Thirteen Tales of Love and Revenge est une collection relantant treize courtes histoires
​Riverside
Basée sur la chanson d'Agnes Obel du même nom
« Pour ceux qui ont perdu espoir »
Par Swallowing Darkness
2: IntroductionLa mort… Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’était exactement la mort? Est-ce qu’on souffre au moment de mourir, ou est-ce qu’on ne ressent rien ? Est-ce qu’on voit notre vie défiler devant nos yeux, notre famille, nos amis, avant que tout devienne noir ? Et puis… Qu’y a-t-il après la mort ? Avez-vous une idée de ce à quoi ressemble la vie après la mort ? Y a-t-il une vie, un paradis, un au-delà ? Ou alors une sorte de monde parallèle ? Peut-être n’y a-t-il rien…
Je me suis déjà posé ces questions-là de mon vivant… Et aujourd’hui j’en ai la réponse.
3: I FOUND MYSELF THERE IN THE RIVERQuand j’ai ouvert les yeux, il faisait noir. Tout était noir autour de moi. Je scrutais les alentours en quête du moindre repère, mais rien. Je n’apercevais rien dans cette obscurité inquiétante. Où étais-je ?
J’étais légère, complètement désorientée et dépourvue de toute sensation. C’est comme si toute émotion m’avait quittée, comme si on m’avait pris mon âme. Je me sentais incroyablement vide.
Je remarquai alors que j’étais dans une robe blanche qui m’arrivait aux genoux. Mes cheveux bruns mi- longs retombaient sur mes épaules. Mais la chose qui me fît sursauter à cet instant, c’était ma peau. Ma peau pâle brillait, une étrange lumière émanait de mon corps tout entier. Je fronçai les sourcils. Mais que se passait-il ?
C’est alors que je vis quelque chose. Un arbre apparut soudainement devant moi. Puis un autre, et autre…. Jusqu’à former un magnifique paysage juste sous mes yeux, qui me rappelait vaguement quelque chose. Voilà que je me retrouvais au milieu d’arbres, de buissons et plusieurs sortes de fleurs. Je décidai d’avancer, réjouie de ne plus être plongée dans le noir. Je fis quelques pas prudents droit devant, tout en regardant partout, cherchant tout signe de vie de la part de quelqu’un. Mais hélas, après plusieurs mètres parcourus, je ne vis personne.
Je m’arrêtai. J’avais enfin ressenti quelque chose. Quelque chose grandissant en moi au fur et mesure… La peur. En effet, la lune éclairait le ciel de nuit rempli de pleins de petites étoiles et apportait un côté terrifiant à l’endroit. Le silence qui s’abattait sur moi, le fait de ne voir personne à mes côtés contribuaità faire monter en moi mes craintes.
Puis je la vis. La rivière, qui brillait à la lueur de la lune de façon douce et calme. Je m’approchai, et m’avançai sur le pont qui emmenait de l’autre côté de la rive. Je m’accoudai au bord et pris une grande inspiration. L’eau en dessous avaitun aspect qui rendait le lieu presque magique et paisible, malgré la peur que me communiquait cet endroit. J’étais cependant confuse. Je ne savais pas ce que je faisaislà. Je devrais être chez-moi, non ?
Ma vue se brouilla tandis que j’apercevais quelque chose en bas, dans la pénombre. Ecarquillant les yeux, j’essayai de comprendre ce que c’était. Je sursautai. Etait-ce… Une personne ?
Je m’élançai vite de l’autre côté du pont et me mis à genoux sur l’herbe, au bord. Je confirmai alors que c’était bien une personne. Son corps était à moitié plongé dans l’eau, retenu par un gros rocher. Ses cheveux bruns mi- longs trempés, sa peau beaucoup trop pâle accentuée par le clair de lune. Le haut d’une robe blanche aux manches courtes dépassait de l’eau. Des yeux bleus fixant le ciel, sans vie. Je me levai brusquement. Mais… Cette fille était mon portrait craché ! Je fis quelques pas en arrière, une idée atroce se formant dans ma tête.
J’étais morte. Ou plutôt, je suis morte. Quand ? Comment ? Pourquoi ? Je n’en avais pas la moindre idée.
4: SWEET MEMORIESC’est là que, pendant que j’examinais mon propre corps avec stupéfaction, une sorte de lumière apparut devant mes yeux. Etait-ce le moment pour moi de partir de « l’autre côté » ? Mais quand des images s’imposèrent dans mon esprit de fantôme, je compris ce que c’était : je revoyais mon existence. Ma vie défilait devant mes yeux à toute allure.
- Coucou, Jenna, dit une voix douce.
Ma mère, je suppose, me tenais dans ses bras, quand j’étais encore qu’un tout petit bébé. Un homme – mon père, probablement – se tenait près d’elle un large sourire sur les lèvres. Et un petit garçon d’environ 3 ans bondissait joyeusement dans la chambre d’hôpital.
- Jenna Black… Ça sonne plutôt bien !
Jenna Black… Je m’appelle Jenna Black.
***
- Jenna, Matt ! appela une voix d’homme.
La petite fille de 6 ans avec d’énormes yeux bleus brillants et son frère se retournèrent vers leur père, qui prit aussitôt une photo d’eux à l’aide d’un vieil appareil photo. Nous étions dans un parc, notre endroit préféré à tous les trois. C’est là que mon père nous emmenait pour nous récompenser d’avoir eu une bonne note à l’école, ou pour tout simplement passer un agréable moment.
Je lui souris et alla vers lui tandis que mon frère nous rejoignait en riant.
***
Ma mère était dans la cuisine, mélangeant devers ingrédients dans un récipient. Agée de 10 ans, je me tenais devant elle, l’observant d’un air admiratif. Je la trouvais tellement belle, tellement parfaite. J’aimais ma mère tendrement, comme tout autre enfant. De temps en temps, elle me laissait mettre mes mains à la pâte moi aussi, car je voulais absolument faire comme elle.
- Eeehh !! protestai-je.
Apparemment, c’est ce moment-là que Matt choisissait toujours pour détaler dans la cuisine et lécher un peu de chocolat dans le bol. Il me tira la langue et s’en alla. Même si mon frère était casse-pieds, je l’aimais quand même.
***
Christopher Black
1970 - 2007
Repose en paix
Un an plus tard, ma mère et moi étions agenouillée face à satombe. Tandis que Matt, alors âgée de 14 ans, se tenait en retrait derrière nous. Nous étions dévastés. Ma mère a perdu son époux, et nous avions perdu notre père.
Au bout d’un moment, Matt s’en alla. Il avaitle visage déformé par le chagrin. Je le suivis des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse loin du cimetière. Quand je reportai mon attention sur ma mère, celle-ci déposa des fleurs et se dépêcha de se lever et de s’éloigner à son tour. Je ne pus que la suivre.
Je sus en revoyant cette scène que tout a changé, depuis.Notre famille si heureuse n’était désormais plus qu’un souvenir. Et nos vies allaient être changées à jamais.
***
J’ai maintenant 15 ans. Le matin, au petit-déjeuner, j’observais pour la énième fois la mine affreuse de mes proches. Ma mère, fatiguée et les yeux cernés, se dépêchait de préparer le café. Quant à Matt… Je ne le reconnaissais plus. Lui qui était si joyeux et d’ordinaire optimiste, il avait l’air d’avoir perdu toute envie de se lever le matin. Et moi ? J’étais tout simplement là, les yeux dans le vide et l’air pensif. Depuis 4 ans, c’est à peine si l’on remarquait la présence des uns et des autres à la maison.
Je me levai, empoignai mon sac à dos et leur dis au revoir. Mais ni l’un ni l’autre ne semblait avoir entendu, alors je me mis en route pour mon tout premier jour de lycée.
***
L’année suivante, pendant la pause du matin, j’étais assise dans la cour du lycée. Je regardais tous ces jeunes autour de moi, et me dit qu’ils avaient de la chance. Quand vous perdez quelqu’un les gens vous disent « La vie continue ! » mais, non, je ne suis pas d’accord. Certes, la vie continue, mais vous vivez avec une douleur éternelle. Alors quand je les vois insouciants, éclatant de rire, entourés d’amis et de famille, je ne peux qu’être envieuse. Car même au lycée, les gens ne prêtaient pas attention à moi. Depuis mon premier jour l’année précédente, les gens me dévisageaient puis me tournaient le dos. Pourquoi n’étais-je pas comme tous ces ados ? Tout ce que je voulais c’était m’intégrer et avoir des amis. Etre normale. Mais malgré mes multiples efforts, je finissais toujours sur ce banc, seule.
***
Pour la première fois de ma vie, j’étais tombée amoureuse. Oui, moi Jenna Black, 18 ans, en terminale. Moi qui trouvais la plupart des gens superficiels, moi qui restais dans mon coin trop timide pour oser parler à qui que ce soit. Je m’étais fait deux amis : Aline, une fille adorable, et Mike un original pour qui j’avais des sentiments. Je nous revoyais déambulant dans les couloirs tout en riant de nos stupidités.Les moments où on engloutissait des tonnes de nourriture en se faisant des marathons DVD. Ou quand on se jetait des boules de papiers en cours d’Histoire. Je me sentais bien avec eux, et j’oubliais presque ma famille et tout ce qui allait avec.
***
Peu après mes 18 ans, ma mère nous a annoncé à Matt et à moi qu’elle allait se remarier. Mon frère eut une expression indéchiffrable avant de lancer tout bas « félicitations » et de partir. Depuis qu’il eut son diplôme, il n’habitait plus chez nous. Je la félicitai à mon tour. Franchement, cela ne me faisait ni chaud ni froid : moi aussi je projetais de m’en aller. Chacun d’entre nous vivrait de son côté, comme c’était pratiquement le cas depuis un bout de temps.
***
Le jour du mariage, je me tenais en retrait, adossée à un arbre. La fête avait lieu en plein air, tout prêt de la forêt, et la nuit commençait à tomber. Je vis les soi-disant membres de ma famille que je n’avais jamais vu de ma vie, des amis de ma mère, d’autres personnes de l’entourage du nouveau mari de maman. J’aurais aimé que Matt soit là. Qu’il ne nous tourne pas le dos comme ça. Mais je me réjouis de voir mes deux meilleurs amis approcher : Aline, toujours aussi mignonne et souriante, et Mike, à qui je n’avais jamais réussi à révéler la vraie nature de mes sentiments envers lui, marchait avec son air distrait habituel. Je leur fis coucou de la main.
***
Ce moment disparait lentement pour laisser place à une suite d’images semblables, défilant à toute allure: moi debout devant la rivière, sous différents angles, sous le soleil brillant ou en fin d’après-midi, seule ou accompagnée. J’admirais la rivière d’un regard absent. Je touchais l’eau du bout des doigts. Je me penchais du haut du pont et regardais vers le bas.
Cette suite s’interrompt brusquement et m’envoie une autre image, cette fois plus prolongée, plus nette. Je marche seule le long d’un chemin sinueux. Derrière moi, je vois que je viens de quitter la fête. Personne ne semble l’avoir remarqué. Je me retourne une dernière fois, puis me remets en marche vers je ne sais où. J’avais l’air tranquille, les mains derrière le dos, silencieuse.
J’arrive enfin à un endroit que je reconnais. La rivière lumineuse et mélancolique. A ce moment-là je n’étais qu’une jeune fille seule contemplant la rivière. Soudain, une mélodie me revint en mémoire.
I walk to the borders on my own
To fall in the water just like a stone
Chilled to the marrow in them bones
Why do I go here all alone?
Une chanson d'espoir ou bien suicidaire ? Mystère. Les deux, au fond, puisqu'il s’agit d’un mélange de la peur à laquelle nous sommes confrontés dans nos vies, et le fait de devoir se jeter à l’eau pour avancer. Mais que signifiait-elle pour moi à ce moment précis ?
Perdue dans ma contemplation, je n’avais guère remarqué cette silhouette non loin de moi. La Jenna vivante regardait l’eau brillante avec insistance. Puis, elle s’assit sur le rebord du pont, les jambes dans le vide, pour ensuite se mettre debout. Ses pieds étaient dangereusement proches du bord. Un pas, et elle connaitrait une mort certaine. Mais la personne venue de nulle part s’interposa entre Jenna et son éventuelle fin au sein de la magnifique rivière. Lui empoignant le bras, le jeune homme essaya de la tirer en arrière vers la sécurité qu’offrait le pont. Cependant, Jenna refusa de revenir en arrière. Elle refusait de devoir revenir en arrière et connaître de nouveau ce qui l’attendait si elle ne franchissait pas cette ligne invisible qui la séparait de l’autre côté.
Se retournant légèrement, elle vit les yeux bleus écarquillés et assombrits de Matt. L’espace d’un instant, en voyant l’expression de son frère, cet élan de tristesse dans ses yeux et son acharnement à retenir son bras, Jenna changea d’avis. Elle se dit que son frère était là, ses amis étaient là, et peut-être que sa nouvelle famille serait là pour elle.
En cet instant, Jenna regretta.
Mais, Jenna… Oui, moi… Il était trop tard pour moi. Mes pieds quittèrent le bord du pont, mes bras s’agitèrent désespérément dans l’air frais de la nuit, en vain, et mon corps bascula dans le vide. Des milliers de pensées me traversèrent l’esprit en l’espace d’une seconde. Je ressentis d’un coup la froideur de l’eau, et une douleur incomparable à l’arrière de ma tête. Puis… Plus rien.
5: I BELONG TO DEATHMes souvenirs s’étaient estompés. Maintenant, j’ai eu les réponses que je voulais… Mais alors que je fixais toujours mon corps sans vie, figée, je me rendis compte que je n’étais plus seule.
Des sirènes se faisaient entendre, des voitures de police, une ambulance… Cet endroit si calme un instant plus tôt était bondé à présent. Le cadavre – mon cadavre – se faisait sortir hors de l’eau par plusieurs personnes, qui constatèrent aussitôt ma mort. Moi-même je ne l’avais pas remarqué avant, mais l’arrière de mon crâne n’était plus qu’un énorme trou béant maculé de sang qui ne finissait pas de couler. Les quelques personnes qui avaient eu le courage de s’approcher assez près pour voir la scène se détournèrent aussitôt avec dégoût.
Parmi les gens présents, j’aperçus ma mère. Elle était livide. Je me levai et m’approchai d’elle.
- Je suis désolée, soufflai-je.
Elle était heureuse pour la première fois depuis longtemps, et j’avais tout gâché. Je me retournai et non loin d’elle, mes deux meilleurs amis se tenaient immobile, le regard vide braqué droit devant eux. Je me précipitai et me mis face à eux, regrettant de ne pas pouvoir les serrer dans mes bras une dernière fois. Je pris la main d’Aline, et déposai un petit baiser sur la joue de Mike. J’aurai aimé pouvoir leur parler, leur dire à quel point ils allaient me manquer. Mais évidemment, c’était impossible. C’était trop tard.
Ne sachant que faire d’autre que de regarder se dérouler cette scène, je garde le silence et dévisage chaque personne présente. Et je le vis.
Matt se tenait au loin, parmi les arbres, de façon à ce qu’on ne le remarque pas.
- Matt… murmurai-je sachant pourtant qu’il ne m’entendrait pas.
Je voudrais lui parler. Lui dire que ce n’était pas sa faute. Lui dire de partir, de commencer à vivre. Même s’il s’était coupé de la famille, il restait mon frère, et nous continuions à nous aimer quoi qu’il arrive.
Je le regarde une dernière fois. Je les regarde tous une dernière fois, car j’ignore si j’en aurai l’occasion plus tard ou pas. D’ailleurs, quel sera mon avenir ? Suis-je condamnée à errer dans cette forêt indéfiniment, ou une autre étape de ma vie de fantôme m’attend ? Peut-être que je ne verrai pas le temps passer, et que ceux que j’ai connu et aimé me rejoindront un jour.
En attendant, je vais ressasser toute mon existence… Mais quelle différence cela fera, de me rappeler de mes jours perdus ? Je suis morte. Et contrairement à la vie, la mort est éternelle.
J’appartiens à la mort.
« En pleine vie, nous appartenons déjà à la mort »
Agatha Christie
FIN
Merci à toi, petit terrien.
Et un grand merci pour les cent lectures sur Dance With the Devil!
Vous avez aimé cette histoire? Retrouvez la prochaine courte histoire de la collection Thirteen Tales of Love and Revenge: The Sound of Silence
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