I'm not an average person, I'm just a little extra-ordinary

 

I’m not an average person, I’m just a little extra-ordinary

 

 

Tournant à l’angle d’une ruelle, la  fine silhouette de la jeune fille se distingua clairement dans le léger brouillard de septembre. Des frissons parcourant sa peau, sa veste en cuir anthracite restait grande ouverte afin que l’air frais s’y infiltre et soulage ses membres en feu après un trajet éreintant.

C’était une longue distance à parcourir dans la fraicheur de ce mardi matin. Cependant, lorsque les rayons du soleil levant virent caresser la peau laiteuse de la jeune fille, la lycéenne sentit son visage anguleux se réchauffer et, tournant la tête vers le ciel bleu qui se profilait à l’horizon, elle ferma les yeux tout en esquissant un petit sourire triste.

Les timides rayons s’entremêlèrent dans les belles boucles chocolat de la jeune fille,  faisant ressortir ses pointes dorées qui brillaient d’une lueur fauve. Les joues rosies par le froid matinal, elle accéléra le pas pour se réchauffer, étirant ses longues jambes moulées par son vieux jean noir, troué et usé jusqu’à la corde. Sa fine écharpe, légèrement déchirée, n’était pas la protection idéale contre le froid mais les motifs militaires de celle-ci, lui plaisant toujours autant, l’excusaient de ne pas en porter une plus chaude pour sa rentrée.

Il lui arrivait souvent de plonger le nez dedans pour inspirer l’odeur fruitée qui la parfumait. Ca la faisait rêver. A un autre pays. A un autre horizon.

A une nouvelle vie.

 

Ses baskets décolorées, dont la semelle se décollait légèrement, claquaient lourdement sur le chemin qui la menait à son arrêt de bus et le son se répercutait sur les immeubles poussiéreux et inhabités qui l’entouraient, la surplombant comme une ombre menaçante.

Dans sa bulle, la jeune femme de 17 ans ne s’en rendait pas compte. Son IPod dans sa poche, les longs fils des écouteurs, tombant en morceaux,  remontaient le long de son pull noir rapiécé, trop court pour elle. 

Elle se réveillait doucement grâce aux doux accords de guitare de son artiste préféré.  Elle était dans son monde.

Seule. 

La douce voix du chanteur faisait frissonner la jeune adolescente.  Le son entrait dans ses oreilles mais son esprit était déjà ailleurs. Elle voguait vers un autre un univers où tout n’était que couleur. Où rien de mauvais ne pouvait arriver. Où elle ressentait la vie comme un cadeau.  Non comme un châtiment qui n’en finissait jamais.

Rares étaient les moments où elle pouvait avoir la sensation de se sentir vivante. Et lorsqu’ils arrivaient, il fallait les apprécier à leur juste valeur.

 

La jeune fille releva la tête afin de vérifier si elle marchait toujours droit ou si aucun obstacle n’encombrait sa route. En effet,  il lui arrivait souvent de s’abîmer dans ses pensées et, ainsi, de perdre tout sens de réalité parce qu’elle réfléchissait trop. Elle analysait trop. Il ne fallait pas s’étonner de la voir foncer dans un lampadaire parce qu’elle ne l’avait pas vu. La jeune fille poursuivait alors son chemin en riant nerveusement, sous les regards curieux des passants.

 

Elle tourna à gauche et se retrouva devant un vieux panneau délabré, sur lequel était lamentablement inscrit « Arrêt de Bus : Coup de Foudre. » Ne manquant pas l’inscription, elle soupira et continua son chemin jusqu’au bandes jaunes où le bus était susceptible de s’arrêter. 

Enfin arrivée à destination, elle expira longuement.

Costa Verde était un petit village perdu. Peu de gens y habitaient, préférant la ville et ses grattes ciels immenses plutôt que la chaleur tranquille du petit village pittoresque. Les gens se montraient aimables entre eux et se saluaient toujours avec un entrain admirable. Souriants, serviables, ils avaient tout pour plaire. Ils ne faisaient pas de différences entre les jeunes et les vieux, les punks et les playboys, les filles simplettes et les mannequins,  les traitants toujours avec gentillesse et cordialité. 

Honnêtement, ça la faisait rêver. Cela faisait toujours du bien quand quelqu’un prenait la peine de vous connaître sans vous juger hâtivement. Quelqu’un de pas trop curieux, quelqu’un qui voudrait juste s’assurer si tout allait pour le mieux.

Quelqu’un qui vous soulagerait de toute peine, de toute douleur.

Et cette personne, elle l’avait connue.

Inconsciemment, elle décrivait la boulangère qui avait vécu à l’angle de sa rue. Cette petite femme d’une quarantaine d’années s’était toujours souciée de la jeune fille et malgré ses longues journées, son sourire de l’avait jamais quittée jamais. Cela lui creusait quelques rides sur sa peau tannée mais ses yeux noirs brillaient de bienveillance à l’égard de tous ses clients.

La lycéenne de dix-sept ans l’avait toujours admirée. Maria avait tant de force pour une femme. Tellement d’assurance dans sa voix et sa posture. Vers six ans, lorsque la jeune fille s’enfuyait de la maison, elle se réfugiait souvent dans sa boutique, nommée : Le Pouvoir du Pain.

                Elle lui avait suggéré ce nom à l’âge de neuf ans parce qu’elle était persuadée que Maria incorporait de la magie dans ses créations et que lorsque ses clients les savouraient,  ils oubliaient tous leurs problèmes et leurs soucis.

Combien de fois était-elle rentrée dans cette boutique affamée et épuisée ? Elle ne m’en souvenait plus.

Elle revoyait encore l’alignement précis des pains derrière le comptoir en bois de chêne strié de marques que le couteau à pain avait tracé amoureusement. L’air était chaud et une trace de menthe s’échappait de l’arrière-boutique où Maria confectionnait ses merveilles. La petite fille, à l’époque âgée de neuf ans,  se faufilait à l’intérieur où elle était accueillie par la quadragénaire  qui affichait un faux air courroucé tout en répétant à sa petite protégée qu’elle n’avait pas le droit d’entrer là. Mais Maria finissait par la prendre dans ses bras forts tout en lui préparant les meilleurs gouters de sa vie. La boulangère sentait la mandarine et ses cheveux frisés  piquaient les joues de la petite fille pourtant cela ne l’empêchait pas de resserrer son étreinte autour d’elle, soupirant d’aise.

Pendant toute son enfance, Maria avait été là. Toujours à lui réserver une place sur ses genoux quand elle rentrait de l’école et qu’elle faisait ce détour interdit par la boulangerie.

La petite fille de neuf ans lui racontait tout. Du moins tout ce qu’elle était autorisée à raconter. Et Maria lui témoignait autant d’intérêt que si elle avait été sa propre fille. Elle l’avait aimée car la boulangère l’avait toujours traitée dignement et avec un amour sans limite.

Cette boulangerie avait toujours représenté un foyer pour elle.

 

Mais c’était fini. Ce temps-là était révolu.

La jeune fille se sentait mal rien que d’y penser. Maria avait été son seul lien, son seul espoir qu’il existe des personnes  possédant un cœur généreux.

Elle soupira. Sentant les larmes lui monter aux yeux, l’adolescente leva son visage vers le ciel tout en essayant de se contrôler. Maria lui manquait. Affreusement.

 

Un jour,  elle avait trouvé sa boutique vide et barrée d’un rideau de fer. Elle avait tiré, secoué, hurlé mais il n’y avait personne. Elle était âgée de quinze ans à l’époque. Quinze ans avec  l’impression d’être une orpheline abandonnée sur le bord d’une route. Maria était partie. Elle l’avait laissée seule et ne s’était pas embarrassée d’un simple « au revoir » ni même d’un mot.

L’adolescente était rentrée à la maison complètement dévastée. Elle avait entrevu le sourire narquois de Page avant de dévaler les escaliers, les larmes bloquant sa vision, et de se précipiter sur son lit de fortune dans la cave poussiéreuse. 

Même aujourd’hui, alors qu’elle avait dix-sept ans, son cœur se serrait encore à son souvenir. 

 

Il fallait qu’elle se sorte de là, qu’elle parte d’ici. Ça serait la meilleure décision qu’elle n’ait jamais prise. Elle se sentait étouffer ici. Même si c’était une nouvelle année qui commençait et donc une occasion de repartir d’un bon pied.

Papillonnant des yeux afin de chasser l’humidité de ses yeux, l’adolescente porta son attention sur son lecteur mp3 cabossé et terne et changea de chanson. Elle n’avait plus que quelques minutes à tuer et son bus serait là.

 

 

Le van noir se gara à quelques mètres d’elle. Elle n’eut pas besoin de lever les yeux pour reconnaître qui se trouvait dans cette voiture.

Parce qu’elle savait.

La belle blonde ouvrit la porte, laissant entrevoir sa silhouette digne des magazines mondains.  Elle sortit ses pieds chaussés de magnifiques escarpins noirs, hauts d’une dizaine de centimètres, secoua sensuellement sa  longue chevelure couleur miel et claqua la portière du 4x4 qui repartit aussitôt. Replaçant une mèche derrière son oreille, elle observa les environs de son regard gris acier qui s’arrêta froidement sur la grande brune, la jaugeant hautainement.  D’une voix moqueuse, elle lui  demanda :

« Alors Ashley, t’es pas trop fatiguée ? C’était pas trop dur ?, lança-t-elle, acide, une lueur de méchanceté brillant dans ses yeux.»

Ashley serra les poings pour s’empêcher d’aller lui coller la gifle de sa vie ou de lui répondre quelque chose dans ce genre-là : « Et toi, ton cerveau ? Pas trop fondu sous la chaleur de ton lisseur ? »

Non. Elle me contenta de baisser la tête en signe évident de soumission et monta le son afin d’oublier sa frustration.

Lauren gémit un petit son hautain et c’est avec une moue boudeuse qu’elle partit rejoindre ses amis à quelques mètres de l’endroit où elle avait gentiment été déposée par sa mère, Page.

 

Ashley plissa les yeux. Elle n’avait jamais été du genre à se laisser marcher dessus. Mais depuis quelques temps, elle avait été obligée de baisser la tête et de dire amen à tout ce qu’on lui disait. La jeune fille ne se supportait plus. Elle ne se reconnaissait pas dans ce qu’elle était devenue.

 

Alors qu’elle s’éloignait, Ashley ne put s’empêcher de suivre Lauren du coin de l’œil.

La grande blonde attirait toujours tous les regards. Les garçons et les filles se montraient tous admiratifs de la beauté de Lauren et, parfois même, ils ne se braquaient pas devant les répliques agressives et mal placées de la blonde. Ca faisait partie de sa personnalité : charmante à l’extérieure et glaciale à l’intérieure.

Montées sur des échasses, les longues jambes de la jeune blonde se cachaient sous un leggin noir qui moulait ses fesses osseuses, recouvertes par un haut blanc brillant qui dénudait ses maigres épaules.

Puis, comme si elle avait enfin pris conscience du froid, Lauren s’arrêta dans son défilé. Elle prit son temps pour mettre lascivement sa veste en cuir noir et la referma jusqu’en haut de sa poitrine, moulant les petits renflements  qui lui servaient de seins. Mais aussitôt, sa chevelure dorée vint les cacher et les garçons qui bavaient sur son passage, ne virent que du feu quand elle reprit sa parade, son sac Gucci se balançant sur son avant-bras.

 

Ashley ne savait pas vraiment quoi penser de sa sœur adoptive. Hautaine, arrogante et méchante,  Lauren se montrait  incapable d’avoir une relation cordiale avec  qui que ce soit à part ses quelques amis. Mais même avec eux, il semblait qu’elle  ne pouvait s’empêcher de se montrer insensible.

Une véritable statue de glace.  Impressionnante de froideur.

Lauren n’avait jamais été compréhensive  ou encore gentille avec Ashley. D’aussi loin qu’elle puisse s’en souvenir,  les deux adolescentes ne s’étaient jamais montrées amicales l’une envers l’autre. Pas au point de s’engueuler à chaque fois qu’elles se croisaient, non ! Ashley évitait simplement le dialogue et s’éloignait si sa sœur commençait à chercher les ennuis. De toute façon, Lauren bénéficiait de l’entière protection de sa mère : Page.

 

Flashback

Il y a quelques jours.

 

« Cette année, je ne veux aucun problème, jeune fille, commença Page, d’un ton rude. »

Ashley se tenait devant sa mère adoptive, les bras croisés, la défiant des yeux pendant quelques secondes avant de baisser la tête à nouveau.  Ce qui n’empêcha pas cette dernière de continuer :

« -Est- ce- que tu m’as bien entendue ?, demanda-t-elle, haussant le ton devant le visage froid de la jeune fille. Ne te fait pas remarquer et tout ira bien. A moins que tu veuilles revoir de près les seringues et aiguilles de l’hôpital, c’est toi qui vois ! , s’exclama-t-elle, avec une grimace sadique qui déforma ses traits. »

 

Page était une de ces grandes femmes qui avaient la désagréable habitude de penser qu’elles pouvaient diriger le monde d’un seul claquement de doigts. Adoptant une posture rigide, la mère adoptive d’Ashley se positionna un peu plus près de son vis-à-vis.

Page possédait un corps pulpeux, tout en courbes, moulé  dans une robe verte très décolletée et descendant jusqu’à mi-cuisse.

Un peu provoquant pour quelqu’un de son âge.  

Sa chevelure blonde était attachée en un chignon compliqué et ses traits durs, calculateurs,  étaient accentués par un bon trait de khôl. Perchée sur ses talons hauts, elle jaugeait sa fille adoptive de ses yeux vairons, noir et bleu. Page  se mordit la lèvre inférieure où était étalé un rouge à lèvres rouge vif, et s’en mit sur les dents par la même occasion. Elle n’avait pas de rides du sourire, juste de grosses lignes qui lui descendait du front jusqu’aux sourcils ou encore au niveau de son menton tout de même fin.  

 

Les deux femmes se faisaient face maintenant.

                L’une avait maintenant la tête baissée, en signe de soumission mais ne rêvait que de la relever hautainement. Ashley hurlait de rage à l’intérieur d’elle-même, refermant ses mains en poings tellement fort qu’elle s’en ouvrait les paumes avec ses propres ongles. Elle rêvait de ne plus avoir peur.

En face de cette dernière,  l’autre semblait savourer ce moment de supériorité surtout quand elle savait pertinemment que la jeune fille ne rêvait que de lui arracher ce sourire suffisant qui lui était monté au visage.

Sadiquement, Page aurait pu rester des heures debout à contempler Ashley essayer de se maîtriser.  Elle se sentait tellement puissante qu’elle s’amusait même à provoquer ce genre de situation. Elle aimait voir la jeune fille en colère. C’était tellement drôle ! Parce Page savait très bien qu’Ashley ne tenait jamais bien longtemps avant de lui offrir  une raison d’exercer son autorité. Elle ne sourit rien qu’à y penser.  

 

 « Comme Lauren, ajouta Page, d’une voix mielleuse pendant qu’Ashley se retenait de toutes ses forces pour ne pas éclater.  Elle au moins c’est une fille sage, attentionnée, qui ne se fait jamais remarquer, énuméra-t-elle, vantant les qualités de sa fille. Pas comme toi, pauvre idiote !»

Voyant que sa nièce ne répondait pas, elle s’interrompit quelques secondes et asséna sa dernière carte :

« Prends son exemple, petite sotte !, tonna-t-elle, faisant sursauter Ashley. »

 

Cette dernière se maudissait en silence. Elle connaissait les stratégies traîtresses de sa tante. Mais c’était plus fort qu’elle. Elle ne pouvait pas se laisser insulter sans réagir.

Ashley avait toujours eu ce caractère fort qui la distinguait de toutes les autres filles. Toujours prompte à réagir sur un coup de tête, c’était dans ces moments-là qu’elle oubliait de réfléchir.

Elle secoua la tête et sentit le sang monter à ses joues et, alors qu’elle aurait pu retourner s’enfermer dans sa chambre parce que Page avait abandonné la partie, elle hurla, excédée et furieuse :

 « - Oui, c’est ça !, s’exclama-t-elle en faisant de grands gestes de bras. »

Elle fit une petite pause pendant laquelle elle fit semblant de réfléchir. Puis, elle agit comme si elle avait compris :

« Ah ! Excuse-moi, je n’avais pas compris !, cracha-t-elle, la haine brillant dans ses yeux.  Elle s’habille comme une pute, ta fille ! Et elle est présidente du conseil des Elèves !, éclata-la jeune fille, qui se retenait de secouer sa tante pour lui faire ouvrir les yeux sur la personnalité de Lauren qui n’était pas si parfaite qu’elle le croyait.

Ne laissant pas le temps à Page de digérer les informations, Ashley enchaîna, libérant toute sa rage dans cet échange :

« Je ne crois pas que dans discret il y a célébrité et popularité !, fit-elle avec le même ton qu’avait employé sa tante quelques minutes plus tôt. Revois ton vocabulaire, ma pauvre ! »

Le visage de sa tante changea de couleur. C’était mauvais signe. Mais Ashley ne put s’empêcher de continuer : elle avait trop de choses à dire, trop de choses sur le cœur.

 

« Tu sais, j’ai toujours cru qu’un jour tu apprendrais à être une bonne mère, mais faut croire que t’es un cas désespéré, non ?, cracha la brune  d’un ton faussement compatissant. Mais je comprends, c’est ta fille c’est normal qu’elle soit favorisée ! Vive l’égalité et l’Amour, hurla Ashley, exultant de contentement lorsqu’elle vit Page devenir pâle.   »

Malheureusement, ce n’était visiblement pas la bonne chose à dire.

Et la gifle partit.

Elle rencontra la joue gauche de la jeune fille dans un claquement sonore. Choquée mais pas vraiment étonnée, Ashley plaqua sa main sur sa joue meurtrie, encore brûlante. Elle fit un gros effort pour  retenir les larmes qui lui montèrent aux yeux lorsqu’elle sentit le gout du sang se déverser dans sa bouche. Elle avait la lèvre fendue. Sa joue chauffait et la douleur était toujours là quand la main de Page s’abattit de nouveau sur le corps d’Ashley. Cette fois-ci, ce fut l’arrière de la tête et Ashley se sentit tanguer vers la droite lorsqu’elle reçut douloureusement le coup.

                Il était plus fort que les autres fois.

 Des tâches noires obscurcirent sa vision et la tête lui tourna. Elle vacilla mais resta debout. Elle lança un regard assassin vers sa tante qui, rouge de colère, s’égosilla: 

 « -Comment oses-tu dire des choses comme ça ? Je te rappelle que je t’offre un toit, un lit et de la nourriture ! Et c’est comme ça que tu me remercies ?, cria la femme, assénant un  nouveau coup sur sa protégée à chaque mot.  Je t’ai accueillie à la mort de tes clochards de parents alors que j’aurais pu te laisser crever dans le caniveau !, cracha-t-elle, ne se souciant pas des cris stridents d’Ashley qui sentait la douleur refluer dans son dos.  Je me saigne pour toi ! Alors tu vas me témoigner le respect que je mérite ! , fit-elle, détachant les mots en même temps qu’elle passait à tabac la jeune fille qui s’était recroquevillée dans un coin, essayant de se protéger des coups de pieds qui se perdaient. Prostrée alors que la douleur s’intensifiait et que son souffle se raréfiait, la jeune fille avait cédé aux larmes. Elle pleurait de douleur, de frustration.

Un coup de talon s’abattit sur son ventre.  Si elle avait eu quelque chose dedans, elle l’aurait sûrement vomi. Mais ce n’était pas le cas. Parce que cela faisait une semaine qu’elle n’avait pas vu la moindre miette de pain. Parce que c’était la troisième fois, cette semaine, qu’elle tentait de se rebeller. Parce que cela faisait cinq ans que Page la punissait de cette façon. Parce que ça faisait cinq ans qu’elle dissimulait ces énormes marques qui marbraient sa peau, devenue violacée, sous une épaisse couche de fond de teint. Parce que ça faisait cinq ans qu’elle n’était plus elle-même. Parce que ça faisait cinq ans qu’elle se disait ; qu’un jour quelqu’un se rendrait compte que quelque chose n’allait pas.  Mais personne n’avait vu. Personne ne remarquait.  Peut-être ne faisaient-t-ils pas l’effort de voir ou d’essayer de comprendre ? Ou peut-être était-ce simplement normal ? Peut-être ne devait-elle pas se plaindre ? 

Personne ne remarquerait jamais.  

 

Les doigts de Page s’enfoncèrent sur l’avant-bras de la jeune fille, la soulevant sans difficultés. Ashley grimaça et lâcha un sanglot bruyant quand les ongles de sa tante percèrent sa peau. Elle se releva difficilement, tenant à peine sur ses jambes. La poigne de sa tante se fit plus forte alors qu’elle lui fit rapidement descendre  l’escalier sur lequel elle trébucha de nombreuses fois, s’écorchant les genoux.  Son souffle se raréfiait. Elle ne sentait plus que la douleur qui irradiait son corps. Et lorsque Page la balança violement dans sa chambre poussiéreuse, elle crut qu’elle allait mourir. 

Fin du Flashback

 

Ashley remonta discrètement les manches de sa veste. Les cicatrices se détachaient de sa peau en de longues trainées rouges et violettes. Elle passa la main dessus, essayant de calmer les rougeurs qui se propageaient sur son bras à cause des frottements de sa veste sur ses plaies à peine cicatrisées. 

                Elle avait payé son insolence.

 

Elle se trouvait à quelques mètres du troupeau formé par les lycéens qui se serraient dans leurs bras alors qu’ils s’étaient vus la veille, qui se racontaient leurs vacances au Pérou ou en Australie. Certains se détendaient en fumant leur première cigarette,  recrachant la fumée banche qui se mêlait à la brume matinale. D’autres resserraient leurs manteaux en regardant avec admiration les pimbêches qui gloussaient,  elles-mêmes se moquant des tenues ridicules que portaient les filles débraillées et échevelées, arrivant en courant, de peur de  rater le bus.

Il était 7h 02. Ashley regarda sa montre qui avançait de quatre minutes et soupira. Elle n’avait vraiment pas envie de  recommencer une autre année scolaire où elle passerait la moitié de ses journées à pester contre ses professeurs incompréhensifs et à errer seule dans les couloirs poussiéreux d’un lycée sombre.   Elle avait passé sa seconde dans un autre lycée et avait demandé d’intégrer un autre pour des raisons personnelles qu’elle n’avait jamais révélées. Page, étant forcément au courant,  ne  pouvait s’empêcher de remettre le sujet sur la table ou à faire quelques allusions en présence de Lauren.

Quoiqu’il en soit, ce n’était pas la joie.  

Elle était obligée de passer une autre année à copier les moindres faits et gestes de ses camarades pour paraître normale bien qu’elle savait pertinemment qu’elle finirait toute seule. Elle était trop … différente. Et que Lauren soit dans le même lycée qu’elle rendait la survie beaucoup plus difficile. Elle aurait bien aimé ne pas se laisser faire, se battre et rester forte mais elle avait abandonné le combat. La douleur que lui infligeait Page prenait le dessus sur toute autre émotion.

 

Ashley ne savait pas ce qu’il clochait chez elle. Bien sûr, elle n’était pas une fille qui se laissait dominer par ses hormones,  elle n’était pas non plus une fille qui s’habillait avec chez les grands couturiers. Elle était juste la fille qui se laissait bousculer par tout le monde dans les couloirs, la fille qui faisait tapisserie dans la salle de classe. Elle ne parlait pas beaucoup. Elle se faisait discrète.

 

Cependant, Ashley avait toujours eu un fort caractère. Toujours franche, toujours le sourire, toujours le mot gentil. Ses professeurs l’adoraient et ses amis cherchaient à lui ressembler. Jusqu’au jour où Page s’était mise à la frapper.  A ce moment- là, la jeune fille avait commencé à se renfermer sur elle-même, constatant que ses problèmes effrayaient ses plus proches amis et qu’ils s’éloignaient d’elle, apeurés. Se sentant trahie, elle n’avait plus jamais accordé sa confiance à qui que ce soit.

Sa garde-robe, autrefois remplie de jolies robes pimpantes, s’était vite réduite à de longs pulls, noirs de préférence (ça cachait mieux les cicatrices), troués par leur surutilisation, des jeans usés et des baskets dont les semelles commençaient à se détacher. Deplus, Page ne dépensait pas d’argent pour sa nièce et lui refilait les vieilles affaires démodées  de sa fille. Pourquoi s’embêter ? La brune n’en valait surement pas la peine.

Ashley s’était tellement habituée à sa vie qu’elle l’avait acceptée. Elle avait arrêté de se battre pour une cause qui échouerait à coup sûr.

 

 

*     *

    *

 

 

Pendant ce temps,

A quelques mètres

 

«- Mec, t’es sérieux ?  Tu lui as dit ça ?, demanda le grand métis aux yeux verts, fouillant dans sa veste pour en sortir le paquet de cigarettes qu’il avait volé quelques minutes auparavant. »

L’adolescent était devenu tellement habile au fil des années que ses victimes ne remarquaient jamais qu’il leur manquait un paquet de clope ou leur porte-monnaie. Depuis quelques temps, le lycéen faisait partie du cercle très fermé des meilleurs pickpockets du pays. .

« - Ouais, et je me suis cassé, rétorqua fièrement Dylan, son meilleur et son seul ami. Passes-moi en une, s’il te plaît.

- Tu ne prenais pas quelque chose de plus fort avant ?, blagua Logan, qui se prit un coup de coude dans les côtes, valsant sur le côté en rigolant.

- Arrête ! J’ai failli me faire griller par les flics ‘y a pas longtemps, lança l’autre, passant une main dans ses cheveux roux,  obtenant finalement l’objet de ses désirs. Dis, il est où ton frère ?, questionna-t-il, regardant derrière lui.

-Oh, il a dû perdre son chemin, ou sa mère l’a amené  l’arrêt, ce gosse de riche !, cracha le plus grand qui tira une grande bouffée, sentant ses membres se détendre. »

Le roux secoua la tête en regardant tristement l’expression d’indifférence qu’affichait le métis :

« -T’es pas cool avec lui, lâcha Dylan en prenant le briquet que lui tendait son ami.

-Comment tu pourrais le savoir ? T’as pas de famille !, s’exclama durement Logan, reprenant rapidement son briquet des mains du jeune homme. »

 

Le roux baissa la tête et continua à marcher, digérant doucement ce que le métis avait dit.

C’était la vérité ; il était orphelin. Mais l’entendre dire ne devrait pas faire aussi mal ? Si ?

« -Ecoute, je suis désolé, je...

-Ça va, sourit-il, regardant son ami dans les yeux. Sérieusement  Logan, c’est bon. »

Le métis se mordit la lèvre, se maudissant intérieurement de tant d’imbécilité. Ils continuèrent à marcher en silence.

Un silence gêné.

 

Les deux garçons se connaissaient depuis quelques années.

Le plus grand, Logan, avait dix-huit ans et entamait sa dernière année en tant que lycéen. Grand, fin, un port de tête altier, il fallait le dire, ce jeune homme possédait un de ces charmes hypnotiques qui faisait craquer les filles.

Malheureusement,  comme une flaque de boue éclaboussant le tableau idéal représentant Logan Smith, sa personnalité de petit « merdeux » et son côté briseur de lois ou de cœurs ne jouaient pas en sa faveur. On ne le fera jamais rentrer dans une case, ce jeune homme.

Il se fichait de tout. Il était arrivé à un stade où seule la mort l’arrêterait. Il était passé par tous les postes de police, par toutes les écoles de redressement, par tous les discours de Charlotte. Mais rien n’y faisait. Il appréciait sa vie à juste mesure, faisant souffrir comme lui souffrait. Fallait bien que les gens payent, non ?

 

A côté de lui, Dylan était son parfait opposé. Petit et corpulent, sa chevelure rousse coupée de près se distinguait dans les brumes matinales. Il possédait des yeux rieurs et ses fossettes se creusaient souvent en présence de son meilleur ami ou de Reagan, une orpheline, comme lui.  Le garçon était la gentillesse incarnée et Logan se demandait souvent pourquoi Dylan restait avec lui alors qu’il aurait pu trouver mieux comme ami.

Dylan était le genre de personne qui n’abandonnerait jamais une âme en détresse. Une âme noire comme celle de Logan. Loyal et amical, ce garçon avait tout pour plaire. Mais complexé par son corps, il préférait se ranger derrière la grosse tête de Logan pour cacher son malaise. Il se trouvait trop gros, trop boudiné. Il n’avait rien de la carrure du métis, ni son charme, ni son charisme mais il avait cette étincelle de vie qui le rendait différent et qui faisait défaut au métis.      

 

 

                Logan tira une bouffée et chercha les mots pour casser le silence. Finalement, c’est le roux qui interrompit sa réflexion :

« - Tu crois qu’on sera dans la même classe cette année ?, demanda-t-il, avant de jeter sa cigarette entièrement consumée.

- Je sècherais la moitié de mes cours alors on s’en fiche, non ?, rit le plus grand, passant sa main dans ses cheveux châtains. »

Dylan leva les yeux au ciel en soupirant :

« T’es encore bon pour une année de plus, Smith, s’exaspéra le roux. »

Puis, s’arrêtant :

 «  Je vais attendre ton frère, informa-t-il en lui faisant signe de continuer à marcher jusqu’à l’arrêt de bus. »

Logan haussa les épaules en se retenant de cracher que Nathan n’était pas son frère et continua à marcher vers les l’arrêt de bus « Coup de foudre », refermant sa veste noire tout en mettant sa capuche.

 

                Nathan n’était pas son frère.  Pas qu’il le détestait, non !  Logan le trouvait juste un peu … dans les nuages. Toujours à dessiner ou à se perdre dans ses pensées. Il n’aurait pas été étonné si on lui avait annoncé que Nathan s’était perdu dans le village. Si ça avait été le cas, il ne serait pas allé le chercher. Même si Charlotte l’avait supplié. Qu’en avait-il à faire d’un gars qui ne pouvait pas se concentrer et s’impliquer deux minutes dans une conversation ?  Il ne parlait jamais sauf pour lui faire des reproches ! Comment pourrait-il se rapprocher de lui s’il le regardait toujours d’un air critique sans jamais articuler un mot ?  Et en plus d’être tête en l’air,  il était moralisateur. « Ce n’est pas bien de faire ça Logan, disait-il comme s’il parlait à un enfant en bas âge,  en levant son index droit devant le nez du métis alors que ce dernier ne rêvait qu’à lui faire bouffer les pages de son bouquin de philosophie une par une. »  Et quand il semblait être dans une bonne période, Nathan n’articulait pas un mot. Il se contentait d’observer son environnement  ou de jouer sur son portable.  Ce qui était très agaçant à la longue.

Ça faisait quatorze ans que les deux garçons et Charlotte vivaient ensemble. Bon, « ensemble » était un bien grand mot : Logan n’avait jamais voulu avoir de relations avec Nathan ou la mère de celui-ci. La maison de Nathan et Charlotte était, pour le métis,  un hôtel où Logan se trouvait obligé de séjourner. Et quand ça tournait au vinaigre, à cause des crises de Charlotte, Logan se réfugiait à l’Orphelinat, chez Dylan. C’était son foyer, plus que la maison où la mère de Nathan risquait de s’énerver contre lui à cause des nombreuses lettres de plaintes qu’elle recevait parce qu’il ne leur causait que des ennuis. Mais ça ne le touchait pas. Il ne se voyait pas s’arrêter.  

Pas avant un moment.

Viendrait un jour où il aurait assez d’argent pour quitter cette maison et il y était presque, d’ailleurs.  Le jeune homme, malgré ses différents avec la justice, avait réussi à se faire embaucher et  enchaînait les petits boulots.  Il avait déjà réussi à rassembler une belle somme depuis quelques années mais préférait ne pas tout dépenser d’un coup pour s’assurer une sorte de sécurité. Plus que quelques mois et il n’aurait plus qu’à faire ses valises et s’en aller sans dire « au revoir ».

Pour partir définitivement de ce patelin et de commencer une nouvelle vie.

Ailleurs.

 

*     *

*

 

 

Ashley se fit brutalement bousculer par un grand jeune homme, vêtu d’une veste noire,  capuche sur la tête et cigarette en main. Ne s’y  attendant pas, le choc se répercuta dans tout son corps. Le souffle lui manqua et elle se sentit partir en arrière. Sa faible constitution et son manque de nourriture journalière eurent raison d’elle et la belle brune s’effondra par terre, sa vue devenue floue. 

L’inconnu ne s’excusa pas.  Du moins elle n’entendit rien.  Sans la regarder, il passa son chemin.

Elle aurait eu envie de se lever, de le retourner vers elle et de lui flanquer un de ces coups dont il porterait la marque violacée jusqu’à la fin de l’année. Mais, elle ne le fit pas. Elle resta assise par terre, se demandant si se relever en valait bien la peine.  Les autres lycéens se tournaient vers elle en  rigolant, la montrant du doigt, d’autres lui faisaient signe de se relever. Mais elle ne soutint aucun regard. Elle cherchait des yeux celui qui l’avait bousculée. Et là où tout le monde se tournait vers elle,  il ne lui adressait pas un regard, lui tournant le dos, fumant sa cigarette tranquillement. 

 

Une  main se tendit devant le visage de la jeune fille, qui, surprise, leva la tête vers le jeune homme qui avait eu un élan de bonté.  Les cheveux noirs, le teint pâle et le regard couleur bleu arctique, l’adolescent devait avoir dans les dix-sept ans tout comme elle. Ces traits émaciés et ses fossettes qui apparaissaient alors que son visage fin se fendait d’un sourire. Ashley avait l’intime impression qu’elle le connaissait. Mais d’où ? Pas d’indices du côté de sa tenue.  Il était habillé simplement : un jean avec un tee-shirt blanc recouvert par une veste aussi en jean, laissée entrouverte. Elle l’avait déjà vu quelque part, elle en était sûre.

Elle hésita à lui rendre son sourire et à prendre sa main.

« -Heu, hésita le roux à côté de l’inconnu aux cheveux de jais. Je vais voir ton frère, Nathan, à plus !, salua-t-il en s’éloignant, jetant un dernier regard à Ashley, se demandant pourquoi elle était assise par terre mais haussa très vite les épaules ; ça ne le concernait surement pas. »

 

Ashley s’était finalement relevée dignement sans accepter l’aide du dit Nathan et regardait le jeune  homme d’un air  suspicieux. Elle n’avait pas confiance.

Alors que d’autres filles auraient pu défaillir devant Nathan Smith et tomber dans ses bras musclés, comme dans les romans à l’eau de rose, Ashley se demandait juste quand est-ce qu’il allait s’éloigner d’elle et arrêter de la fixer d’un air « je te connais mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur ton nom ».

Parce qu’elle savait.

Mais pour rien au monde, elle aurait rappelé son nom au meilleur ami de sa sœur adoptive.

Elle baissa la tête vers son lecteur mp3 et pensa, espérant qu’il l’entende, sans qu’elle ait besoin de lui dire :

« Dégage de ma vue, playboy ! » Mais lorsqu’elle releva la tête de son IPod, il était parti. Comme un souffle d’air qui n’avait jamais existé.

 

« Dégage de ma vue, playboy !  »

La pensée fusa dans sa tête, faisant disparaître toutes autres. Elle se créa une place bien douillette dans le cerveau du jeune homme qui ne comprit pas tout de suite que cette pensée n’était clairement pas la sienne. Et ce n’était vraiment pas la sienne. Interdit et plutôt choqué, Logan regarda discrètement autour de lui. Personne. Tout était tellement normal. Et ça, c’était frustrant.

Le jeune homme de dix-huit ans tira une bouffée sur sa cigarette et alluma son IPod. En dessous de sa capuche, il put distinguer  la fille qu’il avait bousculée quelques secondes plus tôt. Elle avait aussi l’air totalement normal. Bon, à part son jean déchiré et sa veste trouée, elle n’avait rien de particulier. Tout comme la blonde montée sur des talons et habillée chez les plus grands couturiers. Peut-être était-ce elle ? Ou le gars à quelques mètres de lui avec sa mèche qui lui mangeait la moitié du visage ? Non, c’était la voix d’une fille. Et si… Ou la rousse qui se rongeait les ongles en le regardant furtivement ?

Le problème, c’était que ça pouvait être n’importe qui.

Il fallait qu’il la trouve.  Il fallait qu’il trouve celle qui possédait la même capacité que lui.

 

Sans prévenir, une main se posa avec force sur son épaule. Surpris, le jeune homme aux yeux verts sursauta :

« -Logan ça va ? T’as l’air ailleurs, lança la une voix rauque. »

L’interpellé  se tourna vers la gauche et reconnut avec soulagement le visage de son meilleur ami :  

« -T’inquiète, ça va. J’étais juste … ailleurs, répondit-il à Dylan qui avait fini par revenir sans qu’il le remarque.

-Et qui te mets dans des états des états pareils, dis-moi ?, chuchota le roux, affichant un  large sourire et les yeux pétillant de malice. Allez… c’est laquelle ? A moins que…

-STOP, coupa brusquement le métis qui sentait que son ami partait en vrille. Calmes toi, je réfléchissais. »

 

Il y un silence avant qu’une pensée résonne dans la tête de Logan, le faisant soupirer :

« Et il critique Nathan !, fit la voix de son meilleur ami. »

Logan se tourna entièrement vers Dylan :

« Je t’entends, tu sais, fit-il calmement en essayant de ne pas soupirer. »

Ce dernier grimaça, conscient de son erreur (pour information, il oubliait toujours cette facette de Logan) :

« Oups ! »

Il hésita de nouveau avant d’ajouter :

« -Mais tu les entends toujours malgré la drogue ? Pourtant …, hésita-t-il,  je croyais que ça inhibait tes capacités pendant que ça stimulait les miennes !,  bredouilla Dylan, qui jeta un regard suspicieux à la cigarette  presque entièrement consumée qui tremblait entre les doigts tressaillants du métis.  

-Je n’entends que les tiennes, avoua Logan, regardant dans le vide, les yeux fixés sur la tâche de peinture verte sur l’asphalte.

-P..

-Parce que je te connais bien. Tout comme ta façon de penser, devança froidement le métis, risquant  son regard sur les adolescents rassemblés. »

Il tira sur les bords de sa capuche, la rabattant sur son visage et monta le volume de la musique. Le roux prit ce geste comme une invitation à le laisser tranquille.         

 

 « Il ne ressemble décidément pas vraiment à son frère, murmura-t-il , faisant en sorte que le concerné ne l’entende pas, tout en regardant le seul adolescent masculin parmi le groupe de filles à dix mètres de là.

Il sourit, tout en sentant triste pour lui car il n’avait pas l’air d’en mener large :

« Pauvre Nathan. »

 

*     *

*

 

 

A dix mètres de là, Nathan s’était déconnecté de la réalité. Le jeune homme avait  posé  ses écouteurs sur ses oreilles  et s’était fermé au monde. Le volume à fond, il n’écoutait plus que  le chanteur du groupe de rock.

Il observait  Lauren parler d’une voix forte à deux de ses obscures amies. Peut-être que c’étaient Camille et Melissa ? Ou alors Audrey et Jessica ?  Qui savait ? L’adolescent aux cheveux noirs ne pensait  pas qu’elles-mêmes connaissaient leur propre prénom. Elles étaient tellement idiotes.

Nathan promena son regard bleu arctique sur le visage des deux cruches qui faisaient face à sa meilleure amie. L’une était rousse avec des mèches roses, grasses de préférence, avec du noir partant de ses yeux jusqu’à son front et l’autre, châtaine, avait la bouche barbouillée d’un rouge criard et un teint aussi blanc que le carrelage de la salle de bain.

Lauren était différente. Pas très commode,  c’était sûr mais c’était  quelqu’un qui comptait beaucoup pour le jeune homme. Son amie  avait beaucoup souffert et beaucoup sacrifié. Nathan le savait. Il était aux côtés de la blonde depuis tellement longtemps qu’il savait très bien comment gérer le caractère froid et brutal de la jeune fille.

De plus, cette capacité serait un grand atout cette année car apparemment, la sœur adoptive de Lauren ferait sa première dans le même lycée que la blonde.

 

Flashback

Pendant des vacances scolaires.

                               

La maison de Lauren était aussi impressionnante à l’intérieur qu’à l’extérieur.  C’était une grande bâtisse entourée d’une belle pelouse qui comprenait une serre, un jardin et une piscine, protégée des regards curieux par hauts arbustes.

« -Waouh, s’exclama- t-il, impressionné. »

Cependant il  n’était pas vraiment surpris car la villa était digne du personnage.

Il avait gravi l’escalier de marbre et s’apprêtait  à frapper à la porte quand soudain : 

« -Je sonnerais si j’étais toi, déclara une voix cassante de dégoût. Surpris, l’adolescent aux cheveux de jais et au regard hypnotisant se retourna vers une jeune fille qui devait avoir le même âge que lui :

«  Madame la duchesse aux cheveux d’or a des oreilles sensibles et avec ta force de brute, tu les lui casserais en frappant, continua l’adolescente. 

-Et t’es qui pour connaître Lauren ou « la duchesse » comme tu la qualifies si bien ?, avait-il demandé, amusé par la remarque de  la nouvelle venue.

- Je suis sa sœur adoptive. Ashley, avait dit la jeune fille aux cheveux chocolat, souriante, lui  tendant la main. »

N’hésitant pas un seul instant, le jeune homme avait serré la main tendue. Au moment où leurs paumes se touchèrent, Nathan eut comme un flash. Il connaissait cette fille. Mais il n’avait aucune idée de comment il aurait pu connaitre quelqu’un qu’il n’avait jamais rencontré au paravent. Décidant qu’il réfléchirait au problème plus tard, le jeune homme  sourit à la jeune fille et il se présenta :

« -Nathan.  Enchanté de rencontrer la fameuse Ashley qui …

-Se fait insulter par cette chère Lauren à chaque fois que cette dernière peut en placer une ?, coupa la brune, lâchant la main de l’adolescent. C’est un plaisir, Nathan. »

Devant l’expression gênée du collégien, car elle avait deviné ce que faisait Lauren derrière son dos,  Ashley rit un peu :

« -Ne t’inquiète pas pour moi, Nathan, répliqua-t-elle, tout en m’ouvrant la porte d’entrée avec les clés qu’elle avait sorties il y a 2 minutes. Je lui rends bien sauf que moi… je lui dis en face, confia la jeune adolescente, en lui faisant un clin d’œil. »

 

Elle ouvrit la porte qui donnait sur un intérieur moderne et chic. Un long couloir pavé de marbre s’étendait devant le jeune homme, tandis que sur sa droite se déroulait un escalier  qui menait surement aux étages supérieurs.

Il lui sourit alors qu’elle l’invita à entrer :

« -Je te sers quelque chose à boire ?, lui  demanda-t-elle poliment,  en fermant la porte. Il y a du thé, du jus …, énuméra-t-elle passant devant moi pour se diriger vers la cuisine qui marquait la fin du couloir.

-Oh de l’eau s’il te plaît, la coupa-t-il en la suivant. »

Il n’avait pas vraiment  soif mais il avait besoin de savoir d’où venait cette sensation de déjà-vu. Il avait la dérangeante impression qu’il la connaissait depuis qu’il était né. Pourtant il n’avait aucune idée  de comment il aurait fait.

Il réengagea la conversation, histoire d’en savoir plus sur la jeune fille :

« -Alors tu es aussi au collège ? Pourquoi ne t’y ai-je jamais vue ?, l’interrogea-il, s’asseyant sur une chaise alors qu’elle lui tendait son gobelet. »

Ashley s’assit en soupirant et posa son verre  sur la table de métal, le bruit clair résonnant  dans le couloir. Elle le regarda avec des yeux noisette assombris par la colère … ou  la honte ? :

« -Je n’appartiens pas au même monde  que Mademoiselle, lui répondit-elle, appuyant bien sur le « mademoiselle » d’un ton hautain. Ma mère me l’a bien fait comprendre, crispant ses fines mains sur son verre d’eau. »

                Nathan remarqua qu’elle avait du mal à maintenir son sourire et qu’elle semblait se retenir de dire quelque chose. Il eut un pincement au cœur et pendant un instant, il crut voir  ce qu’elle voulait dire par « bien comprendre ». Mais, soudain très inquiet, il ne peut s’empêcher de demander :

« Monde ?, releva-t-il, croisant les bras et se penchant vers elle. Comment ça « bien comprendre » ?, fronçant les sourcils. »

 

Tout d’un coup l’adolescent aux yeux bleus glace sentit une présence derrière lui. Puis, il vit Ashley pâlir brusquement. Elle se leva très rapidement, et, ses pas claquant sur le marbre froid,  elle s’enfuit de la cuisine, laissant le jeune homme seul. Ce dernier se retourna lentement et vit une grande femme blonde aux traits durs qui lui  sourit. Il ne l’avait pas vue ni entendue entrer par la porte fenêtre juste derrière lui :

« -Je suis Page, la mère de Lauren, se présenta-t-elle en lui  tendant la main pendant qu’il se levait poliment de sa chaise pour la saluer correctement et, puis, étant donné qu’il  tardait à répondre, impressionné, elle ajouta : Et tu es… ?

-Oh !, se reprit-il, luttant contre l’envie de me taper la tête contre un mur. Je suis…

- … Très enchanté de te voir mais il doit y aller, interrompit une voix tranchante. »

Et sans lui laisser le temps d’en placer une,  Lauren (car c’était elle) le prit brusquement le bras, ses ongles s’enfonçant dans la peau du jeune homme, et le poussa hors de la cuisine si violement qu’il faillit s’étaler dans l’entrée. Elle le stabilisa et l’entraîna à sa suite, sans le laisser reprendre de l’air.

« -Mais pourquoi ne m’as-tu pas …

-Parce que tu es venu ME voir, non ? , devina-t-elle, rejetant ses cheveux en arrière, avant de me tirer vers l’escalier. »

Nathan finit par passer son après-midi chez les Moore.

Il n’entendit jamais le cri de douleur monter de la cave.

Il ne revit jamais Ashley.

 

Fin du Flashback

 

 

Revenant au présent, Nathan se rendit compte qu’il voulait vraiment revoir cette Ashley.  Pour continuer cette conversation qu’ils n’avaient jamais finie. Parce qu’après toutes ces années, après toutes les fois où il était venu chez les Moore, il ne l’avait jamais entrevue. Et ce n’était pas faute de demander. Mais malheureusement pour lui, Lauren était très avare en informations en ce qui concernait sa sœur. Sauf pour les insultes, il fallait l’avouer.

Le beau jeune homme se souvenait à peine du visage de la jeune fille mais il espérait tellement en apprendre

plus sur elle afin de comprendre pourquoi il sentait qu’une partie de lui, sans qu’il n’y ait accès, la connaissait.    

 

Cependant, il y avait peu de chance pour qu’elle le reconnaisse. Il avait changé depuis leur rencontre. Sa silhouette était maintenant finement musclée, grâce aux heures de musculation qui lui avait fait perdre ses kilos en trop. Du haut de son mètre quatre-vingts dix, il devait  baisser son visage encadré par des cheveux noirs dont la frange était relevée à l’aide d’un gel super efficace,  pour plonger son regard bleu glacé dans celui de son interlocuteur. Enfuies les taches de rousseur qui marquaient sa peau ! Cette dernière était  maintenant légèrement dorée. En un mot : il était devenu magnifique.

 

*      *

   *

 

 

Le bus eut à peine le temps de se garer que déjà une longue file se forma sur le trottoir.  Nathan ne fit pas l’effort de  se ranger derrière. Dépassant la file d’un pas leste, le jeune homme aux cheveux de jais  entra le premier dans le bus, sans remarquer le regard noisette qui le suivit brièvement. Il ne doutait pas un seul instant que celle qu’il voulait à tout prix revoir se trouvait qu’à quelques mètres de lui.

Puis, faisant reculer les lycéens d’un seul regard hautain, Lauren, la tête haute,  y grimpa à sa suite et les deux filles qui lui servaient de potiches,  lui emboîtèrent le pas l’une après l’autre, comme deux jumelles teigneuses se disputant l’attention de la grande blonde.

 

*     *

*

 

 

Après quelques minutes d’attente, Dylan atteignit finalement les portes du car et fut surpris de ne pas voir Logan le suivre : 

« Tu viens mec ?, demanda-t-il d’une voix forte pour couvrir le brouhaha, en faisant un signe de main à son meilleur ami.

-Ouais j’arrive, je finis ma clope, signala-t-Logan, montrant sa cigarette à moitié fumée. Vas-y déjà, réserves moi une place, reprit-il d’un signe vague de la main. »

Le métis aux beaux yeux verts espérait que la consommant plus de cigarettes l’empêcherait d’entendre d’autres pensées que celles de son meilleur ami. Il était convaincu que ce qui s’était passé quelques minutes plus tôt était dû au manque de drogue dans son organisme. Du moins il l’espérait.

« -Ok, pas de problème, répondit Dylan, en rentrant tranquillement dans le bus. »

 

 

*    *

*

 

 

Ashley avait éteint son IPod et regardait d’un air ennuyé la file d’attente se former à l’entrée du véhicule. Elle attendit que tout le monde y soit rentré avant de se présenter à la porte du bus.

Alors qu’elle allait entrer, elle sentit une présence derrière elle. Trop près. Si l’inconnu se penchait sur elle pour une quelconque raison, s’il la touchait…  Son dos se tendit d’appréhension. Angoissée, elle se dépêcha de s’engouffrer dans le bus.

Stressée, la jeune fille aux cheveux bouclés  avançait lentement entre les rangées, cherchant des yeux une place vide.  Elle sentait de nouveau cette désagréable présence derrière elle mais cette fois cette dernière était chargée d’une tension qui était loin de la rassurer. Trop proche. Elle frissonna, anxieuse. 

Alors qu’elle levait la tête pour étudier les quelques visages tournés vers elle, elle remarqua que tout le monde fixait le haut de sa tête avec insistance et, ayant compris que c’était la présence derrière elle qui s’attirait tous ces regards, elle se retourna brièvement.

Tout ce qu’elle vit fut un grand adolescent, fin et bien fait, qui mesurait plus d’une tête qu’elle. Mais elle ne put voir son visage car il était caché par une capuche.  Gênée et surtout impressionnée, elle se regarda de nouveau devant elle et repéra une des dernières places vides. Elle  s’y dirigea rapidement pendant que l’inconnu, après un temps,  la suivit de près. Il ne s’assit pas à côté d’elle. Et heureusement d’ailleurs. Ashley n’aurait surement pas eu assez de souffle à retenir pour arriver saine et sauve à Downe. 

Enfin assise, elle respira lentement  et prit soudain conscience, reliant toutes les données qu’elle avait en sa possession. Elle le connaissait. Elle savait trop bien qui il était.

Celui qui l’avait poussée, celui qui était derrière elle, c’était… Lui.  

 

*     *

*

 

Lorsqu’il entra dans le bus, Logan serra les poings qu’il enfouit rageusement dans ses poches.  L’adolescente devant lui traînait les pieds et marchait trop lentement à son goût. Le beau métis se retrouva derrière la lycéenne à  attendre patiemment alors qu’il possédait déjà une place toute attribuée à l’arrière du véhicule.

Exaspéré, Logan s’était décidé à la pousser.  Mais quand il vit la jeune fille se tourner légèrement vers lui, il se figea, retenant son souffle. Aussi rapidement que la scène ait pu se passer,  Logan put entrevoir les traits fins de la jolie brune.  Elle possédait un menton volontaire surmonté d’un petit nez puis une bouche pulpeuse et bien dessinée. Une légère rougeur lui parcourait les joues et sur ses yeux noisette battaient de longs cils qui mettaient ces pupilles hypnotisantes en valeur. Et lorsqu’elle se retourna pour filer rejoindre une place vide, le jeune homme eut un mouvement de doute avant d’avancer de nouveau. Le choc qu’il avait eu en voyant la jeune fille s’était répercuté sur son corps qui s’était figé. 

Elle.

Secouant la tête, il se composa un visage calme et partit s’assoir à côté de Dylan. Lequel n’osa rien dire devant le silence de son ami.

Et le bus partit.  

*     *

*

 

Ashley regardait par la fenêtre. Les paysages défilant, passaient de la grisaille des villes à la fraîcheur verte de la nature.  Mais cela ne l’intéressait pas.

Plongée dans ses pensées, elle se remémora celui qu’elle n’avait plus vu depuis un petit moment. Tous les souvenirs affreux et horribles qu’elle avait enfouis au plus profond d’elle-même  remontèrent à la surface et, prise d’une bouffée de haine et de douleur,  elle faillit se lever pour aller secouer l’adolescent aux yeux verts qui lui avait fait tant de mal.

Mais au lieu de cela, elle préféra se promettre de lui faire payer. Il ne s’en tirerait pas comme ça.

 

 

*    *

*

 

Assis au fond du bus, Logan n’arrivait pas y croire. Elle. Ici. Il serra son poing gauche si fort que quelques jointures craquèrent.

Avait-elle changé de lycée exprès pour lui? Pour le poursuivre ?  Comment osait-elle se pointer ici ?

Il aurait pu s’en arracher les cheveux. Elle n’allait pas survivre à cette année. Il allait faire de sa vie un enfer comme elle l’avait fait avec la sienne.

Il n’était pas question de pardonner. Jamais. Jamais il ne la pardonnerait pour ce qu’elle avait fait.

« Tout ça c’était de ta faute, pensa-t-il en fixant l’arrière de la tête d’Ashley, rêvant à tout ce qu’il pourrait lui infliger pour ce crime qu’elle ne pourra jamais expier. »

Toujours focalisé sur la jeune fille et sur sa colère,  l’adolescent à la peau basanée ne se rendit pas compte de la chaleur qui se répandit dans le haut de son dos. Il ne la remarquait jamais de toute façon.

A côté de Logan, Dylan ne remarqua pas  cette haine brûlante qui brillait au fond des yeux de son ami.

Une haine qui venait d’être rallumée par une simple étincelle. 

 

 

*    *

*

 

 

                Son IPod de nouveau allumé, Ashley  tapait ses doigts contre le siège poussiéreux qui se trouvait devant elle, au rythme de la musique, quand elle entendit une voix profonde d’homme résonner au-dessus du son:

« Tout ça c’était de ta faute. »

Sur le coup, elle ne réagit pas tout de suite.  Après tout entendre une voix qu’elle connaissait très bien se propager dans sa tête était assez désarmant.  Pourtant, sans se voiler la face, la jeune fille savait qu’il était trop loin d’elle pour lui avoir parlé de vive voix.

Ashley sentit la colère monter en elle et sa haine brûler en elle.  Il avait pourtant promis ! Encore un de ces serments brisés volant en éclat ! Quel menteur !  

Hautaine, et à présent en colère elle aussi à cause de la remarque déplacée du jeune homme ainsi que de ses antécédents, l’adolescente aux cheveux ondulés se tourna lentement vers le jeune homme à la capuche  au fond du bus. Elle lui lança un regard éloquent avant de penser, rêvant qu’il l’entende,  bien qu’elle sache que c’était impossible :

« Viens me voir quand tu n’auras plus peur des autres pour continuer à te cacher, fulmina-t-elle, d’une voix mentale furieuse, en le jaugeant de haut en bas, néanmoins gênée par la capuche du jeune homme qui l’empêchait de voir son visage. »

Elle le vit se redresser légèrement et lui lança un dernier regard froid avant de se tourner vers l’avant.

La lycéenne ne remarqua pas la lueur grisée qu’émis  le médaillon qui pendait à son cou depuis sa plus tendre enfance. Ni la chaleur qu’il diffusa.       

 

 

*     *

*

 

Logan se félicita d’avoir choisi, ce matin, de mettre cette veste. L’utilité de la capuche ! S’il  ne l’avait pas eue, il n’aurait pas pu cacher son expression de surprise quand la jeune fille avait répondu  à sa pensée d’une voix claire et sèche :

« Viens me voir quand tu n’auras plus peur des autres pour continuer à te cacher. »

Ses yeux noisette le fusillaient du regard. Sa colère disparue devant le miracle, Logan resta sans voix, gigotant sur son siège,  tandis que la brune lui adressait un regard dédaigneux avant de se détourner de lui. La voyant se retourner, il chuchota, effrayé de penser :

« Comment a-t-elle … »

Le jeune adolescent s’interrompit.  Dylan se tourna vers lui et, enlevant un écouteur, lui demanda :

« Tu as.., commença le roux, un peu inquiet de le voir marmonner. »

Logan ne répondit pas tout de suite. Encore abasourdi par ce qu’il venait d’entendre.

« Menteur. Assassin, avait sifflé la voix flutée. »

Dylan lui donna un coup de coude, histoire de le réveiller et renouvela la question qu’il n’avait pas eu le temps de finir. 

« Rien, cracha sèchement le métis. »

Sans faire attention à la grimace chagrinée de Dylan, le métis se força à ne pas réagir à la provocation. A sa provocation. 

Le jeune homme savait de qui ça venait.  C’était trop évident. Ses mains se crispèrent sur son siège, ses doigts s’enfonçant dans la mousse poussiéreuse de la même façon qu’il imaginait le faire dans la peau de celle qui avait ruiné tout ce qui avait de bon en lui. Son sang lui monta à la figure et sa mâchoire se tendit à s’en faire claquer les muscles.  Il était dans une rage folle.

Cette fois-ci était celle de trop.

 

Logan attendit l’arrêt complet du bus et la sortie de tous les lycéens. Il devait faire vite. Bientôt, la drogue dans son sang disparaissant, il entendrait les pensées de tous les adolescents  qui ne se doutaient pas un seul instant que leur plus noirs secrets seraient à la portée du métis. Le jeune homme aux yeux verts  replaça sa capuche correctement, tout en surveillant la chevelure brune qui ne bougeait pas d’un poil.

« Bien, murmura-t-il, alors que le bus se vidait doucement. »   

Et bien sûr, elle se leva une fois qu’il n’y avait plus personne. Elle avait oublié de regarder vers l’arrière. Typique d’Elle.

Il ne restait plus qu’elle et lui.

Dylan était déjà parti et il avait bien fait d’ailleurs. Logan ne voulait pas qu’il assiste à ce genre de scène. Il n’aurait pas pu lui expliquer pourquoi il avait tant de mal à contrôler sa haine pour cette fille. Il n’était pas prêt à en parler avec qui que ce soit. La douleur était encore trop présente.

 

La voyant sur le pas de la porte,  Logan se leva brusquement et fonça à travers le bus jusqu’à celle qui s’apprêtait à sortir. Le jeune homme lui agrippa fortement le bras et la tira si fortement à lui qu’elle rebondit sur son torse musclé.

Le chauffeur haussa les sourcils et décida qu’il n’interviendrait pas ; se trouvant un peu chétif par rapport à la carrure de Logan. Il fit semblant de regarder ailleurs, un peu gêné.

Rouge de colère, le métis jeta sans ménagement la jeune femme hors du bus. Elle échoua à se réceptionner et s’écrasa sur le trottoir, retenant un gémissement de douleur. Elle se sentait d’une faiblesse innommable. C’était à peine si elle pouvait bouger un membre sans voir les étoiles briller. Ce qui ne manquait pas de l’énerver : elle ne pouvait pas se défendre.

Deux fois qu’il la touchait. Et deux fois qu’il la meurtrissait.

Elle le vit sauter des marches cet atterrir près d’elle avec un sourire suffisant sur les lèvres. Elle sentit sa haine pour lui grandir et former une boule dans son ventre. Elle donnerait n’importe quoi pour avoir la force physique d’effacer cette mimique de son visage.

 

Tombée sur le dos, la jeune fille sentit le sang mouiller son pull, ses cicatrices s’ouvrant de nouveau. Elle grimaça de douleur et se releva doucement mais dignement. Campée sur ses deux jambes, elle lui fit face et se contenta de se retenir de se jeter à sa gorge,  elle qui bouillait de rage.  

Logan, de son côté n’en menait pas large. Il la regarda se relever avec ce regard hautain qui lui donnait des envies de meurtre. N’y tenant plus, il l’agrippa par les épaules et la secoua à lui en faire claquer les mâchoires, en lui hurlant :

« COMMENT OSES-TU ME FAIRE DES REPROCHES ? »

 

Quand Logan commença à la secouer, Ashley crut que sa tête allait se décrocher de son cou. Les doigts de l’adolescent s’enfonçaient dans sa peau, envoyant des ondes de douleur dans tout son corps. Elle ne put que le regarder lui faire du mal et ne répondit pas à sa question qui n’en était pas vraiment une. Prise dans l’étau des mains du lycéen, la jeune fille n’eut pas la force de se débattre. Elle était trop faible. Impuissante, Ashley sentit ses yeux s’humidifier.

                Au même instant, remarquant qu’il perdait le contrôle sur lui-même, Logan desserra  brusquement ses doigts des épaules de la jeune fille. Comme s’il s’était brûlé. Cependant, inconsciemment, il soutint son adversaire qui menaçait de s’écrouler, son sens de l’équilibre perdu pendant un moment.

 

La capuche du métis était tombée dans sa course, révélant son visage. Le voir, après tellement d’années,  coupa le souffle de l’adolescente aux yeux noisette. Le fait qu’il ait tellement changé tout en restant à peu de choses près le même fit frissonner la jeune fille

Son visage était fin et allongé. Lui qui avait l’habitude de sourire, il n’avait pas perdu ce pli près de sa bouche et ses petites rides près de ses yeux  d’un vert profond qui brillaient de colère. Ses sourcils étaient froncés  sur son front large et son nez se retroussait, chose sur laquelle elle l’aurait taquiné des années au paravent. Ses lèvres pleines étaient entrouvertes tandis que son menton tremblait d’une colère non dissimulée. Ses joues autrefois joufflues semblaient dégonflées, devenant des pommettes saillantes.  

Son regard restait toujours quelque chose d’impressionnant à regarder. Sur le moment il était vert avec des touches de kaki orageux mais lorsqu’il se serait calmé, ils prendraient un vert clair digne de celui qui peignait les champs au printemps. Elle n’avait jamais vu une chose aussi exceptionnelle chez quelqu’un d’autre que lui.  

 

La musique continuait à s’écouler fortement dans les oreilles d’Ashley et pourtant elle n’entendait que leurs deux respirations. La sienne était erratique pendant que celle de Logan commençait à se calmer. Ils se fixaient dans les yeux depuis une longue minute quand la jeune fille brisa le silence en se dégageant avec l’énergie du désespoir de la poigne de son agresseur :

« Lâche-moi !, dit-elle avec exaspération, retrouvant sa superbe autant que son équilibre. Ne m’approche pas avec ton truc là!, fit-elle, en parlant de cette capacité à lire dans les pensées.  Je pensais que tu arrêterais après SA mort !, cracha-t-elle au visage du métis. »

Pendant un instant, elle avait envisagé de remettre les choses qui faisaient mal sur la table. De reparler  de la mort d’Heather.   Mais elle-même n’était pas prête.  Pas maintenant. Même prononcer son nom était douloureux. 

Logan, sa colère s’apaisant devant l’ignorance des aptitudes exceptionnelles  de la jeune fille, lui fit un sourire mauvais:

« -Dans ce cas tu devrais savoir que depuis le début, cette conversation se passe dans nos têtes, Ash, déclara-t-il d’un air calme tout en se penchant vers elle. »

                Il n’était plus qu’à  dix centimètres des lèvres de celle qu’il exécrait au plus haut point, son prénom ou plutôt le surnom, qu’il lui avait décerné des années auparavant,  roulant dans sa bouche, sonnant comme une insulte. Son haleine, encore chargée de cigarette, se répandit sur le visage de la jeune fille qui retroussa le nez et s’écarta, dégoutée.

Puis, estimant qu’il en avait fini avec elle, il se détourna froidement d’elle. Il commença à partir, souriant sarcastiquement devant l’air ahuri d’Ashley. Elle était complètement perdue. Comment avait-il fait pour lui donner son pouvoir ? Comment s’en protéger ? Comment… COMMENT ?

 

Malheureusement, c’était loin d’être terminé pour Logan. Un coup dans le dos lui fit presque perdre l’équilibre.  Laissant échapper un sifflement de douleur, il se retourna et fusilla du regard la grande brune, auteur de l’acte, bien sûr, qui s’approcha lentement : 

«Débarrasses m’en en !, explosa-t-elle, plantant un doigt dans la poitrine du métis qui l’enleva d’une pichenette.  Si tu me l’as donné, reprend le maintenant !, fulmina-t-elle, accompagnant ses mots d’un coup de poing dans la poitrine du métis qui s’épousseta le torse distraitement, les propos de la jeune fille glissant sur lui comme de l’eau.

- Ah, si je savais comment on fait, tu ne crois pas que je l’aurais déjà fait enlever ?, demanda-t-il, se moquant légèrement d’Ashley, la voyant paniquée à l’idée de connaître les pensées de tout le monde. »

Ne réfléchissant pas, criant de rage, elle le poussa de toutes ses forces et si fort qu’il en tomba, ne s’attendant vraiment pas à ce geste. Et maintenant qu’il y a avait un mètre quatre-vingt-dix de muscles au sol, haineux et bouillant, elle se dit qu’elle ferait vraiment bien de fuir à toute jambes.  

Sa vision se brouilla et elle partit, n’ayant plus la force de se battre et encore sous le choc de la révélation. Elle entendit le jean de Logan racler contre l’asphalte et comprit qu’il s’était relevé. Devait-elle commencer à courir ?   Non. Ne pas lui faire ce plaisir-là.  La voix de Logan résonna dans sa tête, comme un glas :

« Tu as encore pensé. »

Et elle hurla de frustration.