Thirteen Tales of Love and Revenge


Thirteen Tales of Love and Revenge est une collection relatant treize courtes histoires

 

 

Unnatural Selection

Basée sur la chanson de Muse du même nom

 

 

 

« Pour ceux qui ont été blessés par des mots »

 

Par Swallowing Darkness

2: Introduction
Introduction

Stupid. Dumb. Moron. Crazy. Freak. Creep. Psycho. Weirdo. Disgusting. Ugly. Fat. Skinny. Fake. Bitch. Slut. Nerd. Loser. Useless. Worthless. Disgrace. Kill yourself.

Words hurt.

Les mots font mal, et les blessures qu’ils laissent ne disparaissent jamais. Car les blessures de l’âme sont irrémédiables. Et même si ces blessures cicatrisent avec le temps, elles menacent de se rouvrir à tout moment. Les mots ont deux pouvoirs : celui de soigner, ou celui de blesser. Mais dans certains cas, les mots peuvent même tuer.

3: RANDOM CHANCE SELECTION
RANDOM CHANCE SELECTION

« They’ll laugh as they watch us fall; the lucky don’t care at all »

Grace Hamilton fait son entrée au lycée. Tête baissée et se faisant toute petite, elle se essaie de se frayer un chemin dans la foule d’élèves dans le couloir – élèves qui restent sans se gêner sur sa route. Puis, une fille – du genre, vous savez, que tout le monde admire seulement sous prétexte qu’elle est belle – lève la tête et l’aperçoit. Un sourire mauvais, elle la montre du menton à ses amies, qui se tournent immédiatement vers elle avec un air moqueur. Grace a juste le temps de réussir à passer entre deux groupes de garçons, que la fille – Madeline, je crois – s’avance vers elle et la pousse. Grace se cogne contre un casier et tombe par terre.

- Alors, comment ça va, la folle ? Je vois que tu es toujours aussi moche, dit Madeline.

C’est faux. Grace n’est pas folle, et encore moins moche. Grace est la plus jolie de toutes, la seule qui ait la tête sur les épaules et qui a une vraie valeur.

Grace ne répond rien. Elle ramasse son cartable et s’appuie sur les casiers pour se relever, mais Madeline revient à la charge. Elle la pousse de nouveau.

- Ne t’avise plus de te retrouver sur mon chemin, la folle.

Madeline et ses amies éclatent de rire et Grace s’éloigne rapidement, échappant enfin au couloir maudit – « le couloir maudit » est une épreuve que nous autres, les membres de la catégorie des gens non populaires, devons affronter chaque jour. Ce couloir est semé d’embûches, et par « embûches », je veux parler de l’autre catégorie, à savoir celle des gens comme Madeline, les gens populaires. Bien sûr, il existe plusieurs sous-catégories, mais ça, on le verra plus tard. Grace, donc, arrive à bout du couloir maudit et passe devant moi. Je m’apprête à lui parler, mais je ne fais rien.

C’est pratiquement la même chose tous les jours depuis des mois. Chaque matin, Grace entre, se fait traiter de tous les noms, puis passe devant moi et disparait je ne sais où. Chaque matin, je veux aller l’aider, mais cela ne ferait qu’empirer les choses ; je veux l’approcher, mais je n’y arrive pas.

Je vois mon ami Sam sortir du couloir maudit victorieusement. Il semblerait qu’il soit arrivé à ne pas se faire tabasser ou insulter. Il s’approche de moi, haletant.

- Victoire, mon ami ! s’exclame-t-il.

Je souris.

Nous nous dirigeons vers nos casiers.

- Alors, tu as parlé à Grace ?
- Non.

Toujours la même question, et la même réponse.

- Lucas, je vais finir par te donner un coup de poing.
- Euh, je ne crois pas, non.
- … T’as raison, admit-il.

Je ris.

Il me faut faire quelques éclaircissements. Je m’appelle Lucas Duncan. Je fais partie de la catégorie des gens non populaires, et Sam aussi. Plus précisément, je fais partie de la sous-catégorie des intellos – ah, nous y voilà. Les sous-catégories sont nombreuses. Parmi elles, la mienne donc, celle des moches, celle des bizarres, celle des fous dans laquelle est Grace… Il est possible d’appartenir à plusieurs sous-catégories en même temps. En fait, dans ce lycée, tout est question de réputation. Mais le truc, c’est que peu importe ce que vous fassiez, c’est les autres qui décident de qui vous êtes. Bonnes actions ou mauvaises, c’est les autres qui choisissent si vous êtes bon ou mauvais. Et peu importe qui vous êtes réellement, c’est les autres qui jugent la « catégorie » qui, à leur avis, vous va le mieux. En fait, seulement une semaine après la rentrée, les élèves sont déjà tous attribués à leurs catégorie. Sam est surnommé « le maigrichon ». Moi, juste « l’intello ». Et Grace, « la folle ». J’ignore d’ailleurs pourquoi.

- Si ça se trouve, Grace t’aime aussi.
- Elle ne me connait même pas.
- C’est pour ça que tu dois aller lui parler.

Si seulement c’était aussi facile.

La sonnerie se fait entendre. Ce bruit toujours aussi désagréable qui nous annonce qu’il est temps de passer des heures de cours – des heures qui feraient aussi bien de s’appeler une éternité. Sam et moi prenons nos livres de cours malgré nous et longeons le couloir vers notre salle de classe.

Tournant instinctivement la tête à ma gauche, je la vois. Grace sort tout juste des toilettes des filles, fourrant quelque chose dans son cartable et s’essuyant les joues. Elle a les yeux rouges et gonflés, indiquant qu’elle avait pleuré. Et pendant ce temps, Madeline, elle, riait.

Cette injustice à laquelle on assiste tous les jours en silence et sans la moindre réaction m’accable de plus en plus. Ces gens qui rient de nous tandis que nous tombons. Ceux qui ont de la chance ne s’en soucient pas le moins du monde.

Mais un jour ou l’autre, ces gens-là paieront.

4: THE TEAM
THE TEAM

« Counter balance this commotion; we’re not droplets in the ocean »

- Je trouve ça amusant.

Sam joue avec sa nourriture au lieu d’y goûter comme à chaque fois qu’il avait quelque chose de particulier en tête.

- J’aurais aimé être dans votre groupe, ajoute-t-il. C’est bien plus drôle de faire un film que d’être dans une chorale. Surtout que je ne sais absolument pas chanter.
- Crois-moi, faire un film est loin d’être drôle quand tu tombes dans un groupe comme le miens.

Des groupes ont été crées pour le spectacle du lycée. Chaque groupe s’occupe d’une section, et le mien s’occupe du court-métrage projeté en fin de spectacle. C’est la première fois que le court-métrage en fait partie. C’est un élève qui a proposé cette idée, et elle a été retenue pour l’originalité qu’elle peut apporter au programme qui reste le même depuis des années.

Bien évidemment, je suis dans un groupe qui ne m’enchante guère.

De un, il y a Madeline, la reine du commérage. Dès qu’elle apprend quelque chose sur vous, vous pouvez être sûrs que toute la ville soit au courant dans les cinq minutes à suivre, sans compter les rumeurs qui accompagnent le tout. De deux, il y a Zack, le mec peu intelligent mais qui arrive à se faire aimer grâce à son humour. Humour un peu tordu, il faut le dire. Mais croyez-le ou non, il plait beaucoup aux autres malgré son quotient intellectuel fortement bas. De trois, il y a Declan, le mec à la belle gueule. Que dire de plus ? Evidemment il a grand succès auprès des filles. Et évidemment, il a comportement qui laisse à désirer. De quatre, il y a Violet, la fille que je ne connais absolument pas mais qui d’après ce qu’on dit – notez bien que je ne crois pas aux « on dit », mais j’ai eu l’honneur de vérifier l’exactitude de l’information –est du genre je-sais-tout. Ou plutôt, comme je l’ai vite comprit, est plus du genre autoritaire. Elle aurait pu appartenir à la sous-catégorie intello, mais elle est trop « cool » pour ça.

La seule chose qui me rend enthousiaste malgré tout de participer à ce court-métrage, c’est bien la présence de Grace. Car de cinq, Grace Hamilton, la fille que j’aime est là elle aussi. Sans être spécialement belle d’apparence, elle l’est beaucoup plus que les autres à mes yeux. Et bien que je ne la connaisse pas réellement, il est évident qu’elle vaut mieux que n’importe qui d’autre.

Comme si Sam avait lu dans mes pensées, il déclara :

- N’empêche, je suis sûre que ça va te plaire puisqu’il y a Grace.
- Oui, dis-je songeur.

A vrai dire je me demandais si j’arriverais à me rapprocher d’elle.

- C’est ta chance, Lucas. Il faut la saisir.
- Bien, chef.

Nous quittons la cantine. Nous nous rendons à notre classe respective et je rêvasse pendant le cours d’Histoire, comme à chaque fois. Je repense à la première réunion de groupe que nous avons eu. La première fois que nous découvrions avec qui nous étions censées faire équipe, aussi. Je me souviens encore très bien des réactions.

- Oh non, c’est pas vrai.

Madeline était rentrée dans la salle et nous avait trouvé Grace et moi assis chacun à un bout de la table.

- De tous les élèves de terminale, continua-t-elle, il a fallu que je tombe sur vous. Super.

Elle croisa les bras et s’affaissa sur une chaise, l’air irritée. Juste à ce moment, Zack arrive avec son sourire béat habituel. Il s’arrêta un moment, nous regarda tour à tour, puis partit s’assoir en nous détaillant, l’air de se moquer de nous. Derrière lui, arrivèrent Declan et Violet, le jeune homme ayant un bras autour des épaules de la jeune fille. Declan lâcha un juron et Violet laissa échapper un petit grognement agacé. Ils s’assirent à leur tour.

Voilà, six personnes qui n’avaient presque rien à voir les unes avec les autres se retrouvaient autour d’une même table, et se dévisageaient d’un air qui laissait croire que c’était là un supplice de se retrouver avec ces visages dans la même pièce.

- Bon ok, je vous préviens, je ne veux en aucun cas m’approcher de la folle, dit Madeline, brisant le silence.

Violet soupire.

- Personne ici ne le veut.
- Moi, ça ne me dérange pas.

Les mots étaient sortis tous seuls de ma bouche. Tous se retournèrent vers moi, même Grace, qui je crois ne m’avait jamais remarqué jusqu’ici.

Madeline leva les yeux au ciel.

- Tu peux parler, toi. Tu es comme… elle.

Elle a prononcé le dernier mot avec une note de dégoût dans la voix.

- Ca aussi, ça ne me dérange pas.
- Whoa, je savais que vous autres vous n’étiez pas normaux, mais toi, on dirait que t’as un sérieux problème, intervient Declan avec son fameux sourire en coin. Vouloir traîner avec une fille comme ça… Ew.
- Oh, intéressant, dis-je. Laisse-moi juste écrire ça sur ma liste de choses dont je n’ai absolument rien à foutre, à savoir l’opinion des gens comme toi.

J’en ai subitement marre. De me taire, de les ignorer, et de les laisser continuer à parler de la sorte. « Les gens comme Grace et moi » sommes et restons des êtres humains méritant le respect. Declan fait mine de se lever – pour me frapper, peut-être ? Je ne sais pas – mais Zack éclate de rire et l’attention générale se concentre soudain sur lui.

- C’est bon, calmez-vous. Vous être trop ridicules.

Je perçois le léger soupir de Grace, et je remarque son agacement.

- On devrait commencer à distribuer les tâches et à procéder à certains éclaircissements, notamment établir quand, où et comment se passera le tournage de notre court-métrage.
- Alors, déjà, dit Zack, va falloir laisser tomber tes trucs d’intellos. Utilise des mots et des phrases simples.

Je le regarde, ne sachant trop quoi penser de sa remarque.

- Je trouve ça très grave, Zack. Je veux parler de ton incapacité à comprendre mon langage, pourtant très simple contrairement à ce que tu avances.
- Ouais, bon. Continue, marmonne-t-il.
- Bien. Pour commencer, il nous faut du matériel. Quelqu’un ici sait comment nous pourrions nous procurer les choses de base ?

Violet lève la main comme si elle était en classe, en faisant une tête qui est censée être drôle – ça marche pour Declan et Zack apparemment, donc bon. Elle reste ainsi et je comprends ce qu’elle attend.

- Oui ? soupirai-je.
- Mon frère a tout le matériel qu’il faut. Avant, il faisait des films avec ses copains, ou je sais plus trop quoi. Je suis sûre qu’il nous le donnera… Si on le paie.
- Je vois, répliquai-je. Donc tu demanderas gentiment à ton frère pour ça. Maintenant, il va falloir commencer à discuter du rôle que chacun de nous occupera.

Suite à ça, une dispute interminable. Tout le monde s’arrachait les rôles tels que directeur sans avoir aucune connaissance de ce en quoi cela consiste. Après au moins trente minutes de débat, les rôles furent enfin distribués :

Moi : m’occupe du montage et du bon déroulement du projet.

Madeline : actrice.

Declan : acteur, s’occupe de l’éclairage.

Violet : actrice, s’occupe du son.

Zack : acteur.

Grace : s’occupe de filmer.

Comme tous voulaient figurer dans le film, Grace s’est portée volontaire pour filmer, disant que cela l’arrangeait vu qu’elle n’aimait pas être filmée.

- Très bien. C’est noté. A présent, chacun de nous réfléchira à une idée pour l’histoire du film, et tâchera de répondre aux questions qui, quoi, quand, où et comment. C’est compris ?
- Oui, monsieur. Bien, monsieur, dirent-ils tous en chœur – sauf Grace – sur un ton ironique.
- Sauvez-vous, mes enfants, dis-je avec un petit sourire.

La situation commence à m’amuser.

Mais à ce moment-là, je ne savais pas encore ce qui allait se passer.

5: DEDICATION TO A NEW AGE
DEDICATION TO A NEW AGE

« Injustice is the norm »

Cela fait une semaine que le tournage a commencé. Voici comment cela s’est passé.

Il nous a fallu trois jours pour enfin nous mettre d’accord sur une idée. Après une énième dispute, nous en avons conclu qu’on s’en sortirait mieux si nous évitions de faire un film du genre surnaturel. Donc notre fiction est tout ce qu’il y a de réel. Les idées fusaient toutes aussi différentes les unes que les autres, et finalement, voilà le résultat : quatre personnes piégées par quelqu’un qui leur infligera des souffrances physiques et psychologiques. Hum, ouais… Ce n’est pas vraiment le genre de film à montrer pendant un spectacle, mais c’est le mieux que nous avons trouvé.

Declan s’est avéré être utile en trouvant le lieu du tournage. Nous nous sommes donné rendez-vous le week-end, et il nous a emmenés vers une maison abandonnée près de la sortie de la ville. Je ne connaissais pas l’endroit. Declan à affirmé y être déjà venu avec des amis à lui. D’après lui, ils y seraient rentrés plusieurs fois suite à un défi lancé par l’un d’entre eux en premier lieu. Ils auraient exploré les lieux et auraient constaté que plus personne ne s’occupait de cette maison et que personne d’autre qu’eux n’y venait. Après une première hésitation, j’acceptai que cet endroit nous serve de décor pour notre fiction.

Violet à réussit à nous procurer le matériel. Nous étions contents, même si nous avons dû payer son frère. Nous avons installé notre studio de tournage – cette appellation est loin d’être convenable vu l’aspect ridicule actuel de notre « studio », mais bon.

Zack se baladait avec les lampes et autres que nous avons décidé d’utiliser pour l’éclairage. De temps en temps il essayait de faire des blagues avec les lumières mais s’arrêta en voyant que personne ne s’y intéressait. Il faut préciser que nous étions tous pressés de terminer ce projet, remballer, et rentrer à la maison pour ne plus jamais nous revoir par la suite. Pas de temps pour les blagues.

Grace se démenait pour aller et venir dans les pièces avec sa caméra. C’était un peu le fouillis, mais elle s’en sortait très bien quand même. J’ai enfin pu lui parler. J’ai même passé du temps avec elle, et constatai que c’était une personne très attachante. J’étais la seule personne gentille avec elle, si bien qu’elle fuyait toujours les autres pour soit être seule, soit rester avec moi – même si elle ne me parlait pas forcément. J’en fus heureux.

Madeline, qui n’avait rien d’autre à faire, ramena du maquillage avec elle. Et n’arrêtait pas de se remettre une couche de je ne sais quoi à chaque pause. Tout le monde en a été agacé à un moment, mais nous restions silencieux pour ne pas déranger les rares moments de calme que nous avions. Mais Violet finit par lui arracher sa trousse de maquillage et la jeter à l’autre bout de la pièce, irritée.

- Peut-être que si tu mangeais un peu de ton maquillage, tu serais aussi belle à l’intérieur, cracha-t-elle.

Ouch. Ce n’était pas très gentil. Même si le sous-entendu est un peu véridique.

Après ça, nous avons assisté à une bagarre : Violet et Madeline qui se tiraient par les cheveux. Adieu, moment de paix. Même après que Declan et Zack arrivèrent à les séparer, il a fallu les calmer, et inutile de dire qu’il en a fallu, du temps. Pendant qu’ils bataillaient, je me retournai vers Grace. Pour la première fois, je la vis sourire. Je souris à mon tour devant la scène comique qui se déroulait devant nos yeux. Les quatre remarquèrent notre amusement et nous jetèrent des regards noirs. Je me retournais instinctivement vers Grace, et je croise son regard. Nous éclatâmes de rire.

Nous avions choisi des endroits spécifiques pour les scènes. Les chambres servaient de cellules pour l’enfermement des trois personnes – la quatrième, Declan, était le tueur. Ce qui devait être le salon, servait de « salle de contrôle », la salle d’où Declan surveillerait ses otages grâce à des écrans – là, il a fallu se faire prêter deux ou trois ordinateurs pour avoir un résultat loin d’être parfait, mais concluant - et enclencherait certaines choses liées à la torture psychologique.

Les scènes se succédaient et étaient pas mal réussies. Il fallait avouer que Madeline, Declan, Violet et Zack étaient assez doués. En tout cas, ça avançait bien malgré les disputes et le manque de temps. Tout ce que Grace filmait au fur et à mesure était enregistré sur mon ordinateur, afin que je puisse commencer à réfléchir à la façon de présenter les scènes, même si toutes n’étaient pas terminées.

Ainsi, nous avons fini le tournage. Il ne me reste plus qu’à faire le montage et le tour est joué. Nous venons de terminer la dernière scène, et tout le monde se disperse, soulagé. Je reste dans les escaliers, mon ordinateur sur mes genoux à faire défiler les vidéos prises, tout en observant les autres. Violet est partie. Son frère a réclamé son matériel, donc nous avons tout rangé et elle l’a porté chez-elle, près d’ici. Declan prend la main de Madeline et l’entraine vers l’arrière de la maison. Euh… Je ne sais pas si je dois aller alerter Violet et assister à une bagarre intergalactique, ou m’abstenir. J’y renonce. Ce ne sont pas mes affaires. Grace n’est nulle part. Elle n’est pas partie, ces affaires sont toujours là. Elle doit être sortie ou alors à l’étage. Zack vient vers moi.

- Eh, dis. Pour mon idée, est-ce que ça marche ou pas ?

Zack a demandé à ce qu’on rajoute une sorte d’effet à l’une des scènes. J’avoue ne pas avoir très bien compris, mais le peu que j’ai pigé m’a fait refuser, et les autres ont été du même avis. Je fais « non » de la tête.

- Ce que tu as proposé n’apporte rien de plus, je dirais même que ça rendrait la scène beaucoup moins bien.
- Mais…
- De toute façon, l’interrompis-je, on a tout fini. Il ne reste plus qu’à faire le montage, c’est tout.
- J’en ai marre, toute la semaine, c’est toi qui as décidé de tout.

Zack fait une tête contrariée et fit demi-tour vers là où il était assis. Je soupire, referme mon ordinateur et le pose sur un vieux meuble près des escaliers. Je décide d’aller chercher Grace. Je vais tout d’abord à l’étage et entre dans chaque pièce. Mais elle n’était dans aucune d’elles. Je jette un coup d’œil par les fenêtres pour voir si elle était dehors, mais non. Je redescends. J’arrive au tournant de l’escalier, et je m’arrête brusquement.

En bas, je vois Zack avec mon ordinateur dans les mains. Zack + mon ordinateur = association dangereuse. Je m’apprête à descendre et à le lui enlever, mais je vois son visage se décomposer. Aïe, ça n’annonce rien de bon. A ce moment-là, Grace apparait sur le seuil de l’entrée, la tête baissée. Zack lâche l’ordinateur et disparait. Je descends enfin.

- Coucou, dit Grace qui vient à ma rencontre.
- Où étais-tu ?
- J’étais sortie. Je voulais faire un tour.

J’acquiesce, puis me tourne vers mon ordinateur. Le seul premier coup d’œil me suffit pour constater l’étendue de la catastrophe.

- Zack ! criai-je, en colère.

Grace m’interroge du regard. Je lui montre l’écran et elle serre les lèvres, comprenant de quoi il s’agit.

- Quoi ? dit Zack en venant vers nous, comme si de rien n’était.
- Non mais qu’est-ce qui t’as prit ?!

Je crie si fort que Declan et Madeline viennent, alertés.

- Qu’est-ce qui se passe ?
- Les scènes ! Tout est parti, il ne reste plus rien !
- Quoi ?!

Violet apparait dans la pièce.

- Est-ce que j’ai bien entendu ?
- Très bien entendu.
- Regarde dans la corbeille, me suggère Grace.
- Non, les vidéos étaient sur clé USB.

Silence.

- Attendez, dit Grace, les vidéos sont encore dans la caméra, non ?
- Mais oui ! s’exclame Violet. Je vais appeler mon frère.

Elle sort son téléphone. Son frère décroche après un moment.

- Allô ? Oui. Euh, s’il te plait, dis-moi que tu n’as pas touché à la caméra.

Petit silence.

- ... D’accord.

Elle range son téléphone et nous regarde d’un air funeste.

- Il les a effacées.

Je laisse échapper un grognement.

- Bon, dit Declan, c’est qui le con qui a fait ça ?

Je m’apprêtais à accuser Zack, mais un autre prénom se fit entendre.

- Grace !

Zack pointe un index vers elle.

- C’est Grace, je l’ai vue avec l’ordinateur tout à l’heure. C’est sûr qu’elle les a effacées et qu’elle a fait semblant après d’aller se promener.

Tous les regards se tournent vers elle.

- C’est faux, intervins-je. C’est toi, Zack. Je t’ai vu.
- N’importe quoi, dis plutôt que tu veux la couvrir.
- Arrête, dis-je de plus en plus en colère. Je te dis que je t’ai vu, tu ne peux pas le nier.

Madeline soupire, agacé.

- Allez, c’est qui ?
- Je vous dis que c’est lui !
- Et pourquoi on te croirait toi et pas lui ? me dit Violet. Si ça se trouve, c’est toi qui les effacées.

Je me tape le front. Tout cela me met hors de moi.

- Puisque je vous dis que je l’ai vu !
- Et comme par hasard, tu es le seul à l’avoir vu, hein ? réplique Declan.
- Zack ment.
- Ouais, c’est ça, dit Zack. (Il se retourne vers les autres) Vous n’allez pas le croire, quand même ? Il est amoureux de Grace, c’est tout. C’est lui qui ment.

Madeline se tourne vers Grace.

- Tu n’es qu’une idiote. Comment tu as pu faire ça ?
- Je n’ai rien fait.
- Ah oui ? Et qui l’a fait, alors ?
- Zack.
- Non, c’est toi. Parce que tu n’es qu’une pauvre fille qui cherche de l’attention. Crois-moi, tu ne vaux rien ! Tu crois qu’on ne t’as pas vu avec tes médocs l’autre fois ? On saitque tu es dérangée. Tu n’es qu’une folle, une moins que rien ! 

Grace ne répond rien. Elle s’en va en courant.

- Pff, quelle gamine.

Et Madeline part.

- Moi je me casse, bande de débiles.

Declan, Violet et Zack se dirigent vers la sortie. J’attrape Zack par l’épaule.

- Tu vas me le payer.

Il me regarde, amusé. Je me retiens de lui donner un coup de poing dans la figure. Je cours rattraper Grace. Je doute qu’elle soit rentrée chez-elle, elle est partie dans la direction opposée. Je cours au hasard pendant plusieurs minutes, jusqu’à distinguer une silhouette. Sa silhouette.

- Grace !

Elle sursaute, puis se retourne vers moi et me regarde comme si je l’avais surprise en train de faire quelque chose de mal.

- Grace, qu’est-ce qu…

Elle tremble. Grace tremble, et dans sa main, il y a une petite bouteille orange à l’étiquette blanche. Ses yeux étaient tournés vers le ravin avant de se poser sur moi, et ses pieds sont si près du bord que je craignais qu’elle tombe par la seule force du léger vent frais de cette soirée.

- Ne me dis pas que tu allais…

Pour toute réponse, elle me tend la bouteille.

- Madeline parlait de ces médicaments. Je suis sous antidépresseurs depuis plusieurs mois. Mais… Je me sens mal. Terriblement mal.

Des larmes coulent sur ses joues. Des mots ne sauraient aussi bien exprimer le désespoir que ses yeux.

Je la regarde un instant. Je prends mon téléphone au bout d’un moment.

Tout le monde revient, tout de suite. Nous allons refaire ce foutu film.

Je reçois des réponses telles que « Il est trop tard ! », « Le spectacle est pour après-demain », «  Déjà qu’on était en retard, on risque pas de terminer ».

Revenez. TOUT DE SUITE.

Ce que je m’apprête à faire est dédié à cette nouvelle ère. Cette ère dans laquelle nous vivons, et où l’injustice est la norme.

6: THE CHOSEN ONES
THE CHOSEN ONES

« I’m hungry for some unrest; let’s push this beyond a peaceful protest »

Je ramène Grace à la maison abandonnée et la dirige vers une pièce où je la fais s'assoir.

- Grace. Regarde-moi.

Elle le fait, gênée mais surtout triste.

- Je t'avoue que... que ce que tu allais faire me met en colère. Et triste, aussi. Cela voulait dire que tu laissais tomber, que tu les laissais gagner. Or, il ne faut pas. Il est hors de question qu'ils gagnent, tu comprends?

Elle hoche la tête. Je la prends dans mes bras.

- Je les ferai payer, Grace. Je te le promets.

Pile à ce moment-là, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir.

- Reste ici. Je viendrai te chercher.

Elle semble s'interroger mais je ne lui laisse pas le temps de poser de questions. Je sors de la pièce en fermant derrière moi la porte, et j'aperçois les autres qui étaient revenus.

- Tu peux nous expliquer c'est quoi ce délire? m'attaque directement Madeline.
- Tu sais qu'on terminera jamais, renchérit Declan. Ça sert à rien, on n'a qu'à rentrer chez-nous et leur donner une excuse pour le spectacle et puis c'est tout.

Je les regarde, puis déclare calmement:

- Nous allons faire ce film.

Ils soupirent tous bruyamment. Madeline tente encore de me dissuader.

- Tu oublies que nous avons plus de caméra ni rien.
- Nous trouverons un moyen. Nous allons faire ce film.

Cette fois, ils me regardent bizarrement.

- Où est la folle? demande Zack dans, je suis sûr, l'unique but de m'énerver.
- Suivez-moi, dis-je en l’ignorant.

Je les fais monter à l'étage et m'arrête dans le couloir.

- Il nous reste ce soir et demain pour terminer. Tout d'abord, je tiens à ce que vous préveniez vos parents. Je ne voudrais pas qu'ils s'inquiètent.

Aucun d'eux ne bouge.

- Allez!

Sortant leurs téléphones, ils me toisent. Je tâche de garder une expression neutre.

Je les vois taper rapidement des messages ou passer un coup de fil chez eux. Enfin, ils rangent leurs téléphones.

- Non, attendez. Donnez-les-moi.
- Quoi?
- Donnez-moi vos téléphones et entrez chacun dans une pièce.

Lentement et quelque peu surpris par mon ton, ils s'exécutent.

- Alors? Comment tu vas faire? Pour nous filmer je veux dire.
- Vous verrez.
- Mais attends, je n’étais pas censé jouer le tueur ? me fait remarquer Declan comme si je n’étais pas au courant.
- Changement de programme. Entrez, je vous prie.

Ils referment les portes derrière eux. Je retourne vers le salon. Ou devrais-je dire "ma salle de contrôle". Je retrouve le placard que j'avais remarqué dans le couloir la dernière fois et y prends la vieille boite à outils qui y était. Elle est presque entièrement vide, mais je n'ai besoin que du tournevis pour l'instant. Je remonte et entre en premier lieu chez Zack, qui occupe la première chambre.

- Ça y est, ta copine dingue est rentrée en courant chez-elle?

Je commence à dévisser la poignée de l'intérieur sans un mot.

- Whoa, qu'est-ce que tu fais?

Je ressors en silence et ferme la porte derrière moi. Je fais de même aux trois autres poignées, répondant aux questions par simplement "c'est pour le film". Suite à ça, je vérifie la possibilité d'ouvrir et refermer aisément les portes de l’extérieur. Parfait.

Je descends les escaliers et trouve Grace en train de me chercher.

- Lucas. Où sont les autres? Et pourquoi sont-ils revenus? Je croyais que tout est tombé à l'eau.
- Je les ai contraints de revenir afin de pouvoir recommencer le film.
- Mais...
- Grace, écoute. J'ai besoin de toi. Tu dois m'obéir si tu veux m'aider à accomplir notre vengeance.
- Notre vengeance? répète-elle l'air de ne pas comprendre.
- Parfaitement.

Je sors un téléphone au hasard de ma poche.

- Tiens. Tu vas filmer, comme convenu.

Elle prend l'appareil. Je sors dehors, dans la terrasse. Elle me suit.

- Où vas-tu?
- Je cherche certaines choses.

En faisant le tour de la maison et du minuscule jardin, je réussis à ramasser plusieurs objets qui me seront d'une grande utilité. Nous retournons à l'intérieur.

- Il faut que j'aie une totale confiance en toi. Je peux te faire confiance, n'est-ce pas, Grace?
- O-oui, tu peux.
- Bien. Suis-moi.

Je la fais monter. J'ouvre la porte de la première pièce où se trouve Zack.

- Tiens, tiens!

Il éclate de rire à la vue de Grace.

- La ferme, dis-je.

Je lui empoigne les bras et attache ses poignets à la tête du lit abandonné puis ses chevilles de manière à le maintenir allongé. Naturellement, il se laisse faire croyant que cela fait partie du film. Avant qu'il fasse un commentaire déplacé, je referme la porte. Je demande à Grace de ne pas se montrer cette fois puis je passe chez Madeline. Je lui attache son propre foulard en le faisant passer entre ses lèvres et le serrant bien. Je lui attache ses poignets à l'arrière du dos. Après mon passage, Declan se retrouve les mains et les chevilles attachées et les yeux bandés. Enfin, Violet est accrochée à la tringle de rideau de sa chambre. Je ferme les volets pour éviter qu’un passant la voie, et je fais en sorte que ses pieds ne puissent toucher le rebord de la fenêtre et restent ballant dans les airs.

Je les laisse ainsi, et referme soigneusement les portes. Grace m’observe, inquiète.

- Et maintenant ? demande-t-elle.
- Maintenant, tu viens avec moi.

Nous nous asseyons et je lui explique.

- Je vais faire quelque chose de mal. De très mal. Et tu vas m’aider.

Je la vois prendre peur.

- Non, ne crains rien. Tu vas m’offrir une aide précieuse, mais je ne t’accuserai pas. Je suis le seul responsable de ce qui va se passer. Et toi, tu n’as pas à avoir peur. Je ne te ferai aucun mal.
- Mais… Qu’est-ce que tu vas faire ?
- Je vais les faire payer. Cette vengeance est pour toi, pour moi, et pour tous ceux qui ont été victimes de leurs mots.
- Tu vas les tuer.

L’intonation de sa voix ne laisse pas montrer si c’est une question ou une affirmation.

- C’est fort possible, oui.
- Ne fais pas ça.
- Si, je le ferai. Ne me dis pas que tu n’as jamais secrètement voulu leur mort… ?

Son regard m’indique que si.

- C’est bien ce que je pensais, dis-je, satisfait.
- Mais jamais réellement. Je ne veux pas qu’ils meurent, malgré…
- Je ne les laisserai pas filer, cette fois. S’en prendre à un humain quelque soit la façon dont on s’y prend est un crime. Combien de crimes ont-ils commis sans être punis pour leurs actions ? Ils terrorisent certaines personnes – des personnes qui sont très loin de le mériter –, ils s’en prennent à elles physiquement en les frappant ou les poussant dans les couloirs, et psychologiquement avec ces mots affreux qu’ils leur lancent en permanence. Nous vivons dans une injustice constante, et puisque nous n’avons aucun mot à dire contre cela, je décide d’agir. Je combats l’injustice par l’injustice.

Grace m’a écoutée attentivement.

- Tu vas gâcher ta vie, Lucas, dit-elle lentement. C’est tout ce que tu vas réussir à faire. Tu vas gâcher ta vie et celles de quatre personnes, et tu me demande de t’aider ?
- C’est pour la bonne cause.

Elle secoue lentement la tête d’un air désolé. Elle a de la peine, mais pour qui ?

- Je suppose donc que tu ne me laisseras pas partir avant d’avoir fini, c’est cela ?
- Oui. Et je te demanderai aussi de me donner ton téléphone.

Elle me le donne et je le mets dans ma poche. J’enlève la puce de celui qu’elle utilisera pour filmer afin de l’empêcher de prévenir quelqu’un, et l’internet est indisponible ici. Je le lui rends.

- Je suis désolé.
- C’est moi qui suis désolée, répond-t-elle doucement.

Nous restons chacun perdus dans nos pensées plusieurs heures. Madeline, Declan, Violet et Zack montrent leur impatience bien tôt.

- Lucas ! Qu’est-ce que tu fiches ?
- J’ai mal, Lucas. Rapplique !
- Pff, c’est bon, là. J’ai faim et je suis fatiguée, grouille-toi !
- Qu’est-ce que vous faites, toi et la folle ? dit cette voix d’un ton malicieux et plein de sous-entendus accompagné d’un rire moqueur.

Inutile de faire remarquer que la dernière phrase est de la part de Zack.

Je les laisse se plaindre encore longtemps. Je regarde ma montre. Il est près de minuit. Cela fait quatre heures qu’ils crient qu’ils n’en peuvent plus et qu’ils veulent ressortir.

- C’est l’heure, annonçai-je à Grace.

Elle empoigne le téléphone et actionne la caméra. Elle serre l’appareil si fort que ses articulations en deviennent blanches. Elle me suit dans le couloir obscur jusqu’à la chambre de Zack.

Je tourne la poignée de la main gauche, et serre un bâton de ma main droite. Grace quant à elle est munie de ce qui va nous servir de caméra ainsi qu'une lampe torche pour remédier à l'absence d'électricité et donc se lumière.

- Ah, ça y est, vous avez fini. (Il rit) Ça a pris beaucoup de temps, comment...

Cette phrase s'achève sur un cri de douleur. Je viens de lui donner un coup à l'aide du bâton. Grace filme, et je continue.

- Qu'est-ce que tu fais? s'écrie Zack entre deux cris. Tu es censé faire semblant, mec!

Je ne fais pas attention à ce qu'il dit et continue de frapper.

- Lucas? entendis-je des autres chambres.

Des blessures commencent à apparaitre sur le corps de Zack. Je m'arrête. Je ressors en entraînant Grace avec moi dans la seconde pièce. Madeline.

Je lui inflige le même sort. Je la frappe, encore et encore. Elle crie d'une voix étouffée, ne pouvant formuler aucune phrase à cause du foulard entre ses lèvres. Ses yeux sont agrandis par la peur. La peur, voilà quelque chose que je voulais qu'ils ressentent. La peur et la douleur. Madeline essaie plusieurs fois de s'échapper grâce à ses pieds libres. Mais elle n'a nulle part où aller.

Nous changeons une fois de plus de chambre et de victime. Declan tente de me frapper en retour, mais j'ai le dessus. Non seulement il est attaché, mais il ne peut pas me voir avec ses yeux bandés. Je le blesse sur plusieurs parties de son corps, et il tombe bientôt à terre sans pouvoir se défendre.

Violet, elle, y arrive. Elle me donne un coup de pied dans l'épaule, ce qui me fige un instant à cause de la surprise et la douleur suite à son coup inattendu. Mais cela ne fait que redoubler mes coups de bâton et la force que j'y mets. Elle finit par pendre mollement de la tringle.

Nous nous retrouvons de nouveau seuls Grace et moi. Elle arrive à peine à me regarder. Elle démarre la vidéo et me tend le téléphone afin que je puisse voir le résultat. Les images se succèdent. La qualité est loin d'être parfaite, et Grace n'avait cessé de trembler, mais nous voyons distinctement les coups portés et les séquelles qu'ils ont laissées.

- C'est parfait.

Grace ne dit rien. Nous allons dormir, bien que pour moi ce ne soit que d'un seul œil. En partie à cause des plaintes de mes quatre prisonniers, mais aussi la nécessité de surveiller ce qui se passe autour de moi. Je ne voudrais pas que Grace tente de s'enfuir et de prévenir quelqu'un. Mais elle ne bouge pas. Je vérifie à plusieurs reprises et elle semble dormir profondément, et ce, jusqu'au matin, au moment de se réveiller.

- Grace? Réveille-toi.

Je la secoue tout doucement et elle ouvre lentement les yeux. Quand elle me regarde elle sursaute légèrement, puis s'assit.

- Tiens. J'ai réuni la nourriture qu'il restait dans nos sacs à tous. Mange.

Elle met du temps à réagir. Je la regarde attentivement et je sens son appréhension. Car elle sait aussi bien que moi que le pire reste à venir.

7: VENGEANCE IS MINE
VENGEANCE IS MINE

« Try to ride out the storm whilst they’ll make you believe they are the special ones; we have not been chosen »

Je cible la lumière aveuglante de la lampe de torche sur leurs yeux. Tous se réveillent ainsi, ils ouvrent légèrement les yeux en sursautant puis les ferment, et font une grimace de douleur. Declan, Madeline, Violet et Zack ont l’air épuisé. Les blessures de la veille sont nettement visibles sur leur peau et Grace ne manque pas de les filmer.

Je prends deux téléphones de ma poche. Je trouve de la musique diverse sur chacun d’eux, j’en mets une au hasard sur les deux appareils au volume maximum et les colle aux oreilles de chacune de mes victimes. Un vrai vacarme s’en suit : les musiques mélangées qui ne représentent plus qu’un bruit insupportable, et les hurlements. Tous ont les mains liées et ne peuvent se protéger du bruit incessant retentissant à leurs oreilles. Tout ce qu’ils peuvent faire c‘est hurler.

Le silence revient quand je referme derrière moi la quatrième et dernière porte. Quelques heures plus tard, je ramène une barre de fer que j’ai trouvé dans le bric-à-brac du jardin et remonte. Je refais une tournée avec Grace en ma compagnie. Mes coups sont plus violents que la veille. Quand je termine, je les laisse en train de fondre en larmes et de sangloter.

La première phase est terminée.

Le moment qui, je crois, va le plus affecter mes prisonniers à ce stade est arrivé. Je tourne la poignée lentement, et rien que le grincement de la première porte en s’ouvrant les fait hoqueter de surprise. Je m’approche très près de lui. Zack me regarde, plus l’air de rire du tout. Et c’est quand il voit ce que je tiens à la main que la peur menace de le faire exploser. Je l’assomme, et il perd connaissance. Puis, j’attrape mon couteau.

- Que… Qu’est-ce que tu vas faire ? souffle Grace.

J’agrippe la mâchoire de Zack et lui ouvre la bouche. Je sors sa langue. J’entends Grace respirer difficilement.

- Ne regarde pas, lui conseillai-je.

Et je tranche la langue de Zack. Grace pousse un cri. Je me tourne vers elle. Sa main droite tient le téléphone en tremblant, tandis que l’autre est plaquée sur sa bouche. Ses yeux s’emplissent de larmes.

- Il ne pourra plus se moquer de personne, affirmai-je d’une voix tout à fait calme.

Je me dirige vers la seconde porte. Grace tente de me retenir.

- Lucas…

Sa voix se brise. Je la regarde et me rends compte d’une chose : Grace ne m’aimera jamais. Je fais tout ça pour elle, parce qu’ils l’ont poussée à commettre un acte irréparable. Elle a presque mit fin à ses jours par leur faute, et je l’ai sauvée. Je l’ai sauvée, et je la vengeayant parfaitement conscience que je nuis à ma propre vie pour cela, et voilà qu’elle m’adresse ce regard. La fille que j’aime m’adresse un regard rempli de dégoût, d’aversion et de répulsion. La fille que j’aime ne m’aimera jamais, je viens de le comprendre.

- Je ne peux plus revenir en arrière, dis-je une pointe de regret dans la voix.

Et j’ouvre la porte, cette fois-ci, de manière brusque, et j’aperçois directement le visage horrifié de Madeline. Je la traite de la même manière que Zack. Elle perd connaissance, je lui enlève le foulard et lui tranche la langue. Je juge inutile de lui remettre le foulard, alors je le jette négligemment près d’elle. Je vois que Grace à détourné la tête. Tant mieux. Declan et Violet passent par la même étape.

Seconde phase terminée.

Nous ressortons et descendons les escaliers.

Grace s’assoit par terre et me tourne délibérément le dos. Je lui pose une main sur l’épaule, mais elle se dégage. Je devine qu’elle pleure.

- J’ai envisagé de m’enfuir, tu sais, dit-elle.
- Et pourquoi tu ne l’as pas fait ?
- J’avais peur de ce qui pouvait arriver si je le faisais.

Elle se retourne vers moi.

- J’ai peur de toi, Lucas.
- Je ne veux pas que tu aies peur de moi.
- Pourtant, c’est le cas.
- Tu sais que je ne te ferais jamais de mal.

Elle baisse les yeux.

- Peut-être bien. Mais j’ai peur de ce que tu es.

Je baisse la tête. Je crois que c’est la première fois que je laisse paraitre mes émotions et que je parais aussi vulnérable depuis qu’on est revenus avec Grace dans cette maison. Qu’elle ait peur de moi est bien la dernière chose que je souhaite. Mais que puis-je faire à présent ? Il est trop tard, je dois aller jusqu’au bout.

- Il ne me reste plus beaucoup à faire. Tu n’es pas obligée de regarder, tu n’auras qu’à pointer l’objectif sur eux et fermer les yeux si tu le désires.
- C’est le moment de les tuer, hein ?
- … Pas tout de suite.
- Quand ?
- Plus tard. Tu dois te reposer.

Elle s’adosse au mur, ferme les yeux et ne prononce plus aucun mot. Je m’assois près d’elle. Il est aux alentours de midi. Je lui propose de la nourriture mais elle la refuse. N’insistant pas plus longtemps, je m’adosse de nouveau au mur et vois les heures défiler. Une heure, deux heures, trois heures… Grace bouge légèrement et déglutit.

- Grace.

Elle ouvre les yeux et me regarde.

- Je suis prête, dit-elle sur un ton détaché.

Et à ma grande surprise, elle se lève, prends le téléphone et m’attend.

- La batterie va bientôt tomber à plat, continue-t-elle.

Je me lève.

- Dès que tu finiras de filmer, tu auras la liberté de partir.
- Très bien.

Première chambre, premier meurtre. Zack est couvert d’affreux bleus et d’ecchymoses. Je prends un vieux bidon d’essence à moitié rempli trouvé en train de traîner quelque part dans la maison. Je prends soin de verser le contenu uniquement sur le corps de ma victime. Malgré son épuisement et son incapacité de fuir, ni même de bouger, il se débat. Il remue sauvagement dans tous les sens dans l’espoir infime d’échapper à sa mort. Sauf que la mort est inévitable. J’allume une allumette et la jette nonchalamment sur lui. Le feu se propage sur son corps à grande vitesse, et le pauvre essaie toujours de se défaire de ses liens. Je regarde le malheureux brûler vif.

Seconde chambre, second meurtre. Madeline a des yeux implorants, l’air de dire « pourquoi ? ». La réponse est pourtant évidente. Je brandis mon couteau. Immédiatement, elle bouge très rapidement les pieds, et arrive à se traîner jusqu’à l’autre bout de la pièce. Se retrouvant piégée dans un coin, elle s’immobilise, horrifiée. Elle me supplie du regard encore une fois. Mais c’est la dernière. Je lui enfonce le couteau dans sa cage thoracique plusieurs fois. Elle tombe sur le côté, ses yeux et sa bouche grands ouverts, son sang se déversant rapidement sur le sol.

Troisième chambre, troisième meurtre. Declan me fixe d’un air dédaigneux et méprisant dès que je lui enlève son bandeau des yeux. Je prends ma barre de fer et lui assène un premier coup. Il tombe sur le dos. J’en profite pour lui en donner un deuxième, puis un troisième. Le dédain et le mépris disparaissent de son regard et se changent en une profonde faiblesse et une impuissance que jusqu’ici il n’avait jamais connu. Je frappe, encore et encore, toujours plus fort. Cela dure plusieurs minutes, jusqu’à l’écroulement. Il est couvert de sang. Il est mort et complètement défiguré. Lui qui tenait tant à son allure et à la beauté de son visage.

Quatrième chambre, quatrième et dernier meurtre. Violet à la tête mollement penchée sur le côté. Quand je rentre, elle me regarde d’un air las, comme si elle n’en avait plus rien à faire, comme si elle m’implorait de la tuer. Je réalise son souhait. Je la détache de la tringle. Elle tombe par terre, ne pouvant plus bouger. Je la saisis dans mes bras et la fais se lever. Je perçois une lueur d’espoir dans son regard. Croit-elle que je suis en train de mettre fin à son calvaire ? Pourtant j’en suis loin. J’ouvre les volets et je la pousse. Aussi simple que cela. Une dernière fois, la terreur s’affiche sur son visage et elle bascule dans le vide. Je regarde en bas. Elle est allongée, ses membres formant des angles non naturels, dissimulée par des buissons et des herbes asséchées. Il n’y a pas de route de ce côté de la maison, et il y a peu de risques que quelqu’un passe par-là.

Phase finale terminée.

A présent, les quatre portes me font face. Les quatre portes sont fermées. Je me retourne vers Grace, qui me fixe. Je ne distingue plus rien dans ses yeux, aussi, je me demande à quoi elle pense et ce qu’elle ressent. Je l’ai vue détourner la tête pendant les assassinats, et elle avait poussé de petits cris de temps à autre. Mais elle ne fait aucun commentaire, et dans notre mutisme nous nous fixons du regard.

- Tu peux partir, dis-je enfin, brisant le silence.
- Oui.
- Je veux diffuser la vidéo demain, et ensuite, je me dénoncerai. Tu dois me promettre de ne rien raconter d’ici là.
- Promis.

Et elle me fixe de nouveau.

- Quoi… ? demandai-je doucement.
- J'aurais pu t'aimer.
- Et il t’est impossible de m’aimer maintenant ?

Elle fait un signe affirmatif de la tête.

- J’aurais pu t’aimer, répète-t-elle. Et même là, j’ai peur de t’aimer malgré tout. Or, je me refuse de le faire. Pas après ce qu’il s’est passé.
- J’ai fait ça simplement parce que je t’aime.
- Je te crois. Oui, je suis prête à le croire. Mais… C’est là une bien trop grande preuve d’amour.

Elle s’avance et m’étreint. Je m’accroche à elle aussi longtemps que je le peux. Finalement, elle s’éloigne.

- Adieu, Lucas.

Elle me remet le téléphone et disparait. Je descends à mon tour. Je prends mon ordinateur et commence à travailler sur la partie finale du projet.

Le lendemain après-midi, je vois les élèves et certains parents arriver pour assister au spectacle. Les groupes s’enchaînent : le groupe de chant, de danse, de théâtre… Jusqu’au moment crucial : la diffusion de notre court-métrage. Des applaudissements acclament le dernier groupe avant nous, puis la première image surgit.

La façade avant de la maison abandonnée, puis le hall d’entrée, les escaliers, le couloir à l’étage et enfin les quatre portes alignées. Une musique inquiétante se fait entendre. Un texte apparait.

On dit que les mots blessent

Une voix crie des insultes et autres termes pouvant faire mal à quelqu’un.

Mais leur pouvoir est bien plus fort

La musique s’interrompt. Une poignée tourne en silence et la porte s’ouvre lentement dans un grincement. Des images brèves des quatre prisonniers défilent rapidement. La musique reprend.

Ils provoquent l’enfermement et le repli sur soi-même

Madeline apparait, sa tête enfouie dans ses genoux ramenés à sa poitrine.

Ils donnent l’effet d’avoir été battu

Un coup de barre de fer part.

Ils donnent l’effet d’être poignardés dans le cœur

Le couteau traverse le cœur de Madeline et une flaque de sang apparait à l’écran.

Ils donnent l’effet d’être brûlé

Zack part en flamme.

D’être brisé

Violet bascule dans le vide et se brise la nuque.

Ils donnent l’impression de ne plus savoir qui on est

Le visage défiguré de Declan surgit.

Les mots ont un effet destructeur

S’en prendre à un être humain même qu’avec des mots est un crime.

Choisissez bien vos mots…

Quatre images de langues se faisant trancher défilent rapidement.

Ou vous pourriez le regretter

Les mots blessent

Et moi aussi

Des images de la maison et autres défilent en désordre et à toute allure.

La vengeance est mienne

L’écran devient noir et la musique s’arrête de manière brusque, marquant la fin de la vidéo.

J’avance seul sur scène et m’arrête au beau milieu. Grace est au fond, je la vois. Des visages horrifiés me fixent. Je lance un regard à la ronde, le dos droit, l’expression neutre, avec néanmoins un léger sourire.

- Je m’appelle Lucas Duncan, et j’ai combattu une injustice par l’injustice elle-même.

Et je tire ma révérence.

FIN

 

Merci à toi, petit terrien.

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