Une pression légère, si simple, si mortelle. Une détonation assourdissante, si puissante, si ravageuse. Une percussion violente, si transperçante, si destructrice.
Un instant pour tout changer, un geste pour tout détruire.
***
Le souffle du vent enivra leurs esprits de fureur. Ils devinrent gris comme la pierre, effrayant comme la nuit. Le lourds poids de leurs larmes pesait sur leurs âmes, le vent ne fit que précipiter la chute inévitable.
Elle était l'une parmi tant d'autre, insignifiante, ordinaire et transparente. A bout de force, lourde de chagrin, elle se laissa tomber s'abandonnant au monde qu'elle avait toujours admiré d'en haut, perdue dans les nuages. Elle embrassa le sol ne faisant plus qu'un avec lui. Elle était la première larme que le ciel versa en ce mois de septembre. Elle fut suivi de nombreuses de ses amies qui rejoignirent, elles aussi, les lèvres chaudes de la terre. Le vent taquin faisaient danser ces gouttes d'eau lors de leur ultime chute. C'est ainsi que le ciel vida son cœur laissant couler le torrent de sa peine.
La tristesse laissa place à la fureur, le ciel gronda de mécontentement. La pluie devint de plus en plus abondante invitant l'orage à la rejoindre. A présent, le contact entre l'eau et la terre ressemblait davantage à un combat qu'à un baiser.
Les nuages avaient recouvert le ciel d'un manteau obscure, laissant s'échapper quelques rayons de lumière que ne tarda pas à éteindre la nuit.
Elle courrait à vive allure riant de bon cœur. L'eau coulait le long de son corps, ruisselait sur ses vêtements. Le ciel menaçant ne l'effrayait pas, elle en riait. Elle n'avait jamais dansé au bras d'un partenaire si charmant, d'une tempête si violente. Elle ne s'était jamais sentie aussi libre qu'à cet instant, si lamentablement mouillée, si merveilleusement vivante. L'eau rinçait tout les chagrins, emportaient tout les soucis. Curieusement, les grondements du tonnerre, les râles du vent ainsi que les coups de la pluie ne l'effrayaient pas. C'était absurde, insensé, pourtant délicieux, follement merveilleux. Quel rire s'échappait de sa gorge ! Quelle folie l'envahissait la faisant courir ainsi sous cette pluie battante ! Il lui semblait que le temps avait changé son cour, qu'elle était à nouveau âgée d'à peine sept ans et qu'elle dansait sous la pluie avec son père riant jusqu'à en être malade.
-Lena ! Attends-moi ! Je suis essoufflée... jai affreusement mal aux jambes...Arrêtes-toi !
Lena obéit, elle s'immobilisa un instant permettant à sa sœur de la rejoindre.
-Tu m'agaces ! Je te l'avais dis ! On aurait mieux fait de passer par l'autre rue pour rentrer. Lena !
Elle ne l'écoutait plus. Elle entamait une danse au milieu d'une rue de Varsovie, sautant d'un pavé à un autre, en chantant. Elle virevoltait aux bras d'un partenaire imaginaire. Il était grand et bien bati. Son regard était bleu comme le plus ensoleillé des ciels. Il riait. Son visage n'était que l'esquisse de l'imagination. Il était imprécis, peint de brume. Les traits d'aucun hommes n'avaient encore séduit le cœur de la jeune femme, et ne s'étaient imprimés sur son fantasme. A vrai dire, elle n'avait jamais vraiment pensé à l'amour. Étant enfant, elle adorait les merveilleuses histoires d'amour des contes de fées, elle admirait à présent celles de roman bien plus passionnées voire dramatiques. Il lui arrivait même d'envier sa sœur Anna de temps à autre, ou ses couples qui sillonnent les rues se tenant par la main. Pourtant, elle n'avait jamais imaginé un tel amour pour elle. Il était difficile dans son esprit d'envisager qu'un homme puisse l'aimer au delà de sa propre vie, qu'elle lui soit indispensable comme l'air aux poumons. Elle n'était pas pessimiste, non. Elle était réaliste, tout simplement.
Il est vrai qu'il y avait Maciej, un vieil ami qui ne cessait de lui tourner autour, lui demandant à maintes et maintes reprises sa main. Toutefois, elle refusait autant de fois qu'il le lui demandait. Il était attentionné, sympathique quand il le voulait, mais parfois égoïste et centré uniquement sur l'aspect charnel de cette union. C'était une chose qu'elle n'avait jamais supporté, ce sentiment d'être abusée et trompée par quelqu'un. D'autant plus, qu'elle ne se considérait pas comme une femme dont la beauté puisse marquer l'esprit ou envouter les regards. Pourtant, elle possédait une jolie crinière de boucles brunes qui tombaient en cascades jusqu'à ses épaules et légèrement au delà. Elle avait l'habitude de les tresser en une natte épaisse ou de les coiffer en un chignon dont certaines mèches aimaient s'échapper malicieusement. Son regard appellait à la gourmandise, tant il s'appropriait la couleur du plus appétissant des chocolats. Ses traits étaient réguliers, son nez était droit, ses lèvres bien tracé et pulpeuses, la lèvre inférieur un peu moins que la supérieur. La jeune femme était de taille moyenne. Elle était ni trop en chair, ni pas assez. Sans formes plus remarquables, une poitrine convenable, et un tour de taille bien dessiné. Elle avait soufflé, cette année, vingts-quatre bougies. Et bien que sa beauté semblait banale à ses yeux, peu coquette et rafinée, elle avait un charme naturel qui ne nécessitait guère d'artifices. Oui, elle n'était pas coquette, et pour cela se causait préjudice selon elle. Mais cela ne la tourmentait pas plus que cela.
Elle s'appelait Helena, Helena Mielska. Passionée de langues étrangères, elle approfondissait sa langue maternelle, le polonais, étudiait l'allemand ainsi que l'anglais et le français, rêvant de devenir interprète et de voyager dans le monde. Elle aspirait à l'aventure. Elle était très studieuse et déterminée, quelques fois maladroite, ce qui la rendait aussi attendrissante que parfois exaspérante.
-Lena !
Cette voix qui ne cesse d'interpeler notre petite intrépide, appartenait à une dénommé Magdalena, mais on l'appellait Magda. Elle était l'une des deux sœurs de Helena. A peine âgée de dix-sept ans, elle était déjà une vraie petite dame pour laquelle l'élégance avait bien davantage d'importance que l'intelligence. La coquetterie intensive était son pêché mignon.
La seconde sœur, qui en vérité était l'ainé des trois, s'appelait Anna Kalczak, nom qu'elle partageait avec son mari, Piotr, aviateur, et leur adorable petite fille âgé d'à peine six mois, Ewelina.
Helena avait fait la connaissance de l'enfant uniquement par la photographie que lui avait envoyé sa sœur. La petite fille était adorable, ses yeux étaient d'un noir intense comme ceux de sa mère. Elle avait un visage d'ange avec son sourire édenté, ses mains minuscules et ses joues appétissantes. Helena n'avait qu'une envie, c'était d'enlacer tendrement cette petite boule d'amour. D’autant plus qu'Anna lui manquait terriblement, elle n'avait pas rendu visite à la famille depuis près d'un an. Toutefois, ayant été toujours très proche l'une de l'autre, elles s'écrivaient régulièrement, aussi souvent qu'elles le pouvaient. Ainsi, Helena avait apprit que sa sœur vivait dans une jolie maison au nord de Londres, très bien située, pas immense, mais confortable. Elle vivait une vie prospère, et par dessus tout, elle était heureuse. Elle avait trouvé l'âme sœur, sa raison d'exister, l'amour qui faisait de chaque jour banal, une journée unique. Un amour enviable.
-Lena ! S'écria à nouveau Magda en l'agrippant. Je suis toute trempée, mes chaussures sont fichus alors arrêtes de faire l'imbécile et on rentre. En plus, cet orage est tout sauf rassurant...
-Je t'offrirais de nouvelles chaussures, des centaines, des milliers, te prendrait la main pour te rassurer, chantait-elle.
-Le...
-Na ! Abandonna-t-elle en riant. Allez viens, on rentre.
Elles arrivèrent enfin se réfugiant sous le porche d'une boutique accueillante qui appartenait à leur famille. Au dessus de ce commerce se trouvait leur habitat, un appartement en plein cœur de Varsovie, qui resplendissait d'un charme ancien. Ce n'était pas une bâtisse très haute, elle ne comportait que deux étages. Le temps avait meurtris ses parois, creusé la pierre.
Les sœurs habitaient au premier étage juste au dessus de la boutique. Cette dernière renfermait une abondance de tissus multiples, des plus doux cachemires et soies aux tissus moins raffinés comme le jean et bien d'autre.
Magda se précipita rapidement à l'intérieur dès qu'elle eût ouvert la porte, mécontente. Helena ne la suivit pas. Son cœur battait à tout rompre, sa course l'avait essoufflé. Son corps tout entier était imprégné d'eau, pas une parcelle de sa chair n'y avait échappé. L'eau ruisselait de ses cheveux bruns, le long de son front passant par son fin nez, par la peau soyeuse de ses joues, jusqu'à rejoindre et se perdre dans son cou. Elle se retourna voulant contempler une dernière fois ce spectacle intriguant. La nature pouvait être si surprenante, si violente, si désespérée. Le monde avait-il été si cruel pour que le ciel pleure ainsi ?
-Lena !
-Oui oui, j'arrive ! ! Répondit-elle à contre cœur en ôtant ses chaussures pour salir le moins possible le sol.
Elle traversa la boutique qui était fermé depuis quelques bonnes heures. L'obscurité ne la gênait pas, depuis toute jeune, elle aidait son père à tenir sa boutique le samedi ou pendant les vacances lorsqu'elle avait du temps libre. Elle connaissait ainsi si bien l'emplacement de chaque chose qu'elle aurait pu marcher avec les paupières closes, ce qui était presque le cas, étant donné l'obscurité qui y régnait. Elle rejoignit son appartement.
-Helena ! Tu es toute mouillée ! Se précipita sa mère vers elle. Vous êtes toutes les deux dans un état ! Quand je disais que cette fête n'était pas une bonne idée ! Mais évidement, moi, on ne m'écoute jamais ! C'est peut être la fin de l'été et des vacances mais ce n'est sûrement pas le moment de tomber malade !
-Elles sont juste un peu mouillé, il n'y a pas de quoi en faire toute une histoire, intervint le père en offrant un sourire à sa fille.
-Juste un peu mouillé ?! Tes filles reviennent trempés jusqu'aux os et toi tu...
***
Son regard fuyait loin de tout, se perdant dans la tempête qui dévastait les alentours, frappant tout ce qui se dressait devant elle. Ce spectacle désolant était semblable au chaos qui régnait dans son esprit. La tempête avait férocement envahit le ciel pour mieux le purifier et ne laisser derrière elle que des cieux d'un azur pure. Tout allait changer à présent, tout allait devenir meilleur tel que cela aurait dû l'être depuis toujours. L'apogée, l'instant de gloire était imminent telle cette lumière qui suit la tempête illuminant le monde fade et meurtris, tel ce phénix qui renaît, plus fort encore, de ses cendres. Pourquoi craignait-il ? Que craignait-il ? Ce n'était que justice. Tout était dans l'ordre des choses, toutefois il n'était pas serein. Les mains jointes dans le dos, il réfléchissait, le regard vagabondant au delà de la fenêtre. Il était temps d'arrêter de subir et d'enfin prendre les rênes de cette course effrénée, de ce combat cruel.
-Tomas ! S'écria une petite fille aux boucles blondes qui ne devait pas avoir plus de quatre-cinq ans.
L'homme attendri se retourna et s'accroupi un sourire aux lèvres, accueillant sa petite sœur dans ses bras. Elle était effrayée par la tempête, ne comprenant pas ce qu'il arrivait. Le jeune homme la serra fort contre lui, caressant doucement ses cheveux, murmurant à son oreille des mots réconfortant. Il avait toujours été amusé par l'ignorance des enfants, par cette innocence qui les animait. Il tourna la petite fille vers la fenêtre lui susurrant d'ouvrir les yeux afin de contempler ce qui lui faisait tant peur. Il était là, lui avait-il répété, il allait la protégé contre ce ciel qui ne cessait de gronder comme il avait toujours fait pour chaque danger qui osait s'approcher d'elle ou qu' elle ne cessait de poursuivre. Il n'y avair rien à craindre. La fillette se calma s'endormant peu à peu dans ses bras, ce qui n'était pas étonnant, il était très tard ce jour là, ou peut être était-ce déjà le jour suivant.
Il porta le petit ange jusqu'à son nuage s’allongeant près de lui. Sa chaleur apaisait l'enfant qu'il contemplait. Il caressa l'arme qui nichait accrocher à la ceinture de son pantalon. Oui, c'était pour elle, pour sa famille, pour leur bonheur à tous que la justice allait être rendu.
Une lumière instantanée illumina les ténèbres, l'orage gronda violemment. Le tonnerre venait de s'abattre sur le sol brutalement, non loin de là.
Ce n'était que le commencement.
***
Une musique joyeuse s'échappait de la petite radio qu'écoutait son père enivrant toute la pièce d'une agréable mélodie. Sa sœur se plaignait à leur mère de l'état pitoyable de ses vêtements, de la rentrée imminente et de sa soirée qui n'avait pas comblé ses attentes. En effet, le garçon qui lui plaisait tant n'avait pas une seule fois porté son attention sur elle, bien qu'elle avait tout fait pour. De plus, ils n'allaient sûrement plus se retrouver dans la même classe, ce qui était une catastrophe d'envergure mondiale.
Helena, assise à une table, ne pouvait s'empêcher de sourire aux exagérations de sa sœur. Elle était à présent parfaitement sèche. Elle écrivait à sa sœur aînée.
Ma Chère Anna, 1 septembre 1939, Warszawa, Polska
Les mots me manquent pour te dire comme ton absence m'attriste.C'est tellement moins drôle sans toi. Enfin, disons plutôt que je suis seule à pouvoir profiter des humeurs et caprices amusants de Magda. Tu lui manques énormément aussi. Elle est en train de se plaindre à maman en ce moment, encore une histoire de cœur. Décidément cupidon s'acharne vraiment sur elle, mais refuse de piquer en sa faveur. Elle est tellement adorable. Tu l'aurais vu en train d'attirer l'attention de son dulciné, c'était à mourir de rire. A chaque fois, elle attirait l'attention de quelqu'un d'autre, en l'occurence celle de tout le monde sauf la sienne. Pauvre petit cœur amoureux. En parlant d'amour, comment va la petite Ewelina ? Il faut vraiment que tu m'envoies encore une photo d'elle, et qu'on prévoit enfin une date pour que vous veniez nous rendre visite. On se languit tellement de vous voir. Tiens, d'ailleurs Magda m'harcèle pour écrire quelques mots. Quel bout de femme !
Anna ! Je vois que Lena a eût le temps de te pondre tout les potins, d'habitude le commérage c'est ma tasse de thé. Quand Lena disait que vous pouviez venir, on peut très bien faire dans l'autre sens, j'ai toujours voulu visiter Londres ! Puis ce serrait l'occasion de faire les magasins et de voir comment tu vis. Lena nous a parlé de tes nausées, et je doute fortement que ce soit comme ton médecin te la dit, une intoxication alimentaire. A mon avis, Piotr y est pour quelque chose et toi tu risques d'encore te casser la voix dans neuf mois. Enfin bon, on t'a à l'oeil, je t'embrasse fort soeurette parce que Helena me chasse à coup de baisers compulsifs.
Tu sais donc à présent les rumeurs qui circulent à ton sujet. Il faudrait que tu fasses un test pour vérifier et tiens nous au courant. Je croise les doigts pour que ce soit un garçon. Mais si je t'écris c'était pour te parler d'autre chose. Je vais peut être partir au cour de l'année prochaine à l'étranger pour pratiquer les langues et je ne sais pas encore si je préfère la France, l'Angleterre ou encore l'Allemagne...
« Nous interrompons cette émission pour communiquer une nouvelle des plus inquiétantes... »
Helena cessa d'écrire portant un regard intrigué sur son père qui paraissait aussi surpris qu'elle. Que pouvait bien s'être t-il encore passer pour interrompre une radio locale si tard dans la nuit ? Sûrement, prévenir que l'orage allait être encore plus violent qu'il ne l'était et qu'il valait mieux trouver un abri, rien de plus...
Les signes avaient pourtant été nombreux. On avait jeté les évidences à leurs pieds, les mises en garde, on l'avait crié en discours vénéneux, plein de haine, les discours d'Hitler. Eux les avaient regardé sans les voir, eux les avaient entendu sans les écouter. Mein Kampf. 1935, les lois de Nuremberg, mariages entre juifs et allemands proscrits, restriction de la liberté des juifs, certaine activités proscrites, citoyenneté allemande retirée, 1938, nuit de cristal massacre des magasins juifs...
« L'armée allemande a envahi le pays, après les efforts vains que nos troupes ont déployé afin de résister. Notre pays est en guerre... »
Evidence ultime. Il était déjà trop tard.
Helena n'avait pas tort, la tempête allait prendre une tout autre dimension, une dimension que personne n'aurait pu prévoir ou que personne n'avait voulu voir.
-Je crois que je vais laisser tomber l'Allemagne, murmura-t-elle pour elle-même.
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