Thirteen Tales of Love and Revenge est une collection relatant treize courtes histoires
​Last Breath
Basée sur les chansons "My Last Breath" et "Whisper" d'Evanescence
« Pour tous ceux qui ont dû faire face à un deuil »
Par Swallowing Darkness
2: IntroductionToute sa vie, Julian a vécu heureux. Bien entouré, et lui-même de nature agréable, il avait toujours su apporter du bonheur à son existence et à celle des autres. Du moins, c’était le cas, jusqu’à ce qu’une personne chère à lui se retrouve dans l’abime et qu’il y soit entraîné.
3: I- JULIAN MATHIS’ POINT OF VIEW : HOW HE FADED AWAY“Grief is like the ocean; it comes in waves, ebbing and flowing. Sometimes the water is calm, and sometimes it is overwhelming. All we can do is learn to swim”
Vicki Harrison
4: THE NAME ON THE GRAVE“Catch me as I fall. Say you're here and it's all over now. Speaking to the atmosphere, no one's here and I fall into myself. This truth drives me into madness”
Roselyn Dawson. Le nom qui s’accrochait à l’esprit de Julian sans relâche. Un esprit aujourd’hui faible, vide, fatigué. Une âme détruite à cause des péripéties de la vie d’une personne à laquelle il s’était lié il y a fort longtemps.
Julian ne cessait de repenser à son amie disparue. Il avait l’impression de tomber encore et encore, ressentant toujours cette douleur affreuse qui l’assenait à chaque seconde.
Roselyn Dawson.
Ces deux mots, Julian les fixe actuellement. Cela fait deux mois qu’ils sont inscrits sur cette pierre tombale. Cela fait deux mois qu’il revient jour pour jour, à fermer les yeux et se demander si elle pouvait revenir, l’imaginer réapparaître rayonnante, lui disant qu’elle était là et que tout était fini, espérer que tout cela ne soit s’un cauchemar.
Mais Julian se rend vite à l’évidence, quand il rouvre les yeux, toutes ses prières et ses rêves s’égarent dans l’atmosphère froide de cet hiver interminable. Quand il rouvre les yeux, il se rend compte à quel point il est seul et s’effondre encore plus. La vérité accablante que sa meilleure amie soit partie le conduit à la démence. Des fois, il n’en peut plus de cette absence, de cette solitude.
Oh combien il aurait aimé que tout cela ne soit qu’un cauchemar.
5: A GLIMPSE OF SUNLIGHTDeux ans plus tôt.
Julian regardait la clairière qui s’étendait à perte de vue depuis la fenêtre du grenier. Un faisceau de lumière émanait de dehors, et la couleur orangée du coucher de soleil s’infiltrait et donnait un bel aspect à la pièce.
Le grenier constituait le deuxième étage de la maison de campagne où habitaient les Mathis. C’était une pièce remplie de vieux objets dont la famille n’avait plus besoin. Tous étaient empilés ou positionnés dans des cartons éparpillés n’importe comment contre les murs.
Nul ne visitait cette pièce, sauf la mère de Julian qui y montait occasionnellement pour y faire le ménage – il faut savoir qu’elle ne laissait passer aucune particule de poussière. Julian lui-même n’y avait pas remit les pieds depuis des lustres, jusqu’à ce que Roselyn remarque la trappe qui donnait accès au grenier grâce à un escalier. Elle venait d’arriver. Cette fille venait d’être recueillie par les Mathis après avoir vécu plusieurs années à l’orphelinat.
Roselyn, âgée de seize ans à l’époque, avait demandé à monter au grenier. Julian s’était porté volontaire pour lui faire visiter la maison, il ouvrit donc la trappe et lui offrit passage à l’étage supérieur. Quand ils montèrent, la pièce était plongée dans le noir. Julian s’avança et écarta le rideau pour laisser entrer le soleil de milieu de journée. Il se retourna de nouveau vers la jeune fille à peine plus jeune que lui, et jamais il n’oublierait son expression.
Roselyn, pas à pas, avançait calmement dans la pièce, l’air un peu ailleurs. Un sourire illuminait son visage aux traits fins, elle était silencieuse et discrète mais une grande force émanait d’elle. Elle rayonnait et Julian ne pouvait s’empêcher de contempler chacun de ses faits et gestes. Quand elle remarqua le piano abandonné dans un coin, ses yeux s’illuminèrent. Elle alla s’installer, rajustant sa robe et remettant ses longs cheveux à son dos. Là, Julian se dit « Elle est belle ». Et sa soudaine admiration pour elle ne fit que s’accroître tandis qu’elle se mettait à jouer un air.
Julian avait prit cette habitude. Depuis qu’elle habitait ici, il ramenait son amie dans ce grenier. Cette pièce autrefois abandonnée devint l’un de leurs lieux favoris. Ils s’étaient rapidement liés d’amitié et avaient immédiatement partagé des intérêts communs, notamment leur intérêt pour la musique. Julian ne savait point jouer du piano, mais ne se débrouillait pas mal à la guitare. Il l’accompagnait donc des fois, et ils passaient ainsi le temps.
Cette fois-ci, Julian ne le fit pas. Non, il s’installa simplement et regarda la clairière qui s’étendait à perte de vue depuis la fenêtre du grenier. Un faisceau de lumière émanait de dehors, et la couleur orangée du coucher de soleil s’infiltrait et donnait à Roselyn un aspect surnaturel.
Elle leva les yeux et l’aperçut en train de la regarder.
- Pourquoi me regardes-tu comme ça, Julian ?
- Comme quoi ?
- Tu me regardes comme si tu m’aimais.
Julian la dévisagea et un petit sourire se dessina lentement sur ses lèvres.
- Peut-être que c’est parce que je t’aime, Rose.
Roselyn sourit à son tour et baissa de nouveau les yeux.
Roselyn, les yeux dans le vide, rêveuse. Roselyn assise devant ce piano. Roselyn qui jouait ses longs airs mélancoliques.
Julian n’oublierait jamais cette image de Roselyn.
6: HE SAW HER BLEED“I'm frightened by what I see, but somehow I know that there's much more to come. Immobilized by my fear, and soon to be blinded by tears”
Trois mois plus tôt.
Julian était sur le chemin de retour à la maison. Il était parti se promener. C’était une agréable journée d’été, qu’il aurait certainement passé avec Roselyn si celle-ci allait bien. « Je ne me sens pas bien », avait-elle dit d’une petite voix à travers la porte de sa chambre. Julian demanda si elle avait besoin de quelque chose et lui proposa de lui tenir compagnie. La jeune fille répondant par la négative, Julian n’insista pas et passa l’après-midi à lire de vieux romans dans sa chambre. Quelques fois, il passait devant celle de Roselyn, et à plusieurs reprises il crut l’entendre pleurer. Il brulait d’envie d’entrer et lui demander ce qui n’allait pas, mais il ne voulut pas se montrer envahissant. En fin d’après-midi, il avertit Roselyn de son absence et il quitta le domicile.
Julian était parti vers dix-sept heures, et ne revint qu’une heure plus tard. Lui qui ne supportait guère longtemps la solitude et qui aimait à être entouré s’ennuya bien vite. Après une longue marche dans la clairière, il décida de rentrer et d’essayer de parler à Roselyn. En effet, son mutisme et son isolement le préoccupèrent longuement. La curiosité piquée à vif, il se demanda ce qui arrivait à son amie. Mais il n’y avait pas que cette curiosité qui le taraudait, il y avait aussi l’inquiétude, et cet irrépressible mauvais sentiment.
Quoi qu’il en soit, Julian fit ce qu’il avait prévu de faire : aller voir Roselyn.
- Rose ?
Il frappa à la porte de sa chambre. Pas de réponse.
- Rose ? répéta-t-il en frappant de nouveau. Rose, s’il te plait, parle-moi. Je m’inquiète.
Silence.
Julian soupira. Il s’apprêta à retourner dans sa chambre, mais alors qu’il longeait le couloir, il entendit quelqu’un renifler. Le bruit à peine audible était venu de la salle de bain. Il plaça sa paume sur la porte de celle-ci.
- … Rose ? appela-t-il faiblement.
Et soudain, une multitude de scénarios virent le jour dans son esprit. Des scénarios très loin d’être plaisants, et qu’il espérait de tout cœur n’être que le fruit de son inquiétude.
Ce qui ne fut pas le cas.
Julian frappa à la porte, très fort cette fois-ci.
- Rose, ouvre cette porte !
Il frappa encore et encore, en vain. La porte était verrouillée et Roselyn refusait d’ouvrir. Mais Julian rassembla toute sa volonté et sa force pour tenter de défoncer la porte. Quand enfin il réussit, le spectacle qui s’offrit à lui le bouleversa du plus profond de son être.
Roselyn était à genoux, par terre, baignant dans son sang. Le liquide rouge formait une énorme flaque sur le carrelage. La jeune fille, tenait à la main un rasoir, et ses avant bras étaient parsemés de fines rayures par lesquelles le sang s’écoulait, encore et toujours. Roselyn ne bougeait pas. Son visage était inexpressif. Des larmes coulaient sur ses joues, tandis que ses yeux froids regardaient dans le vide.
Cette vision d’horreur cloua Julian sur le seuil, et le maintint immobilisé par la peur. Il était effrayé par ce qu’il voyait, effrayé par cet aspect qu’il n’aurait jamais associé à sa belle et douce Roselyn. Il ne comprenait pas, plus rien n’avait de sens, il n’était soudain plus capable de développer une quelconque pensée.
Roselyn se mit à trembler, puis s’écroula à terre. Ce n’est qu’à ce moment que Julian revint à la réalité. Il se laissa tomber dans la marre de sang et la rattrapa. Il la serra dans ses bras. Le sang imprégnait ses vêtements, des larmes brulantes se mirent à couler et l’aveuglèrent par leur intensité. Il perdait tous ses moyens, ignorant ce qu’il devait faire.
Julian vit les yeux de Roselyn s’ouvrir légèrement.
- Tiens bon, dit-il. Je vais appeler les secours, je…
- Non, murmura-t-elle faiblement. Reste avec moi, tu sais que je ne pourrai pas tenir longtemps…
Julian secoua la tête.
- Non, Rose, tu ne peux pas…
- Julian, c’est trop tard. Je…
Elle inspire difficilement.
- Je n’ai pas peur, poursuivit-elle. C’est tout ce que je veux te dire, que je n’ai pas peur et que je t’aime fort, Julian.
Julian, désespéré, ne put que répondre :
- Moi aussi, je t’aime très fort, Rose.
Un minuscule sourire apparut sur le visage de cette dernière. Une larme coula sur sa joue pâle. Cette dernière larme… Et ses yeux qui fixaient ostensiblement ceux de Julian il y a quelques secondes, ne devinrent que néant. Roselyn Dawson venait de rendre son dernier souffle.
Cette image de Roselyn non plus, Julian ne l’oublierait pas.
7: NEVER SLEEP, NEVER DIE“Don't turn away, don't give in to the pain. Don't try to hide, though they're screaming your name. Don't close your eyes, god knows what lies behind them. Don't turn out the light, never sleep never die”
Julian refusait de se soumettre à la réalité. Roselyn n’était pas morte. Elle ne pouvait pas être morte. Cette réalité était impossible, inconcevable. Et pourtant… Le corps de Roselyn était dans ses bras, inerte et inanimé. Elle était froide et pâle. Elle était bien morte.
Une douleur atroce s’était emparée de Julian. Il était pétrifié. Tout ce qu’il put faire fut de serrer Roselyn dans ses bras très fort pendant des heures. C’était ainsi que, de retour de leur travail, ses parents le découvrirent : lui, serrant désespérément le corps de la jeune fille, se balançant légèrement d’avant en arrière, chuchotant rapidement : « Ne pars pas. N’essaies pas de fuir. Ne ferme pas tes yeux. Ne t’endors jamais. Ne meurs jamais ». La scène effroyable se présentait ainsi, devant les parents hagards.
Julian ne répondit point aux questions de ses parents. Tout ce qu’il souhaitait, c’était que tout cela ne soit pas arrivé. Tout ce qu’il voulait, c’était de garder Roselyn auprès de lui. Si bien que quand on vint prendre le corps de la jeune fille, il devint agité, refusant qu’on l’emmène et vociférant à gorge déployée qu’ils ne pouvaient pas la lui prendre. Il finit par s’enfermer dans sa chambre, se tenant la tête entre les mains. Quand il se calma un peu, il répondit aux questions interminables qu’on lui posait, mais seulement de manière vague. Le fait de devoir se rappeler Roselyn en train de mourir dans ses bras avait l’effet d’un coup de poignard au cœur.
Quand il eut enfin la liberté de retourner dans sa chambre, il s’affala sur son lit. Un poids s’était installé sur ses épaules et sa poitrine. Tellement de questions demeuraient sans réponse et sans explication.
Pourquoi Roselyn s’est-elle suicidée ? Quand a-elle prit cette décision ? Comment est-ce qu’elle a pu le cacher, comment a-t-elle pu dissimuler son mal-être de telle façon que ni lui, ni ses parents ne purent avoir de soupçons ? Et surtout… Pourquoi Roselyn ne lui en a pas parlé ? Si elle était si malheureuse, pourquoi l’avoir caché au lieu de se confier à lui qui était son meilleur, et à son avis, son seul vrai ami ?
Après le choc et le déni, la colère surgit en lui. Il était en colère contre Roselyn pour l’avoir laissé tomber de cette façon, et en colère contre lui-même à cause de son incapacité à agir correctement au moment où il avait découvert son amie.
Il inspira, expira…
Soudain épuisé, il céda à la souffrance. Et c’est la tête lourde de souvenirs, de questions, de peurs, de colère et de regrets, que Julian finit par s’endormir.
8: WHEN PAIN TURNS INTO EMPTINESS“I know I can stop the pain if I will it all away”
Le lendemain matin, Julian se réveilla difficilement. Sa mémoire lui imposa immédiatement les images douloureuses de la veille, mais il les rejeta de toutes ses forces. Il resta ainsi dans son lit un moment, à se préparer mentalement pour la journée. Quand il réunit assez de force pour ne pas craquer devant ses parents, il se prépara puis descendit en bas. Arrivant dans la cuisine, il trouva son père un journal à la main et sa mère buvant tranquillement son café.
- Bonjour, marmonna-t-il.
Ses parents levèrent les yeux vers lui.
- Bonjour.
Julian s’assit. Il croisa un instant les regards compatissants de ses parents. Il se perdit dans ses pensées, quand il entendit son père déclarer de façon hésitante :
- L’enterrement a lieu demain.
Julian lui jeta un regard las.
- Oh.
Ce fut tout ce qu’il dit. Il quitta la table aussi rapidement qu’il s’y était installé. Prenant sa veste, il sortit. Il voulait à tout à prix s’éloigner du lieu du drame. Il ne pouvait supporter l’atmosphère qui s’était installée à la maison.
Un air frais l’accueillit en dehors. Julian emprunta un chemin de campagne qu’il connaissait bien. Au bout d’un moment, il put distinguer l’endroit où il voulait aller : la rivière que Roselyn aimait tant. A part le grenier, c’est l’endroit où ils passaient tous les deux un certain temps ensemble.
Julian s’installa sur un rocher et contempla l’eau cristalline. L’image de Roselyn lui revint, et la tristesse l’assaillit. « Ce n’est pas juste, pourquoi elle m’a fait ça à moi, qu’est ce que je vais devenir ? », se disait-il. Il se posa cette question un millier de fois. Sa tête ne lui accordait aucun répit, toujours à le torturer en faisant remonter à la surface soit des souvenirs indésirables, soit de bons souvenirs qui le remplissaient de nostalgie.
Soudain, une idée vit petit à petit le jour dans l’esprit de Julian. « Si je montais sur un rocher assez haut et que je sautais… », suggérait son cerveau. Il ne savait pas quoi penser des histoires d’au-delà, de vie après la mort. Mais il se disait qu’il y avait une chance que ce soit vrai. Il y avait une chance qu’il puisse retrouver Roselyn. Et si cela ne marchait pas, s’il ne pouvait ne pas rester avec elle, eh bien, au moins, sa douleur disparaitrait. « Je sais que je peux arrêter la douleur si j'en ai la volonté ». Mais Julian secoua la tête et écarta cette idée.
Il soupira. Ce fut à ce moment que sa tristesse se changea en vide. C’est tout ce qu’il ressentait à présent. Du vide, du néant, dus à cette absence subite.
Julian décida de rentrer. Sur le chemin du retour, il se sentit épuisé. La maison était telle qu’il l’avait laissée : silencieuse et l’atmosphère tendue. Montant au premier étage, il passa devant la chambre de Roselyn. Il revint sur ses pas, mit sa main sur la poignée et la tourna lentement, avec hésitation.
Julian n’avait aucune idée de ce qu’il allait y découvrir.
9: THE END IS CALLING FOR HIM“Fallen angels at my feet. Whispered voices at my ear. Death before my eyes. Lying next to me I fear. She beckons me, shall I give in? Upon my end shall I begin forsaking all I've fallen for I rise to meet the end?”
La chambre de Roselyn était extrêmement simple. Une pièce aux couleurs pâles, aux affaires bien rangées et ordonnées, et quelques objets personnels posés ici et là. Julian huma le parfum qui s’en dégageait, et profitait de la présence qu’il ressentait en ce lieu. C’est comme si une partie de Roselyn était demeurée dans cette chambre.
Julian referma la porte derrière lui. Il inspecta chaque recoin, chaque détail qui constituait le décor, comme si Roselyn y était cachée quelque part et qu’il lui suffisait seulement de l’apercevoir pour qu’elle revienne. Mais il ne s’attarda pas à rêver d’une telle chose, car il avait conscience que, malheureusement, ceci était impossible.
Julian sourit quand il vit la pile de livre au bas d’une étagère déjà pleine de bouquins. Roselyn était obsédée par les livres et la musique, Julian le savait très bien. Il parcourut de la main les cadres photos posés sur le bureau. Les photographies représentaient Roselyn en compagnie des Mathis, sa nouvelle famille. La jeune fille souriait, l’expression toujours un peu rêveuse. C’est quand il posa ses yeux sur un petit vase qu’il remarqua la feuille de papier se trouvant juste en dessous. « Pour Julian », était-il écrit. Il la prit, avec une pointe de surprise et d’appréhension.
Cher Julian,
Si tu lis ceci, cela veut dire que je suis très certainement morte. J’imagine que tu te poses d’innombrables questions… Je pense qu’en arrivant au bout de cette lettre, tu te rendras compte que tu n’as jamais réellement su qui j’étais.
Je t’ai raconté beaucoup de choses, au cours des deux dernières années, notamment ma vie à l’orphelinat. Mais la partie de ma vie dont tu ignore tout est celle qui à précédé.
Tout d’abord, il faut savoir qu’avant être mise à l’orphelinat, j’avais une famille – enfin, si l’on peut l’appeler ainsi. Dans ma famille, il y avait ma mère, qui n’accordait aucune importance à ce qui l’entourait. Elle montrait un grand égoïsme. Seul son intérêt à elle comptait et passait avant ceux des autres, même le mien. Mon père, lui, était un ivrogne. Il détestait tout le monde, y compris sa famille. Il nourrissait une haine et se mettait en colère contre tout et n’importe quoi. Et moi, je vivais parmi eux. Je vivais dans un environnement inapproprié pour un enfant, sous la responsabilité de parents qui étaient loin de jouer leur rôle convenablement. Ils ne manifestaient aucun effort, aucune affection, aucun amour pour moi. Je n’étais qu’une pauvre chose gênante à leurs yeux.
Quand j’étais enfant, je n’avais pas le droit aux sentiments, pas le droit de m’exprimer. J’avais l’impression d’avoir une arme pointée sur moi en permanence, mes paroles contrôlées, d’avoir des fils à mes bras et mes jambes, mes gestes manipulés. Vulgaire pantin que j’étais ! Voilà tout ce que j’ai été : une marionnette avec laquelle ils s’amusaient à leur guise. Ma mère m’insultait. A l’entendre, j’eus été la cause de tous les malheurs de la terre. Quant à mon père… lui me maltraitait. J’étais punie et battue pour un oui ou pour un non. Cet abus dura des années.
Ainsi donc, je gardais tout pour moi. Je n’étais pas libre d’être moi-même. Toute ma tristesse et mon mal-être restaient emprisonnés en moi, tel un poison qui ne cessait de s’accroître et de me tuer lentement, à petits feux, dans une longue agonie. A qui pouvais-je me confier ? A qui pouvais-je faire part de mon désarroi ? J’étais prisonnière. Mais les autres n’avaient nul besoin de mes mots pour comprendre, car les marques sur mes avant-bras en disaient bien assez long. Mais personne n’y fit attention. Etaient-ils donc tous aveugles ? Ou refusaient-ils seulement de le voir ? Je n’en sais toujours rien. J’étais seule, tellement seule ! Oh, si seulement tu savais comme j’étais malheureuse, Julian…
Finalement, on vint à mon secours. Un camarade de classe remarqua un jour des bleus sur mon bras que je m’efforçais de cacher. C’est ses parents qui firent un signalement. De cette manière, je fus placée à l’orphelinat. Et ce n’est que quatre ans plus tard, à mes seize ans, que j’ai ressenti ce que les autres appelaient bonheur. Mon premier bonheur fut quand je vous ai connu. La famille Mathis.
Je ne pense pas que tu puisses te représenter à quel point je fus heureuse en votre compagnie. Toi et ta famille m’avez accueillie, et j’en fis rapidement partie. J’ai des parents, et j’ai trouvé en toi un ami formidable. Que puis-je espérer de mieux ?
Mais il faut comprendre que, malgré ces instants de bonheur que m’offrait la vie avec vous, il y avait une majeure partie de moi qui n’existait plus. J’étais déjà morte à l’intérieur. Les seuls moments qui me ramenaient à la vie furent ceux passé avec toi… Et quand je me faisais du mal à moi-même. Enfin, je ne devrais pas dire ça comme ça, car quand je sentais mon sang couler, c’était un soulagement et je me sentais vivante.
J’ignore si tu comprendras ceci un jour. J’ai conscience du mal que je vous fais, et en particulier à toi. Mais… Tu dois comprendre que c’est ainsi que cela devait finir. Mon âme est déjà morte depuis bien long temps, et mon corps ne demande qu’à la rejoindre. A quoi sert-il de faire semblant ? Certes, je peux être heureuse quelques fois, mais le désespoir me rattrape toujours.
Quoi qu’il en soit, saches, Julian, que vivre auprès de toi à été tel un paradis. Je vais mourir, et je ne pourrai avoir d’autres de ces instants précieux, mais sois sûr que ceux que nous avons connu ensemble ont été les plus beaux de ma vie. Je veux tout simplement te faire savoir, par cette lettre, que tu comptes plus que tout pour moi, et que je ne veux pas que tu souffres. La souffrance est bien la dernière chose que je veux te faire subir, alors, s’il te plait, ne sois pas triste, car en mourant je me libère de ma douleur. Et toi, Julian, tu vivras heureux, tu ne laisseras rien ni personne empêcher ton bonheur. Je ne te demanderai qu’une chose : sois heureux. Pour moi.
Je t’aime, Julian. J’espère que tu ne m’oublieras pas.
Avec amour,
Roselyn.
Julian fut encore plus bouleversé. Il ignorait tout de ce passé auquel Roselyn avait soigneusement omit de faire allusion. Il serra la lettre contre lui, comme si cela pouvait l’aider pour quoi que soit. Il respira profondément.
- Il n’y a aucun risque que je t’oublie, Rose.
Il s’attarda encore un peu dans cette pièce, puis finit par ressortir en pliant la lettre et la mettant dans sa poche.
Plus tard dans la journée, Julian se prépara pour l’enterrement. Il n’avait jamais assisté à pareil évènement. C’est pour cela qu’il ne savait pas exactement à quoi s’attendre. Arrivé au lieu de l’enterrement, il y trouva ses parents, qui avaient quitté la maison avant lui afin de régler les derniers détails.
Julian fut profondément surpris en constatant après un certain moment, que seulement quelques instituteurs et camarades de classe de Roselyn étaient présents. Ce qui fit vite de le mettre en colère. « Tu es géniale, Rose ! » « Je t’adore » « Tu es la meilleure, je ne sais pas ce que je ferais sans toi » « Elle est tellement gentille », disaient-ils tous. Où étaient-ils à présent ?
Durant toutes les funérailles, Julian ne put que se concentrer sur une chose : le portrait de Roselyn posé non loin de lui. Son attention était centrée sur le visage de la fille qu’il avait connu, mais plus il le regardait, plus il avait l’impression que ce visage était celui d’une inconnue. Il ne connaissait que le beau côté de ce visage, et l’autre, il n’avait aucune conscience de son existence. Julian ne lui en voulait pas de l’avoir caché. Ou du moins, il ne lui en voulait plus.
Seulement, il se rendit compte d’une chose : la mort de Roselyn avait entraîné sa fin à lui. Roselyn affirme dans sa lettre que son corps transportait son âme morte depuis longtemps. Maintenant, Julian comprend. Il était lui aussi mort à l’intérieur.
Roselyn, les yeux dans le vide. Roselyn assise devant ce piano. Roselyn qui jouait ses longs airs mélancoliques.
Julian n’oublierait jamais cette image de Roselyn.
10: II- ROSELYN DAWSON’S POINT OF VIEW : HER UNTOLD STORY“People do not die from suicide; they die from sadness”
Anonymous
11: STUCK IN A LOST WORLD“I'll miss the winter. A world of fragile things. Look for me in the white forest hiding in a hollow tree, come find me. I know you hear me, I can taste it in your tears”
Julian Mathis. Le nom qui demeurait intact pour Roselyn. Elle qui était aujourd’hui partie, insignifiante, morte. Une âme détruite à cause des péripéties de sa vie.
Roselyn ne cessait de repenser à son existence. Tout ce dont elle s’est libérée, et tout ce qu’elle a perdu par la même occasion.
Julian Mathis.
Ces deux mots, Roselyn les entendait en murmures actuellement. Cela fait deux mois qu’elle voit son nom inscrit sur cette pierre tombale. Cela fait deux mois qu’elle voit Julian revenir jour pour jour, fermer les yeux et rester ainsi un bon moment. Elle ressentait son désir de la voir réapparaître, la voir revenir à la vie et continuer leur vie telle qu’elle était avant.
Mais c’est quand Julian rouvrait les yeux que Roselyn éprouvait des regrets. Elle ne pouvait supporter l’idée d’avoir fait paraître cette tristesse dans les yeux du jeune homme. Lui qui était si joyeux, d’un entrain et d’une bonne humeur communicatifs. Elle ne pouvait se résoudre à voir de quelle manière il avait changé, le tout, sachant que c’était sa faute à elle seule. Sa seule prière était qu’il ne change pas, mais il semblerait que Julian ne soit plus tout à fait ce qu’il était.
Il en était de même pour ce petit monde qui fut le sien. L’hiver manquera à Roselyn, tout comme cet ensemble de choses fragiles qui constituait ce monde peut-être sans importance pour les vivants, mais que les morts ont devant leurs yeux sans pouvoir l’atteindre de nouveau. Mais Roselyn ne regrettait rien. Le seul regret qu’elle ait, c’est de voir l’état de Julian.
Oh combien elle aurait aimé que Julian ne s’en fasse pas.
12: LITTLE PIECE OF HAPPINESSDeux ans plus tôt.
Roselyn jouait un air, assise devant le piano du grenier. Un faisceau de lumière émanait de dehors, et la couleur orangée du coucher de soleil s’infiltrait et donnait un bel aspect à la pièce.
Le grenier constituait le deuxième étage de la maison de campagne où habitaient les Mathis. Nul ne visitait cette pièce, l’avait informée Julian. Jusqu’à ce qu’elle remarque la trappe qui donnait accès au grenier grâce à un escalier. Roselyn venait d’arriver. Elle venait d’être recueillie par les Mathis après avoir vécu plusieurs années à l’orphelinat. Une immense joie l’avait emplie quand on l’avait informée plus tôt qu’elle serait adoptée. Pour une fois, Roselyn s’était réveillée en plein forme, avec une envie de vivre la journée.
Roselyn, âgée de seize ans à l’époque, avait demandé à monter au grenier. Julian, affectueux, ouvrit la trappe et lui offrit passage à l’étage supérieur. Quand ils montèrent, la pièce était plongée dans le noir. Julian s’avança et écarta le rideau pour laisser entrer le soleil de milieu de journée. Elle détailla la pièce.
Roselyn, pas à pas, avançait calmement dans la pièce. Elle souriait comme elle ne l’avait jamais fait, tellement elle était contente d’avoir une nouvelle, une vraie maison. Elle resta silencieuse en imaginant la vie qu’elle mènera ici. Elle promena ses mains sur plusieurs objets. Quand elle remarqua le piano abandonné dans un coin, ses yeux s’illuminèrent. Elle alla s’installer, rajustant sa robe et remettant ses longs cheveux à son dos. Elle se mit à jouer un air qu’elle avait appris étant enfant.
Roselyn avait prit cette habitude. Depuis qu’elle habitait ici, elle venait dans ce grenier. Julian et elle se lièrent rapidement. Elle le trouvait tellement gentil et drôle.
Cette fois-ci, Julian s’installa et regarda la clairière qui s’étendait à perte de vue depuis la fenêtre du grenier. Un faisceau de lumière émanait de dehors, et la couleur orangée du coucher de soleil s’infiltrait et donnait à Julian l’aspect d’un ange.
De temps en temps, elle aperçut les yeux de Julian rivés sur elle.
- Pourquoi me regardes-tu comme ça, Julian ?
- Comme quoi ?
- Tu me regardes comme si tu m’aimais.
Julian la dévisagea et un petit sourire se dessina lentement sur ses lèvres.
- Peut-être que c’est parce que je t’aime, Rose.
Roselyn sourit à son tour et baissa de nouveau les yeux. Elle se sentait aimée, et c’était la sensation la plus merveilleuse de toutes. D’autant plus que c’était Julian qui éprouvait pour elle cette affection, ce jeune homme remarquable.
Julian, les yeux clairs, rieurs. Julian assis devant cette fenêtre dans la lumière du soleil. Julian, décelant et s’émerveillant de la beauté partout autour de lui.
Roselyn n’oublierait jamais cette image de Julian.
13: HOLDING MY LAST BREATH“Hold on to me, love. You know I can't stay long. All I wanted to say was I love you and I'm not afraid. Can you hear me ? Can you feel me in your arms ?”
Trois mois plus tôt.
Ce jour-là, Roselyn ne quitta pas sa chambre. Une soudaine tristesse l’avait emplie. C’était une agréable journée d’été, qu’il aurait certainement passé avec Julian. « Je ne me sens pas bien », avait-elle prétexté à travers la porte de sa chambre quand Julian vint prendre de ses nouvelles. Julian demanda si elle avait besoin de quelque chose et lui proposa de lui tenir compagnie. Roselyn répondit que non, refusant qu’il la voie dans un tel état. Julian n’insista pas et s’en alla. Elle se mit à pleurer. Ces soudains moments de tristesse revenaient souvent. Plus tard, Julian l’avertit qu’il sortait.
Roselyn ne savait pas combien de temps il s’était écoulé. Elle avait perdu tout repère. Elle était comme anéantie, hors du temps et loin du tout. Elle-même ne comprenait pas la façon et la vitesse à laquelle tout devenait noir dans sa tête. Tantôt tout allait bien, et tantôt tous ses mauvais souvenirs la submergeaient, toujours plus menaçants. C’est ainsi que Roselyn était restée. Ces moments surgissaient d’habitude la nuit, quand elle se retrouvait seule dans le noir. C’est là qu’elle pleurait longuement, allongée dans son lit. Elle finissait par s’endormir. Cela se passait comme ça pratiquement toutes les nuits. Mais cette fois, son désespoir la rattrapa en pleine journée. Elle prit machinalement une feuille de papier et un stylo, et se mit à écrire.
Cher Julian…
Puis, comme en transe, elle se leva et se dirigea vers la salle de bain. Avec un rasoir trouvé près du lavabo, elle creusa de fines rayures sur ses bras. Le sang se mit à couler. Elle l’étale. Quand elle avait mal, elle se sentait vraiment exister. Mais cette fois, elle n’avait pas mal. Car son désir à ce moment-là n’était non pas d’exister, mais de mourir.
- Rose ?
La voix de Julian semblait lointaine.
- Rose ? répéta-t-il en frappant. Rose, s’il te plait, parle-moi. Je m’inquiète.
Silence.
Roselyn renifla sans prendre la peine d’essuyer ses larmes. Elle continua à se tailler les veines. Sa tête lui tournait, elle sentait la faiblesse la gagner.
- … Rose ?
La voix de Julian était plus proche cette fois, mais elle ne l’entendit qu’à peine.
Julian frappa à la porte, très fort.
- Rose, ouvre cette porte !
Il frappa encore et encore. Roselyn avait verrouillé la porte et n’allait certainement pas lui ouvrir. Elle ne voulait pas qu’il voie. Mais Julian, après plusieurs tentatives, réussit à défoncer la porte.
- Non… dit-elle si faiblement qu’elle était sûre qu’il ne l’avait pas entendue.
Roselyn était à genoux, par terre, baignant dans son sang. Le liquide rouge formait une énorme flaque sur le carrelage. La jeune fille, tenait à la main un rasoir, et ses avant bras étaient parsemés de fines rayures par lesquelles le sang s’écoulait, encore et toujours. Roselyn ne bougeait pas. Son visage était inexpressif. Des larmes coulaient sur ses joues, tandis que ses yeux froids regardaient dans le vide.
Elle ne voulait absolument pas que Julian voie ça. Jamais. Mais malgré qu’elle ait été à la limite de s’évanouir, elle vit du coin de l’œil la silhouette de Julian sur le seuil, immobile. Elle voulait lui parler, lui demander de partir afin de lui épargner cette scène. Mais elle sa vision était tellement brouillée, elle tremblait si fort, la pièce tournait tellement vite autour d’elle… Roselyn tombe.
Roselyn sentit à peine les mains de Julian la rattraper. Elle sentit ses bras se serrer autour de son corps comparable à une feuille morte. Le sang imprégnait leurs vêtements, des larmes brulantes se mirent à couler.
Roselyn rassembla ce qui lui restait d’énergie et put ouvrir légèrement les paupières.
- Tiens bon, entendit-elle Julian dire. Je vais appeler les secours, je…
- Non, murmura-t-elle faiblement. Reste avec moi, tu sais que je ne pourrai pas tenir longtemps…
Elle savait qu’elle allait mourir, mais Julian secoua la tête.
- Non, Rose, tu ne peux pas…
- Julian, c’est trop tard. Je…
Elle inspira difficilement. Elle devait lui dire.
- Je n’ai pas peur, poursuivit-elle. C’est tout ce que je veux te dire, que je n’ai pas peur et que je t’aime fort, Julian.
Elle fixa le plus longtemps possible les yeux clairs et horrifiés de Julian tandis qu’il répondait :
- Moi aussi, je t’aime très fort, Rose.
Un minuscule sourire apparut sur le visage de cette dernière. Une larme coula sur sa joue pâle. Cette dernière larme… Et ses yeux qui fixaient ostensiblement ceux de Julian il y a quelques secondes, ne devinrent que néant. Tout vira au noir pour la jeune fille. Roselyn Dawson venait de rendre son dernier souffle.
Ce qui est certain, c’est qu’elle n’oublierait Julian pour rien au monde.
14: IT ENDS HERE TONIGHT“Holding my last breath. Safe inside myself. Are all my thoughts of you. Sweet raptured light. It ends here tonight”
Roselyn vit soudain la salle de bain de façon clair et nette. Elle ne ressentait plus rien. Ni douleur, ni tristesse. Rien. Puis elle remarqua son corps enlacé dans les bras de Julian.
Julian…
Roselyn crut bien qu’il était resté ainsi pendant des heures. Elle vit les parents rentrer dans la pièce. Elle vit Julian serrer son corps, se balançant légèrement d’avant en arrière, chuchotant rapidement. C’était effroyable. Elle vit Julian rester dans un mutisme sans fin face aux questions, elle le vit refuser qu’on emporte son corps, elle le vit s’enfermer dans sa chambre, se tenant la tête entre les mains. Quand il s’affala sur son lit, elle flotta dans sa direction. Elle vit la colère surgir sur son visage.
Il inspira, expira…
Elle le détailla à chaque seconde. Toutes ses pensées étaient centrées sur lui. Elle se souvenait le moment où elle retenait son dernier souffle, elle se souvenait que la dernière chose qu’elle ait vue à ce moment là fut le visage du jeune homme. Un certain soulagement s’était emparé d’elle, agréable lumière d’extase se formant dans son esprit mourant avant que tout ne vire au noir. Cette lumière avait disparu.
Roselyn eut de la peine en voyant l’état de Julian. Elle posa une main sur son épaule, regrettant le fait qu’il ne pouvait la sentir. Elle le regarda s’endormir.
15: DON’T LET SADNESS MAKE YOU DROWN“Closing your eyes to disappear, you pray your dreams will leave you here. But still you wake and know the truth. No one's there”
Roselyn déambula et se posa des questions toute la nuit. Qu’en était-il maintenant d’elle ? Qu’allait-il lui arriver ? Resterait-elle à jamais spectatrice du monde des vivants sans y être vraiment ? Cela, elle se le demanda jusqu’au lendemain matin, quand Julian se réveilla.
Avant de partir définitivement – elle ignorait encore où et comment – elle décida de suivre Julian quelques temps, afin de s’assurer qu’il irait mieux, et aussi parce qu’elle se rendit compte qu’elle n’était pas tout à fait prête à le laisser. Elle assista au bref échange entre Julian et ses parents. Il prit sa veste, il sortit.
Julian frissonna légèrement. L’air devait être frais, bien que Roselyn ne puisse le sentir. Elle le suivit le long du chemin vers la rivière.
Julian s’installa sur un rocher et contempla l’eau cristalline. Roselyn n’avait aucunement la possibilité de savoir à quoi il pensait. Tout ce qu’elle pouvait faire c’était le dévisager, le contempler tant qu’elle en avait encore le temps et la possibilité. Cependant, elle aurait préféré le voir sourire. Elle se doutait bien qu’il n’allait pas rire de sa mort, mais elle aurait voulu qu’il ne soit dans un si mauvais état. Elle ne voulait en aucun faire de mal à Julian. Et ça lui fendait son cœur de fantôme de voir une telle tristesse dans ses yeux.
Soudain, elle remarqua le regard étrange que portait Julian aux rochers. Elle assista au combat intérieur qu’il menait. Silencieux, les poings serrés, il fixait les rochers en bas. Une seconde, ses yeux s’éclairaient, et celle d’après, il revenait tel qu’il était. C’était comme si deux idées contradictoires se battaient dans sa tête, l’une prenant le dessus sur l’autre chacune son tour. Roselyn eut peur de la nature de l’une d’entre elle. Julian ne pouvait pas sauter. Il était hors de question qu’il meurt.
Finalement, Roselyn fut soulagée de voir Julian soupirer et détourner les yeux vers le ciel. Mais elle eut encore plus de peine après avoir vu de quelle manière l’expression de ses yeux avaient changé. Ses yeux n’exprimaient plus rien. Et Roselyn savait pertinemment que ce qu’il y a de pire que la douleur et la tristesse, c’était bien le vide, le fait de ne plus rien ressentir.
Roselyn flotta comme elle l’avait fait depuis le début aux côtés de Julian sur le chemin du retour. Une pointe de joie monta en elle quand elle vit Julian se diriger vers sa chambre – ou plutôt, son ancienne chambre.
Roselyn espérait qu’il rentrerait.
16: FIND A WAY TO BRING THE LIGHT BACK IN YOUR LIFE“Say goodnight. Don't be afraid. Calling me, calling me as you fade to black”
La chambre de Roselyn était restée la même. Une pièce aux couleurs pâles, aux affaires bien rangées et ordonnées, et quelques objets personnels posés ici et là. Roselyn aimait la simplicité et les choses ordonnées. Julian la taquinait souvent à propos de son côté maniaque. La nostalgie s’empara à nouveau d’elle en revoyant tout ce qu’elle connaissait si bien de son vivant sous un nouveau jour. Certes, c’était la même pièce, la même décoration, la même maison, les mêmes visages, les mêmes personnes. Cependant, il y avait là un changement. Un changement que Roselyn elle-même a provoqué par son passage et ensuite par sa disparition. Elle ne pouvait désormais plus profiter d’une vie paisible dans ce lieu avec les personnes si chères à son cœur. Quand elle était encore vivante, elle avait l’impression d’être perdue dans un océan de contradictions. Elle était heureuse, mais si malheureuse au fond d’elle. Elle souriait la journée, mais pleurait la nuit. Elle était vivante, mais morte à l’intérieur. Finalement, ce fut le côté sombre qui gagna la bataille par sa forte intensité.
Roselyn reporta son attention sur Julian quand celui-ci referma la porte derrière lui. Elle fut au comble du bonheur quand enfin elle vit un sourire sur le visage de son ami. Ce sourire qu’elle attendait tant. Il parcourut de la main les cadres photos posés sur le bureau, puis remarqua la feuille de papier qu’elle avait laissé pour lui. Il la prit, et Roselyn se prépara à voir sa réaction aux révélations qu’elle a faites dans sa lettre.
Elle vit plusieurs émotions défiler sur son visage : l’appréhension, la curiosité, la compassion, la tristesse, la colère, la nostalgie, l’amour et enfin le bouleversement. Roselyn posa une main sur son épaule. Il respira profondément.
- Il n’y a aucun risque que je t’oublie, Rose.
Elle sourit.
- Moi non plus, murmura-t-elle malgré qu’il ne puisse point l’entendre.
Il s’attarda encore un peu dans cette pièce, puis finit par ressortir en pliant la lettre et la mettant dans sa poche. Roselyn le suivit.
Plus tard dans la journée, Roselyn se rendait avec Julian à l’enterrement. Cela lui faisait bizarre de penser une telle chose, jamais elle n’aurait deviné pouvoir assister à son propre enterrement.
Roselyn constata que seulement quelques uns de ses instituteurs et camarades de classe étaient présents. Elle vit l’air indigné de Julian, mais elle préférait les choses ainsi. Il n’y avait que des personnes qu’elle aimait, et ça lui suffisait amplement de voir ces visages ici présents en ce jour.
Durant toutes les funérailles, Roselyn promena un regard sur le monde qui l’entourait. Elle avait décidé de s’en aller ce jour-là, et elle voulut profiter de ses derniers instants sur terre. Son passé étant enfant n’avait plus aucune importance. Elle voulait emporter avec elle les bons souvenirs accumulés avec les Mathis. Elle détailla d’abord le paysage et chaque objet et personne qui l’entourait. Et ce, en prenant exemple sur Julian, lui qui voyait de la beauté partout, même où nul autre ne saurait la soupçonner. Pour Roselyn, c’était un don qu’il avait là. Elle aurait aimé avoir une aussi belle capacité. Elle remercia ses enseignants et ses camarades pour tout ce qu’ils ont fait pour elle, remercia ses parents pour l’avoir accueillie, et finit par s’assoir auprès de Julian. Celui-ci fixait son portrait.
Roselyn lui prit la main et l’embrassa sur la joue. Elle regrettait fortement qu’il ne puisse même pas ressentir sa présence auprès de lui. Elle regrettait le fait qu’elle n’avait pas la possibilité de lui parler une dernière fois.
Roselyn se leva. Son cercueil avait été mit en terre. Une lumière se forma devant elle, aveuglante, mais qui l’accueillait en son sein, et qui l’invitait à y entrer afin d’y suivre le passage vers un nouveau monde, un monde qui lui conviendrait mieux. Elle s’y avança lentement. Avant de l’atteindre, elle se retourna vers Julian une dernière fois.
Julian, les yeux clairs, rieurs. Julian assis devant cette fenêtre dans la lumière du soleil. Julian, décelant et s’émerveillant de la beauté partout autour de lui.
Roselyn n’oublierait jamais cette image de Julian.
FIN
Merci à toi, petit terrien.
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