Thirteen Tales of Love and Revenge est une collection relatant treize courtes histoires

The Sound of Silence

Basée sur la chanson de Simon and Garfunkel du même nom

« Pour tous ceux qui sont possédés par leurs possessions »

Par Swallowing Darkness

« Dans cette époque de matérialisme hystérique, nombreux sont possédés par leurs possessions »

Mildred Lisette Norman

Il est connu que l’homme à cinq sens. La vue pour voir, l’ouïe pour entendre, l’odorat pour sentir, le goût pour goûter, et enfin le toucher qui nous permet d’avoir un contact avec ce qui nous entoure.

Mais l’homme ne sait définitivement pas – ou du moins, plus – les apprécier à leur juste valeur. Il est vrai que l’homme a conscience de leur importance, mais qu’en est-il de leur utilisation ? L’homme semble ne s’en soucier guère…

Et si au lieu de voir nous pouvions observer, apprendre à contempler la beauté et distinguer chaque couleur du monde qui nous entoure ? Et si au lieu d’entendre nous pouvions écouter chaque parole et la comprendre, chaque larme silencieuse versée, chaque mot et pensée non prononcés ? Et si au lieu de juste sentir nous pouvions percevoir les arômes et les doux parfums de la vie ? Et si au lieu de simplement goûter nous pouvions aussi apprendre à apprécier chaque délice que nous offre la vie ? Et si le fait de toucher nous maintenait en contact avec la réalité, nous gardait réunis les uns avec les autres, nous faisait ressentir davantage ?

Et si…

- Bonsoir ténèbres, mon vieil ami, je suis venue discuter encore une fois avec toi.

Je m’entends encore prononcer ces mots. Quand je me suis réveillée ce matin, ce sont ces mots qui ont rejailli dans ma mémoire. Car une vision s'insinuant doucement en moi a semé ses graines durant mon sommeil. Et la vision qui fut plantée dans mon cerveau demeure encore à l'intérieur. D’ailleurs, je me souviens encore très bien du moment où je me tenais debout, dans le noir à répéter cette même phrase, doucement, lentement. Mais à ce moment-là il n’y avait rien, ni personne. Juste les ténèbres denses et impénétrables, et…

Et l’unique son du silence.

Le réveil n’a en rien affecté ce que j’ai vu et surtout ce que j’ai compris grâce à mon rêve. C’est drôle, je ne me rappelle pratiquement jamais mes rêves, mais celui-ci, je crois bien que je ne l’oublierai pas.

Comme dans tout rêve, le décor de ma longue errance était étrange et indistinct, et m’était complètement inconnu. Dans mes rêves agités j'arpentais seule des rues étroites et pavées. Je marchais dans ce qui ressemble à une ville fantôme, plongée dans le noir, glaciale et sans vie. Un temps indéfini s’écoule, mais l’aspect figé de l’endroit donne l’impression que le temps s’est arrêté.

- Bonsoir ténèbres, mon vieil ami, je suis venue discuter encore une fois avec toi, dis-je tout haut.

Je répète plusieurs fois cette phrase, comme si elle avait un sens caché tout particulier. Et puis, je distingue une lumière au loin. Arrivée à cette lumière, sous le halo d'un réverbère, je tourne mon col à cause du froid et de l'humidité. Lorsque mes yeux furent éblouis par l'éclat de la lumière d'un néon, cet éclat qui déchira la nuit…

Et atteignit le son du silence.

La simple lumière du réverbère qui m’éblouissait déjà devint plus forte encore et m’aveuglait complètement, à tel point qu’elle en devenait presque douloureuse. Les faisceaux de lumière finirent pas se disperser et me plongèrent dans un tout autre monde. C’était bien le même endroit qui m’apparaissait flou il y a un instant, mais le contraste entre ce monde et tel que je l’avais découvert au début est impressionnant.

Et dans cette lumière pure je vis soudainement dix mille personnes, peut être plus. Je me retrouvai parmi ces gens de tout âge. Le plus étonnant est qu’au lieu d’entendre un bruit de voix confus émanant de cette foule… Il régnait un silence assourdissant. Ce silence était comme un poids extrêmement lourd qui pesait sur moi, et sur toutes ces personnes.

C’est la que je remarque que tous ont les mains occupées. Chacun tenait un téléphone, l’air absent, les yeux rivés sur l’écran ou l’appareil collé à l’oreille. Des mots furent enfin prononcés, mais ceux-ci étaient déformés.

Cette scène offrait une vue sur des personnes qui discutaient sans parler. Des personnes qui entendaient sans écouter. Des personnes qui écrivaient des chansons qu'aucune voix n'a jamais emprunté… Et malgré le vacarme que faisaient les conversations téléphoniques et les sonneries de ces appareils, le silence subsistait.

Et aucun d’eux… Oui, c’est bien cela…

Personne n'osa déranger le son du silence.

Dans un rêve, nous agissons sans trop savoir comment ni pourquoi. Et moi, je ne savais pas quoi faire à cet instant. Dans toute cette animosité soudaine, je me sentais terriblement seule. J’avançais vers les gens, essayais de les aborder, tentais de les faire réagir, cherchant quelqu’un qui accepterait de me parler. Sans succès.

Mais c’est quand je vis un enfant secouer le bras de sa mère et demander son attention, et que celle-ci semblait ne pas remarquer jusqu’à son existence, que je réagis.

- Idiots, hurlai-je, vous ignorez que le silence, tel un cancer, évolue !

Je me frayais un chemin parmi eux tous, voulant les convaincre.

- Entendez mes paroles que je puisse vous apprendre.

Aucun d’eux ne semblait entendre.

- Prenez mes bras que je puisse vous atteindre.

Aucun d’eux ne daigna lever les yeux vers moi.

- Vous ne comprenez pas ! Le silence nous menace, tous ! Nous devons le combattre…

Mais mes paroles tombèrent telles des gouttes de pluie silencieuses…

Et résonnèrent dans les puits du silence.

C’est dans ma frustration que je me réveille. Au début je reste figée, ne comprenant pas pourquoi avoir fait ce rêve. Mais ce ne fut que momentané.

Avant, je me sentais seule, terriblement seule et incomprise. Je me sentais comme abandonnée par les miens. Erreur. C’est ma faute. J’avais délaissé ma famille, laissé tomber ceux que j’aimais. Je me rends compte que je me suis coupée du monde, et que ce n’est pas le monde qui m’a rejetée.

Maintenant je comprends. Maintenant j’essaie de trouver une solution à mon problème. Car mon rêve n’est autre qu’un reflet de la réalité que nous vivons tous. Les gens absorbés par les écrans, les gens qui ne s’intéressent plus tellement à leur entourage, les gens qui ne vivent plus. Et qui ne ressentent plus rien de réel.

L’homme a cinq sens, n’est-ce pas ?

Nous voyons beaucoup de choses, mais nous n’y prêtons pas attention. Nos oreilles sont ouvertes, mais nous n’écoutons point. Combien d’oreilles l’homme doit-il avoir pour parvenir à entendre les autres pleurer? Dîtes-moi ? L’homme est tellement focalisé sur lui-même qu’il ne perçoit même presque plus les émotions des autres. Mais le problème, je crois bien, est que l’homme ne ressent plus grand-chose. Il est bien dommage de voir l’homme se détruire lui-même. Il est bien dommage de voir l’homme se laisser absorber par le silence.

A la fin, le silence nous a vaincus. En refusant de combattre le silence, nous sommes devenus sourds, non seulement vis-à-vis des autres, mais pour nous-mêmes aussi.

Ceci n’est pas de la solitude ou de l’abandon, mais de l’isolation.

Le silence a un son. C’est le son de l’oppression. Le silence a un poids, il menace de nous tomber dessus quand le jour viendra où toutes les âmes périront dans ce combat… Le silence est le plus puissant des hurlements.

« In the end, we will remember not the words of our enemies, but the silence of our friends »

Martin Luther King

FIN

Merci à toi, petit terrien.

Vous avez aimé cette histoire? Retrouvez la prochaine courte histoire de la collection Thirteen Tales of Love and Revenge: Lost