Note de l'auteure

Bonjour, tout le monde.

Voici ma nouvelle fiction, The Daughters of Darkness. Elle est en cours d'écriture. Ou plutôt de réecriture. Car cette histoire n'est autre que ma toute première fiction: Sweet Sacrifice.

Un beau jour, j'ai décidé de jeter un coup d'œil à Sweet Sacrifice, fiction basée sur l'excellent Pretty Little Liars (livres et série TV confondus). Et mon verdict a été... Bah j'ai trouvé que c'est de la pure merde, tout simplement. 

J'ai bien ri en me relisant, en tout cas.

Puis des semaines, même des mois après, je crois, une idée m'est venue. Celle de réécrire l'histoire en vue de l'améliorer. Car, en dépit de tout, je trouve mon idée de base assez pas mal. J'ai relu le truc en intégralité, et j'ai relevé: des fautes en tous genres, des incohérences, des points illogiques dans l'histoire, des clichés - oulà -, et j'ai trouvé que ça manquait de charme, que les personnages étaient inintéressants.

Bizarrement, j'ai eu quelques avis - peu, mais j'en ai eu - positifs. Il y a eu certaines personnes qui m'ont complimentée sur l'histoire. Alors bon, mon choix a été de publier la nouvelle version tout en gardant la première - et pourrie - version.

Voici quelques points à savoir:

- La fiction est centrée sur un personnage tout droit sorti de ma tête, et qui habitera à Rosewood, le lieu fictif où a lieu l'oeuvre de Sara Shepard.

- Les personnages de la série/livres ne figureront pas dans mon histoire. J'ai fait le contraire dans l'ancienne version, mais c'était n'importe quoi. Aria, Spencer, Hanna et Emily ont des personnalités bien à elles, et je n'ai pas su faire en sorte qu'on retrouve leur traits de caractère dans ma fiction. C'est bien, à mon avis, la difficulté avec les fanfictions: savoir respecter l'oeuvre originale, tout en y ajoutant notre touche pour en faire notre version. Pour moi, il faut respecter les personnages, et moi, je n'y arrive pas. Alors il n'y aura que des personnages à moi, qui certes, ressembleront assez aux vrais.

- Il y aura des petits clins d'œil à d'autres œuvres que j'aime dans certains chapitres. A vous de trouver les références!

- La Alison DiLaurentis de mon histoire (sous un nouveau nom, bien sûr) n'a jamais été amie avec les filles. Celles-ci seront proches de l'héroïne.

- Quelques parties vous rappelleront sûrement certains moments de la série ou des livres.

- J'ai essayé - mais vraiment - de mettre un peu d'humour... Et c'est pas gagné. Je ne suis pas réputée pour être la fille amusante et marrante, donc bon...

- Le plus important: toute la fiction va être racontée par "A"! Eh oui, comme le résumé le montre, ce sera du point de vue de "A". Vous allez donc découvrir l'histoire en passant par les pensées de "A", ses sarcasmes, ses observations, son jugement. "A" va tout vous raconter, et en profitera pour vous taquiner, héhé.

- Autre chose importante: le type de point de vue. Dans ce que j'écris d'habitude, je me concentre sur les pensées et les sentiments de mes personnages. A mon humble avis, c'est ce qui fait que l'on s'attache au personnage, c'est ce qui fait que l'on s'identifie à lui. Non pas par son apparence physique. Là, à part "A", impossible de relater les pensées de mes personnages: "A" est avant tout un être humain et n'a donc aucun moyen de lire dans les pensées. Puisque tout se déroule sous ses yeux et qu'il vous raconte le tout, il ne peut que relater les faits et les actions. Il ne peut avoir accès aux pensées et sentiments des autres - même si, je crois bien que ça lui plairait beaucoup. En conclusion, le type de narrateur est interne: car on découvre de manière successive le déroulement de l'histoire à travers le regard, les pensées et les sensations de "A".

Je crois que je vais m'arrêter, c'est drôlement long pour une "note".

Je suis en plein dans la réécriture, je dois remettre en ordre tout ce qui ne va pas. The Daughters of Darkness, sera, je l'espère, à la hauteur. 

Merci de votre attention!

                            - Swallowing Darkness

2: PREMIÈRE PARTIE
PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

 

 

 

A IS FOR ALIVE

3: I. PROLOGUE - AN EYE FOR AN EYE AND THE WHOLE WORLD GOES BLIND
I. PROLOGUE - AN EYE FOR AN EYE AND THE WHOLE WORLD GOES BLIND

      On dit que la vérité blesse. Est-ce vrai ? Peut-être. Mais la vie est tellement plus amusante quand on sait tout ! Ne vous est-il jamais arrivé de mourir d'envie de connaître chacun des petits secrets que les gens cachent? Si ? Et bien, c'est normal. Par exemple, c'est normal de se demander si les personnes que vous aimez tiennent vraiment à vous. C'est normal de se demander parfois si vos amis sont vraiment vos amis. Vous voulez sûrement me dire : « Bien sûr que ma famille m'aime, et que mes amis ne me trahiraient jamais !». Mais êtes-vous vraiment sûrs ? Car, voyez-vous, on m'a souvent répété que les apparences sont trompeuses.

      Imaginez-vous dans la cour de votre lycée, c'est votre deuxième année et vous êtes assis à ne rien faire en cherchant désespérément quelqu'un avec qui parler. Quand soudain, vous voyez une fille ayant l'air tout aussi perdu que vous. Cette fille est magnifique avec sa peau pâle, ses longs cheveux bruns, ses grands yeux bleu clair. Elle est tellement mignonne, et semble tellement innocente... Elle est parfaite à vos yeux, et vous voulez être son ami(e).

      Maintenant, cessez de rêver, et répondez franchement à cette question : « Êtes-vous vraiment prêts à faire n'importe quoi pour avoir son amitié ? ». Si la réponse est « Oui », je vous conseille de rentrer chez-vous, et de ne plus jamais en ressortir. Personne ne vous a dit que les gens parfaits ne sont jamais aussi parfaits qu'ils ne le paraissent ? Aaaah... Décidemment, je dois toujours tout faire par moi-même. Vous vous demandez sûrement qui je suis, hein ? Ne vous inquiétez pas, vous le saurez bientôt. En attendant, préparez-vous les enfants, je vais vous raconter une histoire qui vous apprendra à faire attention la prochaine fois. L'histoire de cette fille que je connais tellement mieux qu'elle-même...

-A

4: II. FLAWLESS
II. FLAWLESS

      Au lycée, tout le monde est agité en ce lundi matin. C'est aujourd'hui que les élèves reprennent les cours après un long été, et la plupart semblent déjà se connaitre. En même temps, c'est quelque chose de normal, ici. Rosewood, Pennsylvanie, petite ville d'une population s'élevant à 7989 est le genre de villes où la plupart des gens se connaissent. Ses habitants sont pour la majorité là depuis des générations. Les nouveaux qui viennent s'aventurer dans cette ville ne manquent pas de se faire remarquer. Rosewood est un lieu agréable, où tout est d'une beauté et d'une sérénité inégalables.

      Le lycée, autrefois une école privée, est devenu public. Ainsi, tous les jeunes en âge d'y entrer vont au Rosewood High, cette énorme bâtisse accueillante se trouvant dans un coin de rue. Et ce lycée, pour s'y faire une place socialement parlant, je ne vous dis pas tous les efforts à faire. Entre gosses de riches habillés comme des tops models méprisants et prêts à inférioriser autrui, la tâche n'est pas facile.

      Cependant, ma très chère protégée Aylin ne s'en sort pas mal du tout. Vous savez, la magnifique jeune fille dont je vous ai parlé précédemment... Oui, celle-là. Elle s'appelle plus précisément Aylin Alison Reid. Je peux être fier d'elle : en à peine cinq minutes de passage dans les couloirs de l'établissement, tous les garçons lui bavent déjà dessus, et toutes les filles la fixent comme si elle était une star. Il ne faut peut-être pas autant d'efforts finalement pour se faire remarquer... Mais c'est sûrement parce que c'est Aylin, une fille à qui tout réussit. Enfin, presque.

      Elle s'avance vers le bureau du principal. Ils échangent quelques mots puis deux minutes plus tard, Aylin sort de la pièce avec son emploi du temps, les renseignements dont tout nouvel élève a besoin ainsi que le règlement de l'établissement. Elle a eu l'air tendu pendant un instant, mais elle se reprend vite.

      Aylin jette un coup d'œil à son emploi du temps qu'elle tient dans ses mains. Elle grimace. Elle doit avoir Histoire, ou quelque chose comme ça. Je sais qu'elle n'aime pas ce genre de matières. Il est indiqué que le cours a lieu dans une salle près de l'auditorium. Elle avance donc dans le couloir tête baissée, visiblement ailleurs. J'aimerais bien savoir à quoi elle pense. Voyez-vous, ça m'intéresse de savoir ce qui se passe dans sa tête. Je l'ai toujours trouvée un peu difficile à cerner, et ça m'énerve au plus haut point. Mes je connais ses craintes, et c'est déjà un point satisfaisant.

      Il a fallu attendre plusieurs heures avant que les cours de la matinée finissent. Aylin passe à la cafétéria. A ma grande déception, il ne se passe rien d'intéressant. Elle s'assit simplement dans un coin avec son déjeuner, essayant de rester à l'abri des regards, sans succès. Après ça, Aylin se dirige vers une autre salle de classe où se déroule son premier cours de l'après-midi.

      Décidément, c'est d'un ennui ! C'est les aléas du métier, je suppose. Je me dois de la surveiller de près, de connaitre ses habitudes, ses déplacements, son emploi du temps et la manière dont elle passe ses journées. Je dois bien tout assimiler, bien tout savoir, avant de tenter quoi que ce soit. Une vengeance, ça se prépare. On n'accomplit pas de vengeance digne de ce nom facilement. Ça prend du temps, mais il faut de l'organisation, de la patience et de la volonté.

      Et ce n'est pas ce qui me manque.

      14h50, les cours de l'après-midi s'achèvent. Certains élèves quittent l'établissement, d'autres s'attardent dans les couloirs, ou font une pause avant de faire le tour des activités extrascolaires disponibles.

      En parlant d'activité extrascolaires, Aylin en a déjà choisi une. En tant que grande amoureuse de livres, il va de soi qu'elle aille rejoindre le club de lecture. Club qui n'est pas encore ouvert, mais déjà un petit groupe d'élèves se constitue pour aider, justement, à son lancement.

      Bon ben, direction la bibliothèque, alors.

      La bibliothèque du Rosewood High est une très large pièce, avec des tables semées ici et là, et bien sûr munie de longues étagères exposant les mille et une couleurs de la littérature pour ceux qui aiment s'aventurer dans les rayons de ce monde à part.

      Elle était pas mal cette description, hein ? Franchement, « Les mille et une couleurs de la littérature ». Avouez, c'est pas mal, quand même. Bon, ce n'est pas la phrase ni la citation du siècle. Mais je fais des efforts. En vérité, j'aurais plutôt décrit cet endroit comme étant « Un endroit pas du tout pour moi ». Car, perso, je n'aime pas la lecture. C'est le truc d'Aylin, ça. Et moi et Aylin, nous sommes comme le jour et la nuit.

      Mais, oh pardon, je m'égare. Revenons-en à ma petite Aylin.

      Aylin, donc, entre dans la bibliothèque encore pratiquement déserte. Seules trois filles sont assises dans un coin à discuter. Aylin, histoire de s'occuper, prend un livre de son sac-à-dos et part se réfugier quelque part.

      Et c'est là qu'un autre personnage important fait son entrée.

      Finn Davy.

      Ca en jette, hein ? Un petit peu ?... Non ? D'accord.

      Finn est assez grand. Une lueur ironique et narquoise danse dans ses yeux bleus, et ses lèvres affichent un petit sourire reflétant sa bonne humeur. Ses cheveux bruns sont ébouriffés, à croire qu'il vient de sortir de son lit. Il a un style un peu, comme diraient les autres, intello. Mais pas trop. Vous voyez le genre ?

      Il balaye la pièce du regard, soupire, puis part s'affaler sur une chaise près de la fenêtre.

      Quelque minutes s'écoulent, et une femme d'âge moyen qui doit être la prof responsable du futur massacre arrive en compagnie de trois élèves supplémentaires. Bravo, à présent, le club se constitue de huit membres.

      Les élèves commencent à se mettre en ligne droite tels de gentils bon élèves, sauf une, Aylin. Finn s'apprête à se lever, mais aperçoit cette dernière les coudes appuyés sur une table, ses deux mains tenant un livre à la couverture sombre, et cachant entièrement son visage. Il va dans sa direction et fait baisser le livre de son index droit, révélant le visage de la jeune fille.

- J'aime beaucoup l'humour noir de ce récit un brin sadique, mais je crois que tu devrais lâcher ce livre maintenant. Je sais, je sais. C'est difficile.

      Aylin lève les yeux vers lui et les laisse s'attarder un peu trop longtemps sur le visage du jeune homme qui, il faut bien le dire, est assez agréable à regarder. Finn, quant à lui, la fixe en retour avec un très léger sourire moqueur.

      Stop. Attention, ceci n'est pas un coup de foudre.

      Aylin finit par remettre son livre dans son sac et par rejoindre les autres. Elle s'assoit sur le rebord d'une table face au professeur, tandis que Finn s'appuie sur l'autre rebord. La prof, elle, se lance dans un discours interminable, accompagné de gesticulations exagérées et des mimiques qui me donnent franchement envie de pouffer de rire. Je vous épargne ce coup-ci.

      La femme finit par joindre ses mains dans un petit claquement, comme si elle applaudissait la fin de son monologue. Oui, applaudissons.

- Mettez-vous à présent en petits groupes.

      Les groupes se forment vite : six membres se divisent en deux groupes de trois, et à côté Finn et Aylin qui se retrouvent du coup dans le même groupe sans que personne ne leur demande leurs avis.

      La prof donne de rapides indications à chacun des groupes, puis arrive à nos deux jeunes gens, toujours adossés à cette table.

- Vous, vous allez confectionner l'affiche pour le club. Une seule suffit, elle sera bien en vue sur le tableau d'affichage réservé aux nouveautés des clubs. Oh, et s'il vous plaît, pas de rapports sexuels dans cette pièce.

      Finn et Aylin l'interrogent du regard.

- Oui, parce que c'est déjà arrivé l'année dernière, juste sur cette table, dit-elle en désignant le meuble sur lequel ils sont appuyés.

      A peine ces mots sortis de sa bouche, les deux bondirent loin de la table avec un air de dégoût.

- Haha, non je rigolais, sourit-elle. Mais pas de rapports sexuels, ajoute-t-elle, son sérieux de retour.

      Eh ben, dis donc. Elle a de l'humour.

      Aylin se rassoit en soupirant.

- Je te préviens, je n'aime pas les gens.

      Finn, en face, se tourne vers elle.

- Vraiment ?

- Peu importe qui tu es, d'où tu viens, ce que tu aimes ou n'aime pas. Je n'aime pas les gens.

- Intéressant. Moi, je te préviens, je n'aime pas les araignées.

- Vraiment ?

- Peu importe d'où elles sortent, si elles ont huit pattes, un œil ou me ramènent des biscuits. Je ne leur fais pas confiance.

- Ah.

      Cette conversation est tout à fait normale.

- Je suis Finn Davy, si ça t'intéresse.

- Non, ça ne m'intéresse pas. Mais merci pour l'info.

- Pas de quoi. Et toi, tu es... ?

- Quelqu'un qu'il vaut mieux que tu ne connaisses pas.

- D'accord, Aylin Alison Reid, dit-il avec un sourire malicieux.

      Aylin hausse les sourcils.

- Tout le monde parle de toi. Forcément, ton nom m'est arrivé aux oreilles.

      Puis le sujet change brusquement et ils commencent à discuter de cette affiche qu'ils doivent confectionner. Et ça, ça ne nous intéresse pas.

      Bilan de cette première journée d'observation: Aylin a en apparence beaucoup changé, mais au moins une chose est restée la même. Elle a conservé ce talent de pouvoir dissimuler ses émotions. Elle a une expression faciale qui ne varie que peu, ayant peur, j'imagine, de trahir ce qu'elle ressent et de montrer inconsciemment ce qui lui traverse l'esprit. Comme je l'ai dit, elle n'est pas très facile à cerner. C'est alors devant sa légendaire Poker Face que j'essaie, moi, humble spectateur, de deviner ce qui se passe là-dedans, dans sa tête.

      Mais au moins, là, je peux me venter de savoir ce qui se passe là-dedans. De la stupeur, de la peur, de l'inquiétude et de l'appréhension. Car même si rien ne l'indique, Aylin connait bien ce nom. Finn Davy. Oui, très bien, même. En même temps, elle a toujours été très douée pour mentir. Ne vous ai-je pas prévenus ?

-A

5: III. I’M WATCHING YOU
III. I’M WATCHING YOU

      C’est une nouvelle journée à Rosewood, et je suis toujours à mon poste d’observation. Aylin est actuellement en route pour le lycée, longeant les trottoirs avec tout au long les maisons toutes aussi immenses les unes que les autres. Plusieurs personnes emplissent la rue en ce matin, allant à l’école, au travail, ou partant faire une promenade matinale dans les coins calmes et apaisants de la ville. L’air est frais, une agréable odeur de fleurs plane, et le soleil en rajoute dans l’aspect accueillant et chaleureux de Rosewood. Rosewood respire la vie.

- Hey ! crie une voix.

      Aylin se retourne.

- Salut, dit une jeune fille en descendant l’allée de sa maison.

      Elle est plutôt petite. Ses cheveux bruns coupés courts fouettent l’air tandis qu’elle se met à courir pour rattraper Aylin.

- Tu es Aylin, hein ? Je m’appelle…

- Laurel ! hurla une voix masculine depuis la maison, l’interrompant ainsi au milieu de sa phrase. Attends-moi!

- Laurel. Je m’appelle Laurel, poursuit-elle en portant une main à son front, l’air faussement consterné. Et l’autre là, c’est mon frère, ajoute-t-elle dès qu’il arrive près d’elles.

- Le grand Liam Davis, le seul, l’unique ! s’exclame-t-il en faisait un grand geste des mains comme pour dire « ta-da ! ».

      Laurel lève les yeux au ciel.

- Ne fais pas attention à lui. Si tu l’ignores, son arrogance finit par s’envoler et il revient sur terre.

- Comment ça, mon arrogance ? Je ne suis pas du tout arrogant. J’ai une bonne estime de moi-même, c’est tout.

- Moi, c’est Aylin, dit-elle.

- Oui, je sais.

      Ils s’éloignent un peu, puis Laurel brise le silence.

- En fait, tu viens d’où ?

- D’Angleterre.

Le visage de Laurel s’illumine.

- Nous y sommes allés cet été. C’étaient de super vacances.

- Ouais, tu parles, répond son frère sur un ton d’ennui suprême. Il n’y a que toi qui as aimé la pluie en été. Il a fallu rester à l’intérieur. A l’intérieur !

- C’est sympa, la pluie. Ca sent bon.

- Génial. Ma sœur est une pluie-phile.

- On dit « Pluviophile ».

- Je m’en fiche, en fait.

      Laurel lui donne un coup de coude, ce qui fait légèrement sourire Aylin. Liam se tourne vers elle.

- Et ça te plait, Rosewood ?

- Hum, oui. Ça fait deux semaines que j’ai emménagé ici, et ça m’a l’air plutôt pas mal comme ville.

- Ça l’est, acquiesce Liam.

      Le silence tombe de nouveau. Ils continuent à avancer, quand un type les interpelle en passant en voiture.

- Hey, Liam ! Viens, je t’emmène. Salut, Laurel. Tu viens ?

- Non, c’est bon. Merci.

      Il aperçoit Aylin et écarquille les yeux.

- Oh, c’est toi, Aylin ? Tout le monde ne parle plus que de toi depuis hier.

- Super.

- Ouais ! Même Quinn a parlé de te faire entrer dans son groupe d’amis, dit-il comme si elle devait être impressionnée. Moi, c’est Ian. On se voit plus tard ? ajoute-t-il en regardant tour à tour les deux jeunes filles avant de s’éloigner.

      Aylin se tourne vers Laurel.

- Qui est Quinn ?

- Quinn Harvey, ou autrement dit, la fille qui règne sur Rosewood. Tout le monde la vénère.

- D’accord. Cette fille est donc à éviter.

- Impossible. Le jugement de Quinn est inévitable. A savoir si tu es « fréquentable » ou pas. Tout le monde y passe. Mais en général, personne n’y accorde grande importance, même si on prétend le contraire. On la laisse dans son délire, tu vois ? De toute façon, le lycée, ce n'est pas pour l'éternité.

- Moi en tout cas, j’ai des règles simples de survie : 1) Rester extrêmement discrète, ce qui est, apparemment, mission échouée. 2) Surtout éviter les problèmes. 3) Essayer de me trouver des amis normaux… Ah oui, et manger, aussi. C’est très important, la bouffe.

      Laurel lui sourit.

- On est d’accord.

      Elles arrivent devant le lycée qui grouillait déjà d’élèves, et chacune d’elles doit partir rejoindre sa classe pour le premier cours de la journée.

- On se voit au déjeuner ? Je te présenterai à mes amies. On se connait depuis longtemps, et je suis sûre qu’elles t’adoreront.

- D’accord. A plus tard, alors.

      Il semblerait qu’Aylin se soit fait une nouvelle amie. Mais tiens, n’a-t-elle pas dit qu’elle n’aimait pas les gens ? En tout cas, les gens, eux, ont l’air de l’apprécier, sans même prendre la peine de la connaître. Partout où elle passe, les gens l’aiment instantanément, comme si elle leur jetait un sort, même inconsciemment. Est-ce sa beauté ? Les gens disent qu’elle ressemble à un ange, mais moi, je trouve qu’elle ressemble plutôt à une poupée facilement cassable.

      Aylin arrive à son casier et trouve quelqu’un adossé à lui.

- Bouge de là.

- La politesse, tu connais ?

      Aylin prend une inspiration.

- Bonjour, Finn. Comment ça va ? Non, ne me le dis pas. Je m’en fiche. Que me vaut l’honneur de te voir ? Ne dis rien. Tu m’agaces beaucoup, tu sais ? Casse-toi, s’il te plait. Merci !

- Tu as oublié « Bonne journée ».

      Aylin ne patiente plus. Elle le saisit par le col de sa chemise et le pousse hors de son chemin pour avoir accès à son casier. Elle l’ouvre. Finn, amusé, revient à la charge.

- Je suis un ninja.

- Non, tu ne l’es pas.

- Est-ce que tu m’as vu faire ça ?

- Faire quoi ?

- Exactement ! Haha haha… Ha… Ha. Allez, vas-y rigole.

- Ton sens de l’humour est accablant.

- Tu devrais travailler le tien.

      Perso, j’aime bien sa blague.

      Finn croise les bras.

- Tu as des idées supplémentaires pour l’affiche, finalement, ou tu comptes me laisser faire tout le boulot ?

- On en reparlera plus tard, Finn. Je ne veux pas être en retard.

      Il consulte sa montre.

- Tu as encore trois minutes et quarante-cinq secondes. On devrait se voir, pour en discuter. Qu’est-ce que tu en dis ?

- J’en dis que je n’aurais pas dû m’inscrire à ce club.

- Ce n’est pas très gentil.

- Je n’ai jamais dit que j’étais gentille.

      Ces deux là commencent à m’amuser. Ils sont assez chouettes pour me servir de téléréalité. Quoi ? Je n’ai pas de temps à perdre à regarder ce genre de conneries à la télé, il me faut bien des distractions.

- D’accord, Miss Pas-Gentille. Donne-moi ton numéro, pour que je puisse te harceler.

      Non, Finn. Ca, c’est mon boulot.

      Aylin lui fait un petit sourire que je qualifierais bien de diabolique.

- Non.

- Mais…

- Au revoir !

      Et Aylin disparait au bout du couloir, direction son cours de Français.

      Ce que ni l’un, ni l’autre, n’a remarqué à ce moment, c’est que je les observais. Tranquille dans mon coin, je prends des notes sur la nouvelle vie de ma protégée. J’ai bien le droit, non ? Et j’avoue que sur ce coup-là, elle me déçoit. Elle croit vraiment que j’ai disparu de sa vie à jamais, et que je ne suis plus qu’un simple souvenir. Mais elle devrait vite comprendre qu’on ne se débarrasse pas de moi aussi facilement. Aylin veut éviter les ennuis ? Elle n’est pas encore au courant, mais elle a un problème majeur. Lequel ? Moi, voyons. Je suis encore là, en chair et en os, à surveiller ses moindres faits et gestes. Et dès qu’elle commettra ses premières erreurs, je serai là pour lui rappeler comment bien se conduire.

      À l’heure du déjeuner, Aylin se dirige vers la cafétéria du Rosewood High, qui est déjà pleine à craquer. C’est une grande salle, avec des rangées de tables carrées, et, à droite, un long comptoir destiné à servir les élèves de toutes sortes de nourriture.

      Aylin jette un regard à la ronde, cherchant Laurel. Elle ne veut sans doute pas se retrouver seule vu le tableau effrayant qui se tient devant elle : bien sûr, pour respecter le bon vieux cliché des catégories imposées dans les lycées, il y a une table spécifique pour chaque clan. C’est un peu comme le système des factions – oui, j’ai pris le temps de voir quelques films par-ci, par-là. Les sportifs accompagnés des cheerleaders d’un côté, les intellos de l’autre. Il y a même une table pour les gothiques près du comptoir. Non loin, les pros de l’informatique, les skateurs, les prétendus artistes, sans oublier les pauvres âmes perdues – les sans faction – assises éparpillées à quelques recoins de la salle. Et j’en passe. Mais il y a la table au milieu de la salle. Celle à qui les autres jettent des coups d’œil réguliers. Normal, c’est la table des populaires. La top faction, si vous voulez. Que serait le système, le cliché sans cette table ? Et là, il y a Quinn Harvey assise avec ses deux acolytes, Truc-Machin et Chose-Bidule – j’ai oublié leurs noms, et alors ? Ceux-là leur vont mieux, je trouve.

      Aylin s’avance vers le comptoir et prend un plateau. Elle reçoit un appel à ce moment-là. Poussant un petit soupir, elle décroche.

- Allô ? Ça va. Oui. Non. Oui. Peut-être. Ok. D’accord. Oui. Je serai là à 15 heures, Nelly. Oui, promis. Mais si ! A plus tard.

      Elle se retourne et voit Laurel qui lui fait un signe de la main. Elle est assise à côté de trois autres filles près de la fenêtre.

- Viens ! articule son amie.

      Elle prend le strict nécessaire pour son déjeuner et s’exécute.

- Salut, dit-elle d’une petite voix.

- Salut ! répond joyeusement la blonde à côté de Laurel.

      Les autres se contentent de lui sourire amicalement.

- Aylin, je te présente Riley, dit Laurel en désignant la blonde du doigt. Elle, c’est Hazel.

- Oui, comme Hazel Grace Lancaster. Coucou, la salue cette dernière.

- On a dû te faire des vannes avec le « Okay » pleins de fois, dit Aylin.

- Tout le temps. Au moins si j’avais mon Augustus Waters, ça irait.

- Mhmm.

- Et elle, c’est Claire, la p’tite intello de notre groupe, achève Laurel avec un sourire.

      Claire fait mine d’être offensée, puis se tourne vers Aylin en souriant.

- Ne l’écoute pas.

      Aylin s’installe près d’elle. Elle les trouve déjà sympas, je parie.

- Laurel nous a dit que tu étais en Angleterre, avant, commence Claire.

      Aylin acquiesce.

- Pourquoi tu as déménagé ?

- Et bien, mon père devait venir ici. Pour le travail.

- Oh, et il fait quoi ? demande Hazel.

- En fait, mon père est avocat. Il travaille en général à Philadelphie. Il rentre à la maison à des temps irréguliers, voire pas du tout. Il est très occupé. Sans oublier les voyages d’affaire, des fois.

      Elle met une grosse bouchée de légumes dans sa bouche. Sans doute pour empêcher d’autres mensonges de s’en déverser.

- Pourtant, Philadelphie n’est pas si loin que ça, fait remarquer Claire, incrédule.

- Tu as des frères et sœurs ? questionne Riley.

- Non. Fille unique. J’habite avec Nel… Ma mère.

- Tu as de la chance. Tu as bien vu mon débile de frère ce matin, intervient Laurel en levant les yeux au ciel.

- Liam ? Mais non. Il a l’air gentil.

      Laurel allait répliquer, mais une personne était en train de s’approcher d’elles lentement, attirant l’attention des autres. Elle ressemble à un mannequin de Victoria’s Secret. Riley détourne la tête.

- Alerte rouge. Alerte rouge.

- Ignorez-là, d’accord ? dit Claire.

      Aylin veut certainement leur demander ce qu’il se passe. Mais la ravissante fille arrive déjà à leur table. Ses yeux bleus pétillent et ses cheveux blonds ondulent à la perfection dans son dos. Pétasse.

- Alors, c’est toi, la fameuse Aylin Reid ? C’est dingue comme tout le monde parle de toi. D’habitude, on s’en fout pas mal des nouveaux, fait-elle avec une petite moue comme si les « nouveaux » étaient de pauvres petites créatures sans importance.

- Ah.

      Les autres agissent comme si de rien n’était.

- Toi, tu es différente, ajoute-t-elle. Je trouve que tu as du potentiel. Pas comme certaines…

      Elle lance un regard coulant aux autres filles en posant sa main sur sa hanche. Pétasse.

- Je suis là pour te sauver de toute cette médiocrité. Bon c’est vrai, il faudrait changer quelques trucs chez-toi aussi…

      Elle détaille les vêtements simples d’Aylin avec un petit air de dégoût. Pétasse.

- Mais bon, je peux faire des miracles.

      Aylin la fixe toujours sans réagir. Et tout le reste des élèves les observent.

- Allez, viens avec moi. Je peux te présenter à des gens fréquentables. Mes amies nous attendent là-bas.

      Truc-Machin et Chose-Bidule agitent la main. Il y a un silence étrange dans la salle, comme si Aylin est sur le point de dire un truc énorme, comme si ce qui va suivre est décisif pour l’avenir de la nation. Laurel, Riley, Hazel et Claire la regardent toutes d’un coup, s’attendant sans doute à ce qu’elle accepte.

- Non, merci. Je sais reconnaître les personnes fréquentables, lui lance-t-elle avec un petit sourire faussement affectueux qui efface immédiatement celui de Quinn.

      La cloche retentit, annonçant la fin de la pause déjeuner, et servant par la même occasion de gong, de point final à cette petite confrontation. Aylin et ses désormais quatre amies se lèvent et se dirigent vers la sortie presque au ralenti, comme dans les films où le héro se retire victorieux. Quinn reste sur place, bouche-bée, et les suit du regard jusqu’à ce qu’elles disparaissent au fond du couloir. Un groupe d’élèves au fond de la salle pouffe de rire. Elle leur jette un regard noir, et fait mine de s’en foutre complètement en rangeant ses affaires, ordonnant à Truc-Machin et Chose-Bidule de se lever.

      Pauvre Quinn. Jamais, au grand jamais quelqu’un n’a osé lui refuser quelque chose. Tout le monde se comporte comme si c’était une princesse. Mais bon, je suis sûre qu’au moins les trois quarts d’entre eux savent qu’elle ne vaut pas plus que n’importe qui d’autre. La reine de Rosewood ? Ha, la bonne blague. Elle se prend pour je ne sais qui, mais c’est juste une autre insupportable et capricieuse adolescente en pleine crise qui a besoin d'attention non stop comme une gamine de 4 ans. En plus, remarquez qu’elle est l’incarnation du stéréotype de la méchante blonde dans les mauvaises fictions. Vachement ennuyeux, vous ne trouvez pas ? J’ai l’air de la détester. Et j’ai mes raisons. Vous vous demandez peut-être comment je connais Quinn, et qu’est-ce que j’ai contre elle. C’est très simple. Mais je n’ai pas envie d’en parler pour le moment. Pour vous réconforter, je vous donnerai un indice la prochaine fois qu’on se parlera. Promis !

      Rosewood, un vrai petit nid à secrets. Je connais pas mal de gens, et ces gens connaissent pas mal de gens aussi… Je peux vous assurer que c’est très facile pour moi de découvrir chacune des petites cachotteries que fait le beau monde de Rosewood. Ils devraient arrêter de dire n’importe quoi à n’importe qui. Bon nombre d’entre eux ne savent pas garder un secret. Y compris moi !

-A

6: IV. GUESS WHO I AM
IV. GUESS WHO I AM

      Une semaine plus tard, Aylin se trouve dans le couloir du hall d'entrée. Le professeur de maths, me semble-t-il, est absent, ce qui l'amène à faire des allers-retours dans les couloirs en attendant ses précieuses amies parmi les autres élèves qui n'ont pas cours.

      Ah, oui. Ses amies. C'est incroyable comme elles sont devenues proches en l'espace de seulement sept jours. Je les ai suivies, et j'ai constaté qu'elles passent déjà énormément de temps ensemble : elles se retrouvent dès que l'occasion se présente, l'après-midi chez l'une d'entre elles pour parler de tout plein de choses anodines. Par exemple, le mercredi, Laurel lui expliquait qu'elle était fan de littérature et d'art, et qu'elle suivait un stage de photographie à Philadelphie. Hazel, la sportive, racontait qu'elle faisait partie de l'équipe de natation du Rosewood High et qu'elle allait participer bientôt à une compétition contre un lycée adverse. Riley, elle, passait la moitié du temps à parler de tout ce qui touche au métal – même si l'entendre rechigner à propos d'un énième échec de son groupe de musique rock amateur n'intéressait pas tant que ça les autres. Sinon, elle tentait de désespérément séparer Claire et ses cahiers.

      Passionnant, tout ça.

      Le jeudi, les quatre filles la bourraient d'informations à propos des élèves du lycée en général. Puis elles se sont attaquées à Quinn Harvey et sa garde royale, de la transformation phénoménale de Nina Wall, une ex-ringarde réputée, des sensationnelles soirées de Ian Kay et enfin, Riley a proposé de faire une virée au parc du coin pour prendre l'air – ou plutôt reluquer le mec qui habite à trois portes de chez-elle. Et ainsi de suite. Elles sont déjà devenues meilleures amies.

      Les quatre, là... J'ai étudié leurs cas. Et elles non plus ne sont pas totalement innocentes. En même temps, que peut-on attendre d'autre d'une bande de quatre joliesjeunes filles de Rosewood? Mais on s'en occupera plus tard, d'accord ? La priorité pour l'instant, c'est Aylin.

      Aylin tourne toujours en rond, puis, une petite affiche collée au mur attire son attention.

Glee Club

La chorale de Rosewood High est de retour !

Auditions du 18 au

21 septembre

De 15h à 17h

À l'auditorium.

Venez montrer votre talent !

      Elle relit la date et réalise que c'est le dernier jour d'auditions.

      Horreur, malheur ! Vite, inscrivons-nous à ce club inutile fait pour des gens non moins inutiles !

      Quelqu'un a écrit sur le bout de papier « On s'en fiche ! » en gros caractères. Des instruments et notes de musique ornent l'affiche. Tout comme les dessins obscènes qui en recouvrent une partie. Les autres ont l'air de bien aimer ce club. Hashtag ironie.

      Juste en dessous de la petite annonce se dresse une liste de prénoms. Seulement six, alors que le règlement dit qu'il faut au minimum douze membres pour permettre au club de participer aux concours opposant la chorale avec celles des lycées concurrents – Oui, je suis allé jusqu'à consulter le règlement des chorales. Aylin détaille les prénoms inscrits et s'arrête sur l'un d'entre eux. Finn Davy. Elle cligne des yeux. Finn ? Eh ouais. Evidemment, je connaissais ce détail, mais Aylin, apparemment, non.

      La curiosité piquée d'Aylin l'emmène directement à l'auditorium. Elle entre discrètement. Personne. Elle choisit un siège au dernier rang. Ondirait qu'elle adopte la technique de Riley, c'est-à-dire: « Je me cache tranquillement ici pourharceler à distance le mec là-bas ». En attendant « le mec là-bas », elle s'installe dans un coin sombre. Elle consulte sa montre. 14h46. Génial. Ses yeux se promènent alors sur l'immense scène, sur laquelle est planté un micro – sans doute pour les auditions –, et traînent des décors utilisés pour les pièces de théâtre. Le grand rideau rouge est relevé. Les nombreux fauteuils de même couleur sombre sont destinés à accueillir les spectateurs qui se fatigueront à faire le déplacement pour assister au massacre des classiques de la chanson Américaine. Mais c'est vrai qu'il y a quelque chose de magique dans cet endroit, et Aylin aime visiblement ça. Je parie qu'elle se voit sur scène, debout devant des centaines de personnes qui l'applaudiraient tandis qu'elle ferait une reprise d'une chanson populaire. Elle aime le chant, et ça aussi je le savais depuis longtemps.

      Une porte claque un peu plus loin, l'arrachant à sa rêverie. Des bruits de pas approchent, et elle entend plusieurs personnes parler entre elles. Ils sont là. Le professeur de chant, dont le nom m'échappe, descend les escaliers qui mènent à la scène et demande à un groupe d'élèves de s'installer au premier rang.

- Bonjour, les enfants, commence-t-il. Je vois que vous n'êtes pas très nombreux, mais j'apprécie le fait que vous soyez là.

      Il consulte l'affiche avec les noms dessus.

- Nous allons donc commencer avec... Annie Hans.

      Annie monte sur scène à l'aide de son fauteuil roulant, annonce le titre qu'elle va chanter et entame le premier couplet. Et sa voix... Mon dieu, sa voix. Ce qu'elle considère comme étant un chant m'arrive aux oreilles dans un bruit insupportable semblable à d'affreux hurlements en continu.

      Pour éviter de passer des heures, voilà ce qui s'est passé en résumé : les pseudo-chanteurs sont tous passés un par un, le prof les a félicité un à un comme s'ils ont accompli un exploit, malgré qu'ils soient d'une nullité accablante... Sauf Finn. Lui, il a quelque chose de spécial.

- Bon, je crois qu'on a terminé. Bienvenue à tous au Glee Club ! finit par dire le prof.

      De toute manière, il est obligé de tous les prendre. Mieux vaut avoir une équipe de bras cassés que pas d'équipe du tout.

      Les heureux élus se regardent avec joie. C'est vrai, quel immense honneur de faire partie d'un club dont tout le monde se moque chaque année. Vous penserez peut-être que c'est du courage de s'y inscrire, du courage d'oser exprimer ce que l'on ressent vraiment au fond de nous. Mais moi j'appelle ça du suicide social, de l'autodestruction.

      Revenons-en à Aylin : elle a gardé une expression neutre durant toutes les prestations, jusqu'au moment où Finn est monté sur scène et a interprété « Lonely Day » de System of a Down. Là, elle l'a fixé d'un air étrange... Aurais-je aperçu de la culpabilité ? Non... de la tristesse. Où était-ce seulement le fait qu'elle en pinçait pour lui ? Je ne sais pas. En fait, si, je le sais. Mais c'est à vous de deviner pour l'instant. Ou alors attendez juste le moment ou je vous dirai toute la vérité. Mais si vous prenez la deuxième option, je vous souhaite bon courage : je ne compte encore rien révéler du tout. Ou du moins, pas entièrement.

      Aylin profite du moment où ils se félicitent tous entre eux pour s'éclipser par la petite porte d'entrée. Elle marche lentement une fois dehors, l'air un peu ailleurs, lorsque quelqu'un l'agrippe par son bras. Elle sursaute et se retourne.

- Bou.

      Vous l'aurez sûrement deviné : c'est Finn.

- Je t'ai vue en train de nous regarder. Tu n'es pas très discrète, tu sais.

      Comme d'habitude, il a son petit air rieur.

- Peut-être que tu devrais m'apprendre ton truc de ninja.

- Ah, tu vois ! Mais qu'est-ce qui t'a amenée?

- Je m'ennuyais.

      Il s'adosse au mur.

- D'accord. Tu viens ? Cette fois tu ne peux pas te défiler, on commence à être un peu en retard à propos de cette affiche.

- Oui, on y va.

- Tu ne vas quand même pas me laisser l... Quoi ?

- Quoi, quoi ?

- Non, rien. Je croyais que tu trouverais encore une excuse pour ne pas venir. Je comptais te sortir mon arme infaillible afin de te convaincre. A savoir la tête la plus adorable que j'ai en stock et que j'utilise en cas de force majeure pour soudoyer les gens. Mais en fait, je n'en ai même pas eu besoin.

- Ahah, manipulateur. Pas mal.

- Je pense que tu es plus douée que moi.

      Aylin plisse les yeux comme pour lui demander « Qu'est-ce que tu veux dire par-là ? ». Mais Finn lui fait signe de le suivre et elle s'éloigne avec lui dans le couloir.

- Qu'as-tu as pensé de ma prestation ?

- Pas mal.

- Et c'est tout ?

- Mhmm.

- Tu aurais pu utiliser d'autres adjectifs.

- Comme ?

- Je ne sais pas, du genre : super, magnifique, grandiose ?

- Quelle modestie.

      Finn pousse la porte de l'atelier de dessin, libre à cette heure-ci.

- Ah, au fait, j'ai assisté à la petite scène avec Quinn au déjeuner, il y a quelques jours. Un beau spectacle. La pause est tellement barbante que n'importe quel détail changeant paraîtrait spectaculaire. Pas que pendant le déjeuner, d'ailleurs. Tout à Rosewood est barbant.

      Aylin ne répond pas et va s'installer sur un tabouret. Elle prend son téléphone. Je ne vois pas ce qu'elle fait de là où je suis, mais elle envoie certainement un message pour prévenir ses amies de son retard. Je devrais mettre son téléphone sous surveillance, ça me faciliterait la vie. Après ça, elle prend une grande feuille et se sert dans les pots de peinture et de crayons. Finn s'installe à côté d'elle.

- Qui es-tu, Aylin ?

      Question intéressante à la réponse non moins captivante. Aylin ne prend même pas la peine de lever les yeux de sa feuille, sur laquelle elle commence à dessiner je ne sais quoi.

- Tu ne réponds pas ? Bien, tu l'auras voulu.

      Finn pose sa main sur la tête d'Aylin. Celle-ci écarquille les yeux.

- Tu t'appelles Aylin Alison Reid. Tu as 16 ans. Tu es fille unique. Non, attends. Tu dois avoir au moins un frère ou une sœur, qui aura hérité de tout le sens de l'humour de tes parents puisque toi, tu n'en as pas. Tu travailles pour le FBI et tu es une infiltrée sous couverture pour démasquer les vampires originels, ce qui fait que tu es tout le temps de mauvaise humeur car tu ne risques pas de les trouver à Rosewood. En même temps, tu essaies de dénicher les dernières licornes sur terre qui vomissent des arcs-en-ciel et qui possèdent la clé de la porte qui mène aux Pays des Merveilles.

      Il ôte sa main.

- Ai-je tort ?

Aylin lui retourne un regard condescendant.

- Impressionnant. Enfin, si on en oublie le fait que tu as presque tout faux.

      Finn attrape un crayon et se met à dessiner lui aussi.

- J'ignore de quoi il s'agit, mais il est évident que tu caches quelque chose.

- Qu'est-ce que tu insinues ?

- Pas grand-chose. Je sais seulement que tu mens. Tiens, vas-y, répète-moi comment tu t'appelles ?

- Aylin Reid.

- Tu dois me regarder.

      Aylin ressort sa Poker Face. Elle lève vers lui des yeux inexpressifs, un visage de marbre.

- Je m'appelle Aylin Alison Reid.

      Finn la fixe un moment.

- Non, désolé, je ne te crois pas. Tu mens. Ce qui me chiffonne, c'est que je ne vois pas de raison à mentir sur son nom. Quand on est une jeune lycéenne, je veux dire.

      Et il se remet à son dessin.

      Aylin a un moment de faiblesse et laisse apparaître en un éclair de la peur dans ses yeux. Mais il n'y a que moi qui l'ai vue. Bien joué, Finn ! Peut-être qu'Aylin n'a finalement pas besoin de moi pour voir ses secrets percés ? Nous ferions une bonne équipe, Finn et moi.

- Tout simplement parce qu'il n'y en a pas, de raison. Tu te trompes.

- Tu as un tic quand tu mens. Il est presque imperceptible. Mais il est assez visible en tout cas pour être remarqué.

      L'agacement d'Aylin semble monter.

- Continue ton coloriage et tais-toi.

- Ha, oui. En parlant de coloriage, il est joli, hein ? Le tien, par contre... On ne t'a jamais appris à colorier sans déborder ?

      Aylin lui donne un coup de coude en voyant qu'il se réjouit d'avoir réussi à l'énerver. Finn quant à lui, abuse de son sourire taquin.

      Je ne le trouve pas dérangeant. Et je suis sûre qu'Aylin non plus.

Leur séance retour-à-la-maternelle terminée, ils rangent leurs affaires. Aylin sort la première, Finn à quelques pas derrière elle, quand son téléphone bipe, annonçant l'arrivée d'un nouveau message.

Menteuse. Manipulatrice. Et j'en sais encore plus sur toi. Je suis là. A observer. A juger. Tiens-toi bien, car le jeu va bientôt commencer.

-A

      Je sais, pas fameux comme premier message, mais je n'en peux plus de me retenir.

      Elle remet directement son téléphone dans sa poche, comme si elle s'en fichait royalement. Oh, que c'est blessant. Elle doit croire à une mauvaise blague. Elle ne devrait pas...

      Elle se retourne brusquement vers Finn.

- Sérieusement ?

- Quoi ?

- C'était quoi ce message ?

- Quel message ?

      Attendez. Elle ne croit tout de même pas que...

- Celui-là.

      Elle lui met le téléphone sous le nez.

      Si ! C'est encore mieux que je ne l'espérais.

      Finn garde une voix calme et un air parfaitement innocent.

- Je ne t'ai pas envoyé ça.

- Ah oui ? Et d'où ça vient ?

- Comment veux-tu que je le sache ? Et puis, pourquoi je signerais avec un « A » ?

- Pour me jouer un mauvais tour ? Pour réveiller de vieux démons ?

      Finn ne répond rien, mais on voit bien l'incompréhension sur son visage. N'ajoutant plus rien, il s'en va.

      Allez bon, place au petit indice que j'ai promis de vous donner la dernière fois. Vous avez été très sages d'avoir suivi l'histoire, même s'il ne se passe rien de bien excitant pour l'instant. Pour ça, ce n'est pas très grave, je ferai bientôt mon entrée phénoménale pour enfin mettre un peu d'ambiance. Voyons... Je suis une personne qu'Aylin déteste du plus profond de son être. Une personne qui la déteste aussi. Non, attendez : qui la hait. Haïr est un terme plus approprié. Et qui s'est juré de lui faire payer ce qu'elle a fait. Voilà. Je sais... Ca ne vous aide pas du tout, n'est-ce pas ? Mais estimez-vous heureux que j'aie tenu ma promesse. Je vous ai donné l'indice. Quoi ? Cet indice est inutile ? Je n'ai jamais dit qu'il serait utile...

Calmez-vous... Je vous ai dit que vous serez au courant de tout. Quand je l'aurai décidé.

-A

7: V. STILL HERE AND ALWAYS WILL
V. STILL HERE AND ALWAYS WILL

      Cette fois, vous avez droit à un récapitulatif. Pourquoi ? J’en ai décidé ainsi.

      Vous connaissez la malédiction du mensonge ? Non ? Normal : je viens de l’inventer. Mais je vois que cette malédiction s’applique parfaitement à Aylin : en un mois, elle a pratiquement tout réussi.

      Elle a fait la connaissance de Laurel, Riley, Claire et Hazel et forment maintenant une hyper super bande de meilleures amies. Ses relations avec Finn vont cependant moins bien. Ah oui, c’est vrai, je ne vous ai pas raconté. Après la mini dispute de la dernière fois, ils sont restés en froid. Ils se voyaient au club de lecture – qui a gagné quelques membres supplémentaires –, ou pendant quelques classes qu’ils ont commun. Mais ils ne s’adressaient pas la parole. Cependant, ils se jetaient des regards en permanence comme s’ils avaient envie de se parler, de se rapprocher. Comme s’ils étaient connectés même s’ils faisaient tout pour être loin l’un de l’autre. C’était comme s’ils se connaissaient depuis toujours… Peut-être est-ce le cas. Ou peut-être pas !

      Bon, passons. Elle a rejoint le Glee Club. Vous avez levé les yeux au ciel ? Moi aussi. J’ai voulu zapper cet épisode car c’est d’un ennui ! Bon, ok. Ils manquaient cruellement de membres, et on lui a proposé de les rejoindre. Eh, mais j’ai oublié de vous dire : comme si Aylin n’avait déjà pas assez de cordes à son arc, mademoiselle sait chanter ! Eh oui ! Une jolie voix, très envoûtante, vraiment. Elle a hésité mais finalement accepté. Je vous ai prévenus que c’était ennuyeux.

      Bref. Quoi aussi ? Ah. Bien sûr. En plus de sa beauté, sa perfection naturelle, il y a son intelligence. Evidemment, les profs l’adorent déjà. Jolie, intelligente, et une liste infinie de qualités que j’ai sérieusement la flemme de citer. Oh là là. Une vraie Mary-Sue du monde réel, n’est-ce pas ?

      Vous réalisez qu’elle a réussit à se faire une place en à peine un mois ? Moi-même je n’arrive pas y croire. Et on parle de Rosewood, là. Bon, il y a aussi cette garce de Quinn qui n’a pas hésité à lui rappeler qu’elle était toujours la reine chérie de tout le monde. Mais à part ça, je vois que tout est parfait. Sauf que vous oubliez un détail… Moi ! À votre avis, pourquoi ai-je appelé ça une malédiction ?

      Aylin est tranquillement allongée sur son lit. C’est le week-end, et tout est incroyablement calme dehors. Aujourd’hui, elle doit retrouver les autres chez Claire. Elles ont prévu de faire une soirée pyjama ce soir même. D’après ce que je sais, il y a eu des événements récents dans la vie de chacune d’entre elles. Des événements plutôt intéressants qu’elles se cachent mutuellement et très minutieusement. Ne sont-elles pas meilleures amies ? Ne sont-elles pas supposées partager leurs secrets, même les plus noirs ?

      Elle se lève et regarde le réveil posé sur sa table de nuit. 18h. Elle sort un sac de son armoire et y fourre le strict nécessaire de vêtements.

      Son téléphone reposant sur son petit bureau fait un petit bruit. Elle s’en approche et constate l’arrivée d’un nouveau message dont l’expéditeur est inconnu.

Alors, comme ça, on ignore mon message ? Tu es très courageuse. Ca te ferait réagir si je te disais que je sais tout ? En particulier à propos de cette nuit-là ? J’imagine que oui. Je ne sais pas si tu t’en rends compte, mais je te surveille de près. De TRÈS près. Pas encore effrayée ? Tu le seras.

-A

      Aylin cligne très vite des yeux. Je crois que j’ai touché un point sensible. Cependant, elle ne réagit pas tant que ça. Croit-elle toujours que Finn tente de lui jouer un mauvais tour ? Se doute-t-elle de mon retour ? Pense-t-elle seulement qu’il y a possibilité à ma réapparition ? S’en fiche-t-elle ? Quoiqu’il en soit, après ce qui semble être un moment de réflexion, elle secoue doucement la tête comme si elle rejetait une idée ou une pensée, et fourre son téléphone dans sa poche comme si de rien n’était.

      Empoignant son sac, elle quitte sa chambre, descend les seize marches de l’escalier et se retrouve dehors. Pendant qu’elle verrouille la porte d’entrée, mon agacement croissant se fait ressentir. Son indifférence commence à me mettre hors de moi. Mais elle finira par avoir peur, j’en ai la certitude.

      Traversant la route, elle fait quelques pas tout droit avant de tourner à droite et de longer la rue. Deux minutes à peine, et Aylin est debout devant chez les McHale. Elle toque trois fois. Des bruits de pas approchent, puis la porte s’ouvre.

- Oh, c’est toi. Bonsoir.

      C’était Jo, la sœur de Claire. Elle l’invite à entrer, et appelle sa sœur. Celle-ci descend et la salue. Puis, elle entraine son amie dans leur grange aménagée en une grande chambre. Là, se trouvent déjà Laurel, Riley et Hazel.

      Une bonne partie de la soirée s’écoule sans qu’il se passe quelque chose en particulier. Elles ont dîné, parlé, ri, échangé des objets et balivernes en tous genres. Et puis Riley a profité d’un petit silence pour changer le programme, ce qui n’était pas de refus.

- Ca vous dit de jouer à un jeu ?
- Quel genre de jeu ?

      Riley prend une bouteille qu’elles ont vidée un peu plus tôt et la positionne au milieu.

- L’autre jour, chez Ian, ils y avaient joué. C’est une sorte d’action/vérité, sauf qu’il n’y a pas d’actions. Si la bouteille te désigne, tu dois choisir entre révéler un secret ou une chose humiliante.
- Attends, tu as été invitée chez Ian ?

      Riley lève les yeux au ciel.

- Comme si Ian savait que j’existais ! Il n’a d’yeux que pour Laurel. N’est-ce pas, Laurel ?

      Cette dernière détourne soigneusement les yeux et fait mine d’être fascinée par les rideaux.

      Riley laisse échapper un petit rire et demande aux autres de s’assoir en cercle. Elle attrape la bouteille et la fait tourner au milieu. La bouteille s’arrête et le goulot pointe vers Claire.

- Claire. Tu dois nous révéler un de tes secrets.

      Claire regarde Riley, sans répondre. Riley se redresse.

- Tout ce qui sera dit dans cette pièce n’en sortira jamais.

      Claire reste immobile.

- Bon, d’accord…

      Elle ferme les yeux.

 - Je fréquente mon prof de littérature, enchaîne-t-elle très vite.

      Les autres ouvrent des yeux aussi grands que des soucoupes. Claire rouvre les yeux et voit leur expression.

- Par « fréquenter », tu veux dire le voir tous les jours en classe ou dans les couloirs, comme tous les élèves ? demande Hazel.

      Mais oui, bien sûr !

      Laurel lui donne un coup de coude.

- Ne sois pas stupide.

      Hazel soupire. Riley éclate de rire.

- Wow. Bien joué !
- Bien joué ? reprend Laurel. C’est complètement immoral et déraisonnable.

      Le rouge monte aux joues de Claire, et souhaitant sans doute changer de sujet, elle prend la bouteille et la fait tourner.

- Aha ! À toi, Riley.

      Le sourire et l’enthousiasme de Riley disparaissent.

- Ok. Vous voyez ce bracelet ?

      Elle lève son bras droit et désigne le bijou.

- Eh bien, je l’ai volé.
- Quoi ? Mais attendez, vous réalisez que c’est illégal tout ça ? fait remarquer Laurel, en faisait la navette entre ses deux amies.
- C’est bon, personne n’est au courant ! répond aussitôt Riley avec désinvolture. Enfin, à part vous.

      Vraiment ?

- Ce n’est pas une raison pour faire ce genre de choses.

      La bouteille tourne à nouveau.

- Laurel. Vas-y, raconte-nous un peu, toi qui es si innocente, lance Claire non sans une pointe de reproche dans la voix.

      Laurel n’y prête pas grande attention.

- Je ne sais pas quoi dire.
- Dis-nous, je ne sais pas… Tiens, comment va Ian ? demande Riley d’un air taquin.
- Comment je le saurais ?
- C’est le meilleur ami de ton frère, et à ce que je sache, il passe beaucoup de temps chez-vous, et…

      Laurel jette l'éponge.
- Ca va, ça va. Ian et moi… On sort plus ou moins ensemble, si c’est ce que vous voulez savoir.
- Je le savais ! s’écrie Riley, triomphante.

      Hazel croise les bras.

- Melissa va te tuer si elle l’apprend.

      D’après mes récentes recherches et selon toute apparence, Melissa est la petite amie actuelle de Ian.

- Ca aussi, c’est loin d’être moral et raisonnable. Et d’un certain point de vue, c’est aussi illégal, attaque Claire.

      Laurel baisse les yeux.

- N’en rajoute pas, Claire.
- Tu n’avais qu’à pas…
- Eh. Stop.

      Hazel la pacifiste met fin à l’élan de dispute que la conversation prend en rappelant à Laurel qu’elle doit faire tourner la bouteille. Dommage, les voir se chamailler comme des gamines aurait été amusant.

      Laurel s’exécute. Le goulot pointe encore plusieurs fois sur les élues ayant déjà fait une confession. Décidant qu’elles n’auraient pas à en faire d’autres, Laurel la tourna une dernière fois pour savoir qui de Hazel et Aylin devra y passer la première. Ca tombe sur Hazel.

      Elle est tendue.

- Claire, ne me tue pas.

      Celle-ci lève un sourcil interrogateur.

- De quoi tu parles ?
- C’est juste que… Il m’est déjà arrivé de tricher aux examens. Même avec ton aide.
- Quoi ?
- Je dois avoir un parcours scolaire acceptable si je veux avoir une bourse à la fin de…
- Et pour ça il faut travailler ! Donc j’ai gaspillé mon temps pour rien ?

- Gaspillé ?

- Je commence à croire que tu n’as jamais été notre amie, lance Hazel.

      Laurel jette un regard alarmé à Riley.

- D’accoooord… On n’aurait peut-être pas dû jouer à ce truc, interrompt Riley.
- Tu crois ?

      Claire se retire légèrement du groupe, en colère. Riley semble chercher une échappatoire, puis déclare:

- C’est ton tour, Aylin.

      Les autres sursautent légèrement. Je parie qu’elles avaient complètement oublié sa présence, elle qui n’a prononcé aucun mot depuis un bon moment. Aylin, quant à elle, hausse les épaules.

- Je n’ai pas grand-chose à dire. Mais… bon, s'il faut passer par-là. Je crois que j’aime bien Finn, en fin de compte.
- Finn ? Le mec de ton club de lecture ?
- Celui qui te tourne autour ?
- Lui-même.
- Tu ne disais pas qu’il était…
- Agaçant. Oui. Mais… Je ne sais pas trop.

      Traduction : « Il me fait complètement craquer, mais, je le tiens loin de moi parce que ce n’est pas aussi simple que ça. Aussi, c’est le plus petit de mes secrets, alors ça m’arrange énormément de choisir celui-là, vous comprenez ? ».

- Très bon choix, en tout cas, dit Riley en lui faisant un clin d’œil.

      Aylin fait un petit sourire.

- Hey, maintenant on doit promettre de ne rien répéter à qui que ce soit.

      Elles se prennent toutes par la main et répètent en chœur : « Je promets de garder ces secrets pour toujours et à jamais ».

      On dirait une confrérie de sorcières.

      Pauvres petites choses. Elles ne voient pas que les secrets de ce genre peuvent salir une réputation, voire détruire une vie? Bon, Aylin a été assez maligne de n’avoir révélé rien de grave. Au pire, tout le monde est courant, et puis quoi ? Et puis rien. Il se pourrait même qu’elle sorte un jour avec Finn, qui sait. Enfin, si elle arrive à garder toujours aussi bien son secret affreux. Ce qui ne va pas être si facile que ça, avec moi et mon envie de foutre le bordel dans les parages. Mais je les remercie quand même. Ces filles ne m’intéressent nullement hormis Aylin, mais j’ai bien noté tout ce qui a été dit de compromettant, et je compte bien m’en servir à l’avenir si l’une d’entre elle ose se mettre au travers de mon chemin. En attendant, je choisis de faire une petite intervention.

      Claire, Hazel, et Laurel se présentent maintenant des excuses comme des petites filles. Dieu, j'ai l'impression de me retrouver à la maternelle. Elles se mettent à rire pour je ne sais quelle raison stupide et tout redevient pour le mieux dans le monde des Bisounours. Puis, un bruit du côté de la fenêtre les alerte et le calme s’installe subitement. Claire se lève doucement et jette un coup d’œil prudent au dehors. Personne. Elle referme les rideaux à la couleur sombre et repart s’assoir. Quelques secondes s’écoulent, où elles pensent que tout va bien, et un téléphone sonne. Elles se regardent, l’air vague. Aylin prend son téléphone et son inquiétude, mêlée d’incompréhension, se confirme et apparaît intensifiée sur son visage.

Les garces doivent mourir.

Et, félicitations, tu en es une !

Faites très attention, toi et tes copines.

C’est la saison d’ouverture sur les menteuses et je suis en chasse…

A is for Alive !

-A

8: DEUXIÈME PARTIE
DEUXIÈME PARTIE

 

 

 

 

 

 

LET'S PLAY A GAME

9: I. HIGHWAY TO HELL
I. HIGHWAY TO HELL

      Aaaah. Halloween… Quelle fête merveilleuse ! Vous ne trouvez pas ? Une superbe occasion de se déguiser et devenir qui on veut. Absolument tout ce qu’on veut. Et par la même occasion, mourir de peur. Oh, allez ! Comme tout le monde, vous aimez avoir peur, n’est-ce pas ? Je dirais que c’est humain, après tout. Cette fête est parfaite, sauf que je pense que les déguisements sont un peu superflus en dépit de leur part de mystère et d’amusement. Car après tout, bien des fois, les humains n’ont pas besoin de déguisements pour ressembler à des monstres. Mais de toute façon, avouez : c’est tellement plus amusant que Noël.

      C’est fin Octobre – merci, Captain Obvious –, et tous sont très excités de la fête qui s’apprête à être donnée. En général, les élèves qui ont la chance d’être invités vont à celle de Ian. En effet, il a l’habitude d’organier une fête chaque année qui regroupe les populaires, ceux qui « méritent » d’être invités. Mais cette fois, même Ian a décidé de ne pas l’organiser pour profiter de cet évènement.

- « Voyage jusqu’au bout de la terreur », lit à haute voix Claire en tenant un bout de papier dans ses mains.

- C’est quoi ? demande Hazel.

- Apparemment, une fête spéciale Halloween.

- Chez Ian ? questionne à son tour Laurel en jetant un coup d’œil à l’affiche.

      Aylin pointe du doigt une phrase inscrite plus bas.

- Ca se passe à bord d’un train, regardez. Les places sont limitées.

- Ils en parlaient déjà il y a quelques jours, répond Riley. La fête aura lieu à l’intérieur du train pendant qu’il avancera quelques heures. Le temps qu’on crève tous, quoi.

      Crever ? Hum, bonne idée.

      Elles sont assises dans la cour, où plusieurs autres élèves montrent et détaillent des affiches identiques à la leur. Riley regarde ses amies une à une.

- Vous êtes d’accord pour qu’on y aille, hein ?

- Carrément, acquiesce immédiatement Laurel. Ca ne risque pas d’être pire que de distribuer des bonbons avec Liam. Enfin, je veux dire distribuer des bonbons en tentant d’empêcher Liam de tous les manger.

- Et pas question de se défiler, ajoute Riley en pointant Claire du doigt.

- A vos ordres.

- Si vous voulez, venez chez-moi, propose Hazel. Comme ça, on se prépare toutes ensemble.

- Super, sourit Aylin.

      Elles avaient l’air content. Et moi, encore plus.

      La fête aura lieu dans quelques jours, et les gens dévalisent déjà les magasins de déguisement. Entre costumes traditionnels et d’autres moins, ils ont le choix. Je tourne en rond dans les rayons, détaillant les affreux costumes en froufrous et paillettes qui font honte au concept même de se déguiser pour Halloween, quand les filles font leur apparition dans le magasin. Je suis à l’avance, je savais qu’elles viendraient ici – je possède une ouïe puissante, quand je veux bien entendre certaines choses. Quoi donc ? C’est risqué de m’aventurer ici alors que les filles sont dans les parages ? Mais non, ne dîtes pas n’importe quoi. Il est au contraire très normal que je me retrouve là. Je ne suis qu’une simple personne qui recherche un déguisement, comme tout le monde...

      Je me tiens dans un coin, un masque de poupée sur le visage – ça donne un petit air effrayant, j’aime ça. Et, surprise ! Un jeune homme qui n’est autre Finn, accompagné de sa petite sœur d’à peine dix ans, se tourne vers moi. Il me regarde quelques secondes, droit dans les yeux. Et pendant cet instant, je suis convaincu qu’il sait. Mais cette idée saugrenue se dissipe dès que je me rends compte avec irritation que ses yeux vont se poser ailleurs. Sur Aylin, assurément. Et quand celle-ci s’aperçoit de sa présence, ils échangent un vague signe en guise de salutation, puis chacun retourne à son occupation.

      Ces deux là s’attirent comme des aimants, ce n’est pas possible.

      Ah. Laurel vient de choisir son déguisement. Une robe de princesse rose pâle. Hideux. Niais. Riley opte pour le gothique avec son costume de sorcière. Vu et revu, mais acceptable sur elle. Hazel, repère une tenue d’ange... Que dire ? A part qu’elle a l’air d’un gros sac de farine ambulant. Claire, elle, est en… Mais qu’est-ce que c’est ? Attendez, je vais faire de mon mieux pour vous décrire ce bazar : WTF, ça ne ressemble à rien. Et enfin, Aylin choisit son costume de vampire. Ce choix-là était prévisible, évident même : Aylin a toujours eu une sorte d’obsession morbide pour les vampires.

      Ces précisions faites, je ne m’attarderai pas sur ce manque cruel d’originalité et d’imagination.

      Leurs achats finis, les filles rentrent chez elles. Aylin arrive à la porte de la petite maison où elle habite, de loin la plus modeste de la rue. N’allez pas croire à son mensonge grotesque – comme quoi ses parents sont de grands avocats exerçant leur profession à Philadelphie –, ni qu’elle habite seule alors qu’elle est mineure et que c’est illégal.

      Les lumières du rez-de-chaussée sont allumées, et une ombre passe devant la fenêtre au moment où Aylin ouvre la porte d’entrée et s’introduit à l’intérieur.

- Je suis rentrée, Nelly.

      Elle dépose son costume sur le canapé et s’en va rejoindre la femme dans la cuisine. Cette dernière prépare le dîner, et s’interrompt un moment pour saluer Aylin.

- Coucou. Alors, comment s’est passée ta journée ?

- Bien.

      Nelly hoche la tête. Leurs discussions ne vont pas plus loin la moitié du temps. Aylin aide à mettre la table et elles prennent leur repas dans un silence qui leur est commun à toutes les deux.

      Ne me demandez pas qui est Nelly. Il n’y a rien de spécial à dire, de toute façon. Elle est simplement la femme entre deux âges qui travaille dans l’hôpital du coin en tant qu’infirmière et qui s’occupe d’offrir des conditions de vie favorables à Aylin. Elle n’est ni riche, ni pauvre. Il n’y a rien de captivant à découvrir sur elle. Mais elle pourra toujours me servir de pion à l’avenir.

      Le lendemain, a.k.a le jour J, Aylin arrive à venir à bout des questions et consignes de Nelly. « Vous ne rentrez pas trop tard, si ? Surtout, restez groupées. Faites attention à vous ! Ne faîtes pas de bêtises toi et tes copines, d’accord ? ».

      J’y veillerai, Nelly. Je prendrai soin d’elles.

      Ainsi, elle rejoint les filles et elles vont comme convenu chez Hazel vers vingt heures. Cette dernière fait partie d’une famille aisée, comme ses amies – excepté Aylin. Mais contrairement à ce que pourraient penser certains, elles ne sont pas des petites filles pourri gâtées et prétentieuses. Ce sont des filles bien. Naïves, pas très innocentes. Mais ce sont des filles bien si on oublie ces quelques petits détails embarrassants. Mais, oh, qu’est-ce que je disais, déjà ? Ah, oui. Elles sont chez Hazel, et chacune d’elle enfile son costume. Puis, après une séance maquillage qui a duré des plombes, elles se rendent là où tous les genres de monstres qui puissent exister attendaient avec impatience le fameux train fantôme.

      Le ciel annonce par ses gros nuages noirs menaçants une averse imminente. L’air est frais, humide. Nos petits monstres grelottent légèrement de froid. Quand le train arrive enfin, les jeunes gens se mettent tous à crier et à taper dans les mains comme des phoques attardés.

      Bien. C’est partit…

      Les jeunes envahissent déjà l’intérieur. Le compartiment se retrouve bondé en moins de deux. Les vitres ne laissent point paraître le monde extérieur, à cause de la buée qui en recouvre la surface sous l’effet de l’humidité atmosphérique. Les sièges sont de couleur sombre et sont recouverts de toiles d’araignées, tout comme les coins et certains endroits des petites tables qui se trouvent au milieu entre deux sièges se tenant face à face. Des petites citrouilles éclairées sont positionnées un peu partout en bonne et due forme afin de rappeler l’esprit d’Halloween. Une porte est grande ouverte à chacune des extrémités de la longue pièce, offrant un passage aux deux autres compartiments adjacents. Maintenant, je vais arrêter de décrire, parce que je ne suis pas doué pour ça et que je n’en ai plus envie. Vous n’avez qu’à, je ne sais pas, imaginer le décor de vos rêves pour cette fête majestueuse ? En bref, la décoration : tout y est. Les déguisements, ok. La musique… Du vomit musical. Mais ces piètres détails ne comptent pas. Pas du tout. Comparé à ce que j’ai préparé.

      Mes yeux aperçoivent actuellement Quinn qui se pavane avec sa bande. Claire est allée traîner avec des génies dans son genre. Hazel cherche de la nourriture. Riley drague tout se qui bouge. On dirait même qu’elle est bourrée. Laurel fait semblant d’écouter le récit apparemment passionnant d’une fille à perruque rouge en jetant des coups d’œil discrets à Ian, qui lui, fait l’intéressant comme à son habitude. Le tout au milieu de jeunes gens insouciants qui font la fête comme bon leur semble. Et Aylin ?

      Aylin se retrouve seule. Bou hou. Elle regarde autour d’elle, comme cherchant de l’aide. Mais ce petit moment de solitude arrive à sa fin quand elle distingue quelqu’un. Ce quelqu’un – oui, je fais du suspense – est assis tranquillement à une table, les yeux dans le vague. Aylin s’en rapproche doucement, et profite de son « instant rêverie » pour le surprendre comme il se doit. Elle bondit sur le siège en face et avance son visage brusquement et assez près du sien pour le faire sursauter bien comme il faut. Aylin éclate de rire en retombant sur son siège – Hilarant. Finn – Ca par exemple ! Vous ne vous attendiez pas à ce que ce soit lui, hein ? – croise les bras.

- Oh, la salo… Gentille fille, fait-il en se laissant aller contre le dossier du siège.

      Aylin le gratifie d’un sourire sarcastique.

- Qu’est-ce que tu me veux ?

- Pourquoi tu crois que j’ai une idée derrière la tête ? Je viens simplement te voir, savoir comment tu vas.

      Finn éclate instantanément de rire.

- Mais oui, bien sûr. Allez, dis-moi un peu ce qu’il y a. Tu as besoin d’une thérapie ? D’un cours de Ninja ? Des conseils pour être originale à la prochaine fête d’Halloween ?

- Je suis venue m’excuser.

- Tiens donc. Ca, tu vois, c’est très surprenant. Si surprenant que je ne te crois pas.

- Eh bien, je te demande pardon.

- Pourquoi ?

      Aylin lève les yeux au ciel.

- Pour t’avoir accusé d’harcèlement.

- Fort bien. Et qu’est-ce qui t’as fait changer d’avis ? Tu as eu des preuves qui remettent en cause ma culpabilité ?

- A vrai dire, non. C’est juste qui tu es trop une mauviette pour faire ça.

- Hum.

- Je plaisante. Je le sais, c’est tout.

      Riley sort de nulle part et apporte deux verres de substance gluante à la couleur étrange.

- Pour vous ! crie-t-elle avec une voix perçante à vous faire saigner les oreilles.

      Elle affiche un énorme sourire en direction d’Aylin, puis disparaît tel qu’elle est venue : comme un ouragan.

      C’était l’instant Riley la blondinette fêtarde, merci de votre attention.

      Aylin et Finn se regardent, baissent les yeux vers leurs verres, puis se regardent de nouveau.

- Tu crois que cette matière gélatineuse est destinée à nous empoisonner ? demande Finn, perplexe.

      Aylin hausse les épaules.

- C’est fort possible, mon ami.

      Puis elle grimace en pointant un doigt vers la tenue de Finn.

- Tu es sûr que tu es déguisé ? Tu portes tes vêtements de tous les jours.

- Oui. Je savais que les idées de costume seraient toutes similaires. Alors je me suis déguisé… En moi. Admets-le, je suis un génie.

- Tu es si intelligent, ingénieux, parfait ! s’exclame-t-elle d’une voix émerveillée, mais surtout ridicule.

      Aylin fronce soudain les sourcils et porte une main à son ventre.

- Oh, mon dieu. J’ai des papillons dans le ventre. Je crois que je commence à avoir des sentiments pour toi.

      Finn plisse les yeux.

- Attends… Ah, non. En fait, j’ai juste faim.

Et elle renverse la tête en arrière en s'esclaffant.

- Pas mal du tout, l'applaudit Finn.

- Merci. Ca sort de plus en plus naturellement.

      Aylin baisse ses yeux sur son verre et en inspecte le contenu.

- Je voudrais bien avoir des enfants avec toi, lance nonchalamment Finn dès qu’Aylin porte son verre à ses lèvres et en prend une gorgée.

      Aylin recrache la chose qu’elle a ingurgitée sur la table. Charmant.

- Non, je rigole. Je ne voudrais pas qu’ils aient ton sale caractère, ajoute-t-il en ignorant le regard noir que lui lance Aylin.

- Bravo. Tu fais des progrès, remarque-t-elle.

- Très bien. On est quitte, dans ce cas.

- Mhmm.

- Que la peur soit avec nous, commence Finn en levant son verre.

- Et que la mort vienne toquer à notre porte ce soir, répond Aylin en faisant de même.

- Amen.

      Amen.

      Et ils trinquent. C’est assez drôle, ce brusque changement d’avis. D’un seul coup, elle ne soupçonne plus Finn d’être l’auteur des messages. Hum. Est-ce que ce sont ses sentiments cachés mais évidents envers le jeune homme qui la rendent aveugle, ou a-t-elle raison ? Suis-je Finn ? Suis-je le grand méchant qui vous parle à l’instant ? Ou Finn n’est-il qu’un pauvre innocent accusé à tort ?

      Démerdez-vous pour avoir la réponse.

      En tout cas, vous pouvez sûrs d’une chose : ces deux là ne sont pas insensibles au charme de l’un et de l’autre. Ils ignorent peut-être que les regards dégoulinants d’amûûûûr, d’étoiles, de cœurs et de désir qu’ils s’échangent passent inaperçus. J’ai envie de dire : MDR.

      A présent, venons-en au plus important.

      La fête bat son plein. Mais la vraie fête commence quand soudain, tous se retrouvent dans l’obscurité la plus totale – Ca commence à devenir intéressant, tiens. Il n’y a plus de musique, plus aucune conversation. Le train freine, jusqu’à son arrêt complet. Un silence inquiétant et pesant s’installe dans l’immobilité étrange et brusque du train qui était pourtant dans une animosité folle il y a moins d’une minute. Les ombres se déplacent prudemment à tâtons pour essayer de régler le problème de lumière, mais ils finissent par se cogner la tête ou le bras et n’arrivent à rien.

      Abrutis.

      Le train se remet en marche, lentement d’abord. Ensuite il accélère pour arriver à sa cadence normale, et finit à aller à une vitesse effrayante. Quelques hurlements se font entendre. Des chuchotements alertes s’élèvent. Le train ne cesse d’avancer à vive allure. L’état alors d’incompréhension, de perplexité et d’inquiétude des passagers se change du tout au tout et atteint la pure panique. Tous se mettent à crier et à courir dans tous les sens.

      Ingénieux. C’est ça qui va vous sauver, bande d’idiots.

      Dans l’agitation, un cri strident faisant froid dans le dos émane du compartiment avant. Non, pas du compartiment. Mais de la pièce tout à l’avant du train, celle à laquelle les passagers n’ont normalement pas accès. La tension monte, et d’ailleurs vous pouvez presque entendre mon rire diaboliquement ravi de cette situation. Le silence retombe tandis que ces pauvres jeunes gens s’interrogent sur l’origine du cri et tentent d’en guetter un autre. Mais seul le vent hurlant leur arrive aux oreilles. Seulement, quelques secondes plus tard, une sorte de cris à l’aide étouffés se font entendre depuis cette même pièce. Hum, on dirait ceux d’une fille. Le réflexe général : hoqueter et retenir sa respiration.

      TOC TOC TOC.

      Quelqu’un frappe à la porte brutalement, les faisant tous sursauter. Les coups se font violents mêlés à des hurlements toujours plus éprouvants. Un long et pénible supplice pour ces pauvres âmes sensibles et fragiles. Ils entendent un dernier cri désespéré, ainsi qu’autre chose. Oui, comme si cette personne victime d’un terrible enfer s’effondrait à terre. Dès lors, il y a un cliquetis. Quelqu’un essaie d’ouvrir cette porte. Quelqu’un approche d’eux…

- Courez tous dans le compartiment arrière ! pleurniche une voix.

      Les autres s’exécutent et ferment la porte derrière eux. Résultat : tout le monde est emboîté dans le compartiment n°3. Ils se sentent peut-être en sécurité comme ça. Comme c’est mignon. A l’étroit, oui, mais en sécurité, ils ne le sont pas. Loin de là.

      Je les imagine très bien : certains restent blottis les uns contre les autres, d’autres fixent la porte avec de gros yeux, s’attendant à tout moment à voir quelqu’un débarquer avec un couteau ou un flingue. Tout le monde est figé dans l’obscurité et le cliquetis ne cesse de résonner dans le silence sinistre qui règne. Une porte claque brusquement, bruyamment. Des bruits indistincts à l’origine et la nature inconnue s’enchaînent. Encore deux secondes s’écoulent, et la pression retombe.

      Les lumières se rallument et éclairent le compartiment. Le vomit musical revient vriller les tympans. Le train reprend sa vitesse normale.

      Ils se regardent tous, et éclatent de rire en même temps.

- C’était génial ! crie Ian.

      Tu ne crois pas si bien dire, mec.

      Ils décident de retourner là où ils étaient afin de reprendre leurs stupides occupations. Ils commencent à se disperser, et une fille dont je ne commenterai en rien ouvre la porte et pénètre dans le compartiment n°2. Pauvre chou, tu ne sais pas ce qui t’attend.

- Hey, regardez ! s’exclame-t-elle.

      Oh, oui ! Vas-y ! Dis-nous ce que tu as trouvé.

      Elle se précipite en sautillant telle une enfant demeurée vers un gros sac gisant sur le sol.

- C’est peut-être une autre surprise, suggère un garçon derrière elle.

      Comment tu as deviné, gamin ?

      La fille aux couettes défait le nœud. Elle ouvre le sac, regarde à l’intérieur, et un son mélodieux s’échappe de sa bouche. Oui, c’est exact : la fille enfant est actuellement en train d’hurler de toutes ses forces.

      Elle s’écroule par terre en tenant sa tête entre ses mains et commence à pleurer. Les autres restés, autour, la regardent tous en fronçant les sourcils. Cette fille, traumatisée à vie maintenant – dis-moi merci, petite – tend un doigt tremblant vers le sac. Ian s’en approche et se penche dessus. Il a un mouvement de recul brusque, si bien qu’il est tombé lui aussi par terre.

- Ce n’est pas vrai… C’est une blague, hein ?

      Les autres se ruent vers le fameux sac, et la plupart crient en chœur. Il y en a même qui vont vomir dans un coin. Il ne fallait pas manger de cochonneries juste avant. Mais ça reste sympa à regarder.

      Vous voulez que je vous dise ce qu’il y avait là-dedans, pas vrai ? Et si je décidais de m’arrêter ici, histoire de jouer un peu avec vos nerfs ?

      Mais non c’était une blague ! Dieu, que je suis drôle. Bon allez…

      Paralysés est le bon adjectif pour qualifier l’état des heureux jeunes gens. Dans ce sac énigmatique, il y a… un cadavre. Et oui ! Pardon ? C’était prévisible ? Arrêtez alors de prévoir, nom de dieu !

      Ce cadavre porte le nom de Quinn Harvey. Voilà. C’est là que normalement, vous êtes choqués. Allez, faites au moins semblant ! Très bien, merci. Vous devriez aussi réaliser que les cris étouffés venaient d’elle. La personne frappant rageusement à la porte et demandant désespérément de l’aide, c’était elle. La personne qui s’est écroulée à terre, vaincue, c’était elle. Et le cliquetis de la serrure, alors ? Et les autres bruits étranges ? C’était son assassin. Car oui, ladies and gentlemen, Quinn Harvey se faisait massacrer pendant que tout le monde restait sans agir. Aucun d’eux n’a eu le courage d’aller voir ce qui se passait. Et le meilleur, c’est que l’habile meurtrier est là depuis le début, dissimulé sous un costume grossier comme les autres, et qu’à l’instant, il se trouve encore parmi eux.

      Aylin failli ne pas entendre son téléphone biper dans tout le remue-ménage autour d’elle. Mais déverrouillant son portable bon marché, elle y trouve une bien mauvaise surprise.

Ding dong !

La pétasse est morte.

Je t’avais prévenue…

Que le jeu commence… Maintenant !

-A

      De l’horreur. Voilà ce que je peux percevoir sur son visage. Et c’est… Exaltant.

      Mais qui serait assez machiavélique pour commettre un tel crime en présence de tellement de gens, et assez malin pour qu’aucun d’eux n’ait en même temps pas la moindre idée de ce qui s’est passé ? Voyons… Réfléchissez.

      Bingo.

      Vous trouvez ça cruel ? Tant pis ! Quinn a sa part de responsabilité dans une affaire assez importante. En fait, c’est tellement énorme que vous ne me croiriez pas si je vous en parlais. Donc, je n’essaierai même pas ! Ah. J’adore être moi.

      Alors, comment trouvez-vous mon entrée ? Fracassante, oui, je vous l’accorde.

      Un « A » subtilement inscrit sur la vitre embuée commence tout doucement à disparaître. Pas très originale cette façon de signer un meurtre. Mais j’aime bien cette manière d’imposer mon nom, de signaler mon existence, de montrer ma présence. Rappeler que « A » est partout. Le tout en gardant discrétion. Regardez derrière vous, peut-être que j’y suis là, maintenant. Ou bien par la fenêtre, il est possible que je vous espionne. Non, cherchez plutôt dans votre cerveau. Qui sait ? Peut-être que je me suis insinué dans votre tête sans que vous ne le sachiez. Ou alors à tous ces endroits en même temps.

      Oh, je vous ai fait peur, les enfants ?

      Pardon… Mais avouez-le, vous m’aimez bien quand même. Non ? Sacrebleu, que c’est blessant. Moi qui prends de mon temps pour vous raconter cette jolie petite histoire ? Moi qui vous fais part de mes pensées en toute sincérité ? Il est vrai que je me fais un malin plaisir à vous faire des petites cachotteries, mais vous savez bien que je compte tout vous avouer. La vérité est proche. Relativement. Et puis, il y a d’énormes chances que je sois la seule personne à ne vous dire que la vérité. Progressivement, mais je le fais.

      Toutes ces personnes qui vous entourent… Elles mentent toutes. Rassurez-moi, vous le savez, n’est-ce pas ? De manière consciente ou non, vous le savez. Et je me demande quel est le pire : le fait que vous choisissiez de l’ignorer, ou le fait que vous fassiez partie de ces gens-là. Vous me direz que ce n’est pas si grave de mentir sur de petits détails, que des fois il est même nécessaire et préférable de mentir que ce soit par politesse, pas peur de vexer et d’offenser autrui, ou afin d’éviter des ennuis. Mais, mes chéris, petits ou grands, les mensonges restent des mensonges. Alors faites attention, mes petits, car un certain « A » pourrait bien avoir l’irrésistible envie de vous donner une petite correction pour toutes les fois ou vous avez menti…

      Allez, c’en est assez. Cassez-vous. J’ai beaucoup trop parlé aujourd’hui et je suis épuisé. Peut-être qu’après une bonne dose de repos, je me déciderai à vous en révéler un peu plus ?... Allez, salut !

-A

10: II. LIE, LIE, LIE
II. LIE, LIE, LIE

- Vous affirmez donc avoir trouvé le corps dans le deuxième compartiment, désert depuis un moment ?

- Oui… Oui, c’est bien cela.

      La police a débarqué il y a un instant. Le train est définitivement arrêté et immobilisé. Les passagers, encore sous le choc de leur découverte macabre, sont tous au dehors. Seules des personnes qualifiées et chargées d’inspecter l’intérieur du train y ont accès. Depuis l’arrivée des renforts, l’agitation s’est accentuée. Un certain degré de panique s’est installé, et la tension est palpable. Parce que tout le monde est piégé. Chaque personne se retrouve à se faire poser d’innombrables questions. Chacun d’eux est suspect.

      Quant à moi, je me suis tiré de ce merdier. Je n’ai pas la possibilité de tout voir, ni la capacité de tout entendre de là où je me tiens. Mais me cacher et assurer ma sécurité est ma priorité à cet instant précis. Ce serait bête de me faire attraper maintenant et publiquement me révéler être un imposteur.

      Au fur et à mesure, des personnes sont renvoyées chez elles. Nous ne sommes pas très loin de Rosewood, le train ayant fait près de la moitié de la boucle qu’il devait effectuer avant que je ne prenne les choses en main. D’ailleurs, jouer avec un engin pareil, c’est très amusant.

      Ma voiture est là, où je l’ai dissimulée bien avant le départ du train. J’insère la clé dans l’espace qui lui est dédié et je mets le contact afin de retourner en ville. Mais ma putain de bagnole toute cabossée refuse de démarrer. Sacré problème que j’aurais dû prévoir. Et voilà qu’à défaut d’avoir anticipé cet obstacle, je me retrouve avec ce véhicule qui a tout bonnement décidé de se retourner contre moi. Il ne me sert plus à rien. Et en plus de me décrédibiliser, c’est honteux de se trimballer ce truc quand on est quelqu’un d’aussi fabuleux que moi, et qu’on souhaite de surcroît percer dans l’art de la vengeance.

      Mais que voulez-vous.

      Je me suis éloigné de l’endroit initial où je me cachais pour arriver dans un lieu assez retiré. En tout cas, la route est déserte et je ne vois personne. Je me retrouve donc dans un coin plutôt isolé, sans nulle compagnie et avec un véhicule n’ayant plus aucune utilité.

      Cependant, avec rapidité, je trouve une solution. Un simple appel et le tour est joué.

- J’ai besoin d’aide, dis-je simplement.

      Quelques minutes s’écoulent où je dois poireauter misérablement sur le côté de la chaussée, puis une voiture débarque sur le chemin sinueux et non fréquenté. Le véhicule ralentit sitôt que la personne au volant m’aperçoit. Celle-ci semble mécontente. Voire très irritée.

      J’ouvre à peine la portière du côté passager pour m’installer à l’intérieur que la voix colérique s’élève et m’assaille de reproches.

      Quel culot !

- Arrête de me crier dessus comme ça, dis-je entre mes dents.

      Je me raidis. En temps ordinaire, je sais garder un self-control et un sang froid irréprochables. Mais à cet instant précis, conserver mon calme m’est difficile. Notamment parce que je n’aime pas qu’on prenne un ton condescendant avec moi. Je déteste quand quelqu’un a cet air supérieur, se croyant tout permis à me gueuler dessus que j’aie raison ou tort.

      Je lui jette un regard glacial comme je sais si bien le faire. Les remontrances s’achèvent, et l’individu se tenant à côté de moi ferme les yeux, semblant se calmer un tant soit peu. Il garde quand même la mâchoire crispée et les traits tendus.

- C’est que tu peux m’incriminer, dit-il. Le fait que je me sois déplacé jusqu’ici alors que j’étais avec plein de gens qui peuvent témoigner de mon absence peut me foutre dans un sacré pétrin. Et le truc, c’est que tu t’en fiches. Je te connais assez pour avoir conscience de ton aisance à jouer avec les gens. Assez pour savoir que tu es capable de me filer toutes sortes d’ennuis et me laisser payer pour ton délire !

      C’est bien vrai, je le reconnais. Il est souvent de mon pouvoir de mettre les gens dans l’embarras. Mais seulement si j’en ai la raison et la volonté.

      Mon regard d’acier se change en un regard qui se veut las, mais il est presque certain que j’aie stupidement laissé passer par inadvertance une once de déception dans mes yeux.

- Si tu penses ça, alors tu me connais mal.

      La discussion s’achève là. Définitivement. Du moins, jusqu’à destination, ou nous nous accordons un simple et froid « Bonne nuit ». Alors ne soyez pas trop curieux. Ce petit entretient ne devrait même pas vous regarder.

      Comme vous pouvez le remarquer, je suis d’assez mauvaise humeur. Je ne saurais vraiment expliquer mon état. D’habitude, quand je m’embrouille avec quelqu’un, c’est différent. Je peux être profondément triste, en colère, ou bien même avoir des envies de meurtres vis-à-vis de la personne qui ose me réprimander : je me refuse à lui donner la satisfaction de m’avoir rabaissé et humilié, à tort ou à raison. A la place, je ravale ce que je peux absurdement éprouver et affiche un sourire dédaigneux et insolent – ce qui ne manque pas d’enrager davantage l’individu face à moi. Et je me dis qu’au final, je m’en contrefiche de ce que peuvent penser les autres, que ça ne doit pas m’atteindre. Alors ça va mieux.

      C’est pour cela que je ne pige pas ce qu’il se passe, là. Je me sens presque… triste ? Ou est-ce seulement l’agacement engendré par cette futile dispute mêlé à la pression et la fatigue de la soirée ? Je ne sais plus trop à quoi ressemblent les émotions qu’un être humain peut ressentir normalement. Je reste toujours en confusion par rapport à ce genre de choses. Pour cause, j’ai fait taire les miennes il y a un moment. Et notamment pour apprendre à ne plus me soucier des tourments des autres. Les sentiments peuvent constituer un vrai point faible, voyez-vous. Et c’est pour cela que depuis, je ne connais que le vide absolu. Tout ce qui me reste est la colère qui vient raviver mon être.

      Je ne vous dis pas tout ça pour que vous ayez pitié de moi. Honnêtement, je n’en ai rien à faire de votre compassion. Et je ne vois pas pourquoi vous auriez de la peine pour moi maintenant.

      Gardez votre sympathie à mon égard pour plus tard. Le plus gros reste à venir.

      Je dois dire que je commence sérieusement à m’énerver. Car il y a une chose que les gens ne semblent pas comprendre, et qui n’est visiblement pas rentrée non plus dans la petite tête de ce malotru censé m’aider sans protester : c’est moi qui commande. J’aime bien diriger, donner des ordres. Ca n’a pas toujours été le cas. Mais j’ai changé de tout au tout. Et je suis bien mieux comme ça.

      Mais assez parlé de moi.

      12h19, le lendemain. C’est la pause déjeuner au Rosewood High. La cafétéria est comme toujours bondée. Bon, peut-être un peu moins que d’habitude. Il semblerait que certains parents ont préféré ne pas envoyer leurs enfants au lycée aujourd’hui. Soi disant pour les garder à l’écart d’horreurs telles que celle de la veille. Débile. Ils me sous estiment ou quoi ? Je peux m’introduire dans n’importe quelle propriété et à ma guise. Ce n’est pas le fait de s’enfermer qui va les sauver, ah ça non. Mais laissons-les se croire en sécurité. Ca ne fera qu’augmenter l’effet de surprise si jamais l’un d’entre eux m’agace suffisamment pour que je décide de m’occuper de son cas.

      La seule différence qui reste remarquable est l’absence d’une certaine personne à la table du milieu – vous vous souvenez ? Celle des petits cons populaires. Au moins il y a Lily et Minnie qui se font une joie de chiper l’ancienne place tant convoitée de leur amie : le trône, en quelque sorte. D’ailleurs, je parie qu’elles ne tarderont pas à se chamailler bêtement pour des broutilles comme qui sortira avec l’attirant – et stupide – beau gosse de l’équipe de football.

      Dans un coin près de la fenêtre, nous pouvons percevoir une bande de cinq jolies filles. Riley, la blondinette rockeuse. Claire, la fille sérieuse et ambitieuse. Hazel, la sportive un peu naïve et crédule. Laurel, la plus posée et la plus sensible du groupe. Et Aylin, la fille réservée et mystérieuse.

      Vous le savez déjà. Mais c’est une chouette façon de les introduire, non ? De plus, notez que j’ai mis à part les méchancetés – chose due au sommeil réparateur. Devrais-je le remercier pour avoir réveillé en moi cette soudaine amabilité ? Mais bon, on s’en fout un peu, parce que de toute manière elle s’évaporera aussi vite qu’elle n’est apparue.

      L’ambiance à cette table est toujours la même, et les conversations tournent autour de sujets qui ne changent que peu.

- Mais qu’est-ce qu’il est con ! s’exclame Riley après avoir raccroché son téléphone. Je n’arrive pas à croire que cet imbécile ait cassé ma guitare. Je vais le tuer.

- Il ne l’a sûrement pas fait exprès, suggère Hazel.

- Ca craint, compatit Laurel.

- Argh, taisez-vous un peu, s’écrie Claire. Je n’arrive plus à m’entendre penser, et je dois réviser ce dernier passage avant la sonnerie.

- Oh, ça va, boude Riley.

- Ca craint, répète Laurel.

      Quand à Aylin, elle se goinfre continuellement de manière à avoir la bouche pleine et éviter de parler.

      Ceci est la routine au sein de ce croisement de plusieurs « clans ». Je me demande comment elles arrivent à se supporter vu leur totale différence de caractère et les nombreuses querelles – tensions futiles, mais bon, il faut bien qu’il y en ait.

      Finn apparaît dans le décor. Non pas qu’il soit une anomalie dans ce cadre. Mais sa présence est assez importante pour être soulignée.

      Et Riley est du même avis que moi.

      Elle se penche vers Aylin d’un air de confidence.

- Eh. Derrière toi.

      Aylin, par curiosité, se retourne. Finn n’est debout qu’à quelques mètres.

- Qu’est-ce que tu attends ? Dis-lui de se joindre à nous.

      Aylin pousse un léger grognement et se concentre de nouveau sur son assiette. Riley n’en démord pas.

- Finn ! appelle-t-elle.

      Aylin bondit sur sa chaise.

- Mais qu’est-ce que tu fais ?

      Riley paraît satisfaite quand Finn les aperçoit et s’approche d’elles.

- Salut, dit-il prudemment.

     Riley se lève et lance un regard significatif aux trois filles à sa droite.

- Nous devons y aller.

- Où ça ? demande Hazel.

      Riley prend un air sévère. Laurel est la première à réagir.

- Tu as oublié ? Nous avons ce… truc à faire.

- Je ne m’en rappelle pas…

      Riley est exaspérée. Et encore plus en voyant Claire, qui quant à elle, ne bronche pas.

- Claire ? prononce Riley d’une voix grinçante et menaçante.

      Claire lève la tête. Elle dévisage chacune son tour les personne qui l’entourent, comme si elle ne les reconnaissait pas. Ses yeux se posent sur Finn, sur Aylin, puis sur le regard insistant de Riley. Elle a l’air d’avoir une illumination. Eh bien. Elle qui, d’après ses propres dires, possède un cerveau à l’intelligence supérieure… Ce n’est pas trop tôt. Pas grave, nous allons mettre ça sur le compte de l’inattention. Elle se lève en traînant avec elle ses affaires, tout en dévisageant Finn.

- A plus tard, Aylin ! lance Riley avant de s’en aller allégrement, les autres sur ses pas.

      Finn s’installe sur le siège occupé il y a peu par Laurel, de manière à se placer en face d’Aylin. Il semble avoir compris ce que faisait Riley – en même temps, qui ne l’aurait pas saisi ? – mais il n’en dit rien. Il se contente de sourire à Aylin, pour à la fois se moquer d’elle et lui exprimer son amusement.

      Aylin tente de se rabattre sur sa nourriture, mais se rend vite compte qu’elle en a épuisé le stock et que par conséquent, elle devra lui parler. Bien qu’elle n’en soit pas obligée. Mais c’est cette envie dissimulée de se rapprocher de lui qui la poussera à le faire. Pour ça, c’est certain.

      Elle n’émet aucun son. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne cède devant le regard insistant de Finn.

- Arrête de me regarder comme ça, marmonne-t-elle.

- Comme quoi ?

- Comme un abruti.

      Aylin se lève précipitamment. Finn, ne s’attendant sûrement pas à ce qu’elle s’en aille de la sorte, est pris au dépourvu. Il décide de la suivre.

- Tu me fuies ?

- A ton avis ?

      Ils débouchent sur le dédale de couloirs. Aylin avance vite, tandis que Finn lutte pour garder la bonne cadence et ne pas la perdre de vue.

- Je ne comprends pas pourquoi tu te sauves comme ça. Est-ce que ce sont mes cheveux qui t’ont fait peur ? Regarde, je peux les arranger.

- Ta gueule.

      Aylin tente de le semer en enchaînant plusieurs tournants. Sauf que Finn s’accroche.

- Serais-tu si intimidée par moi ? Je le comprends. Après tout, je suis à coup sûr le gars le plus fantastique que tu aies jamais rencontré.

- Il t’arrive de te la fermer ?

      Elle s’arrête et lui fait face. Finn la regarde innocemment.

- Cette course poursuite était amusante.

- Qu’est-ce que tu me veux ?

      Ils sont dans une impasse. Enfin, pas tout à fait. Le passage menant à la cour extérieure est juste à gauche d’Aylin, lui offrant la liberté – du moins, jusqu’à ce que Finn la rattrape. Elle reste néanmoins là, à fixer le jeune homme après s’être rendu à l’évidence qu’elle n’arriverait pas à se débarrasser de lui. Finn en profite pour se rapprocher un peu d’elle et par la même occasion lui bloquer l’accès à la cour. Cette proximité fait reculer Aylin, qui s’adosse au mur.

- Je voulais te lancer un défi, déclare-t-il.

- Un défi. Vraiment.

      Finn hoche la tête.

- Si tu échoue, tu devras faire ce que je te dis.

- Et si je refuse ?

- Alors, tu as perdu.

      Aylin laisse sa tête aller en arrière contre le mur.

- Mais qu’est-ce que j’ai fait pour t’avoir sur le dos ?

- Ah ça, je ne sais pas. Mais tu as beaucoup de chance.

      Aylin le regarde de nouveau, un sourire en coin.

- Ben voyons. Et c’est quoi ton défi ?

- C’est simple. Au prochain cours qu’on a en commun, tu devras crier « Je me porte volontaire comme tribut ! » quand le prof interrogera la classe.

      Aylin laisse échapper un rire.

- C’est stupide.

- Tu te dégonfles ?

      Aylin lui lance un regard provocateur. L’air ingénu de Finn se dissipe et son fameux sourire – beaucoup moins innocent, pour le coup – réapparaît de nouveau sur ses lèvres, lentement. Encore une fois, Aylin s’en va sans ajouter un mot, laissant Finn en plan.

      Encore un court moment et la cloche sonne. Les couloirs sont instantanément bondés. Aylin suit le courant jusqu’à son premier cours de l’après-midi. Tout se passe normalement durant cette heure de mathématiques interminable.

      Ce n’est pas juste que j’aie à me bourrer la tête avec ce tourbillon de x et de y.

      C’est au bout d’une heure supplémentaire non moins pénible que Finn débarque. Il fait un clin d’œil à Aylin en allant s’assoir.

- N’oublie pas. Tu as une heure.

      Les minutes s’écoulent et passent une à une. Le prof pose plusieurs fois des questions à l’intention de l’ensemble la classe. Aylin ne se manifeste pas. Finn l’observe de temps à autre – pour ne pas dire en permanence. Il pointe de son index son poignet gauche pour lui faire remarquer que l’heure avance. Finalement, l’heure s’achève dans un calme habituel.

      Vous devriez avoir remarqué qu’Aylin n’a nullement demandé à être informée des intentions de Finn au cas où elle échouerait. Et son visage bien que de marbre durant le cours, laissait entrevoir son amusement pendant qu’il l’avertissait de l’imminente fin du temps imparti. Pour ainsi dire, tout me porte à croire qu’elle l’a fait exprès.

      Dans l’intention d’échouer.

      Pourquoi ? Me direz-vous. Réfléchissez. Si elle perd, elle a un gage de la part de Finn. Et si à la base Finn lui a lancé ce défi c’est parce qu’il veut quelque chose de précis. Même sans lui avoir demandé de quoi il s’agit, Aylin sait pertinemment quel genre de truc ça peut être. Et j’imagine qu’avoir plus ou moins la surprise sur la tâche à accomplir en cas d’échec lui pimente la partie.

      Ils semblent tous les deux aimer jouer. Et ça tombe bien : moi aussi. De plus, Aylin a l’air d’apprécier le jeu que lui impose Finn autant que lui. Et que moi. Sauf qu’ils ne sont pas au courant de l’existence d’un troisième joueur.

- Tu as perdu ! annonce Finn triomphalement en quittant la salle de classe.

- Oui, et ?

- Et, dit Finn lentement, tu as un gage.

      Il marque une pause. Que de suspense !

- Je veux que tu me donnes ton numéro.

      Aylin éclate de rire.

- Sérieux. C’est tout ? Tu ne pouvais pas me le demander directement ?

- Ca n’aurait pas été très drôle. Et puis je te rappelle que je te l’ai déjà demandé gentiment, mais que tu as catégoriquement refusé de me le donner.

- Ah ouais, c’est vrai.

      Elle plisse les yeux.

- Imaginons que j’aie réussi le défi. Comment tu aurais fait ?

      Finn hausse les épaules.

- J’aurais trouvé un autre moyen. Mais je m’attendais un peu à ce que tu ne le fasses pas. Je sais que tu en es capable, surtout si ça te donne la satisfaction de gagner. Mais pour une raison ou pour autre, tu as choisi de ne pas le faire… Ce qui est intéressant.

      Et hop ! Un sourire plein de sous-entendus. Aylin fait semblant de ne pas comprendre.

- Je ne voulais pas me faire coller, voilà tout.

      Sur ces mots, elle sort un stylo de son sac. Et au lieu de prendre normalement et par la même occasion une feuille, elle se tourne vers une affiche quelconque collée non loin et en déchire une grosse partie. Elle agrippe Finn, qui grimace tandis qu’elle le pousse contre le mur et prend appui sur lui pour écrire la suite de chiffres. Pour finir, elle lui tend le – très gros – bout de papier et tourne les talons.

- Pas si vite, l’interpelle Finn.

      Elle fait volte-face. Finn prend son téléphone et compose le numéro.

- Juste au cas où.

      Quelques secondes s’écoulent avant qu’une sonnerie de téléphone ne retentisse.

- Satisfait ?

- Très.

      Aylin s’apprête à partir mais une fois de plus elle est retenue. Elle fait une moue, feignant l’agacement.

- Quoi encore ?

- Je veux que tu sortes avec moi.

      Fichtre ! Aylin ouvre de grands yeux.

- Tu rêves, mon gars.

- Tu remarqueras que ce n’était pas une proposition, donc par conséquent tu n’as pas le choix.

- Voyez-vous ça.

      C’est assez drôle de voir Finn user de mille et une ruses pour se rapprocher d’elle. Peut-être que cet acharnement vous paraît stupide. Et il est possible que vous voyiez Finn comme étant un mec lourd, collant et pitoyablement accroché à l’espoir de plaire à une jolie fille comme Aylin. Chacun sa vision des choses, après tout. Mais moi, je ne suis pas du même avis. Et puis, il m’aide pas mal pour le coup, voyez-vous. Car ses tentatives de rapprochement servent mes intérêts, notamment pour ce qui est de la déstabiliser. Plus son secret est en danger, plus ça la fera paniquer jusqu’à entièrement s’exposer. En principe. Car le problème est là : cette fille sait se montrer très sournoise.

- On verra ça plus tard, ajoute-t-elle.

      Et elle le plante. Encore.

      Sympa.

      Il est temps de rentrer. Les filles ont aussi terminé leurs cours et ont collé Aylin pour l’accompagner chez elle. Décidément, tout le monde est d’humeur à jouer au pot de colle aujourd’hui.

      Le côté réservé et secret d’Aylin entreprend d’intriguer ses amies – elles ont en mis du temps pour avoir des soupçons, sérieusement. Ou peut-être en avaient-elles dès le départ de leur amitié mais sans que ça ne les pousse à se poser de sérieuses questions à propos de la nouvelle venue. Quoiqu’il en soit, les quatre filles commencent à l’interroger sur des points qui mettent Aylin dans des situations gênantes, dans la mesure où elle doit donner des réponses concrètes et tangibles. Mais la petite n’est pas stupide. Elle a préparé un scénario tout à son avantage. Une histoire, une vie étonnamment banale quand on sait qu’elle est sortie des méandres aussi inquiétants que tordus de son imagination.

- Ma mère est au boulot, en ce moment.

      Elle sort ses clefs et les rentre dans la serrure. Elle réalise vite que la porte n’est pas verrouillée. Aylin fronce légèrement les sourcils avant d’ouvrir la porte à la volée. A peine ayant passé le seuil, elle s’arrête net. Ses amies restées derrière se rentrent dedans à l’arrêt brusque de leur guide. L’affirmation de celle-ci s’avère tout de suite être fausse.

- N-Nelly ! s’écrie Aylin de manière un peu trop vive.

      Nelly est là, debout comme si elle a passé la journée à attendre leur arrivée. Elle affiche un sourire bienveillant. Les filles ont un petit moment de surprise. Aylin, se rendant compte de sa gaffe, rectifie au plus vite.

- Maman. Tu n’es pas censée travailler aujourd’hui… ?

      Nelly cligne des yeux rapidement, surprise par cette appellation inhabituelle.

- J’ai pu terminer plus tôt. C’est chouette, non ?

      Oui, très.

      Aylin acquiesce. Tout le monde reste planté là à ne rien faire.

- Oh, s’exclame Aylin. Maman, je te présente Laurel, Riley, Hazel et Claire.

      Les quatre filles saluent la femme, qui les gratifie d’un sourire.

      Que c’est charmant. Aylin qui gaffe, c’est formidable tout ça.

      Les jeunes filles montent à l’étage et s’enferment dans la chambre d’Aylin, jusqu’à ce que Nelly les rappelle pour un bon petit goûter. Toujours aux petits soins, cette Nelly. Aylin reste silencieuse presque tout le long de leur quatre-heures, tandis que Nelly tient la conversation avec ses amies. Elles ont l’air de bien s’entendre en plus.

- Ta mère est gentille, dit Laurel au moment de partir.

- Je sais.

      Et Aylin referme la porte. Elle se rue vers les escaliers pour se réfugier dans sa chambre, mais Nelly la retient.

- Eh. Reviens ici.

      Aylin s’exécute d’un pas trainant.

- A quoi tu joues ? lui demande Nelly d’un ton neutre.

- A rien du tout.

- Tu ne m’as jamais appelée maman, avant.

      Nelly se plante en face d’elle. Sa voix est redevenue douce. Et celle d’Aylin prend un ton jamais entendu jusqu’ici.

- C’est que… Je te considère un peu comme ma mère, tu sais.

      Nelly ne dit rien. Son expression indique qu’elle est émue parce que vient de dire Aylin. Cette dernière prend un air semblable. Et elles s’étreignent.

      Ouah… Je pouffe de rire malgré moi devant l’absurdité de la scène. Zut ! Je me baisse vite au moment où Nelly tourne la tête dans ma direction. J’entends ses pas approcher, et très vite le bruit de la fenêtre qui se referme suit.

      Encore un moment et je me risque à me relever. Lentement, discrètement. Plus personne en vue.

      En tout cas, j’aime bien comment Aylin a réussi à attendrir Nelly. Franchement, c’était très amusant. Aylin qui se sert de Nelly pour se couvrir, et celle-ci qui gobe ses bobards aussi facilement. C’est à se demander si Aylin est vraiment maligne ou si c’est les gens qui sont incroyablement naïfs.

      L’un ou l’autre, ça permet à Aylin de dormir sur ses deux oreilles. Quoiqu’elle gardera toujours un œil ouvert. Car je sais qu’elle est sur la défensive, qu’elle est méfiante. Sans que cela ne se voit. Elle est parfaitement calme à la surface mais elle reste sur ses gardes. La menace plane toujours. Elle le sait. Elle le sent. Mais pour l’instant, la sécurité de son chez soi lui offre la chance de souffler et se reposer.

      Dors, petite. Tant que tu le peux.

-A

11: III. STRAIGHT TO A GRAVE
III. STRAIGHT TO A GRAVE

      Je ne sais pas comment ça se passe dans vos petites têtes, mais il y en a peut-être qui m'ont soupçonné d'être Quinn. Si toi, là, derrière ton écran, tu fais partie de ces gens : tu t'es planté, gamin ! Certes, cette fille était capable de se cacher sous le nom de « A », mais pouf ! Elle est morte. Alors quoi, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Eh bien, moi je vais danser sur sa tombe, et vous, vous cherchez un autre suspect.

      Mais cette pauvre Quinn... Si jeune, si belle, si parfaite. Quel dommage que j'aie dû l'éliminer de la surface de la terre. Vous voulez savoir pourquoi ? Vous voulez que je me justifie ? D'accord. Cette fille a fait du mal à quelqu'un de proche de moi. La seule personne qui compte pour moi, vous comprenez. Elle s'en est prise à elle un peu comme l'a fait Aylin à moi. Et c'est pourquoi j'ai dû l'éradiquer, tout comme je réserve à ma protégée un sort des plus douloureux. C'est peut-être le jour de l'enterrement de cette chère Quinn, mais Aylin aussi va droit vers sa tombe...

      C'est un jour nuageux – comme pendant chaque enterrement qui se respecte – et un flot de gens se dirige telle une armée de fantômes avançant tête baissée et au ralenti vers l'église. On dirait que tout Rosewood s'est arrangée pour être présente à cet événement, la plupart d'entre eux étant les élèves du Rosewood High. Un autel en mémoire de Quinn a rapidement pris forme devant la demeure des Harvey, et constitue déjà une quantité énorme de photos et de bougies. Je suppose qu'ils sont encore sous le choc de cette tragédie. C'est une première dans cette ville qui ne connait d'ordinaire que le calme et la sérénité. Donc après tout, leur réaction est compréhensible : ils habitent à Rosewood, ou autrement dit, la ville où il ne se passe jamais rien.

      Ceux qui répondent présent à l'enterrement s'installent en rangées en gardant pour la plupart le silence et une mine atroce. Bien que leur réaction soit naturelle face à cet évènement funeste, je la trouve inutile. Car bientôt, le soulagement remplacera le choc chez plus d'un. Franchement, ils devraient me remercier. Je les ai quand même débarrassés de cette petite peste. Mais ce n'est pas grave, je me passerai de leur gratitude.

      Dans la foule, nous pouvons apercevoir Nina Wall qui fixe la photo de Quinn avec une drôle d'expression : moitié appréhensive, moitié satisfaite. Toby McAllister assis à côté de Luna et Melanie, les deux sœurs jumelles réputées du quartier, observent la scène sans grande émotion. Finn Davy, accompagné de sa petite sœur Lena et de ses parents arrivent à peine. Liam Davis se contente de garder une place près de lui pour son ami Ian Kay et d'accorder de temps en temps quelques paroles à sa sœur, Laurel. James Wilson, qui s'est porté volontaire pour se charger du développement et le positionnement de toutes les photos de Quinn, regarde la foule avec de grands yeux. Nolan Harvey, le frère de la défunte, se tient debout, ses parents d'un côté, le cercueil de l'autre.

      Attention, voici arrivé le moment le plus pitoyable, le plus lamentable. J'ai nommé... Les discours !

      Nolan s'avance lentement vers le micro. Il déglutit multiple fois, fixe ses chaussures plusieurs minutes. Les chuchotements se calment progressivement et les regards se braquent sur le jeune homme. Relevant enfin la tête, celui-ci tente de parler, mais un son étrange sort de sa bouche au lieu des mots qu'il voulait prononcer.

      Pauvre chou.

- Ma sœur n'était pas parfaite, réussit-il enfin à déclarer. Il m'est arrivé de la détester. Peut-être que certains d'entre vous ont aussi éprouvé ce sentiment à son égard. Mais... ceux qui ont su comment s'y prendre, ont certainement pu déceler ses qualités cachées, tout comme moi je l'ai fait. J'ai eu tort d'avoir laissé tomber ma petite sœur. Pardonne-moi, Quinn.

      Il se retire. Quelqu'un dans l'assistance se mouche bruyamment.

      Que c'est touchant.

      Eva Harvey, la mère de Quinn, s'avance à son tour face aux autres, la mâchoire serrée. Elle a tout de suite les larmes aux yeux. Elle arrive tout de même à sortir quelques phrases à propos de sa fille, ou plus précisément un amas de mots incompréhensibles qui se voulaient émouvants. Et les larmes qui menaçaient de couler arrivent en force et Eva éclate en sanglots.

      Bou hou hou.

      Son mari, Cory, intervient et l'entraîne à l'écart. Il lui tapote le dos et lui murmure des paroles réconfortantes dans l'espoir de la calmer. Cette scène pathétique suffit à provoquer des mini crises de larmes dans la foule.

      Truc-Machin et Chose-Bidule – les clones de Quinn, vous savez ? – montent sur l'estrade. Leurs petites bouilles déformées essaient tant bien que mal de représenter une mine triste. Mais leur tristesse et leur chagrin est tout ce qu'il y a de faux.

- Lily et moi, nous étions les meilleures amies de Quinn.

      Lily ?

- Minnie a raison. Nous l'adorions.

      Minnie ?

- Elle était notre model. C'était la fille la plus géniale qui ait pu exister.

- Paix à ton âme, Quinn.

      Lily et Minnie. C'est donc comme ça qu'elle s'appellent. Avouez que mes surnoms claquent plus. Donc, Lily et Minnie ne trouvent rien de plus à dire hormis que Quinn était « la fille la plus géniale qui ait pu exister ». Sérieusement. Leur amie semble les inspirer énormément. Elles laissent couler quelques larmes de crocodiles puis se rassoient.

      Quelle performance déplorable. Et quel jeu d'acteur minable. Elles auraient pu au moins faire un effort.

      Mais le pire, c'est les monologues des autres. Quelques passages en particulier me donnent l'envie d'aller me pendre. « Oh, mon dieu. Je n'arrive toujours pas à y croire ! », « Quinn était la meilleure amie que j'ai eue », « Elle me manque déjà tellement », « J'espère que la police trouvera vite le monstre qui a fait ça ! ».

      Le tout dit avec des voix nasillardes et entrecoupées de sanglots. Bande d'hypocrites.

      Je vous fais la traduction : « Elle est morte. Assassinée. Je ne sais pas qui a fait ça, mais je remercie cette personne ».

      Aylin, Laurel, Claire, Riley et Hazel sont installées quelque part derrière.

- On ne la portait pas dans nos cœurs, mais c'est triste quand même... dit Hazel.

      Les autres acquiescent. Sauf Aylin, qui a l'air de s'en foutre complètement.

      Insensible, va.

      Quand les autres cessent enfin de dire des sottises, vient le moment de la mise en terre du cercueil. Deux hommes se mettent en place afin de le transporter. Les gens se lèvent et se dirigent vers la sortie, direction le cimetière.

      Un trou béant destiné à accueillir le cadavre attend patiemment. La pierre tombale, elle, porte le nom de la défunte, comme si elle l'invitait à venir, comme si elle n'attendait que son arrivée. Un peu comme un paillasson avec l'inscription « bienvenue » – chouette comparaison, n'est-il pas ?

      Mais... Attendez, que se passe-t-il ? Les hommes, supposés s'occuper d'enterrer le cercueil, suspendent leur geste. L'un d'entre eux leur a fait signe d'arrêter. Celui-ci est penché au dessus du trou, les sourcils froncés et l'air effaré. Les gens commencent à suspecter quelque chose et se regardent entre eux, s'interrogeant tout doucement. L'homme finit par reculer. Cory Harvey, interpellé, vient en aide au pauvre homme qui contient difficilement son calme. Du moins, il aura essayé.

      Très vite, un attroupement se forme tout autour de ce qui devait être la tombe de Quinn. Les chuchotements s'intensifient, tant les questions commencent sérieusement à se poser. Eva Harvey se cache le visage des mains en découvrant ce qu'il se trame. Seul Nolan a le bon sens d'agir. Il fait un signe discret mais néanmoins remarqué par tous à deux personnes dans la foule. Les deux individus appelés se fraient un chemin vers le jeune homme, alertes. On voit Nolan leur adresser quelques mots. Suite à ses paroles, l'inquiétude apparait peu à peu sur le visage du couple. Il s'avance vers le trou.

      Et c'est le drame.

- Ian !

      La femme, profondément bouleversée, ne put que crier le nom de son fils avant de s'effondrer. Liam émerge alors de nulle part et se rue vers la famille de son meilleur ami.

- Non ! hurle-t-il avant de s'enfuir.

      Sans doute comprend-t-il soudainement le fait qu'il ait gardé une place à son ami, et que celui-ci ne soit jamais venu.

      Et sous les yeux ébahis des spectateurs se bousculant pour assister pleinement à la scène, un cadavre est extorqué de la tombe. Vous l'aurez compris, cette seconde dépouille venue s'incruster à notre petite fête n'est autre que celle de Ian Kay.

      La foule s'anime comme en plein spectacle. Sauf que c'est l'inverse des réactions qu'on a normalement durant un spectacle. C'est assez drôle à voir. Parmi les téléphones des jeunes qui sont déjà en train de tweeter cette incroyable nouvelle, un en particulier émet un petit bruit annonçant l'arrivée d'un certain message. Et c'est celui-là qui nous intéresse, mes amis. Et vous savez à qui il appartient.

Des fois, on ne décide pas de ce que l'on voit.

Il en savait trop.

-A

      Je peux constater, d'après l'expression faciale d'Aylin, que son cœur a raté un battement. Je peux aussi deviner qu'une phrase qui n'est pas moindre raisonne dans son crâne. « Que savait-il ? Quelle information mortelle détenait-il ? ».

      Et ces interrogations viennent ricocher dans vos esprits, à vous.

      C'est en effet une bonne question, voyez-vous. Ian, rien qu'un badaud parmi tant d'autres dans cette ville. Pourtant, sa curiosité lui aura fait des crasses, cette fois. Et pas des moindres, puisqu'il squatte actuellement la tombe de quelqu'un d'autre. Pas sympa de se taper l'incruste comme ça. Qu'est-ce qu'on dit, déjà ? « La curiosité est un vilain défaut ». Pas toujours, mais ça peut clairement vous attirer des ennuis. Surtout si, comme Ian, vous n'avez vraiment pas de veine.

      Pour ce qui est du cas du malheureux Ian, nous pouvons le qualifier de simple hasard, de pure malchance. Ian a malencontreusement vu une scène qu'il n'aurait pas dû intercepter du tout. Pour faire court et simple, il a regardé dans la mauvaise direction, au mauvais moment. Il a suffit d'un mouvement, d'un regard. Et c'en était fini pour lui. Je ne pouvais pas me permettre de laisser Ian en vie après ça. Comment me le permettrais-je ? Ian n'est pas bête, et il lui aura suffit deux secondes avant de faire le lien entre ce qu'il a vu et ce qui se raconte. Et le comble est qu'il ne s'est pas contenté de voir, non. Il a fait plus. Autant dire que Ian en a un peu trop appris ce soir là. Dommage pour lui, ce petit incident lui a coûté la vie. Oups !

      Je peux être d'une cruauté sans nom quand je le veux, c'est juste. Mais ce n'est pas de la méchanceté gratuite. Quand je fais du mal à quelqu'un, c'est soit qu'il l'a cherché et mérité, ou pour protéger mes intérêts. Je n'aurais jamais tué Ian s'il avait gardé le dos tourné encore une minute. Mais le sort en a décidé autrement pour lui, et il a fallu que j'intervienne afin que ça n'influe pas sur mon plan.

      Ceci dit, je vais vous faire part de quelque chose. Vous sentez sans doute l'imminente apparition du couple Finn/Aylin. Vous avez raison. Parce que je souhaite que ma très chère petite Aylin tombe dans les bras de notre beau Finn. Et si j'ai envie que ça arrive, alors ça arrivera. Surtout que Finn manœuvre déjà pour l'avoir à lui seul. Pourquoi je l'aiderais ? C'est pourtant évident : pour mieux détruire Aylin.

      Notez bien cela si vous voulez un jour succéder au nom de « A », car bien sûr, un jour je ne pourrai plus exercer mon métier, donc j'ai besoin d'héritiers. Pour torturer une personne, la détruire, et la voir s'écrouler devant vous pendant que vous assistez à cette plaisante scène, il suffit de lui enlever ce qu'elle a de plus cher. En général, il s'agit d'une ou plusieurs personnes que votre victime porte dans son cœur. Chose naturelle, car qu'y a-t-il de plus déchirant que de perdre un être cher ?

      Vous savez ce qu'on dit sur l'amour – quelle qu'en soit la nature. C'est beau d'aimer, c'est le plus important, bla, bla, bla... Mais vous savez aussi que l'amour peut aussi bien nous blesser, nous consumer, ou même des fois carrément nous tuer. Combien de fois quelqu'un que vous aimiez vous a-t-il déçu, voire brisé le cœur ? Une ? Deux ? Trois ?... Comment ça, jamais ? Non, ne mentez pas. Je déteste les mensonges. Ne faites pas non plus cette tête, s'il vous plait. Ce n'est pas votre faute, vous savez...

      Nous en reparlerons plus tard, mes petits. D'ici là, soyez sages.

-A

12: IV. TAKE OFF YOUR MASKS !
IV. TAKE OFF YOUR MASKS !

      Plusieurs semaines se sont écoulées après les deux tragédies ayant frappé Rosewood et dont les habitants se remettent petit à petit. Ce petit havre de paix n'a pas l'habitude d'être au cœur de l'attention générale pour cause de deux meurtres sans motif apparent. Oh, mais j'en avais, des motifs. Le meilleur c'est que la police quête désespérément des suspects. Pour le moment, les recherches semblent être centrées sur les familles des victimes. A part ça, je n'ai pas plus d'informations. Mais il est facile de deviner qu'elle rame complètement. Après tout, comment fonder une théorie plausible et logique quand il n'y quasiment aucune piste visiblement liée à l'affaire ? Comment pourraient-ils connaitre mon existence ? Evidemment, Aylin pourrait faire allusion à certains messages menaçants et douteux afin de dénoncer l'existence d'un dangereux individu en liberté. Mais elle a de bonnes raisons de ne rien dire à la police. Ni à personne d'autre, d'ailleurs.

      Comme je vous l'ai dit précédemment, je vais faire en sorte de créer un nouveau couple: Finlyn. Ca sonne bien, non ? En fait, je viens d'inventer ce nom à la va vite, et c'est tout ce qui me vient à l'esprit. Mais leur surnom n'est pas le plus important pour le moment. Je dois encore les faire se rapprocher suffisamment afin qu'ils se mettent ensemble pour de bon. Pour me mettre à balancer un bon concentré de vérités à propos d'Aylin. Et devinez quoi ? J'ai une occasion en or : le bal d'hiver.

      Cette fois-ci, les élèves sont un peu moins enthousiastes à l'idée d'assister à ce divertissement. Il faut dire qu'ils ont eu leur dose de festivités ces derniers temps, si vous voyez ce que je veux dire. Cependant, en tant que bons citoyens et amis loyaux, forts et courageux en période de deuil, ils feront ce qui est en leur pouvoir pour honorer la mémoire de Quinn et Ian. Et oui, ces jeunes gens partis trop tôt se verront attribuer un dernier hommage.

      Un dernier hommage avant que tout le monde se débarrasse de ce masque de chagrin surjoué. Ils prétexteront que c'est la vie. Que la mort en fait partie, qu'elle n'en fait qu'à sa guise et qu'elle frappe comme bon lui semble. Et sous cette citation – véridique en un sens, mais beaucoup moi dans l'autre – « La vie continue ! », ils retourneront à leurs propres vies, tandis que celles de leurs amis disparus sombreront dans l'oubli.

      La dure loi de la vie.

      Déjà, les bêtises et autres balivernes commencent. Les garçons invitent les filles à être leurs cavalières – histoire de draguer et pourquoi pas faire un strike à la fin de la soirée. Les filles en extase devant eux choisissent leurs robes pour devenir des princesses le temps d'un soir. Un genre de conte de fées pour ceux et celles qui y croient encore – franchement, à leur âge ! Je n'ai jamais aimé ces histoires à deux balles. J'ai vite comprit qu'elles ne sont que niaiserie et foutaise. Quelqu'un avec un minimum de QI devrait s'en rendre compte, quand même – Et pendant que ces jeunes gens profiteront de leur soirée de rêve, moi, je me trouve une place de choix pour assister à l'union de mes élus.

- Il me semble que Laurel a parlé d'un bal d'hiver. Un bal masqué, c'est bien ça ?

      Nelly tient une tasse de café chaud de ses deux mains. Encore une fois, elle essaie de faire la conversation à Aylin, qui elle garde un silence inébranlable. Elle se contente de faire oui de la tête. Nelly, quelque peu déçue du mutisme constant de la jeune fille, revient à la charge avec des questions exigeant des réponses autres que oui ou non.

- C'est quand ?

- Ce week-end.

- Ça finit à quelle heure ?

- Je ne sais pas.

- Tu vas y aller ?

      Aylin hausse seulement les épaules pour dire que ce n'est pas sûr.

- Je me suis dit qu'on pourrait aller te choisir une robe. Mais si tu n'y vas pas...

      Nelly repose sa tasse sur la table, ses yeux baissés. On dirait que le lien mère/fille tissé la veille s'est vite défait. Et ça attriste Nelly qui fait tout pour être plus proche d'elle. En fait, elle et Aylin s'entendent bien, et des fois même elles ont des fous rires entre elles comme une mère et sa fille, deux sœurs ou deux amies. Mais Aylin préfère rester dans sa bulle, même si elle doit en sortir quelques fois pour en savoir assez sur son entourage et pouvoir le manipuler à sa guise.

      Bip.

Quelqu'un se ferait une joie de t'inviter à danser, Aylin.

Tu sais que ce n'est autre que Finn.

Aller à ce bal tu dois.

Autrement, échapper à ta punition tu ne pourras.

-A

      Prenez un instant pour admirer mes rimes.

      Quelque peu crispée, Aylin lève les yeux de son écran et force un sourire qui passe pourtant bien comme un vrai. Nelly, intriguée, laisse apparaître un petit sourire interrogateur.

- Quelqu'un t'a demandé de l'accompagner au bal ?

      Aylin prend un air timide.

- Eh bien, il y a ce garçon...

      Le visage de Nelly s'illumine.

- Qui est-il ? Comment il s'appelle ? Quel âge il a ? Est-ce qu'il est gentil ? Est-ce que vous êtes amis ?

      Nelly devrait savoir que parfois, poser trop de questions s'avère être dangereux. Sa curiosité va possiblement la mener à quelque chose de pas joli. Je le sens.

- Il s'appelle...

      Elle s'arrête. Hésitation ? Je lui conseille de ne pas songer à donner un autre prénom que celui qu'elle est dans l'obligation de prononcer.

- Finn.

      Bien. Ça ne répond pas à toutes les questions que Nelly a posées, mais ça lui suffit. Pendant deux secondes.

- Est-ce qu'il t'aime ? Tu es amoureuse de lui ?

- Nelly ! s'exclame Aylin.

- D'accord, d'accord.

      Elles ont toutes les deux un petit rire.

- Tu devrais y aller à ce bal.

      De préférence.

- Oui.

- Super. Si tu veux, je peux t'accompagner pour choisir ta robe. Qu'est-ce que tu en dis ? Ou alors tu préfère y aller avec tes amies ?

- Elles ont déjà les siennes. On n'a qu'à y aller, toi et moi.

      Nelly en est ravie.

      Aylin avale vite ce qu'il reste de son café au lait. Enfilant son manteau et son bonnet, elle attrape son sac-à-dos et prend sa tartine entre les dents.

- Shalut.

- A plus tard, ma chérie.

      Un vent frais se lève, fouettant son visage. La neige a commencé à tomber il n'y a que peu. Ce qui ne l'empêche pas de déjà recouvrir la ville entière d'un voile blanc majestueux. Le froid s'accroît de plus en plus. Aylin rentre ses mains dans les manches de son manteau. Un réflexe qu'elle a toujours eu.

- Je t'ai appelée plusieurs fois, affirme une voix.

- En effet.

- Le principe est que tu répondes.

- Je n'en avais pas envie.

      Finn lui agrippe l'épaule pour la faire ralentir.

- Ha. Tu aimes les tartines avec du Nutella. Moi aussi. Nous avons tellement en commun.

- Le Nutella, c'est la vie.

- Tu l'as dit.

      Aylin fronce les sourcils.

- Depuis quand tu prends cette route pour aller au lycée, toi ?

- Depuis que je sais où tu habites et que j'aie décidé de te suivre.

- Tu es flippant.

- Merci.

      Aylin semble hésiter, mais reprend la parole.

- Ecoutes. Avant que j'oublie. Toi. Moi. Bal masqué. Ok ?

- Ok... Attends, est-ce que c'est une réponse positive à ma demande ? Sortir avec moi, s'entend.

- Pas tout à fait.

- Qu'est-ce que ça veut dire, alors ?

- Eh bien... Ma mère et mes amies pensent plus ou moins que... Que tu me plais.

      Finn s'arrête de marcher. Aylin lui lance un regard coulant puis détourne immédiatement les yeux. Le visage du jeune homme semble hésiter entre exprimer son incompréhension et libérer son hilarité.

      Il choisit l'hilarité.

      Aylin soupire et le pousse. Finn faillit tomber en plein sur un bonhomme de neige, toujours mort de rire.

- Tu as fini ?

- Non, attends.

      Finn poursuit son rire. Quand il respire enfin de nouveau, il dit:

- Ça y est, j'ai fini.

- Génial.

- Tu m'expliques, maintenant ?

- Il n'y a rien à expliquer. Elles se sont mises à se faire des films toutes seules. Et plus je démens, plus elles croient que je craque pour toi.

      C'est un peu toi qui les as laissées s'imaginer ça, Aylin.

- Du coup, c'est ça qui fait que tu viens au bal avec moi.

- Pour avoir la paix, oui.

- Tu ne l'auras pas.

- Pardon ?

      Aylin se montre presque suspicieuse. Mes messages amicaux lui sont certainement revenus – si toutefois ils ont déjà quitté son esprit.

- Parce que si tu viens avec moi au bal, c'est qu'effectivement, tu m'aimes bien. Point illogique si on en croit ta motivation, à savoir les amener à ne plus en parler. Ça peut vouloir dire deux choses : que tu penses vraiment qu'elles vont te laisser tranquille en jouant ma cavalière, ou que tu veuilles secrètement l'être...

      Bonne analyse, gamin.

- Quoiqu'il en soit, moi je ne te lâcherai pas, ajoute-t-il.

      En effet. Il ne la lâchera pas. J'en ai l'intime conviction.

      Résumons la situation. Finn est visiblement attiré par Aylin et d'après ses propres dires, il ne lâchera pas l'affaire jusqu'à obtenir ce qu'il veut : être avec elle. Aylin, elle, n'est pas indifférente au charme de Finn. Elle a autant envie que lui de former le joli petit couple qu'ils feraient. Elle laisse entendre à son entourage restreint qu'elle l'aime bien, mais sans plus. Là où ça se complique, c'est qu'elle a le besoin et la nécessité de rester le plus éloigné possible de lui.

      Pour se protéger elle-même. Pour le protéger lui.

 

      Il fait nuit. Aylin se regarde dans le miroir de sa chambre. D'abord de haut en bas, pour vérifier son allure dans sa belle robe noire choisie avec l'aide et l'avis de Nelly. Puis au moment où elle essaie d'arranger ses cheveux, ses gestes se suspendent. Elle se rapproche du miroir, de plus en plus, jusqu'à avoir la figure presque collée à son reflet. Elle détaille son visage d'un œil étrange, comme si elle ne se reconnaissait pas. Son regard est lointain, son esprit ailleurs.

      Une main se pose sur son épaule.

      Aylin sursaute violemment. Dans son mouvement, elle entraîne une chaise qui tombe dans un grand bruit.

      La voix de Nelly se fait immédiatement entendre.

- Aylin ? Est-ce que tout va bien ?

- Oui, Nelly. Oui... Ne t'inquiète pas.

      Elle reprend son souffle, comme si elle venait de faire un exercice physique intensif.

- Whoa... Excuses. Je ne voulais pas te faire peur à ce point.

- Tu mérites vraiment que je te casse la gueule.

      Aylin ramasse la chaise et par la même occasion les vêtements tombés entraînés dans la chute. Cette réaction me fait sentir sa persistante anxiété. Peut-être est-elle nerveuse à cause de cette petite mascarade dansante de l'hiver. Mais j'aime mieux à penser que c'est moi qui lui inspire cette peur. Elle revient vers le miroir et pousse un léger grognement en voyant ses cheveux emmêlés.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Tu arrives bien tôt.

- Je voulais assister à ce genre de spectacle.

      Finn est là, élégamment adossé à l'encadrement de la porte entrebâillée. Vêtu d'un vieux costume sans cravate – sans doute appartenant à son père – il ne ressemble en rien à l'un de ces mannequins parfaits en tout point. Finn est Finn, un mec qui n'a pas besoin d'être chic pour être attirant. Mais en l'occurrence, son apparence ne fait qu'accentuer son charme non négligeable. Inutile de préciser le fait qu'Aylin fond actuellement intérieurement, mais n'en laisse rien paraître, bien qu'une lueur s'enflamme dans ses yeux uniquement en la présence du jeune homme.

- Problème capillaire ? raille-t-il.

      Aylin lève les yeux au ciel.

- Laisse-moi tranquille.

- C'est techniquement toi qui m'as demandé de t'accompagner à ce bal. Ma présence est donc justifiée par ta volonté.

- Non véritable volonté, tu veux dire.

- Quoiqu'il en soit, je suis ici suite à ta demande. Et un peu de ma propre envie, cela va de soi.

      Elle empoigne un peigne et s'engage dans l'épreuve ardue du démêlage de cheveux. Il arrive derrière elle et observe attentivement l'opération.

- C'est donc à ça que ressemble le combat quotidien de la gente féminine dotée de cheveux d'une longueur considérable ? Quelle tâche difficile. Je compatis.

- Il t'arrive de te taire ?

- Pas vraiment, non.

      Finn, tel un parasite, lui tourne autour et l'empêche d'achever ce qui ressemble vaguement à un chignon improvisé. Celui-ci retombe immédiatement, d'ailleurs.

- Tu n'es vraiment qu'un gamin.

- Ne me traite pas de la sorte.

- Cesse donc de te comporter ainsi.

      Aylin se résout à faire une tresse sur le côté. Tout ce qu'il y a de plus banal, mais la seule solution à laquelle elle a recourt en cas de flemme de faire de ses cheveux une œuvre d'art.

- Prends donc exemple sur moi, dit Finn en passant une main dans sa tignasse. Messy hair, don't care.

- C'est bien gentil, tes conseils, mais je ne veux pas être semblable à un idiot dans ton genre.

      Finn la rejoint en deux pas et la tourne face à lui, rapprochant son visage du sien au maximum et la forçant à le regarder droit dans les yeux.

- Un idiot, peut-être, mais un idiot qui va t'embrasser.

      Finn se penche tout doucement vers une Aylin pétrifiée. Ses lèvres sont à deux doigts de se coller à celles de la jeune fille, à deux doigts de franchir un pas vers l'accomplissement de sa volonté – et de la mienne. Mon dieu, cette scène est d'un romantisme. Plus que quelques centimètres...

- Tenez-vous prêts pour la photo ! s'exclame une voix guillerette.

      Nelly. Franchement, ce n'est vraiment pas le moment.

      Finn et Aylin se séparent si brusquement qu'on peut presque affirmer qu'ils ont littéralement fait un bond de plusieurs mètres chacun d'un côté. Ils détournent à l'unisson les yeux dans des directions opposées, tentant de cacher leur évidente gêne.

      Nelly, elle, devinant qu'elle a interrompu un moment privé, fait une grimace d'excuse. Elle tripote l'appareil photo dans ses mains et le retourne dans tous les sens en faisant des pas en arrière vers la porte.

- Finalement, je vais attendre en bas pour la photo, d'accord ?

- Non, non. C'est bon, nous pouvons la faire maintenant.

      Aylin fait quelques pas en avant.

- Tu veux qu'on se mette où ?

- Peu importe.

      Aylin et Finn se rapproche de nouveau, sans se regarder. Tous deux affichent un sourire au moment de la prise du cliché, afin faire bonne figure sur la photo.

- Parfait.

      Nelly les contemple avec enthousiasme et gaieté.

- Vous êtes très beaux. Allez, filez maintenant !

      Tous trois descendent l'escalier. Arrivée au seuil de la porte d'entrée, Nelly s'arrête et prend le temps de regarder Aylin et Finn marcher le long de l'allée. Tout à coup, elle semble se rappeler quelque chose.

- J'oubliais !

      Les deux se retournent.

- Le couvre-feu est pour vingt-deux heures.

- Euh...

- Bon d'accord. Minuit tapantes. Pas une minute de plus.

      Les deux jeunes gens s'éloignent.

- Et pas de bêtises ! crie une dernière fois Nelly.

- Promis !

      Ils montent dans le véhicule délabré qui attend sagement au bord de la route.

- Désolé de devoir t'emmener dans cette poubelle, mais hélas c'est tout ce que j'ai pu avoir pour ce soir : la vieille voiture de mon père.

- Elle est en mesure de se déplacer, non ? Le reste n'a pas d'importance.

- Je te suis reconnaissant de penser ainsi.

- Je ne vais quand même pas faire un scandale pour si peu.

      Bref, Finn démarre et la voiture s'éloigne. Je les laisse me devancer. Vous n'étiez pas au courant ? Je me rends aussi à la fête. Je suis même sur mon 31 ce soir. Je ne voudrais pas rater les festivités, ce serait incongru de ma part de manquer un tel événement, surtout qu'il y aura non seulement l'élection de la reine du bal – surnommée « La reine des neiges » - mais aussi un pas vers l'union de mes protégés.

      Comment je peux être d'une telle certitude au sujet de mes élus ? Mais parce qu'ils peuvent dire ce qu'ils veulent, ils ne trompent personne en affirmant n'être qu'amis – pas même les plus aveugles, les plus crédules d'entre eux. Et puis, s'ils se mettent ensemble, tant mieux. Mais être dans une telle relation de manière officielle n'est pas une obligation, car ils sont d'ores et déjà amourachés l'un de l'autre. Le coup porté ne manquera donc pas de faire des dégâts.

      Je suis à l'entrée du gymnase, que j'ai du mal à reconnaître car entièrement transformé. Les élèves responsables de la décoration ont dû suer tout le week-end pour donner à cet endroit l'aspect convoité. J'avoue que leur travail m'impressionne. Des centaines de petits flocons de neige en papier sont accroché au plafond. Des paillettes de savon neigent aux quatre coins de la salle. Des guirlandes à la lumière blanche ornent les contremarches des gradins. Plongée dans le silence ça se rapprocherait plus d'un songe d'une nuit d'hiver.

      Sauf que le silence n'est pas au rendez-vous. Le brouhaha de la foule, le raffut du DJ, le vacarme des basses, les bruissements des couples se trémoussant sur la piste de danse, les deux ou trois personnes engagées pour jouer aux serveurs. Tout ça gâche un peu les choses à mon goût. Surtout ces décolletés plongeants. Strass et paillettes. Smokings et cravates à couleurs flamboyantes. Accoutrements extravagants dans le but de se démarquer. Ah pour se démarquer, oui c'est réussi : on dirait que c'est à qui aura la laideur la plus atroce.

      Je distingue dans l'assemblée Finn et Aylin, maintenant un masque recouvrant le haut de leurs visages à l'instar de tous les autres – moi compris. Ils sont facilement repérables grâce à Aylin, laquelle est la seule vêtue d'une robe noire, ne respectant pas vraiment les couleurs du thème étant bleu, blanc et argent. J'ai un angle de vue idéal sur eux, qui sont assis dans un petit coin légèrement retiré, et un champ de vision parfait pour pourvoir percevoir une multitude de petites scènes tout autour de moi. En revanche, un inconvénient se présente : je ne peux rien entendre des discussions depuis mon emplacement, à part la musique de qualité médiocre lâchée au volume maximum.

      La foule est en constante animation. J'y aperçois des visages familiers. Entre autres, il y a Claire agacée par le comportement pourtant attentionné de son cavalier – jamais contente celle-là. Hazel est absente car restée en compagnie de Laurel qui a refusé d'assister à ce bal sans Ian. Elle est plongée dans son chagrin encore trop douloureux. Je ressens un pincement de culpabilité par rapport à ça. Mais je rejette vite cette sensation. Pas le temps pour ça. Riley, elle, est bien là au bras d'un souriant garçon que je n'ai jamais remarqué auparavant. Elle balaie Aylin et Finn d'un regard appréciateur. Et elle n'est pas la seule à les admirer. Aylin, même le visage à moitié caché, est si jolie que c'est à en hurler. Finn doit être du même avis, et les autres sont très susceptibles de crever de jalousie. Je devine qu'Aylin et Finn, n'y prêtant aucune attention, sont occupés à se moquer tout comme moi des clowns en robes meringues ambulants. A parler de tout, à rire pour rien.

      Le couronnement de la reine approche. Quinn n'est plus de la partie. Qui donc l'emportera ? En attendant d'avoir une réponse, c'est l'heure du slow. Je me retire. Il n'y a personne pour danser avec moi, de toute manière. Je me retourne vers mes protégés. Aylin est seule. Les premières notes de la chanson choisie pour le slow se font entendre – je remercie quiconque a choisi cette première chanson non merdique de la soirée.

       I have a problem but I cannot explain, I have no reason why it should have been so plain...

      Je vois Aylin se lever et ramasser un ballon blanc. Elle le serre contre elle et commence à danser. Quand Finn revient, il laisse échapper un petit rire. Sans un mot, il lui agrippe la main et la traîne vers la piste de danse, où il la prend par la taille et commence à la guider doucement. Les yeux rivés sur eux, je ne l'ai pas vu approcher. Quelqu'un m'attrape les mains et me fait tournoyer. Des yeux bleus détaillent mon visage, les lèvres étirées en un sourire. Quelque chose d'étrange monte en moi. Je me contente de sourire et de suivre la danse.

- Je ne savais pas que tu savais danser, je chuchote.

- J'ai bien de talents cachés.

      Je garde les yeux fermés ayant envie de savourer ce moment jusqu'au bout, mais je me ressaisis vite. Je cherche du regard Aylin et Finn. Ils sont là. Bien. Je soupire. Je ne devrais pas me laisser distraire de la sorte.

      I, I know how I feel around you. I don't know how I feel around you. Around you...

      La chanson s'achève. Une autre plus rythmée la suit de peu, et tout le monde accélère les pas de danse.

- J'y vais, me prévient sa voix.

      Je hoche la tête.

      Je me rends compte à quel point je m'ennuie à l'instant. Un changement d'ambiance s'impose. Dans vingt et une minutes, très exactement. En attendant, je vais m'amuser un peu.

       Finn entraîne Aylin dehors. Parfait.

      Je les laisse un moment. Silencieux, tout deux regardent le ciel crachant des petits flocons de neige. Au bout d'un moment, ils se regardent. Cette fois, il n'y a rien pour les interrompre. Finn embrasse Aylin, qui au lieu de le traiter de gamin ou d'abruti, se laisse faire.

Minuit approche, le temps d'ôter ton masque est arrivé. Peut-être t'aimera-t-il plus si tu lui dis qui tu es. À moins que tu aies oublié ta réelle identité... Souhaites-tu que, avec ma langue bien pendue, je me charge de le lui révéler ?

-A

      Aylin sursaute. Je la vois qui se raidit. Quand elle lit le message, elle devient blême, regrettant amèrement le fait de devoir faire ce qu'elle voulait à tout prix éviter.

- Ça va ? C'est Nelly ?

      Elle touche l'épaule de Finn.

- Il faut que je te dise quelque chose.

      Finn fronce les sourcils.

- Tu avais raison. Je t'ai menti.

- Tu m'as menti. Et à quel sujet ?

      Aylin prend une profonde inspiration. Ça y est, on y est.

- Mon nom de famille... Le vrai... n'est autre que « Fell ».

      Boom !

      Finn se fige.

- Fell ? Comme Aylin Fell, mon amie d'enfance ? Mon amie qui est partie du jour au lendemain sans prévenir ?

- Elle-même.

      Finn est déconcerté.

      La suite ne se déroule pas comme prévu.

      Expectation VS Reality.

      Expectation : La scène telle que je l'ai imaginée est digne d'un stupide film à l'eau de rose dégoulinant de romance à vous faire gerber tout ce que vous avez ingurgité durant la journée. Quelque chose comme « Finn, à la fois ému et stupéfait, en reste bouche bée. Détaillant le magnifique visage de la jeune fille dont il est épris, un sourire des plus tendres fleurit sur ses lèvres. Avançant une main, il lui caresse la joue, doucement. Aylin ne peut s'empêcher de sourire à son tour. Et c'est la tête pleins de jolis souvenirs vagabondant dans la mémoire de chacun d'eux que les jeunes gens s'embrassent sous la douce et pâle lumière de la lune, amoureux comme jamais après tant d'années de séparation ».

      Reality : Là, ça fait mal.

      Finn à la fois ému et stupéfait, en reste bouche bée. Scrutant le visage de la jeune fille avec confusion, il fait quelque pas en arrière.

- Aylin Alison Fell. Evidemment. Cette fille que j'ai toujours connue, ce visage que je n'ai pourtant pas su reconnaître. Qui pouvais-tu être d'autre ?

      Aylin, fortement embêtée, détourne les yeux. Finn la force à le regarder.

- Pourquoi ? Que... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi as-tu changé de nom ? Qui est Nelly ? Où est ta famille ?

      Il pousse un léger grognement.

- J'ai tellement de questions, je...

- Il ne faut pas que tu saches, dit Aylin d'une voix dénuée d'émotion.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Beaucoup de choses que tu ignores se sont produites, Finn. Des choses dont je ne peux tout bonnement pas te dire un mot. Pas un seul.

- Alors quoi ? Tu comptes me laisser deviner pourquoi tu as brusquement disparu de ma vie après tant d'années d'amitié ?

- Je ne peux vraiment pas...

      Finn, furieux, retourne à l'intérieur. On dirait qu'Aylin se retient de pleurer. Une première.

      Je doute qu'à ce stade, vous puissiez totalement comprendre ce qui vient de se passer. Pour résumer : Aylin et Finn sont amis depuis pratiquement la naissance, et un beau jour... Pouf ! Plus d'Aylin. Un autre, elle décide de resurgir comme si son absence n'a été que de courte durée. Finn, ayant été blessé et laissé noyé dans sa confusion et son chagrin infinis, lui en veut.

      Aylin restée immobile dehors sous la neige et le froid, se résout à rentrer. Seize minutes sont passées. L'heure du couronnement est annoncée. Les candidates montent en fil indienne sur l'estrade. Tout sourire, elles saluent le peuple. La tradition veut que ce soit à la reine de l'année précédente de remettre la couronne à la nouvelle élue. Encore une fois, Quinn n'est plus là, donc une fille un peu dodue qui m'est étrangère s'en charge.

      Après un suspense inutile, le verdict tombe : Lily Young l'emporte. Celle-ci est en pleine euphorie de sa victoire. Les autres tentent de paraître fair play et applaudissent, mais on voit qu'elles ont la rage.

- Félicitations, Lily !

      La couronne est placée sur le haut de son crâne.

- Merci infiniment. Quinn aurait été tellement fière de moi.

      Elle t'aurait cassé les dents, oui.

- Son absence ce soir ainsi que celle de Ian sont douloureuse, déclare-t-elle en portant une main à sa poitrine. Ça reste un vrai coup dur pour toute la ville. Nul ne mérite un tel sort.

      Dit la fille qui a dansé toute la soirée avec son petit copain sans se soucier une seule fois d'autre chose qu'elle-même.

- Bref, je souhaite dédier ma victoire à...

      Silence. Sans crier gare, Lily et les filles restées alignées derrière elle s'écroulent. Un hoquet général se fait entendre. Je peux presque les entendre penser avec angoisse « Oh non, pas encore ». Sur le mur derrière l'estrade, le film rendant hommage à Quinn et Ian apparait... Avant que l'image ne se détériore. Elle laisse place à des séquences dérangeantes, agrémentées d'une musique sombre et entrecoupées par quelques phrases. « Minuit approche, le temps d'ôter ton masque est arrivé. Révèle qui tu es, ce que tu seras à jamais. Montre ton vrai visage, monstre damné ! ». Je vois des personnes courir et s'acharner à interrompre la vidéo. Trop tard. « Ôtez vos masques ! Ôtez vos masques ! ». Je me recule vers un endroit précis, me tenant à mon poste. Il est l'heure. Je déclenche l'alarme incendie.

      Et c'est le chaos.

      L'eau arrose l'assistance. La sono crachote des étincelles fusant de toute part. Les lumières des guirlandes clignotent, avant que les ampoules explosent une à une. Les flocons dégorgeant d'eau s'écrasent au sol, les paillettes de savon se transformant en une mélasse moussante et glissante. Un énorme craquement retentit. Une des enceintes tombe près d'un groupe de mecs. Des hurlements retentissent à mes oreilles, et les élèves courent dans tous les sens en s'efforçant de vider les lieux et de fuir la pluie d'éclat de verre et d'étincelles.

      Les filles soulèvent leurs robes longues et tentent de ne pas glisser, leur mascara coulant sur leurs joues. Les garçons, yeux grand ouverts, courent, dérapent, tombent, se relèvent, n'offrant aucune aide à qui que ce soit.

      Ainsi, ils ont tous ôté leurs masques. Qui se cache derrière ? Des monstres.

      Cessons de blablater, à présent. Vous verrez bientôt une autre partie de la vie d'Aylin être révélée au grand jour, ainsi qu'un indice majeur sur mon identité – cette fois ce n'est pas une blague. Trêve de plaisanteries, je me suis juré de gâcher sa vie où qu'elle aille. Et je m'y prends plutôt bien, non ?

-A

13: V. THE BUTTERFLY EFFECT
V. THE BUTTERFLY EFFECT

      Je lève les yeux. Le ciel est sombre et nuageux. La neige fait encore règne sur la ville, en ce mois de décembre glacial. Les bois sont fort heureusement déserts. Je marche entre les arbres, dans cette forêt de glace où tout semble figé, mort. Le temps semble arrêté. Les secondes, les minutes, les heures ne s'écoulent plus. Comme si la beauté monotone du paysage offrait une éternité à vivre. Le silence assourdissant, le froid mordant ma peau, le voile blanc lumineux de la neige. Ca me calme, ça m'apaise. Ca me vide la tête, me débarrasse de ce qui hante mon esprit. Mon esprit maudit et mon cœur meurtri.

      Ce sont les vacances d'hiver - un répit tant attendu autant par les élèves que par les profs. Aylin et ses copines sont sûrement blotties dans des couvertures autour d'un feu de cheminée toujours à essayer d'alléger le chagrin de Laurel. Finn est chez-lui, soit en train de jouer avec sa sœur cadette Lena qui le bat toujours aux jeux de société, soit il est enfermé dans sa chambre à bouder et ressasser le passé et les dernière nouvelles concernant Aylin, essayant pourtant de ne pas y songer sans cesse en lisant un bon livre ou tentant de se concentrer sur autre chose. La moitié des vacances est passée, et ni Aylin ni Finn n'a essayé de contacter l'autre. La première certainement encore triste de l'avoir laissé et apeurée de lui reparler, le deuxième encore furieux du brusque abandon de sa seule amie il y a des années.

      Que dites-vous de les faire sortir de leurs gouffres ?

      Maintenant que cette petite promenade a porté ses fruits et que j'ai le moral remonté par rapport à ce matin, il est temps de nous amuser un peu. Je reviens vers ma voiture, réparée depuis l'incident du soir d'Halloween. Même en véhicule j'essaie de garder discrétion. La première raison est que je fais tâche avec cette petite voiture cabossée et minable au milieu de celles des autres, grosses, belles et propres. Mais heureusement que je ne suis pas l'unique personne à en posséder une, de voiture piteuse. Des adolescents notamment ont en reçu une à leur anniversaire. Des jeunes ayant des parents qui ont la sagesse de d'abord tester le sens de responsabilité de leur enfant avant de leur offrir une bagnole flambant neuve.

      Bref. Je me casse un peu à contre cœur des bois. C'est le seul endroit où je peux m'aventurer librement sans avoir peur d'être vu, sans avoir le besoin de me cacher. Je suis libre et en paix ici. Mais je me dois de retourner à ma principale occupation. Je roule le long d'une route peu fréquentée, surtout maintenant qu'il va bientôt faire nuit et qu'en cette période de mauvais temps les gens préfèrent rester chez eux plutôt que d'organiser des sorties en famille après 19h. J'éteins vite la radio, regrettant qu'elle ne passe plus de musique digne de ce nom.

Une chose en entraîne une autre. Les évènements se poursuivent en fonction de l'acte précédent. C'est l'effet papillon. A partir de maintenant, tu devras suivre mes instructions. Alors, s'apprêter au jeu ou jouer les rebelles ? A toi de voir. Mais saches que plus tes choix seront mauvais, plus les résultats de tes actes seront désastreux. Achtung, ma jolie !

-A

      Hop ! Envoyé. Ce soir, nous allons jouer à organiser un rendez-vous. Aylin et Finn me fatiguent à s'éviter mutuellement. Nous allons donc les réunir de nouveau. Un message suffit à faire bouger le cul d'Aylin.

La première : rends-toi chez Finn et arrange-toi pour qu'il accepte de te pardonner. Une fois réussi, nous passerons à la suite. Ne t'avise pas de me décevoir.

-A

      Seulement quelques minutes plus tard, je perçois Aylin qui quitte la demeure des McHale en mettant son bonnet et rajustant son écharpe autour de son cou. J'aime qu'elle m'obéisse. Moi qui voulais lui faire peur, pour le coup c'est réussi.

      Je la suis, restant à une distance raisonnable et suffisante. Elle remonte l'allée des Davy, sauf qu'au lieu de toquer, se présenter et demander à voir Finn, elle se dirige vers la droite et contourne la maison. Je fais donc le tour, puisque je ne la vois plus. Qu'est-ce qu'elle fiche ? C'est une fois de l'autre côté que je comprends. Elle jette des petits cailloux en direction d'un minuscule balcon. Celui de la chambre de Finn, d'où on entend distinctement les notes de sa guitare raisonner dans le silence de la nuit. Elle refait le même geste jusqu'à l'interruption de la musique. Aylin attend deux secondes, ne voyant personne là haut, elle jette un autre caillou. Sauf que Finn s'est montré à ce moment-là, et qu'il a failli recevoir le projectile au visage.

- Eh ! proteste-t-il.

- Oups, désolée.

- Que... Aylin ? C'est toi ?

- Bah oui, patate. Tu vois bien que c'est moi.

- Va-t-en.

      Je descends et me cache derrière la haie pour mieux entendre. Finn retourne à l'intérieur. Aylin ne lâche pas l'affaire et vise de nouveau, atteignant la vitre de la porte donnant sur le balcon. Finn ressort avec un air agacé.

- Non mais qu'est-ce que tu fiches ?

- Je souhaiterais te parler.

- Tu ne pouvais pas le demander autrement qu'en me jetant des pierres ?

- J'aurais pu t'appeler, c'est vrai. Mais ce n'est pas toi qui me sermonnais à propos de l'originalité ?

       Finn s'appuie sur la rambarde et baisse la tête afin de l'observer.

- Pas au point de me la jouer Roméo et Juliette en version inversée. En plus, à mon avis, aucun des deux n'aurait essayé de lancer des pierres à la gueule de l'autre.

- Mais ça aurait été franchement plus marrant si ça avait été le cas. Shakespeare n'était pas un mec très drôle, on dirait.

      Une phrase typique Finn, pourtant sortie de la bouche d'Aylin. Cette dernière a les mains liées derrière son dos, debout dans une posture droite, la tête levée vers le jeune homme qui la regarde toujours avec un air interrogateur. Les deux se fixent un moment, semblant tenter de deviner les pensées de l'autre.

- Qu'est-ce qui te prends ? demande Finn.

- Rien du tout. Fais-moi monter, j'ai froid.

- Comment tu veux que je te fasse monter ? Tu n'as qu'à passer par la porte d'entrée, comme une personne normale.

- Sauf que je ne suis pas quelqu'un de normal.

      L'ombre d'un sourire apparait sur le visage de Finn, effaçant son agacement.

- Plutôt vrai.

- Alors, tu veux bien me parler ?

       Oh là là. Mais qui résisterait à l'adorable petite bouille suppliante d'Aylin ? Pas Finn, en tout cas. Car après un petit moment d'hésitation, où il se demande s'il vaut mieux l'ignorer où l'écouter, il disparaît de nouveau dans sa chambre. Aylin sait qu'elle a gagné, car elle ne semble point inquiétée. En effet, Finn arrive par le même chemin qu'elle et la rejoint, tout emmitouflé dans sa veste.

- Je suis désolée, dit Aylin de premier abord. Pour tout.

- Est-ce que tu es décidée à me fournir des explications ?

- ... Non.

      Finn souffle, un nuage se forme dans l'air à cause du froid.

- Bon...

- Tu dois comprendre, poursuit très sérieusement Aylin. Je ne peux rien te dire, et j'en suis désolée. Par contre, tu dois savoir que je n'avais nullement l'intention de partir ainsi sans prévenir. La situation était compliquée. Je regrette sincèrement de ne jamais t'avoir dit au revoir.

      Finn fourre ses mains dans ses poches et se balance sur ses talons.

- Je ne t'en veux plus. Si je t'ai évitée, c'est plus par peur. Par peur de ne plus retrouver en toi la petite fille que j'aimais.

       Aylin ouvre la bouche pour répliquer mais aucun son n'en sort. Les mots semblent se battre pour essayer d'exprimer ce dont elle a envie. Elle se résigne à fixer un énorme arbre à laquelle est accrochée une balançoire usée.

- Mais qu'elle soit demeurée là ou qu'elle ne soit plus, ajoute Finn, je crois qu'elle m'a fait comprendre que la fille qui est maintenant en face de moi, et bien, je l'aime aussi.

- Est-ce que c'est une déclaration d'amour ? demande bêtement Aylin.

- C'en est une. Ne t'en fais pas, tu n'es pas obligée de répondre ou de réagir. Je voulais juste te l'apprendre, au cas où mes efforts démesurés pour t'impressionner ne t'aient pas mis la puce à l'oreille.

      Aylin frissonne. Est-ce dû aux paroles de Finn ou le vent qui vient de se lever ? Je parie pour les deux.

- Viens, on rentre, propose Finn.

- Tout compte fait, je ne préférerais pas.

- Il y a un problème ?

      Oui, ta famille.

- Je suis assez nerveuse à l'idée de revoir ta famille après tout ce temps, à vrai dire.

      Qu'est-ce que je disais.

- Ils seraient ravis d'apprendre que tu es ici, pourtant.

- J'en déduis qu'ils ne le savent pas ?

- Non. Je n'ai encore rien dit.

- Je préférerais que ça reste entre nous, justement.

- Pourquoi cherches-tu à te cacher comme ça ? Qu'est-ce qu'il se passe, bon sang ?

       Et voilà. Finn est de nouveau irrité. Aylin soupire, exaspérée.

- Bon d'accord calmons-nous, abandonne Finn. Je ne poserai plus de questions, puisque apparemment je n'aurai jamais de réponse autre qu'évasive de ta part. Et je garderai ton secret, si c'est ce que tu veux.

- Merci.

      Good job.

- Bon, je crois que je vais rentrer. Bonne nuit.

      Finn tourne les talons. Quoi ?

Bravo, tu t'es faite pardonner. Maintenant, retiens-le et propose-lui de sortir. On va faire simple : le cinéma ou le parc ? A toi de choisir. Rendez-vous à la prochaine destination. Bisous !

-A

- Attends !

      Finn fait volte-face.

- Est-ce que ça te dirait d'aller au ciné ?

- Aller au ciné... Genre, avec toi ? Maintenant ?

- Oui, genre avec moi et maintenant.

- Hum. Je vais voir si je peux négocier.

      Il veut dire par là qu'il va sagement demander la permission à ses parents.

      Cinéma, donc ? Sûrement pour ne pas se retrouver totalement seule avec lui et devoir faire la conversation, et par la même occasion me fuir. Il me serait plus facile de les atteindre dans le parc désert à cette heure-ci que dans la salle de cinéma où il devrait y avoir des potentiels témoins. Mais n'ai-je pas réussi mon coup par deux fois en présence de beaucoup de gens ? En tout cas pas entièrement stupide, la petite.

      Je remonte mon écharpe sur la moitié de mon visage, et dissimule mes cheveux sous ma capuche. Le mec qui vend les billets me tend le mien sans même me regarder. Il semble même sur le point de s'endormir. Tant mieux pour moi.

      Finn et Aylin entrent avant moi. Je m'assois au dernier rang, exactement derrière eux. La salle n'est pas bondée ce soir. Les bandes-annonces commencent à s'enchaîner interminablement, si bien que j'ai entamé déjà une bonne partie de mon gobelet de pop corn. Saletés de bandes-annonces. Le film débute enfin après plusieurs minutes d'attente. Je ne sais même pas de quel film il s'agit, mais je remercie le ciel du fait que ca n'ait pas l'air d'être une quelconque comédie romantique - mon pop-corn n'aurait jamais été digéré à cause de la niaiserie assurée du spectacle.

      Les minutes s'écoulent encore et encore et inlassablement. Je m'ennuie gravement. Aylin et Finn ne me sont d'aucune aide, tout deux assis comme ça à fixer l'écran et à se disputer l'accoudoir. Mon gobelet est vide, en plus, et je dois me retenir de terroriser le môme à deux sièges de moi pour qu'il me donne sa bouffe. Misère. Je prends mon téléphone.

Lui tenir la main ou l'embrasser ? Tu as cinq minutes.

-A

      Easy, on y va doucement. Le bras d'Aylin se crispe sur l'accoudoir. Une minute, elle ne fait rien. Deux minutes, toujours rien. Trois, je commence à m'impatienter. Quatre, ça commence à devenir dangereux pour elle. A ce que je sache, je ne lui ai pas offert de choix consistant à ne rien faire. Plus que trente secondes... Un screamer apparait à l'écran gigantesque. Aylin profite de cette seconde précise pour agripper la main de Finn et serrer ses doigts. Ce dernier sursaute légèrement, sous l'effet du contact de la main d'Aylin avec la sienne ou à cause du jumpscare, je ne sais pas.

      Le moment de terreur passe et pourtant ni Aylin, ni Finn ne lâche la main de l'autre. Intéressant. Mais j'imagine bien qu'Aylin s'est gardée de l'ôter car n'ayant aucune idée de si elle est censée justement l'enlever ou non. Donc elle attend un nouveau signal de ma part. D'ailleurs, j'y suis.

Bien ! Cette fois-ci, choix imposé : tente un nouveau rapprochement avec Finn. Tu disposes de dix minutes.

-A

      Aylin met un certain temps, sans doute à réfléchir, puis lâche la main de Finn. Plongeant ses doigts dans son pop corn, elle en prend une petite poignée, la jette à l'avant et descend au bas de son siège pour se cacher. Je vois Finn qui s'esclaffe tandis que le gros monsieur qui a tout reçu sur la tête cherche le coupable. Aylin le tire vers le bas, et lui tend son gobelet. Finn se sert et en lance à son tour une poignée qui cette fois atterrit sur deux ados en train de se rouler des pelles non loin. Avant que leurs victimes ne protestent, ils vident le gobelet en créant une dernière pluie de pop corn sur l'ensemble des gens éparpillés sur les trois rangées à l'avant. Ceci accomplit, Aylin et Finn se lèvent et quittent la salle comme des tornades fuyant la colère de ces pauvres personnes aux cheveux emplis de pop corn.

      Je m'empresse de les rattraper. Je les trouve en train de se planquer derrière une bagnole, complètement hilares. De sacrés gamins quand ils s'y mettent, ces deux là. Mais pour le coup, c'était drôle. J'aurais aimé participer d'ailleurs.

- C'est quand même dommage, nous ne saurons jamais qui est le coupable, fait remarquer Aylin après avoir retrouvé son souffle.

      Ils s'éloignent un peu et s'installent sur un banc.

- C'est le héro qui joue un double rôle, c'est évident.

- ... Tu as déjà vu le film, c'est ça ?

- ... Oui.

      Ils éclatent de rire à l'unisson. Okay, je crois que j'ai assez attendu. Il ne faut pas qu'Aylin oublie que c'est moi qui tire les ficelles.

Trois propositions, un choix. Lui parler de la fameuse nuit, lui dire que tu l'aimes ou lui reparler du baiser du bal. Cinq minutes, ni plus, ni moins.

-A

      Je sais qu'elle choisira le plus simple. Mais laissons-la.

      Les rires cessent quand le visage d'Aylin se fige.

- Qui est-ce ? finit par demander Finn. Tu n'as pas arrêté de consulter ton téléphone.

- Oh, ce n'est rien. Juste les filles.

- Ah.

      Cette minuscule conversation a bouffé une partie du temps imparti. La nervosité gagne Aylin. Que faire ?

- Pour ce qui s'est passé au bal, tu sais...

- Le désastre ?

- Non. L'autre chose.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Entre toi et moi... Tu sais bien !

      Finn sourit.

- Oui, je le sais. Pour quelle raison me reparles-tu de ça ?

- Parce que.

- « Parce que » n'a jamais été une réponse valable.

- Quand ça m'arrange, si.

- Bon...

      Aylin lève la tête vers le ciel étoilé et se plonge dans sa contemplation.

- C'est drôle que tu m'aie laissé t'embrasser ce soir-là.

- Cela ne veut rien dire.

- Au contraire.

- J'ignore ce que tu crois, mais je ne t'aime pas.

      Balivernes !

- Je ne crois rien du tout. Je m'efforce déjà de te comprendre, et franchement je suis totalement perdu. Tu as toujours réussi à me plonger dans une confusion telle que je n'en avais jamais connu. Peut-être que tu ne m'aimes pas, mais tu ne peux pas nier le fait que tu m'apprécie malgré tout.

- C'est vrai.

- Tu l'admets, c'est déjà une victoire.

       Se penchant vers Aylin, il ajoute :

- Ce n'est peut-être pas actuellement le cas, mais... Un jour, tu m'aimeras.

      Aylin frémit quelque peu, mais réussit à garder sa façade calme et nonchalante. J'envie cette capacité de dissimuler nos pensées et émotions.

- Nous devrions rentrer.

- Déjà ?

- Nelly va se mettre en colère si je rentre trop tard.

- « Le rôdeur » ?

- Le rôdeur, oui.

      C'est maintenant le nom officiel qu'on m'a attribué, le nom que tout le monde a en bouche en ce moment, cet inconnu dangereux qui les pousse à doubler la sécurité en fermant à double tour leur chez-soi et à surveiller leurs arrières en toutes circonstances. La mort de Ian l'a certes fait taire sur l'identité de la personne, mais il n'empêche que les rumeurs nées des esprits affolés de Rosewood se soient répandues rapidement à ce sujet : l'existence d'un danger. « Le rôdeur »... Mouais, ils auraient pu trouver mieux. J'apprécie d'un côté cette considération, mais de l'autre elle me porte préjudice, étant donné que tout le monde est sur ses gardes maintenant. Pour ça ne vous inquiétez pas, j'ai un Joker.

      Aylin se lève et Finn la rejoint.

- Aylin ?

- Oui ?

- Je la découvrirai. Je poursuivrai mes recherches, je continuerai de creuser jusqu'à ce que je la trouve.

- Quoi donc ?

- La solution au mystère que tu es, Aylin Alison Fell.

      Aylin s'arrête et se plante devant Finn. Le regard qu'elle lui adresse semble le mettre au défi d'y parvenir, mais il y a autre chose aussi dedans. Une chose appelée amour.

      Malheureusement nous allons devoir achever notre amusement de ce soir maintenant, étant donné qu'ils sont près d'arriver dans leur rue. Allez, c'est la dernière.

Mort ou hôpital ?

-A

      Aylin pâlit. Ses yeux se baladent sur l'écran plusieurs fois, son cerveau essayant tant bien que mal de déchiffrer le sens de cette phrase. Elle reste là au beau milieu de la route.

- Aylin ? Tout va bien ?

      Si elle a voulu répondre, elle n'en a pas eu le temps. Car tout se passe très vite. J'appuie sur l'accélérateur et fonce droit devant moi. Les phares allumés, je l'aveugle tandis que je roule droit sur elle. Aylin a la respiration coupée, les yeux écarquillés au point qu'ils semblent sur le point de sortir de leurs orbites. La panique la bloque sur place, l'empêchant de se dégager et sauver sa peau. La peur ultime. Je laisse échapper un rire devant cette vision. Sérieux, je n'ai jamais vu Aylin être angoissée à ce point. Finn s'immisce dans mon champ de vision. Il pousse Aylin violement sur le côté et se retrouve à sa place, là, à peu d'être renversé par moi. Mon cœur s'accélère tandis que je dévie sur la droite pour l'éviter, et rapidement, je m'éloigne à toute allure. J'ai à peine le temps de percevoir dans mon rétroviseur Finn penché sur Aylin qui git par terre, apeurée et roulée en boule. Je m'évapore dans la nature.

      C'était assez chouette. Vous remarquerez que ce soir, je me suis gardé de jouer aux méchants. Bon, j'ai foncé sur deux adolescents avec ma voiture, mais il faut me croire, je n'avais nullement l'intention d'attenter à leur vies.

      Tout ceci était un exercice destiné à découvrir l'étendue de mes pouvoirs. Jusqu'à quel point puis-je contrôler la vie d'Aylin ? Il en va sans dire que j'ai une certaine aisance à m'accaparer de son existence. D'où le loisir de jouer avec elle, changer le cours des choses, modifier les évènements comme bon me semble, lui faire faire ce dont j'ai envie. Ecrire son histoire, me l'approprier et en faire la mienne. Grâce à cet exercice, j'ai la preuve que j'ai la possibilité de prendre possession non seulement de sa vie, mais aussi d'Aylin elle-même. Aylin est maintenant, grâce à l'oppression et la peur que j'exerce sur elle, ma marionnette avec laquelle je peux jouer à ma guise. Aylin n'est plus qu'une poupée que, une fois que j'aurai marre de m'amuser avec, je détruirai. Une fois lassée d'elle je n'aurai qu'à la jeter, à m'en débarrasser. Aylin est ma poupée. Ma poupée facilement cassable.

      C'est drôle comme un détail anodin peut changer tellement de choses. C'est vrai, il suffit qu'un minime élément des conditions initiales soit modifié ne serait-ce que légèrement pour que la fin de la chaîne s'en retrouve chamboulée. Bien sûr, je suis dans l'incapacité de vous prouver l'ampleur d'un changement quelconque au niveau de l'enchaînement des évènements de ce soir. Mais pensez-y. Supposons qu'Aylin ait fait tous les choix opposés à ceux effectués au cours de la soirée. En serions-nous au même point à présent ?

      Vous vous demandez sans doute la raison de mon speech à ce propos. C'est simplement dans le but d'évoquer le fait que l'être humain souhaite souvent revenir en arrière afin de corriger des choses indésirables ayant des conséquences plus ou moins considérables sur sa vie actuelle. Ce qu'il ignore, c'est que son existence s'en retrouverait probablement chamboulée. Il est impossible de rembobiner le film de sa vie - merci Captain Obvious - mais même si nous en avions le pouvoir, cela n'aurait résulté rien de bon. Rappelez-vous en la prochaine fois que vous ferez ce souhait. Moi-même il m'est arrivé de le souhaiter, et quelque part je le souhaite toujours. Mais pour nous, pauvres mortels impuissants, le passé reste inaccessible et invariable.

      Si le passé est indéniablement intouchable, le futur n'en reste pas moins compliqué. Nous ne pouvons vraiment anticiper l'avenir. Qui dit que tout marchera comme sur des roulettes, ou au contraire, que tout ira mal ? Nous faisons des plans, des projets, mais personne n'est en mesure d'affirmer avec sûreté et exactitude que ce qui était prévu va se réaliser. Car si tout peut se dérouler comme on le voulait, et bien tout peut virer au cauchemar rien qu'avec une action imprévue ou même volontaire à première vue insignifiante, mais qui se révèle être à notre insu l'élément déclencheur du désastre. Donc il nous est possible de faire en sorte d'arriver à un résultat voulu, mais rien ne garantit pour autant la réussite. L'effet papillon peut s'avérer être destructeur, et s'applique à tous les choix qu'une personne puisse faire.

      Même quand il s'agit de moi.

      Mais pour l'instant j'ai toutes les cartes en main, quoi de plus enivrant quand on est tout près de réduire à néant l'existence de la personne qui s'est chargée de la vôtre auparavant.

      Place à l'indice. Vous vous souvenez ? Je vous en ai promis un. Attention, le voici le voilà : je suis une fille. Là vous vous dites peut-être « Non, sans blague ?! ». Les hommes sont pas mal fous aussi, mais il n'y a qu'une fille pour être assez tarée et obsessionnelle pour occuper son temps avec de telles activités. Car je me suis rendue à l'évidence il y a longtemps : je suis complètement cinglée.

      Cet indice vous aide-t-il ? Ne me dites pas le contraire, celui-ci est utile. Il élimine toute la gente masculine de la liste des suspects, quand même. Allez, un petit effort et creusez-vous les méninges. Encore trop confus ? Tant pis, il ne vous reste qu'à patienter.

      Je me rappelle un jour où je regardais par la fenêtre de ma chambre, et qu'un un insecte aux ailes d'un orange flamboyant s'est posé sur le rebord de la fenêtre. Il voltigea un instant devant mes yeux avant de disparaître. Les papillons sont jolis, n'est-ce pas ? Il y en a des majestueux aux couleurs vives et lumineuses, porteurs de rêves. D'autres sont nocturnes à l'aspect sombre, disgracieux, maudit, semblant porter malheur et annoncer de mauvais présages.

      Dites-vous que je suis un papillon de nuit.

-A

14: VI . HOW TO SAVE A LIFE
VI . HOW TO SAVE A LIFE

      Pensez une seconde à une personne que vous aimez plus que tout. N'importe laquelle, du moment qu'elle est chère à votre cœur. Maintenant, je vais vous poser une question simple : « La connaissez-vous vraiment ? ». Sans hésitation, vous répondez que oui, mais vous avez tout à un coup un doute. Ne vous en faites pas, ça peut arriver à tout le monde. On croit dur comme fer connaitre une personne par cœur, puis un jour... Elle nous surprend. On apprend quelque chose sur elle qui remet tout en question : ce qu'on sait d'elle, ce qu'on a vécu avec elle, ce qu'on croyait et espérait d'elle, l'avenir qu'on anticipait avec elle. Ca nous donne la sensation d'avoir reçu une bonne gifle en plein visage. Ca fait mal, mais au moins ça a le mérite de bien nous réveiller tout de suite des illusions qu'on a trop tendance à prendre pour des réalités.

      Les vacances se sont achevées aussi vite qu'elles ont débuté. Le temps file de plus en plus vite, j'ai l'impression. Nous sommes en janvier, le début d'une nouvelle année. Nouvelle année pleine d'espérances, de vœux, de promesses et de bonheur.

      Le nouvel an s'est bien passé. J'ai épargné les habitants de Rosewood ce soir-là. Pas par soudaine gentillesse, mais parce que j'ai besoin de souffler de temps à autre et que j'ai voulu en profiter aussi, de ce dernier jour de l'année.

      Une atmosphère de fête régnait sur la ville entière, du 25 au 31 décembre. Les rues étaient décorées depuis Noël jusqu'au jour du nouvel an. Les gens allaient et venaient pour se procurer sapins, décorations et autres accessoires pour assurer une fête digne de ce nom. Les demeures rivalisaient de par leur splendeur, les foyers se retrouvaient autour d'un dîner copieux et dans une convivialité propre aux fêtes. Une sorte de bonne humeur planait dans l'air, même si les conditions ne sont pas des plus favorables pour certains.

      Pour ma part, j'ai déambulé dans les bois et ai respiré un grand bol d'air frais en début de soirée. Après ça, j'ai dégusté un dîner chez-moi, dans le calme. Pour finir, j'ai passé les dernières heures avant minuit en compagnie de quelqu'un dont je ne peux pas divulguer l'identité, sorry.

      Je ne suis pas forcément très fan de ce genre de trucs, mais les fêtes ça peut avoir du bon.

      Cependant je ne pige pas un truc. Les gens fêtent le nouvel an, prennent des résolutions et promettent qu'à partir de là, ils changeront et feront de leurs vie une existence meilleure. Ils assurent qu'ils amélioreront leurs quotidiens, qu'ils se montreront bons envers les autres, qu'ils seront en meilleurs termes avec leurs familles et leurs amis. Mais au final, rien ne change, tout reste identique. Qui a sérieusement respecté ne serait-ce qu'une seule de ces stupides bonnes résolutions ? Personne. Parce qu'on a beau prétendre pouvoir changer ce que l'on est pour notre bien ou pour celui d'autrui, tout est vain. Je le crois, que les gens changent au fil du temps. Mais il y a une partie en chacun de nous qui s'accroche et qui ne disparait jamais.

      Ce que je ne comprends pas non plus, c'est pourquoi les gens tiennent tant à fêter le temps qui passe ? Les années s'écoulent à une vitesse ahurissante, balayant aussi bien les moments de joie que de tristesse. Il emporte tellement de choses sur son passage. Moi j'aimerais bien que le temps, cette force incontrôlable, s'arrête afin de faire durer les meilleures instants pour l'éternité. Il en va de même pour les anniversaires. Un an de plus dans notre vie est un an de moins à vivre, et plus les années passent, moins il y a de personnes pour s'en rappeler ou s'en soucier. L'anniversaire est-il alors fête ou deuil ?

      Les anniversaires, des âneries. Personnellement, il y a des fois où je maudis mes parents pour même m'avoir donné naissance. Sérieusement. Venir à la vie et débarquer dans ce gigantesque merdier où le seul but n'est pas de vivre comme son nom l'indique, non, mais de survivre. Et ça, c'est vachement plus difficile, mes amis.

      Revenons à nos moutons. Aujourd'hui, pas de grasse matinée car le lycée reprend. Youpi ! Les habitants de Rosewood reprennent leurs habitudes. Boulot, études, et tout ce qu'un humain est censé faire de ses journées, quoi. Des petites vies bien chiantes.

      7h 43, Aylin, assise dans la cour intérieure, écrit frénétiquement dans un cahier à spirale. Cahier que j'ai déjà aperçu entre ses mains, mais que jusqu'ici j'ai trouvé anodin. Ca ne semble pas être un cahier de cours. Hum, intéressant.

      7h 46, Riley débarque d'un pas trainant, à moitié endormie et l'air blasé. Elle s'affale devant Aylin qui referme et cache immédiatement son cahier.

- Je hais les lundis, déclare-t-elle.

- Moi je hais le fait que le lundi soit si loin du vendredi, mais que le vendredi soit très proche du lundi.

      Riley écarquille les yeux.

- Je ne sais pas qui vous êtes, mais sortez de ce corps.

      Aylin rit.

      7h 48, Laurel et Hazel arrivent d'un pas sautillant, bras dessus bras dessous, et trouvent Riley la tête posée sur l'épaule d'Aylin et les yeux clos, profitant de quelques minutes de sommeil supplémentaires. Laurel sort son calepin à dessins, ce truc qu'elle a toujours sur elle. Avec la mine du petit crayon qu'elle coince dans la spirale, elle dessine tranquillement. Hazel, n'ayant rien à faire, se penche et admire le travail.

      7h52, Claire surgit.

- Vous étiez où ? Je vous attendais de l'autre côté, moi.

- Chut, Riley dort.

      Claire levant un sourcil, approche sa bouche de l'oreille de Riley et crie :

- Bah il serait temps qu'elle se réveille !

      Riley fait un bond.

- Mais ça ne va pas de me hurler comme ça dans l'oreille ?!

- Je disais juste que c'est un miracle que tu sois là. Toi qui d'ordinaire arrives toujours en retard.

- Bah, comme je refusais de bouger, ma mère m'a poussée du lit aujourd'hui.

- Elle a bien raison. Tu dois apprendre la ponctualité.

      Riley pousse un grognement et s'affale de nouveau sur Aylin comme si c'était un coussin géant.

- Allons, tu sais comme Claire est stricte avec les horaires, dit Laurel.

- Exactement, répond l'intéressée. Un grand homme a un jour dit que mieux vaut avoir trois heures d'avance qu'une minute de retard.

      Riley baille paresseusement.

- Qui ça ? Gandhi ?

- Non, William Shakespeare.

- Ouais bof, c'est pareil.

      Claire pose les mains sur ses hanches, choquée. Les autres pouffent de rire. La première sonnerie retentit et Aylin essaie de se lever.

- Ho non ! Aylin reste, tu es très confortable.

- J'ai chimie, je n'ai pas intérêt à être en retard.

- Ah ouais, merde. Mme. Klein va encore vous faire chier.

      Riley libère Aylin.

- Moi, j'ai Allemand je crois. Va, file, petite Aylin. Veille à ne pas faire exploser le labo.

- Bien, mon capitaine.

      7h 59, Aylin est en classe depuis un petit instant.

      8h 05 précises, la susnommée Mme. Klein ferme définitivement la porte du laboratoire de chimie, bloquant ainsi l'accès à tous les retardataires qui auront beau donner toutes les justifications du monde, n'entreront jamais. Les pauvres se retrouvent à tambouriner à la porte, laquelle se ferme en plein sur leurs faces. Mais cette fois, un bras dépasse par l'encadrement de la porte juste au moment où la prof la claque, et un cri de douleur se fait entendre.

- Tiens, tiens. M. Davy. Evidemment.

- Bonjour, Mme. Klein. Vous me laissez entrer ?

- Vous êtes en retard, jeune homme.

- Mon bras à l'intérieur de la salle dit le contraire.

      Quelques élèves laissent échapper un rire, prenant le gros risque que la prof se retourne, enregistre en moins de deux les élèves ayant commis ce délit avant de leur enlever des points ou pire : avoir recours à la menace de la règle jaune.

- Mieux vaut avoir trois heures d'avance qu'une...

- Qu'une minute de retard. William Shakespeare. Je sais.

      Qu'est-ce qu'ils ont tous avec Shakespeare aujourd'hui ?

- Vous comprendrez donc qu'en l'occurrence, je me dois de vous renvoyer.

- Mais madame, mon bras a traversé le seuil très exactement à la dernière seconde. Techniquement, je suis à l'heure.

      Mme. Klein pince les lèvres, et à contre cœur déclare :

- Très bien, entrez. Mais c'est la dernière fois que je vous fais cette faveur.

- Merci, madame.

      La porte se rouvre et le bras de Finn se décoince. L'agrippant avec une légère grimace, il part gagner sa place. En chemin, il sourit à Aylin, laquelle le lui rend vaguement.

      Mme. Klein commence à déblatérer au sujet du cours. Les élèves font seulement mine d'écouter pour certains, d'autres s'efforcent de suivre alors qu'ils n'ont en rien à foutre. Il y en a qui participent, d'autres qui dorment. Il a ceux qui sont au moins conscients d'être en plein cours de chimie, d'autres qui semblent à peine se rappeler leurs noms.

      Spécimens en tous genres. Tout à fait normal chez les lycéens.

- Choisissez un partenaire pour l'expérience.

      A l'entente de cette phrase, chaque élève lance ce fameux regard à son ami – vous le connaissez ce regard, c'est sûr. Rapidement, les paires sont formées. Finn doit se disputer Aylin avec deux autres mecs venus s'assoir auprès d'elle. Pour l'emporter, il lui suffit d'utiliser une technique développée semblable à La-face-la-plus-adorable-en-stock : celle du Regard-qui-tue. Les deux mecs se résignent à se coller chacun à un intello pour assurer une bonne note, chose qui n'est pas si mal.

      Aylin n'a pas bougé de sa place et n'a pas vu ce qu'il s'est passé derrière elle.

- Salut, chuchote Finn en s'installant sur le siège à côté d'elle.

- Salut.

- Il semblerait que tu sois ma partenaire.

- On dirait bien.

      Aylin ouvre son gros bouquin et le dispose aux côtés de ses cahiers. Finn la regarde mettre ses gants et ses lunettes de protection, et l'imite en commençant par mettre sa blouse.

- Alors, partenaire ? Souhaites-tu discuter de sujets attrayants, tels que... Nous ?

- Il n'y a pas de « nous ». Du moins, pas dans le sens auquel tu fais allusion.

      Aylin continue de tenter de mener à bien l'expérience et décrocher sa bonne note. Finn se penche vers elle, la collant quasiment.

- Mais, et le baiser ?

- Ne t'emballes pas, on ne s'est embrassés qu'une fois.

- Vrai. Raison de plus pour le refaire.

      Mme. Klein surgit entre eux deux.

- Trêve de bavardage. Vous êtes ici pour travailler.

- Bien, madame.

      Mais dès qu'elle s'éloigne, Finn profite du moment où Aylin s'assoit temporairement le temps de prendre des notes. Il se rapproche, ne laissant plus d'espace entre sa chaise et la sienne.

- Je disais donc...

- Finn, tu ne vois pas que ce n'est pas le moment ?

- Tu ne veux tout de même pas te débarrasser de moi, très chère ?

- En fait, quand je dis « Ce n'est pas le moment », ça veut dire « Arrête avant que je te mette mon poing dans la figure ».

- Alors ça y est, tu te remets à me détester ? Amour, haine... Je ne fais plus la différence à cause de toi.

- Il n'y a qu'un pas entre les deux.

- Certes. Mais moi je ne comprends pas le fait qu'un jour tu m'aimes, et que le lendemain tu te décide à me détester.

- Les filles sont compliquées, il va falloir t'y faire.

      Ca, c'est bien vrai.

- Il va falloir que je m'y fasse ? Ca veut donc dire qu'il y a un petit quelque chose entre nous.

- Tu n'en rates pas une, hein ?

- Jamais.

      Mme. Klein arrive tel un éléphant en furie et abat violement sa règle sur le cahier ouvert de Finn. La règle jaune additionnée au regard furibond, l'ultime menace.

- Davy ! Si je vous prends encore à draguer pendant mon cours, ça va être votre fête. Allez, au travail !

      Finn baisse la tête et répond docilement :

- Oui, madame.

      Si elle s'est d'abord retenue de montrer son amusement, cette fois-ci, Aylin ne peut s'empêcher de sourire.

      La nuit approche, obscurcissant le ciel et révélant ses astres. Rosewood plonge petit à petit dans le noir. Ma capuche sur la tête, le visage caché, je me tiens là dehors face à la maison des Reid. J'approche d'un pas lent, calme. La maison semble à première vue vide, en raison des lumières éteintes. Mais si l'on regarde bien, on peut voir justement un filet de lumière s'échapper par les volets fermés d'une fenêtre à l'étage supérieur.

      La porte d'entrée me fait maintenant face. Je tente d'abord de tourner la poignée. Evidemment, la porte reste fermée et me refuse l'accès à l'intérieur. Pourtant, cela ne m'agace ni ne m'inquiète. Je regarde les alentours tranquillement, cherchant un élément qui pourrait m'aider sans laisser de marques d'effraction. A ma droite, je remarque et observe attentivement les dalles près des bacs de fleurs. Elles semblent au premier coup d'œil toutes parfaitement normales, gisant là innocemment. Sauf que, avec plus ample observation, on peut remarquer le fait que l'une d'entre elle n'est pas là de façon ordinaire. Soulevant cette fameuse dalle, je découvre là dans son emplacement une clé soigneusement cachée. De mes mains gantées je la saisis, l'insère dans la serrure où je la fais tourner sans bruit, et m'introduis dans la demeure un sourire satisfait sur les lèvres.

      La plupart des gens, face à une difficulté, souhaitent détenir la solution en un claquement de doigt sans réflexion ni tracas. Or, il faut examiner le problème, chercher des manières de le régler en retournant la situation dans tous les sens pour aboutir à une solution. Il faut être attentif aux détails. C'est souvent eux qu'on néglige, alors qu'ils ont une importance cruciale.

      Il fait noir, je ne vois rien. Le rez-de-chaussée est plongé dans l'obscurité. J'aperçois néanmoins les escaliers. Je pose le pied sur la première marche. Seize pas, seize marches. Une lumière émane d'une pièce à l'étage. Je reste tapie dans le noir tandis qu'Aylin sort de sa chambre et se dirige vers la salle de bain, traversant le couloir. En silencieuse prédatrice, je fends les ténèbres en direction de cette pièce, me mouvant avec lenteur et me rapprochant dangereusement de ma cible telle une menace épouvantable planant dans l'air.

      Ce soir, Aylin est une pauvre victime seule et isolée, étant donné l'absence de Nelly qui a sa garde de nuit aujourd'hui.

      Aylin est face à un miroir, scrutant chaque parcelle de son visage comme elle l'a fait le soir du bal. C'est à croire que des fois, elle oublie qui elle est et que détailler sa figure l'aide à se rafraîchir la mémoire.

- Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres qu'à la fin, nous nous déguisons à nous même.

      Aylin hoquette. Figée, pétrifiée de terreur, elle retient sa respiration. Elle croise mes yeux dans le miroir. Et c'est tout ce qu'elle a le loisir de faire. Elle a voulu se défendre, mais à peine se retourne-t-elle que je lui plante mon couteau dans le ventre. Un cri coincé dans la gorge, les yeux écarquillés d'effroi et injectés de sang, son instinct de survie l'incite à m'agripper fermement, et ses doigts crispés par la douleur se referment sur mes bras. Elle tente de me frapper en levant un poing prêt à s'abattre sur mon visage, mais je la devance en la poussant avec force. Vacillant vers l'arrière, sa tête heurte violemment le rebord dur du lavabo. Ses jambes se dérobent sous elle et elle s'affaisse lentement jusqu'à s'écrouler à terre. Je fais un pas vers elle. Elle est complètement sonnée, son esprit semble sur le point de céder à l'inconscience. Je laisse un rictus retrousser le coin de mes lèvres tandis qu'on se regarde. Je brandis mon couteau et lui assène deux nouveaux coups. La lame traverse ses vêtements pour enfin se planter dans le ventre. Immédiatement, le liquide rouge et précieux s'en déverse. Gisant au sol maculé de rouge, le regard bleu vide d'Aylin s'attarde sur mes yeux, seule partie de mon visage qui soit visible. Pendant un instant j'ai l'impression qu'elle m'a reconnue, puis sa tête tombe sur le côté, et son esprit bascule dans le noir.

      Je me suis vite retirée. J'ai ôté ma veste tâchée de sang et l'ai cachée. Aylin est actuellement inconsciente, se vidant doucement de son sang. Elle n'est pas morte, et elle ne mourra pas de sitôt. Le coup porté n'est pas fatal, elle survivra. Mais il ne faudrait pas attendre trop longtemps quand même. J'attrape mon téléphone et compose un tout nouveau numéro.

Le sang coule à flots, ce liquide rouge et épais se répand sur le carrelage. Y a-t-il quelqu'un pour la sauver, ou est-elle condamnée entre les mains de la mort ? Tic tac, le temps est compté.

-A

      Jointe au message, une photo d'Aylin dans une situation franchement alarmante.

      Installée dans ma voiture dissimulée non loin du lieu de l'agression, je guette l'arrivée du héro. Et ce dernier ne se fait pas attendre. Finn arrive à toute allure dans son véhicule, en sort rapidement et s'élance vers le domicile des Reid. Ne réfléchissant point, il ouvre la porte à la volée et pénètre à l'intérieur. J'imagine très bien sa réaction en découvrant avec horreur et effroi sa bien-aimée allongée dans une gigantesque et ignoble flaque de sang. Un court instant s'écoule, et le malheureux affolé dévale les escaliers du perron pour regagner son véhicule, portant dans ses bras le petit corps frêle de celle qu'il aime.

      Il démarre et je fais de même. Il file à une grande vitesse sur les routes désertes de Rosewood. Je suis prête à parier qu'il l'aurait transporté même avec ses pieds comme seul moyen de transport. Finn doit avoir perdu son sang-froid et sa raison, bouleversement occasionné par la peur de perdre un être cher. Peur atroce et paralysante, ce sentiment est des plus durs à encaisser et à supporter. Mais ceci ne l'empêche pas d'agir, et à cet instant, nous arrivons à l'hôpital communautaire.

      Depuis mon emplacement, je peux percevoir Finn franchir les portes de l'hôpital et crier à l'aide. Des personnes alertes se ruent vers lui et prennent connaissance de l'état de la jeune fille. Cette dernière est vite emmenée, tandis qu'une femme coure vers elle. Nelly. Elle stoppe Finn qui tente de suivre ceux ayant emmené Aylin, et lui adresse quelques mots, affichant un regard à la fois affolé et interrogateur sous l'effet des explications accompagnées de gesticulations témoignant de la frayeur de Finn. Elle lui fait signe de patienter sagement là où il est, puis s'en va prendre des nouvelles. Finn en profite pour passer des coups de fils, à commencer certainement par ses parents, ses potes qu'il a dû planter pour sauver Aylin ensuite, les amies de cette dernière pour finir. Inutile de citer le fait que d'ici une heure à peine, tout Rosewood sera au courant.

Ta loyauté envers elle, ton amour pour elle. Deux choses évidentes et indéniables, Finn. Je respecte ça. Mais la fille que tu aimes, le jour où elle s'ouvrira réellement et entièrement à toi, tu ne la reconnaîtras pas. Souviens-toi de ça.

-A

      Finn est confus. Des milliers de questions doivent se bousculer dans sa tête avant même que son cerveau ne les ait assimilées. Il doit se demander entre autre d'où viennent les deux messages qu'il a reçu. Qui est ce « A » ? Que lui veut-il, ou plutôt, que veut-il à Aylin ? Est-elle en danger ? Est-elle la cible d'un quelconque fou se baladant en ville ? Serait-ce ce fameux et redouté rôdeur ayant déjà fait deux victimes ? Son but état-il de la tuer ? Pourquoi l'a-t-il prévenu dans ce cas ? Et puis pourquoi lui et pas quelqu'un d'autre ? Serait-il en mesure de l'aider ? Comment ? Et j'en passe.

      Mais la question qui devrait passer avant toutes est « S'est-il passé quelque chose dont j'ignore les faits ? ». Car oui, il y a bien eu un évènement auquel il n'a pas eu le loisir – ou plutôt le malheur – d'assister. Tant mieux pour lui, d'un côté. Mais s'il en avait été témoin, il ne se rendrait pas aujourd'hui malade en tentant de trouver un sens à cette énigme insoluble que représente Aylin. S'il insistait plus auprès d'elle, s'il l'oppressait assez ou avait recours à n'importe quelle autre manière, il arriverait peut-être à la faire craquer. Aylin est certes très réservée et a un control incroyable de ses émotions. Mais comme tout être, elle a des limites. Par tristesse trop grande, regrets énormes ou culpabilité puissante – en admettant qu'elle garde en elle des sentiments de cette nature – elle déballerait tout elle-même. Les mots se déverseraient de sa bouche sans control ni retenue. Tout deviendrait alors clair et logique. Mais ayant peur de bousiller et de briser ce lien qu'il a avec elle, il préfère se retenir de l'embêter avec ce sujet visiblement pénible même si une liste interminable de questions lui brûle les lèvres à chaque fois. Seulement, il ignore une chose : ce lien qui les unit est indestructible.

      Finn fait les cent pas. Nelly ne revient toujours pas.

La chambre d'Aylin n'est pas un endroit à négliger.

-A

      Je le vois qui fronce les sourcils. Il réfléchit, il hésite. Sans doute se méfie-t-il d'un danger, peut-être prévoit-il l'éventualité d'un piège. Quoiqu'il se soit passé dans sa tête, il finit par monter dans sa voiture et quitter les lieux.

      Retour chez les Reid.

      Finn rentre de nouveau, cette fois le pas lent, inspectant les lieux en quête d'un quelconque danger avant d'avancer. Il allume les lumières du rez-de-chaussée, puis s'arme d'un couteau dans la cuisine et prend le temps de vérifier chaque pièce. Il monte les seize marches le séparant de l'étage et fait de même. Je prends un risque extrêmement immense en m'introduisant à mon tour dans la maison. J'attends cachée en bas jusqu'à entendre le robinet de la salle de bain se fermer et le bruit de l'eau coulante cesser. J'en déduis que Finn finit actuellement de s'assurer de l'absence de risques dans cette pièce. Je le sais car j'ai laissé le robinet ouvert exprès, pour m'indiquer à peu près le moment où Finn pénétrerait dans la chambre d'Aylin, dernière pièce à gauche au bout du couloir, juste après la salle de bain. Encore quelques secondes où j'entends les pas de Finn s'estomper, et je monte les escaliers.

      Risquant un coup d'œil dans la chambre d'Aylin, je trouve Finn installé au bureau, dos à moi. Mon cœur bat la chamade, tellement que j'ai l'impression qu'il va lâcher à un moment ou un autre. Le stress est à son comble, j'ai très peur de me faire prendre. Mais Finn reste figé, totalement absorbé par ce qui se passe sur l'écran du petit ordinateur portable d'Aylin.

      L'image représente l'extérieur de la maison des Kay. C'est de toute évidence une vidéo de surveillance, affichant l'allée du petit portail jusqu'au perron, date et heure dans le coin supérieur droit de l'écran. Les Kay étaient des rares qui craignaient assez les voleurs et les malfaiteurs pour mettre en surveillance leur résidence, malgré le calme absolu de Rosewood. Il est indiqué qu'il était un peu plus de 22h quand cette séquence a été enregistrée. L'image demeure immobile. Il ne se passe absolument rien pendant plusieurs minutes. Non. Attendez... voilà ! Le meilleur moment de cette vidéo. La porte s'ouvre soudain à la volée et on voit quelqu'un sortir en trombe, marchant d'un pas furieux le long de l'allée bien en vue de la caméra. Ce visage est facilement reconnaissable, il s'agit de Ian.

      Ian, d'après ce que j'ai compris, voulait rejoindre ce soir là leur deuxième maison près du lac où il voulait s'isoler suite à une dispute avec ses parents. C'était quelque chose de fréquent, apparemment : dès que Ian était en désaccord avec sa famille, il menaçait de s'en aller pour de bon. Il partait se réfugier près du lac mais finissait toujours par revenir.

      Ian sort son téléphone, le meilleur ami de 99.99 % des jeunes d'aujourd'hui. Il a les yeux rivés sur l'écran quelques secondes, puis quand il lève la tête, il arrête net tout mouvement. Son regard s'attarde sur quelque chose hors champ. La peur le traverse, et lentement, il lève l'objectif de son téléphone comme s'il filmait une scène. A un moment, la peur cède à la panique tout en le gardant immobile. Baissant d'un coup son téléphone, il tourne dans la direction opposée, et semble s'apprêter à se résigner à rentrer chez lui. Fuir. Mais ses traits finissent par connaître le soulagement quand soudain quelqu'un tout habillé de noir surgit de la droite de l'écran et vient à sa rencontre. Cette personne s'approche très vite de Ian, faisant mine de faire la conversation dans un premier temps. Ian ne se doute de rien, lui parle amicalement comme s'il connaissait l'individu. Mais brusquement, ce dernier le frappe violement à la tête, et dès que Ian s'écroule, le traîne jusqu'à disparaitre du champ de vision de la caméra. Bien sûr, cette personne là a pris la précaution de bien cacher son visage sous sa capuche noire, de sorte qu'on soit dans la mesure de seulement apercevoir une sorte d'ombre agir. La vidéo s'achève.

      Je ne peux pas voir les traits de Finn à cet instant. Mais j'aurais aimé connaître sa réaction au petit cadeau que je lui ai laissé : il vient quand même de visionner la mort de Ian. Bon, pas exactement, puisque ce n'est qu'une partie de ce qu'il s'est passé et que Ian au moment du coup à la tête n'était pas encore décédé. Toujours est-il que les épaules de Finn ne cessent de se soulever. J'ignore s'il est en train de sangloter silencieusement, de tenter de retrouver une respiration régulière, ou s'il est en proie à une crise d'hystérie. Peut-être les trois. Moi-même tendue, j'agrippe la poignée de la porte et la claque bruyamment. Je devine que Finn a sursauté. Je m'introduis vite dans le placard au bout du couloir avant qu'il ne vienne armé d'un quelconque objet, prêt à m'assommer. Retenant mon souffle, je me serre dans un coin – être petite a ses avantages. Il ressort lentement brandissant au dessus de sa tête, comme je l'avais anticipé, un vase assez imposant – il aurait pu me fracasser le crâne, je suis contente d'avoir échappé à ça. Mais il baisse son arme en constatant que le couloir est désert, mais surtout, parce que quelque chose en face de lui attire son attention.

      De là où il se tient, Finn peut très bien distinguer le grand et menaçant « A » peint sur le miroir d'un rouge loin d'être rassurant. Un rouge sang. Ses yeux font alors la navette entre la flaque de sang en train de sécher par terre et la lettre bien visible et nette sur le miroir.

      Soudain, il envoie valser le vase pour s'approprier l'ordinateur d'Aylin et prendre ses jambes à son cou. Il dévale les escaliers, manquant trébucher, et claque la porte d'entrée. A peine imperceptible, le bruit d'un moteur rugissant et celui d'une voiture s'éloignant. Le coup du « A » ensanglanté a été une petite improvisation effectuée lors du visionnement de la vidéo. Juste histoire de le faire flipper. Je me nourris de la peur que je suscite chez mes victimes, c'est amusant et sacrément enivrant. Je crois lui avoir pour le coup drôlement flanqué la frousse.

      Je m'autorise à souffler. Je reprends et retrouve mon calme rapidement et me casse à mon tour d'ici. Arrivant chez-moi, je laisse toute la pression retomber.

      Finn est déjà très inquiet pour Aylin, et se montrera davantage protecteur envers elle. Surtout en voyant cette marque qui apparaîtra bientôt sur le ventre de son amie, souvenir de l'agression, preuve de mon pouvoir en plein ascension. Mais cette blessure n'est rien comparée à toutes celles qu'elle m'a infligées, et cette cicatrice qui prendra forme sur son corps n'égale en rien celles du passé, ni celles que je compte lui faire subir à l'avenir.

« A », définition : anonyme invisible, imprévisible, mais surtout toujours dangereusement proche.

-A