il commençait à sentir le poids de l’inquiétude s’installer sur son estomac. Il le chassa d’une pensée. Elle devait simplement avoir oublié, n’est-ce pas ? Elle devait encore être au Palais Royal.
Une petite voix dans son esprit lui murmurait qu’elle n’avait jamais oublié auparavant, alors pourquoi est-ce que ça commencerait maintenant ?
Le château était pris d’une immense frénésie, bourdonnant comme une ruche, mais Æl mit cela sur le compte de l’anniversaire de la princesse. Pourtant, elle n’était pas dans la cours arrière, ni sur le court d’entraînement, encore moins dans ses appartements, et peu importe où il la cherchait, Céleste était absente.
« Sire Nightingale ! »
Il se retourna pour faire face à Sire Duncan, dont l’expression grave ne fit qu’accentuer son angoisse. Quelque chose était arrivé. Il en était certain.
« Que se passe-t-il ?
_Suivez-moi, s’il vous plait. »
C’était étrange, Duncan ne le vouvoyait jamais, et le respectait encore moins. Ce devait être la première fois qu’il recevait un simple « s’il vous plait » de l’homme, qui aboyait habituellement ses ordres.
« Sire Duncan, j’aimerais savoir ce qu’il se passe, répéta Æl. »
Il l’ignora encore, et l’emmena dans la salle du conseil. Le Roi Kennerian, le Prince Gabriel, ainsi que l’Enchanteur de la Cour et son apprenti s’y trouvaient, accompagnés de plusieurs chevaliers gradés.
« Nous voici, Votre Majesté, annonça Duncan. »
Æl n’avait pas la moindre idée de ce qui était en train d’arriver, mais il réalisait que ce ne devait pas être une bonne nouvelle. Les deux garçons, Gabriel et Enaël, semblaient être en état de choc. Cambria posait une main rassurante sur l’épaule de son apprenti, et le Prince regardait dans le vide. Kennerian tentait de masquer ses émotions, et les chevaliers avaient des expressions de peine.
« Sire Nightingale, le salua le Roi, le regardant avec un mélange de chagrin et de pitié.
_Votre Majesté… Si je puis me permettre, pourquoi… ?
_Je pense que vous feriez mieux de vous asseoir. »
N’osant pas protester, il prit le siège en face de son supérieur.
« Je crois savoir que vous étiez poche de ma fille ?
_Oh ! Je…Je peux vous assurer que je n’ai aucune mauvaise intention envers Céleste, dit-il rapidement. Je la respecte beaucoup trop pour cela…
_Ce n’est pas ce dont je voulais discuter, soupira Kennerian. Lady Céleste est décédée, Sire Nightingale. »
XXX
Il n’avait pas réalisé à quel point Céleste était une pièce maitresse de son monde, du moins pas avant qu’elle ne disparaisse et que tout s’effondre.
Elle avait la pierre sur elle, quand elle était morte. C’était une pierre enchantée, et quand un des Enchanteurs de l’armée l’avait récupérée et avait tentée de l’utiliser – pour voir si elle contenait un indice sur sa mort – il en avait perdu la raison. Beaucoup avait essayé, et certain en était mort – des Réguliers, surtout. La pierre, renommée Pierre Céleste, fut scellée dans la salle du trésor.
C’était un accident, avaient-ils finalement dit. Elle était tombée des remparts et c’était Gabriel et Enaël qui l’avaient trouvée. Les deux enfants étaient probablement traumatisés par ce qu’ils avaient vu avant que les autorités compétentes d’interviennent. Pourtant, Æl avait beau essayer, il ne ressentait aucune sympathie pour le jeune Enchanteur, dont le travail était de la protéger.
S’il avait fait son boulot correctement, ce ne serait pas arrivé.
Il avait conscience qu’accuser un garçon de douze ans n’était pas raisonnable et que le Prince avait raison de prendre sa défense, mais il préférait ne pas y penser. C’était plus facile de croire que c’était de la faute du gosse que de se sentir responsable et de se dire qu’il aurait dû être là.
Il était tout de même resté chevalier, et avait continuer à s’entraîner. Après seulement trois ans de service de plus, il avait dépassé Duncan et était devenu « Sire Æl, Chevalier Suprême », à l’âge de 26 ans. Un record dans l’histoire d’Ankara .
Bien sûr, ce n’était pas la même chose sans Céleste, qui aurait dû débarquer dans son nouveau bureau sans frapper, portant plusieurs chopes d’hydromel et déclarant qu’il fallait fêter ça.
Penser à cela lui donnait envie de rire. Un rire doux-amer, alors qu’il réalisait dans quel état il se trouvait, réduit à détester deux gamins pour quelque chose qui n’était pas leur faute, et à se détester lui-même pour cette même raison.
Mais une chose était sûre, il allait garder ce foutu boulot aussi longtemps que possible.
XXX
A peu près au moment où il reçu les fonctions de Chevalier Suprême, il dû visiter l’école de chevalerie pour évaluer les recrues potentielles. C’était quelque chose qui devait se faire tous les ans, afin d’être sûr de ne laisser passer aucun jeune talent éventuel.
Celui qui avait retiré son regard était assis par terre et acceptait la main tendue de son camarade. Son arme gisait au sol, et il ne fallut pas longtemps à Æl pour réaliser que le garçon n’était pas très doué.
Il semblait extrêmement prône à laisser les commentaires des autres l’affecter, s’il en jugeait par la manière dont il avait baissé les yeux au rire moqueur d’un autre élève. Æl allait intervenir – ce gamin était un peu comme lui – mais le petit avait serré les poings et avait récupéré son épée. Il se sentit sourire…c’était un bon signe. Pourtant, il semblait maladroit avec une arme à la main et…
Cela ne prit que quelques secondes à Æl pour réaliser ce qui n’allait pas. Il s’approcha, ignorant les regards de ceux qui espéraient avoir été remarqué.
« Utilise ton autre main, ordonna-t-il, et le garçon sursauta, se retournant, l’épée pointée devant lui. »
Réalisant qui il était en train de menacer, il la baissa immédiatement, son visage se colorant d’un rouge embarrassé.
« Veuillez m’excuser, Sire.
_Tu as de bons réflexes. Le problème, c’est la manière dont tu tiens l’épée. Utilise ton autre main.
_L’instructeur a dit qu’il fallait utiliser la main droite…
_Tu es gaucher, non ? Alors utilise ta main gauche. Ça ira probablement mieux.
Æl sortit sa propre épée. Le plus jeune blêmit, comprenant ce que voulait le Chevalier Suprême. Il réagit rapidement et bloqua le premier coup, avant de passer à l’attaque, leurs épées se rencontrant dans un claquement métallique. Cela ne prit qu’une minute à Æl pour le désarmer, mais c’était une minute suffisante pour réaliser que oui, c’était bien mieux avec la main gauche.
« Tes mouvements sont plus fluides et tu fais moins de gestes inutiles.… Tu es en dernière année ?
_Oui, Sire. »
Il se souviendrait de ce gamin quand il devrait choisir un nouvel écuyer. Le sien allait être fait chevalier d’ici quelques mois.
« Ton nom ?
_Willow Archendall, Sire. »
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