Chapitre 1

            Parys Mordoh était un de ces jeunes on ne peut plus banaux qui possédaient le talent de s'attirer des ennuis. Ce n'était pas volontaire -loin de là!-, il faisait tout pour les éviter. Mais à chacune de ses actions il se retrouvait entraîné dans des affaires périlleuses qui prenaient toujours une ampleur alarmante.

Nira, la guérisseuse du village, ne s'étonna même pas de le trouver sur le seuil de sa maison, le nez en sang et un œil au beurre noir. Elle soupira et l'invita à entrer. Comme les fois précédentes, il s'assit sur le tabouret à côté de la cheminée éteinte pendant qu'elle allait chercher ce dont il avait besoin. Quelques instant plus tard, Nira tira une chaise et s'assit face à lui pour nettoyer délicatement le sang qui maculait son visage. Elle lui demanda ce qui c'était passé. Il expliqua que Shirley, une jeune et belle fermière, avait perdu ses poules. Probablement un gamin du village qui avait fait une farce en ouvrant le poulailler. Toujours est-il qu'en croisant Parys le matin même, elle lui avait demandé son aide pour toutes les retrouver et les rassembler. Le jeune homme avait immédiatement accepté. Seulement voilà, Shirley était fiancé à un homme très jaloux qui, les voyant s'affairer ensemble, s'était imaginé que Parys voulait lui subtiliser sa future épouse. Il avait commencé à faire une scène, ameutant tout le village, et l'avait accusé d'avoir lui-même libéré les poules. L'histoire avait dégénérée, et, le temps que Shirley arrête son fiancé, « Parys le maigrichon » s'était pris assez de coups pour l'envoyer directement chez la guérisseuse.

Nira lâcha un second soupir, mi-amusée mi-désespérée.

-Ce n'est pas possible de s'attirer autant d'ennuis, lâcha-t-elle, je vais finir par croire que tu le fais exprès.

Il allait s'insurger quand elle poursuivit.

-Tes pauvres parents doivent se retourner dans leurs tombes.

Il se rembrunit et baissa les yeux. Ses parents avaient été emportés par une terrible épidémie lorsque Parys avait dix ans.

-Cela va faire douze ans maintenant, ajouta la guérisseuse comme si elle lisait dans ses pensées.

Il acquiesça et serra les poings. Son amie s'éloigna un peu et déclara qu'il n'aurait pas besoin de soins supplémentaires. Le voyant faire ainsi blanchir les jointures de sa main, Nira s'enquit de ce qui n'allait pas.

-Je voudrais devenir plus fort, pour qu'ils puissent être fiers de moi, souffla-t-il.

-La force ne fait pas tout.

-Peut être mais moi je suis risible. Je suis maigre comme un cadavre et je parviens à peine à soulever quelques kilos.

-Alors trouve un moyen pour compenser cela, suggéra-t-elle après un instant de silence. Sers-toi de ta tête. Au moins toi tu l'as sur les épaules.

Il n'eut pas l'air convaincu mais il se détendit un peu.

Parys se leva et se dirigea vers la porte. Ne prenant pas la peine de le suivre, Nira lui demanda sa destination. Sans se retourner, il lâcha qu'il se rendait au Bois de Turin. Elle arqua un sourcil mais ne dit rien, le laissant partir.

            Le Bois de Turin s'étendait du village jusqu'à la Frontière. Tout voyageur ne quittant pas le chemin ne risquait rien, mais dans les profondeurs des bois vivaient bon nombre de créatures agressives. Le jeune homme savait qu'il n'était pas de taille, c'est pourquoi il suivit scrupuleusement le sentier. Ses yeux étaient rivés sur ses bottes ; ses poings, serrés dans ses poches. Il s'arrêta soudainement, se força à inspirer et expirer puis leva les yeux vers le ciel. Celui-ci était en partie dissimulé par une voûte feuillue, d'un vert illuminé par les rayons du soleil. C'était une belle journée. Oubliant ses ennuis du matin, Parys contempla les oiseaux qui gazouillaient dans les arbres. Sa mauvaise humeur envolée, il avisa qu'il n'était plus très loin de la lisière du bois, et, par la même occasion, de la Frontière. Il jeta un coup d'œil aux alentours : personne. Ce n'était pas étonnant, les gens préféraient ne pas s'en approcher.

Le jeune homme pressentait qu'il allait le regretter mais il avait une irrépressible envie d'aller y faire un tour. Il céda et sortit du couvert de la forêt. Le chemin grimpait sur une petit colline. Il le suivit et arriva en haut, hors d'haleine. Mais il oublia bien vite sa fatigue en voyant la Frontière.

C'était une muraille de pierres brunes, solidement gardée. Elle s'étendait sur des centaines de kilomètres, séparant Indria et les Contrés de l'Ouest. Le mur n'était pas très haut -une dizaine de mètres tout au plus- mais la garnison qui le surveillait était redoutable, si bien qu'il était impossible de rentrer en Indria sans suivre les procédures et passer par les portes. Et Parys en avait une juste sous les yeux. La porte était immense, en chêne massif, encadrée de deux herses, une de part et d'autre des battants.

Le jeune homme resta en retrait, les soldats n'avaient pas la réputation d'être des tendres, mais il ne s'éloigna pas pour autant. Surtout que toute son attention avait été subtilisée par l'arrivée d'un étranger voulant passer la Frontière. Il était de l'autre côté du mur, si bien que Parys ne pouvait pas le voir, mais il devinait son intention grâce à l'agitation des gardes. Il entendit la première herse se lever puis l lourde porte en chêne grincer et s'ouvrir. Il s'étira le cou néanmoins l'étranger restait bien trop loin pour qu'il puisse le voir clairement. De plus, son visage était caché par une cape de voyage dont la capuche était relevé.

Se sentant repéré par un garde, le jeune homme battit en retraite et, l'heure du déjeuner approchant, décida de rentrer chez lui. Il refit le trajet en sens inverse tout en écoutant les bruits de la forêt. Il avait effectué ce trajet tellement de fois qu'il aurait pu le faire les yeux fermés.

            Arrivé au village, il regretta instantanément la quiétude des bois : Daer, l'homme qui lui avait mis son poing dans la figure le matin même, discutait bruyamment avec sa bande d'amis. Tous des imbéciles avec un quart de cerveau, plus portés sur la violence que sur la réflexion.

Une voix féminine le tira de ses pensées.

-Parys ?

Il se retourna.

-Shirley ?

La fermière se rapprocha et baissa les yeux, l'air gênée.

-Je voulais juste te dire, je suis désolée pour ce matin. Daer est quelqu'un de très jaloux, il a tendance à voir le mal partout. Et je sais bien que tu n'y es pour rien dans cette historie de poules...

-C'est pas grave, après tout ce n'est pas toi qui m'a frappé. Je ne vois pas pourquoi ce serait à toi de t'excuser.

-Parce que c'est à cause de moi que tu t'es fait casser le nez.

Il ne dit rien, ne sachant pas quoi répondre. Il y eut un silence pesant.

-Enfin, reprit le jeune homme, je ne comprends pas comment tu fais pour le supporter, et encore moins pourquoi tu vas l'épouser.

-Il a des bons côtés... pas souvent je te l'accorde, dit-elle en riant, mais il en a tout de même.

Devant sa moue pas convaincue, elle lui lança un sourire qui manqua de le faire rougir.

-Bon je dois y aller, lança-t-elle. A bientôt et merci encore pour ton aide ce matin !

Sur ce, elle partit.

Parys rejoint sa petit chaumière et se cala l'estomac avec un bol de légume, un quignon de pain et un bout de fromage.

            Il passa le reste de la journée calé dans son fauteuil, à lire un livre que son vieil ami Argon lui avait prêté. Argon était un vieux fou qui vivait dans une maisonnette au nord du village. Une fois son amitié acquise -ce qui était déjà compliqué-, il s'avérait très gentil et amusant. Mais bon, cela ce n'était qu'une fois qu'on le connaissait, et les habitants avaient peur de lui. Parfois, certains criaient à la sorcellerie.

Cependant avec Parys ça ne s'était pas passé comme ça. Il l'avait rencontré peu après la mort de ses parents, alors qu'il errait désespéré sur la lande du nord. Argon, à la recherche de quelques herbes pour on ne sait quelles mixtures suspectes, l'avait trouvé et ramené chez lui. Devant la tristesse de ce petit garçon qui contemplait le feu de cheminée avec des yeux vides, il l'avait pris sous son aile, lui apprenant diverses choses sur la nature.

            Au crépuscule, le jeune homme ressentit l'envie pressante de retourner dans le Bois de Turin. Il posa son livre, sortit, verrouilla la porte et se mit en route. Une fois dans les bois, il escalada un vieux chêne et se percha suffisamment haut pour dépasser de la cime des arbres et observer le coucher du soleil.

La nuit ne tarda pas à s'installer. Il descendit et continua sa promenade. Alors qu'il marchait, Parys repensa à l'absence d'ennuis lorsqu'il était allé voir la Frontière. Ce n'était pas normal, chacun de ses faits et gestes lui apportaient des tracas d'habitude. Il ne put s'empêcher de penser que quelque chose de pire allait s'abattre sur lui. Soudain, il entendit des cris dans les profondeurs du bois. Des cris humains. Il se figea, écouta un instant et s'apprêta à quitter le chemin pour aller voir. Il s'arrêta de nouveau et réfléchit. Aller voir était tout ce qu'il y avait de plus imprudent mais il ne pouvait repartir en faisant comme s'il n'avait rien entendu. Si jamais quelqu'un avait besoin d'aide ? Il regretterait toute sa vie s'il n'allait pas lui prêter assistance. Le jeune homme murmura une rapide prière à la Déesse et s'enfonça dans les ténèbres, persuadé qu'il allait le regretter.

 

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            Le directeur du Colisée beuglait depuis l'aube. Il venait très souvent aboyer des insultes à ses gladiateurs pour qu'ils soient encore plus violents lors des combats. La majorité de ces combattants étant composée de brutes susceptibles, cette technique fonctionnait parfaitement. Et si la pluie d'insultes ne suffisait pas, le directeur passait par les châtiments physiques. Un petite centaine de coups de fouet parvenait à motiver les derniers récalcitrants. Ou presque.

Parmi tous les gladiateurs, il y en avait un que rien ne faisait réagir. Imperméable aux insultes, insensible au fouet, celui-là se contentait de s’entraîner quand c'était l'heure, de se battre quand c'était son tour, de dormir et de manger quand on le lui accordait. Il parlait peu et revenait toujours vivant de ses combats. Tout ceci faisait que le directeur le haïssait mais ne voulait pas s'en séparer pour autant : « l’Invincible » ameutait les foules.

-Jensen !! hurla le gérant.

L'intéressé était assis contre le mur de sa cellule, son épée appuyée contre l'épaule. Il ne prit même pas la peine de réagir.

-Karys Jensen !!!

Il ouvrit les yeux et tourna lentement la tête vers le petit homme. Bien habillé, comme à son habitude, son supérieur lui lança un regard furibond.

-Un problème Monsieur ? demanda-t-il de son éternel ton calme et désintéressé.

-Aujourd'hui le gouverneur et sa fille seront parmi les spectateurs, annonça-t-il non sans fierté. Pour l'occasion, tu affronteras un Draak des montagnes.

Un Draak des montagnes, dragon de couleur anthracite possédant une envergure de cinq mètres et recouvert d'une peau aussi dure que de la roche, très agressif. Son cousin le Draak des plaines fait le double de sa taille et se trouve être encore plus agressif.

Sur ce, le directeur s'en alla « motiver ses troupes ». Karys se replongea dans sa méditation. Le gladiateur de la cellule d'à côté s'approcha des barreaux qui les séparaient.

Les geôles des combattants se trouvaient au sous-sol du Colisée, dans un long couloir éclairé par des torches. Celle de « l'Invincible » se trouvait tout au bout, ce qui faisait qu'il possédait deux murs, contrairement aux autres qui n'en avait qu'un. Les barreaux qui fermaient et séparaient les cellules étaient entremêlés en un très large quadrillage.

Le voisin du jeune homme l'appela. Il ouvrit les yeux pour la seconde fois et le fixa en attendant la suite.

-Tu trouves pas ça triste qu'une belle jeune femme comme la fille du gouverneur doive assister à de violents combats de gladiateurs ? demanda Uen -c'était son nom-.

-Comment sais-tu qu'elle est belle et jeune ? répliqua l'autre toujours aussi désintéressé.

-Tout le monde le sait. C'est bien connu. Bon alors, ma question ?

-J'en sais rien, soupira l'autre. Si ça se trouve c'est une sadique.

-Ah non, je refuse de croire à ça ! Je suis persuadé que c'est une femme très douce, gentille et bienveillante !

-Calme-toi, c'était juste une hypothèse.

Ils se turent durant quelques minutes, puis Uen reprit.

-Un Draak des montagnes, le directeur a choisi l'une des bêtes les plus féroces.

-Rassure-toi, c'est spécialement pour moi. Histoire que cette fois je crève pour de bon.

-Dis pas ça, tu lui rapportes beaucoup d'argent.

-Peut être, mais il préfère me voir mort que de me laisser partir.

-Il y sera obligé non ? Au bout de cent combats gagnés, un gladiateur est affranchi et peut partir.

-Uen, soupira Karys, ça fait cinq ans que je suis gladiateur. Tes cent combats, ça fait longtemps que je les ai gagné. Et si je suis encore là, ce n'est sûrement pas parce que ce métier me plaît.

-Tu ne fais pas grand chose pour y remédier.

-Parce que je n'ai rien d'autre à faire. Personne ne m'attend, rien ne requiert ma présence. Tout ce qu'il me reste c'est l'expérience que j'ai acquise en combattant. Alors autant rester gladiateur. Et tant pis si je meurs.

-T'es bizarre comme gars, fit Uen après quelques instants de silence.

Karys haussa les épaules. Ils ne dirent plus rien jusqu'au début des jeux.

            Les combats commencèrent à midi pile. Du fond de son couloir, le jeune homme entendait les hurlements surexcités des spectateurs. Il affûta la lame de son épée en attendant son tour. La longue plainte d'un Oyack cornu, le cri de rage d'un autre. Et toujours la foule. Les gladiateurs s'affrontaient entre eux, ou affrontaient des monstres.

De longues heures après, un soldat vint le chercher. « L'Invincible » rangea l'épée dans son fourreau qu'il accrocha à son baudrier, porté en ceinture. Tout en suivant le militaire, il rajusta ses protections de cuir sur le torse, le dos, les avant-bras, les coudes, les genoux, les épaules. Lorsque l'autre s'arrêta, non loin de l'entrée des combattants, il s'accroupit et resserra les lanières de ses sandales, qui s'arrêtaient juste en dessous du genou. Quand ce fut fait, il jeta un coup d'œil au tas de cadavres à côté de la porte. Les guerriers qui tombaient au cours des jeux étaient entassés là, jusqu'à ce qu'ils soient évacués du Colisée durant la nuit. Sous les corps des barbares morts après lui, Uen gisait sans vie. Karys le contempla sans un mot. Il ne ressentait plus rien. Ces cinq années passées comme gladiateur lui avait fait comme un lavage de cerveau. L'amitié, la peur, la colère, la tristesse, des sentiments et des émotions qu'il ne partageait plus. A présent, la seule chose dont il était capable c'était se battre. Tuer, réfléchir comment tuer et tuer encore, voilà quelles étaient ses seules pensées.

C'est donc sans l'ombre d'un regret pour Uen qu'il entra dans l'arène, où le public l'attendait impatiemment.

Les hurlements de la foule redoublèrent tandis qu'il s'avançait sur le sable et que le commentateur -un vieil ami du gérant- déclarait avec engouement dans son micro

-Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, voici « l'Invincible » !

Il s'avança jusqu'à la tribune officielle, où se trouvait le gouverneur, sa fille et le directeur, et s'inclina. Le vicaire lui donna le droit de se relever. Croisant le regard de la jeune femme, le belluaire constata qu'elle n'avait pas l'air d'apprécier le spectacle qu'offrait le Colisée.

Il vint se placer au centre de l'arène, dégaina son épée et se tourna vers la grande porte qui retenait la bête. Les immenses battants tremblèrent tandis qu'elle se déchaînait pour sortir. Karys savait que le directeur affamait les animaux pour qu'ils soient agressifs et obsédés par l'idée de manger le guerrier qui les affrontaient. Soudain, la porte s'ouvrit et le Draak se précipita vers le jeune homme. Celui-ci évita la première attaque en se jetant sur le côté. Après une roulade, il se remit rapidement debout et planta son regard dans celui du monstre, resserrant sa prise sur la garde de son épée. Après l'annonce du directeur le matin même, le gladiateur avait passé de longues heures à réfléchir sur la façon dont il allait s'y prendre : les animaux possédant une peau épaisse ou une carapace avaient toujours un point faible, un endroit où elle était fine et facilement sécable. Et généralement, cette zone se trouvait sur le ventre. Maintenant, il s'agissait de l'atteindre.

            Le dragon sembla vouloir prendre son temps pour dévorer sa proie, ce qui arrangea le belluaire. Il prit donc le temps d'observer la bête : ses ailes avaient été entravées pour qu'il ne puisse pas voler. Ses crocs étaient aiguisé comme des rasoirs et ses griffes n'étaient sûrement pas de reste. De la bave dégoulinait de sa gueule tandis que ses pupilles verticales et ses iris jaunes ne lâchaient pas Karys une seule seconde. Celui-ci eut alors une idée. Il n'était pas certain que son plan puisse fonctionner, mais il n'avait rien à perdre, à part la vie. Tout à coup, le Draak chargea. Ses griffes ravagèrent le sable et il poussa un grognement sourd. Le jeune homme le laissa s'approcher et, alors que le monstre s'apprêtait à le saisir, il enfonça sa lame dans son œil jaune. Une longue plainte déchirante s'éleva, la foule hurla et la bête se cabra. Le guerrier en profita pour se glisser sous son ventre et commença à lui trancher la peau. Mais la queue hérissée de pointes du dragon le percuta et il atterrit quelques mètres plus loin, sonné. L'excitation de la foule redoubla quand la bête furieuse lança un hurlement de rage et se précipita vers le belluaire. Celui-ci, reprenant peu à peu ses esprits, s'aperçut que son arme était à un mètre de lui et que la créature arrivait vite. Il recracha le sable qu'il avait dans la bouche et s'élança dans un effort désespéré vers son épée. Le Draak sauta.

Au moment où il allait retomber sur lui, Karys referma les doigts sur la garde, leva la lame et, déchirant sa peau lisse, lui embrocha le cœur.

Le dragon émit un grognement surpris, puis s'en suivit un dernier soupir et il s'étala sur le jeune homme. Ce dernier s'extirpa de sous la carcasse en haletant. Le public, qui avait gardé le silence l'espace de quelques instants, se remit à hurler. Le commentateur, tout aussi excité, s'empressa de reprendre son amplificateur.

-Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, « l'Invincible » !! Fidèle à sa légende, il a terrassé ce Draak des montagnes sans perdre de temps ! Ah, je peux vous dire que le seul gladiateur qui avait réussi à abattre un Draak ne s'en était pas sorti aussi bien !

L'adrénaline retombant, le belluaire se rendit compte qu'il avait mal au flanc. Probablement quelques côtes cassées. A part cela, il n'avait aucune égratignure. Il retira l'épée du cadavre, l'essuya sur la peau anthracite et la remit dans son fourreau.

            Karys retraversa l'arène jusqu'à la tribune du gouverneur. Ignorant la douleur, il s'inclina puis sortit de la lice. Il était le dernier combattant, si bien que le public quitta le Colisée. Quelques heures plus tard, le directeur vint le voir dans sa cellule. Le jeune homme avait pu constater lors de son inclination que le gérant n'était pas réjoui par sa victoire. A présent, il n'arrivait plus à contenir sa fureur. Sa moustache, simple tâche sombre sur son visage cramoisi, tremblait sous sa colère.

-Tu ne crèveras donc jamais ? gronda-t-il.

-Je suis « l'Invincible » monsieur, répliqua le gladiateur sur le ton neutre qui le caractérisait.

-Tu vas payer très cher ton insolence ! Je peux t'assurer que tu ne feras pas de vieux os !

-Vous m'avez dit la même chose il y a cinq ans monsieur, et il me semble être encore là.

Le directeur serra les poings si fort que ses jointures blanchirent. Il se détourna et s'apprêta à repartir quand Karys ajouta une dernière chose.

-Votre erreur aujourd'hui, monsieur, a été de me dire ce que j'allais affronter. Si vous voulez me tuer, il va falloir que vous changiez de stratégie.

Le gérant ne répondit pas et s'en alla à grand pas. Le jeune homme, comme à son habitude, était adossé au mur, l'épée contre l'épaule. Il ferma les yeux, se massa le flanc, serra les dents sous la douleur qui le traversa et repartit dans sa méditation.

 

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            S'il y avait bien une chose que Parys savait alors qu'il s'enfonçait dans l'inconnu, c'est qu'il s'agissait de la première et dernière fois qu'il quittait le chemin. Les profondeurs du Bois de Turin étaient terrifiantes, pesantes, et il ressassait sans cesse les cris qu'il avait entendus. Il faisait si sombre qu'il devait lever les bras et tâtonner dans le noir, s'appuyant sur les arbres. Il régnait un silence de mort, si bien qu'il ne savait où aller. La seule solution qui lui restait était de continuer à avancer droit devant lui, où du moins faire comme si, car il ne savait même pas s'il allait tout droit ou s'il tournait en rond. Tout à coup, il distingua une lueur au loin, entre les arbres. Il accéléra du mieux qu'il put, trébuchant contre des racines et percutant des branches.

Le jeune homme finit par arriver près d'une torche, posée sur le sol et qui, par un heureux hasard, reposait sur de la mousse humide qui n'avait pas encore pris feu. Il la ramassa et la leva pour voir les alentours. Devant le spectacle qui s'offrit à ses yeux il recula précipitamment, jusqu'à ce que son dos soit collé contre un tronc. Trois cadavres d'hommes gisaient sur le sol. Ils étaient tous encapuchonnés et l'un d'eux tenait encore un poignard dans sa main. Et, adossé contre un arbre, un autre homme haletait en pressant sa main contre le côté gauche de son ventre. Il portait une cape de voyageur dont la capuche rabattue cachait son visage, ainsi qu'un carquois. A côté de lui, sur le sol, se trouvait un vieil arc visiblement usé. Il leva les yeux, qui brillèrent à la lueur de la torche.

-Qui es-tu ? demanda-t-il sur un ton qui laissait paraître sa douleur.

-U-Un pauvre villageois, bégaya Parys. Vous, qui êtes-vous ? Que faites vous ici ? Qui sont ces hommes ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?!

-Ça fait beaucoup de questions, fit l'inconnu sur un ton moqueur.

Il inspira profondément et reprit.

-Je suis un voyageur qui a traversé la Frontière en milieu de journée. Ces hommes sont des assassins qui étaient à ma recherche. Ils ont eux-aussi réussi à entrer dans ce pays. J'ai donc tenté de les semer mais je dois avouer que le ventre vide je ne suis pas aussi efficace pour me dissimuler que d'habitude. Donc ils m'ont attaqué et pour me défendre je les ai tué. Cela répond à tes questions ?

Le jeune homme hocha lentement la tête puis baissa les yeux sur la main crispée avec laquelle l'inconnu se tenait le ventre. En plissant un peu les yeux, il aperçut des gouttes de sang qui ruisselaient entre ses doigts.

-Tu es blessé ? dit-il légèrement paniqué.

-Trois fois rien...

Parys s'approcha et s'accroupit.

-Ça a l'air grave... souffla-t-il comme pour lui-même.

Il réfléchit quelques instants avant de déclarer :

-Viens chez moi.

-Pardon ?

-Viens chez moi. Tu vas pas rester gravement blessé dans les profondeurs d'une forêt remplie de monstres !

L'autre allait protester mais il croisa le regard du jeune homme, inquiet mais déterminé. Il finit par donner son approbation. Le villageois l'aida à se remettre sur pied, ramassa son arc et lui tendit. L'inconnu le reprit et suivit son nouvel allié tandis que celui-ci essayait de retrouver son chemin.

-Il va falloir qu'on retrouve la route, lâcha Parys.

-Comment es-tu venu ici ? s'enquit le voyageur.

-Ben à pied.

-Je voulais dire, tu as pris des précautions ?

-De quel genre ? Tu sais j'étais dans le noir, j'y voyais rien alors bon...

-C'est ce que je pensais. Éclaire le sol.

Il s'exécuta. Pour tout pisteur aguerri, trouver le chemin que le jeune homme avait emprunté à l'aller n'était pas bien compliqué. Herbes piétinées et branches brisées par son passage jonchaient le sol. Suivant ses traces, ils parvinrent rapidement au sentier. Là, Parys prit la direction de son village. Malgré sa blessure, l'inconnu n'eut aucun mal à soutenir une allure de marche rapide.

            Le jeune homme déverrouilla la porte de sa maison et fit entrer le voyageur. Celui-ci s'assit sur la chaise la plus proche, laissa choir son arc et son carquois sur le sol et ôta sa capuche. Son hôte pu ainsi voir ses cheveux bruns coiffés en pétard et ses yeux marron. Il paraissait jeune, à peine plus âgé que lui sans doute. L'étranger jeta un coup d'œil à sa blessure.

-Il y a une guérisseuse dans le village, déclara Parys. Je vais aller la chercher.

Mais, alors qu'il tournait les talons pour sortir, l'autre l'arrêta.

-Non ! s'exclama-t-il précipitamment. Ça ne servirait à rien...

-Pourquoi ?

-Les assassins avaient du poison dans leurs lames. Et ce n'est pas un poison qui peut être soigné par une guérisseuse, aussi douée soit-elle.

Le villageois eut l'air horrifié.

-Dis moi plutôt, connaît tu un certain Argon Adoni ?

Le corps de Parys se tendit comme un ressort.

-Oui, c'est un ami à moi. Mais que vient-il faire dans cette histoire ? Et comment le connais-tu ?

-Ce serait trop long à expliquer. Mais il faut que je lui parle le plus vite possible.

-Je doute que tu sois en état d'aller chez lui...

-Je ne le serais pas plus demain. Et puis c'est la seule personne qui connaisse l'antidote.

-Quoi ?! Mais tu as dit que ce n'était pas à la portée d'un guérisseur alors d'Argon...

-Je t'expliquerai plus tard. Conduis-moi chez lui !

Parys attrapa une lanterne dans son placard et l'alluma tandis que l'inconnu rabattait sa capuche sur son visage et ramassait son arc et son carquois. Ils sortirent, verrouillèrent la porte et le plus jeune prit la direction de la lande du nord. Le second le suivit du plus vite qu'il put.

Alors qu'il éclairait la piste de sa lanterne, Parys pria pour que le vieil homme n'eut pas été pris d'une soudaine envie d'aller ramasser des champignons en pleine nuit. C'était la nouvelle lune, peut-être cela signifiait-il quelque chose dans les pratiques quelques peu suspectes d'Argon. Soudain, au détour du sentier, le jeune homme aperçut la maison, coincée entre deux collines, et -la Déesse soit louée-, il y avait de la lumière derrière les fenêtres. Il prit le bras du voyageur, qui commençait à faiblir, et l'aida à avancer jusqu'au seuil. Là, il frappa avec force à la porte, espérant que son vieil ami soit en mesure d'éliminer le poison. Comme la porte n'était toujours pas ouverte, il se sentit pris de panique et cogna une nouvelle fois.

-Oui oui, ça va ! J'arrive ! grommela une voix rugueuse. Décidément les gens n'ont plus une once de politesse de nos jours. Ça dérange en plein milieu de la nuit et en plus ça voudrait que je me dépêche.

Argon ouvrit la porte et ne cacha pas sa surprise.

-Parys ? Mais que fais-tu ici ?

Il avisa l'étranger.

-Et qui c'est celui-là ?

-Argon, je te promets que je te dirais tout ce que je sais plus tard, mais il faut sauver cet homme ! Il a été empoisonné par des assassins !

-Empoisonné ? Mais pourquoi tu me l'amènes à moi ? Nira est compétente en poison pourtant.

-Je sais mais il a dit que toi seul pourrait le guérir.

Le vieil homme fronça les sourcils et les fit entrer prestement. En refermant la porte, il inspecta les environs et la verrouilla.

-Installe-le là, ordonna-t-il en indiquant un canapé miteux dans un coin.

Parys s'exécuta. L'inconnu grimaça de douleur.

-Retire-lui tout ce qu'il a sur le dos, intima ensuite Argon. Il faut que je puisse voir clairement la blessure.

Le jeune homme posa l'arc et le carquois sur la table à côté, lui enleva sa cape, sa veste, son équipement de cuir et finit par la chemise, collée à la peau par le sang.

Le vieil homme tira une chaise et inspecta soigneusement la plaie. Elle dégageait une odeur nauséabonde et le sang avait pris une teinte noire. Il y passa un doigt, faisant gémir de douleur l'étranger, et renifla le raisiné puis le goûta avant de le recracher dans la cheminée.

-Du poison de Taralhumpur, lâcha-t-il. Je croyais qu'il n'y en avait pas en Indria.

-Qu'est-ce que c'est ? demanda son jeune ami.

-Un poison qui fait pourrir le sang et les tissus.

-Comme la gangrène ?

-En effet, il s'agit du même principe. Mais ce poison agit bien plus rapidement. Et il a parfois d'autres effets, tels que causer une toux tellement forte que le malade en crache ses poumons.

-C'est une métaphore ? s'enquit Parys en réprimant la vision d'horreur qui c'était imposée à lui.

-Non. J'ai déjà vu quelqu'un cracher ses poumons à cause de ce poison. Mais de doute façon son corps était à moitié pourri de l'intérieur, il n'aurait pas tenu longtemps.

Le jeune homme se figea. Le voyageur c'était mis à tousser.

-Ça, c'est mauvais signe, dit Argon. Parys, va fouiller l'armoire dans ma chambre et rapporte moi toutes les fioles de couleur verte que tu trouves.

Il courut dans la chambre du vieil homme mais s'immobilisa sur le pas de la porte.

-Argon ! C'est laquelle l'armoire ?!

-Comment ça c'est laquelle ?!

-Y en a une dizaine !

-La petite accrochée au mur à côté de la fenêtre !

Le jeune homme se précipita dessus, s'empressa de l'ouvrir et chercha des yeux toutes les fioles vertes. Il comprit bien vite qu'il ne pourrait pas tout porter en même temps. Il chargea ses bras au maximum et revint dans la pièce principale en courant pour déposer les fioles sur la table et repartir tout aussi rapidement. Lors de son dernier voyage, il pesta contre le nombre de flacons que pouvait contenir cette armoire.

Quand tout fut apporté, Argon attrapa des récipients et commença à effectuer de subtiles mélanges tandis que son jeune ami épongeait le front couvert de sueur du malheureux.

Le vieil homme replaça l'une des mèches de ses cheveux d'un blanc immaculé derrière son oreille. Ils lui arrivaient aux épaules, et l'ermite disait souvent qu'il faudrait bien qu'il se les coupe un jour.

-Qui est cet homme ? demanda-t-il soudainement.

-Je l'ignore.

-Tu ne connais même pas son nom ?

-Non, avoua le plus jeune en se rendant compte qu'il ne lui avait pas demandé.

-Décidément tu es trop gentil Parys, tu sauves des gens que tu ne connais pas.

            La préparation de l'antidote dura jusqu'à l'aube. Quand Argon se redressa -enfin !- d'un air triomphant et qu'il s'approcha de l'inconnu, celui-ci était épuisé à force de tousser et une bonne partie de son buste avait pris une couleur noirâtre inquiétante. L'odeur de chair en décomposition était insoutenable. Parys arrêta de respirer et souleva le voyageur pour que le vieil homme puisse lui faire boire l'antidote. Cependant cela dura un certain temps et le jeune homme fut bien obligé de reprendre son souffle. Sous l'impact de l'odeur nauséabonde, il crut défaillir.

Une fois la potion avalée, tout alla très vite : la peau de l'étranger reprit sa couleur originel -quoi qu'un peu plus pâle-, la blessure se referma et il arrêta de tousser. Ne restait plus que les relents de décomposition, témoins de la mort qu'ils avaient réussi à éloigner.

Laissant le convalescent se reposer, Argon entreprit de ranger ses ampoules de potion.

Lorsque l'inconnu ouvrit enfin les yeux, il faisait à présent tout à fait jour. Il se redressa et s'assit.

-Où suis-je ? demanda-t-il.

-Chez Argon Adoni, répondit Parys. Tu te souviens, tu m'avais demandé de t'y amener.

-Je m'en souviens vaguement.

Il passa une main dans ses cheveux et fixa le jeune homme dans les yeux.

-Merci, dit-il. Tu m'as sauvé la vie.

-Ce n'est pas moi qui ait créé l'antidote, le contredit le villageois.

-Je m'en doute, se moqua le voyageur. Mais je ne suis pas arrivé ici tout seul.

Il ne trouva rien à répondre. Argon en profita pour s'asseoir.

-Bien ! commença-t-il. Puisque monsieur a l'air remis, je vais pouvoir satisfaire ma curiosité. Tout d'abord, j'ai ouïe dire que ce sont des assassins qui vous ont inculqué ce poison. Cependant les assassins d'Indria ne possèdent pas le poison de Taralhumpur. Comment expliquez-vous cela ?

-Peut être parce que les assassins ne sont pas d'Indria, proposa l'étranger sans l'ombre d'un doute.

-Exact ! Puis que vous avez été blessé, je suppose que vous étiez la cible. Mais que voudraient des assassins étrangers à un habitant d'Indria ?

-Probablement rien, sauf si je ne suis pas un habitant d'Indria.

-A nouveau exact ! Nous en venons donc aux faits, qui êtes-vous ?

L'inconnu sourit.

-Vous connaissez déjà une partie de la réponse. Cependant je vais tout de même me présenter : je m'appelle Kert. Je viens des Contrées de l'Ouest et j'ai passé la frontière hier midi pour vous trouver, Argon Adoni.

Le vieil homme ne dit rien pendant un moment, se contentant de fixer l'étranger dans les yeux.

-Pour me trouver, finit-il par dire. Et en quel honneur ?

-Un noble nommé Kalahar Gale s'est autoproclamé Inquisiteur.

Argon se figea, comme s'il avait été frappé par la foudre. Quant à Parys, il avait à peu près tout compris, sauf le plus important : qu'était-ce donc qu'un Inquisiteur ?

Le vieil homme rougit de colère et ses yeux lancèrent des éclairs.

-Il n'a pas le droit ! rugit-il lorsqu'il recouvrit la parole.

-Non, approuva Kert, mais il l'a fait et comme ce noble est puissant personne ne trouve rien à redire.

-Et les souverains des Contrées de l'Ouest ?!

-Les plus puissants ont fait de petits arrangements avec lui. Il leur est bien plus favorable que quelqu'un qui leur a fait la promesse de fermer les yeux sur leurs agissements devienne Inquisiteur, surtout qu'il leur a aussi promis de s'en prendre à leurs ennemis.

-Seul le Grand Mage a le droit désigner l'Inquisiteur ! insista l'ermite, scandalisé.

-Heu... intervint Parys. C'est quoi un Inquisiteur ? Et un Grand Mage ?

Voyant que Argon ne pourrait pas lui raconter sans s'énerver, ce fut Kert qui se chargea des explications.

-Un Inquisiteur est une personne choisit par le Grand Mage pour qu'elle fasse régner la paix, la justice et la vérité. Il est aussi puissant qu'un roi, tout aussi craint et respecté, voir plus. Il est libre, sans attaches, peut aller où il veut et quand il veut.

-Je ne suis pas sûr de saisir son utilité.

-Et bien, par exemple, il déjoue les complots ; en cas de maltraitance sur des sujets il intervient ; lorsqu'il y a un coup d’État il peut décider de laisser le nouveau gouvernement où de remettre en place le précédent. Tout ça de la manière qu'il veut. Mais tu comprends bien que n'importe qui ne peut pas être Inquisiteur. C'est trop de pouvoir.

-C'est pour ça que seul le Grand Mage à le droit de choisir, râla Argon.

-Quand au Grand Mage, reprit Kert, je ne sais pas si c'est pareil dans ce pays mais dans les Contrées de l'Ouest il existe une catégorie de personne qu'on appelle les Mages. Quand on est Mage, on est soit un Sorcier, c'est-à-dire qu'on lance des sorts, soit un Invocateur, on invoque des esprits. Le Grand Mage est le seul à être les deux à la fois.

Parys acquiesça pour signifier qu'il avait compris. Cependant, qu'est-ce que tout ça avait à voir avec Argon ?

-Si j'ai traversé la Frontière, dit l'étranger en plantant son regard dans celui du vieil homme, c'est pour vous demander de désigner le véritable Inquisiteur.

Le villageois en resta coi.

-Mais tu as dit que seul le Grand Mage... commença-t-il en pressentant la réponse.

-Oui, c'est bien pour ça que je suis venu voir le Grand Mage en personne.

Le jeune homme savait que son vieil ami était originaire des Contrées de l'Ouest, qu'il était arrivé il y a un quinzaine d'années. Il savait aussi que les Mages existaient puisqu'il avait entendu les récits des voyageurs. Mais de là à penser que l'ermite était l'un d'eux, le plus puissant qui plus est ! Kert reprit :

-Kalahar Gale n'est pas encore officiellement l'Inquisiteur. Il n'obtiendra ce titre qu'à l'issu d'une cérémonie organisée à Talamh.

A l'adresse de Parys il ajouta :

-Talamh est la capitale du pays de Spéir. C'est un petit pays mais il est lui-même considéré comme la capitale des Contrées de l'Ouest car c'est là que se trouve les lieux sacrés. C'est là que se réunissent les souverains quand ils doivent discuter. Malheureusement le pays ne possède qu'une armée réduite et bon nombre de ses voisins voudraient se l'approprier.

-Ne me dit pas qu'il est du côté de cet usurpateur lui aussi, maugréa le Grand Mage.

-Non, heureusement. Mais depuis votre départ beaucoup de choses ont changé, notamment l'influence de la porteuse de lumière -c'est le nom que l'on donne à la souveraine de ce pays-. A présent il n'y guère que son peuple qui l'écoute. Alors même si elle s'est farouchement opposé à l'accession de Gale au titre d'Inquisiteur, ça n'a pas changé grand chose. Et vous savez bien que toutes les cérémonies de ce genre se déroule à Talamh. Mais si cela peut vous rassurez, elle fait partie du groupe de personne que je représente en venant ici.

-Ainsi vous servez d'ambassadeur ? demanda Argon.

-En quelques sortes. En fait, je fais parti d'un groupe de mercenaires dirigé par un ancien général. Celui-ci est loin d'avoir perdu son honneur et ses croyances, et il s'est lui aussi opposé à cette auto-proclamation. Il s'est mis en contact avec la porteuse de lumière et, pendant qu'ils réunissaient des gens du même avis, aidés par mes collègues mercenaires, je me suis proposé pour venir vous trouver.

-Je vois, soupira le vieil homme. Mais j'ai l'immense regret de vous dire, jeune Kert, que malheureusement le fait que je nomme un Inquisiteur ne changera rien.

L'étranger sembla désespéré.

-Pourquoi ?

-J'ai perdu ma crédibilité auprès du peuple des Contrées de l'Ouest il y a bien longtemps. Si je désigne un Inquisiteur il ne sera pas reconnu par la majorité et ce Kalahar Gale aura gagné.

-Mais si vous ne faites rien il va gagner aussi !

-Du calme, j'ai tout de même une solution à ce problème.

-Je vous écoute.

-J'ai dis que si JE désignais l'Inquisiteur cela ne servirait à rien...

-Tu veux dire que si quelqu'un d'autre le fait à ta place ça marcherait ? s'enquit Parys.

-Tout à fait mon jeune ami.

-Mais il n'y a que vous, objecta Kert. Vous voulez faire passer quelqu'un pour le nouveau Grand Mage et qu'il désigne la personne que vous indiquerez ?

-Non, cela serait bien trop malhonnête, quoi que cela m'ait en effet traversé l'esprit.

Les deux autres l'écoutèrent en silence, ne voyant pas à quoi il voulait en venir.

-Vous ne comprenez pas ? s'étonna Argon.

Ils secouèrent la tête négativement.

-Tu n'y était pourtant pas très loin Kert, toi non plus Parys. Je ne vais pas faire passer quelqu'un pour le Grand Mage ni désigner un Inquisiteur, je vais trouver un nouveau Grand Mage et le désigner comme mon successeur.

Les deux plus jeunes écarquillèrent les yeux d'étonnement.

-Mais... fit remarquer Kert, le temps de trouver votre successeur, puis qu'il trouve lui-même l'Inquisiteur et le temps de voyager jusqu'à Talamh, nous ne pourrons jamais y être à temps pour la cérémonie !

-Tout ça est vrai, mais il se trouve que j'ai déjà débusqué mon apprenti.

-Ah bon ? s'étonna le villageois. Et qui est-ce ?

-C'est toi Parys.